Un soir au Petit Marcel

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Cela faisait une semaine que Tristan se rendait, à la fin de chacune de ses journées de travail, devant la grille de l’hôtel particulier où habitait Charlotte. La sachant à des milliers kilomètres, il savait bien qu’elle ne pouvait se cacher derrière les rideaux de sa fenêtre qu’il fixait à présent depuis dix minutes, et pourtant, il était là. A glaner la moindre particule d’énergie flottante dans l’air qui aurait pu appartenir à la jeune fille, pour revenir le cœur plus léger dans son studio. Des images de lui à ses côtés traversaient son esprit en boucle, elles devenaient obsessionnelles. Aussi, la veille de sa première venue chez Charlotte, il avait décidé de lui écrire. Cette lettre, il la déposerait le lendemain dans sa boîte. Malgré la fatigue, il devait pour son bien-être psychologique coucher sur papier ce qu’il avait sur le cœur. Il ressentait un tel attachement pour elle. Il ne connaissait pourtant que depuis quelques semaines seulement, mais qu’importe ! A peine avait-il enlevé le capuchon de son stylo plume, qu’il se figeait. Il avait tellement de choses à lui dire ! Il avait commencé un brouillon dont le début lui paraissait bien mièvre. Il avait rayé les premières phrases, s’y était repris à plusieurs fois avant de trouver les mots justes pour exprimer sa pensée.

Ce soir, c’était la cinquième lettre qu’il déposait dans la boîte, avec sur le recto le prénom de la jeune fille et au dos le sien. Il imaginait déjà la joie qu’elle ressentirait lorsqu’elle découvrirait son courrier. Il lui faudrait juste faire en sorte qu’elle ne le relève pas en sa présence pour conserver l’effet de surprise.

Demain tout le monde fêterait, aux quatres coins du globe, le passage à une nouvelle année. Il imagina déjà le bonheur de le célébrer au bras de sa Charlotte ? Si elle n’avait toujours pas donné signe de vie, ne manquant pas d’attaquer son moral, les lettres avaient eu le mérite d’atténuer sa peine.

Perspicace, Lucas lui demanda innocemment s’il avait des nouvelles de sa petite amie. Tristan arbora aussitôt un masque confiant comme si les choses étaient réglées depuis longtemps. Il irait la chercher à la gare à vingt heures comme prévu, avant de s’en retourner fêter la saint Sylvestre au Petit Marcel avec toute la bande. Lucas n’insista pas devant l’aplomb de sa réponse, mais la nervosité dans sa voix ne lui échappa pas. Tristan sut dans l’instant qu’il n’était pas arrivé à convaincre le serveur. La preuve, celui-ci n’avait rien ajouté, préférant adopter une attitude détachée. Tristan, pour soulager sa culpabilité de son mensonge, remercier intérieurement Sandro qui avait su redonner à Lucas son côté rêveur.

Après le dîner, Tristan se força, pour ne pas se laisser emporter par la mauvaise humeur qui frappait à la porte, de venir prendre un verre au Petit Marcel. Ce café qu’il connaissait depuis presque un an déjà, était devenu un vrai refuge, comme pour beaucoup de ses amis. Un café où l’on se sentait bien, comme protégé du reste du monde. La bonne humeur et la gentillesse du tandem Marie-Lucas contribuaient à donner au lieu une chaleur humaine non feinte et douce. Chaque client venait se ressourcer ou donner de sa belle énergie pour former une communauté solidaire et unique en son genre.

Lorsqu’il franchit la porte, Lucas, derrière son comptoir, venait de raccrocher le téléphone.

— Devines qui c’était au bout du fil ?

— Je donne la langue au chat.

— Barbara. Elle est toujours à Londres pour ses vacances avec Zofia et Marianne ! Elles passent un super séjour. J’ai la charge de transmettre leur bonjour à toute la clique !

