Samedi soir
Une douche bien chaude lui fit le plus grand bien. Il essuya la buée de son miroir et constata avec soulagement que la fatigue de son visage avait en partie disparu. Une fois habillé, il enfila son manteau d’hiver et sortit. Son studio était au-dessus du Petit Marcel. Il avait juste à descendre les escaliers situés à l’arrière et à contourner un pâté de maisons pour rejoindre le café. En ce début de soirée, celui-ci était déjà bondé. Il se faufila parmi les clients agglutinés au bar. Il réussit à approcher Marie, la serveuse qui travaillait avec Lucas. C’était aussi la propriétaire de l'appartement dans lequel il habitait depuis maintenant neuf mois. Il lui fit la bise en se penchant au-dessus du zinc :
— Tiens, voilà mon locataire. Comme tu peux t’en apercevoir, c’est la folie ce soir. Je te sers un verre ? dit-elle pleine d’entrain.
— Non, merci, je passais juste vous faire un coucou et prévenir Lucas. Un truc important à lui dire à propos de l’anniversaire de Philippe, dit-il en se retournant.
Il l’aperçut en train de servir un groupe d’étudiants et de repartir aussitôt prendre une autre commande à la table voisine.
— Je vois que je ferais mieux de repasser en fin de soirée.
— On se dit à plus tard alors ! répondit Marie qui partait déjà à l’autre bout du comptoir, deux verres de bière à la main.
Résigné, Tristan regagna la porte d’entrée, prêt à sortir. Il porta un dernier regard en direction de Lucas, qui finit, contre toute attente, par l’apercevoir. Ils se sourirent, Tristan lui indiquant d’un geste de la main qu’il repasserait plus tard. Lucas leva le pouce, avant d’être aussitôt alpagué par un client impatient.
Durant le petit quart d’heure de marche qu’il avait pour se rendre chez son meilleur ami Paul, Tristan fut assailli de milliers de pensées. Le cadeau de Noël pour son frère qu’il n’avait pas encore trouvé, l’image de sa belle Charlotte, allongée dans son lit, encore à moitié endormie, son studio qu’il avait laissé en désordre, le sourire de Patrick en pleine conversation avec Monsieur Delphin, ou encore son inquiétude concernant ses nouvelles responsabilités au magasin. Son esprit finit par se fixer de nouveau sur Charlotte. À cette heure-ci, elle devait être à l’aéroport d’Orly, prête à embarquer. Elle lui manquait. Il espérait de tout cœur passer le premier de l’an, rien qu’avec elle. Il avait envie de lui trouver un cadeau. Il avait plein d’idées d'albums musicaux, mais il voulait quelque chose de différent, quelque chose de spécial. Malheureusement, il n'avait encore aucune idée originale. Il fut coupé dans sa réflexion par un homme visiblement pressé qui le bouscula, sans prendre la peine de s’excuser. Il se retourna, prêt à apostropher l’individu. Il reconnut la silhouette.
— Hé, Tom, c’est moi ! s’écria-t-il.
L’individu se retourna aussitôt. C’était bien le petit ami de Paul qu’il avait reconnu.
— Oh, Tristan, je t’avais pas vu, dit-il gêné, en guise d’excuse.
Son visage naturellement si enjoué était étonnamment crispé.
— Il y a un problème pour ce soir ? Justement j’allais chez vous.
— Oui, je sais… Mais, finalement, je ne vais pas pouvoir rester. Je crois que Paul a besoin de se retrouver seul avec toi. Après tout, tu es son meilleur ami. Tu réussiras peut-être à le calmer, parce que moi, manifestement, je ne suis pas la bonne personne.
Surpris, Tristan eut un temps d’arrêt.
— Qu’est-ce qui se passe, enfin ?
— C’est à lui qu’il faut demander ça. Moi, je jette l’éponge.
Tristan n’eut pas le temps d’ajouter quoi que ce soit, Tom lui avait déjà tourné le dos. Il ne réfléchit pas davantage et se dépêcha pour se rendre chez son ami.
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