We are a fugitive.
De la sueur coule sur mon front, sur celui de Miguel aussi. On cogne. Comme des dingues depuis ce matin avec un marteau. Le toit de la chapelle en a besoin. À l’approche de l’hiver, changer des planches et des panneaux de bitumes est urgent. Avec Les Yeux Bleus, on a décidé de donner un peu d’argent au Padre pour acheter les matériaux. Enfin, je dis « on », mais c’est surtout elle qui finance les achats. Hier, je suis descendu jusqu’au store d’Ojo Caliente afin d’approvisionner le nécessaire. Des planches, des clous.
Jusqu’à présent, je n’effectuais que des petites réparations, du bricolage. Un peu à droite, à gauche, rien de bien compliqué, de physique. La peur que ma blessure ne s’ouvre. Puis, est arrivé le jour où avec Les Yeux Bleus on est parti dans la montagne pour relâcher le coyote. Cette bête est bizarre, elle me grogne chaque fois que je l’approche seul. Sûr qu’elle sait que c’est moi qui conduisais lorsqu’on l’a percutée. On a défait la corde qui la retenait et on est parti. Sauf que le coyote ne voulait pas retourner à la vie sauvage. Il est revenu avant qu’on ait fait cent mètres. Va savoir pourquoi. En arrivant à notre bicoque, Les Yeux Bleus m’a presque sauté dessus. J’y croyais pas ! C’est parti en galipettes pour la première fois. Toute la fin de la journée, toute la nuit aussi. On n'avait pas mal de retard à rattraper. Comment dire… c’était différent, soyeux, expressif, intense… fort. On est resté endormis durant la matinée, elle m’a dit à un moment qu’elle voulait appeler le coyote, Billy. Enfin, je crois. Je me suis levé pour allumer le poêle. Au moment d’enfourner la bûche… je me suis rappelé qu’il fallait que je le répare, et ni une ni deux, je l’ai soulevé comme s’il ne pesait rien. C’est à ce moment-là que j’ai compris que ma blessure ne me gênait plus.
Quelques flocons font leur apparition en milieu d'après-midi. Je me dépêche, et finis d’enfoncer un clou lorsque j’aperçois une Jeep s’engager sur le bout de piste. De loin, je devine un insigne sur le capot et m’allonge sur le toit afin de passer inaperçu. Miguel le remarque et s’avance au plus haut du faîtage. La bagnole stoppe devant la chapelle. Je risque un œil. Sur le côté de la caisse, je lis : Indian Tribal Police.
Un type en uniforme sort, il parle avec Miguel.
Il lui demande s’il n’a pas vu un homme blanc et grand, dans le coin. Apparemment, cet homme aurait été vu hier au store d’Ojo Caliente en train d’acheter du bois. Miguel lui a dit non, mais le type demande s’il est seul sur le toit. Le Padre sort à ce moment-là. Il invite l’officier à entrer, puis fait signe à Miguel que je dois partir… vite.
J’ai sauté au sol. Une course folle m’a amené à la cahute. En me voyant arriver, Les Yeux Bleus a compris. Nos deux sacs ont volé dans la benne du Mitshu. Billy a grimpé sur le strapontin derrière le siège passager, Les Yeux bleus s’est lovée sous le tableau de bord, et on est parti. J’ai coupé à travers champs puis rejoins la route plus loin.
Maintenant, on file sur la 285, plein Nord, et on vient de passer dans le Colorado.
Je lis de la tristesse dans son regard. Elle ne dit rien. Je sais qu’elle s’était attaché à ce petit chez nous. Un pas grand-chose qui n’aurait sûrement pas résisté à la rudesse de l’hiver, mais voilà, au moins avions-nous un toit et du bois pour nous chauffer. Je ne suis pas sûr que cela soit le cas pour les jours à venir. Nous n’aurons pas toujours la chance de tomber sur un Padre accueillant et sur des villageois comme ceux de Vallecitos. Et la neige qui redouble…
Où aller ?
Plus au Nord ? Pas une bonne idée, après le Colorado, le Wyoming. Là-bas, le froid est plus intense, et si on doit dormir dans la voiture, on va finir congelés.
Le Sud ? On en vient, risqué.
Rallier la côte Est ? Loin, beaucoup trop loin.
La Californie ? Je ne vois que cette solution. Mais il faut passer en pleine montagne et j’ai pas d’équipement pour ça. Non, le plus simple c’est d’aller jusqu’à Denver, de prendre la 70 et de passer en Utah. Là, je connais bien. On pourra s’arrêter quelques jours à Kanab pour souffler et se refaire une santé. Deux jours de route avec cette guimbarde pour y arriver. Deux nuits dans la caisse à se peler. Prochaine station, je m’arrête pour acheter des duvets et de quoi bouffer.
J’expose mon projet à Les Yeux Bleus. Elle attrape ma main, la serre fort.
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