Il enchaîna en lui donnant des nouvelles plus précises. Tristan se souvint comment Barbara avait réussi à convaincre sa sœur Sofia de partir avec Marianne, sa copine de fac pour s’envoler de l’autre côté de la Manche. Là-bas, Sofia avait rejoint leur père, diplomate en Angleterre. Les deux amies poursuivaient leurs études en étant aussi fille au pair. Savoir Marianne, son ex petite amie à l’étranger, embrassant une nouvelle vie et pleinement heureuse lui fit réellement plaisir. Quant à Barbara, qui avait décidé de s’offrir une virée anglaise pour les fêtes, avait remercié le ciel que sa petite sœur se soit fait une telle amie de confiance. Malgré un père très occupé professionnellement, elle était d’autant plus rassurée de les savoir toutes les deux près de lui.

Accoudé au bar à siroter sa bière, Tristan le délaissa aussitôt à l’arrivée de Tom, Paul, Ariane et Vincent. Les deux adolescents venaient profiter de leur dernière soirée en ville avant de repartir chez eux fêter le 31 avec leur copains de lycée. Comme à son habitude, Ariane était tout feu, tout flamme et semblait avoir contaminé définitivement son copain de classe. Tous les deux ne purent s’empêcher de lui raconter leur folle aventure en compagnie de Philippe quelques jours plus tôt. Ce dernier avait atteint le statut de héros semi divin. La raison, il ne la comprit que globalement, tant les détails ajoutés par l’un et l’autre s’entremêlaient et compliquaient la narration de leur histoire. En conclusion et parce qu’il avait encore la tête ailleurs, il avait seulement retenu les points suivants : Vince en pinçait lui aussi pour les mecs, mais seuls une poignée de gens le savait. Sébastien, leur ennemi juré de classe était désormais hors jeu et ce grâce à Philippe. Il avait été merveilleux, brillant, amusant, réconfortant, en un mot su-bli-me aux dire des deux lycéens qui n’arrêtaient pas de répéter qu’ils n’arriveraient jamais de leur vie à s’en remettre tellement ils étaient contents de savoir ce connard d’homophobe de Sébastien réduit à néant.

Les deux ados furent stoppés dans leur récit qui n’en finissait pas l’entrée de Julien Perrin et de son ami. Tristan ne se souvenait plus de son prénom, Jean-Fabrice, quelque chose comme ça. Aussitôt, les lycéens se mirent à glousser, se renvoyant la balle pour savoir lequel des deux allait oser venir aborder leur professeur pour le saluer. Tristan leva les yeux au ciel tant la situation était amusante, mais il se revit à leur âge et perçut facilement les enjeux éminemment importants de leur point de vue, surtout pour Vincent qui avait le visage plus que rougi. Finalement, c’est Julien qui leur sauva la mise en quittant la table où il s’était installé, en leur proposant de prendre un verre avec eux. Ariane et Vincent se regardèrent médusés avant d’accepter timidement cette invitation privilégiée. Tristan imagina déjà comment cette ultime soirée allait devenir mythique pour ces deux-là.

A peine avaient-ils quitté la table, que Paul et Tom en profitèrent pour lui donner de leurs nouvelles. Tout était rentré dans l’ordre pour les deux garçons qui avaient eu une grande discussion apaisée la veille de fêter Noël. A croire qu’Octave, le garçon que Paul avait embrassé leur avait rendu en quelque sorte service, au point de faire franchir une nouvelle étape à leur couple. Paul annonça, non sans émotion, qu’il avait la ferme intention de présenter officiellement Tom à ses parents et ce pour la nouvelle année. Tristan fût sincèrement heureux, ils le méritaient amplement. Lui qui avait cru que l’amitié avec Paul était mise à mal, il réalisa en le regardant de nouveau comme avant qu’il avait dû se tromper sur toute la ligne. Après tout, il était normal que chacun évolue sur son chemin. Leur longue amitié avait de beaux jours devant eux, il ne fallait plus en douter. Pas plus que les moments privilégiés passés en tête à tête qu’ils affectionnaient tous les deux et qui ne manqueron pas de se reproduire.

La soirée se prolongea tranquillement sans que le prénom de Charlotte fut mentionné. Paul connaissait son ami par cœur, et avait senti qu’il était préférable de parler d’autre chose. Tristan l’avait intérieurement remercié pour sa délicatesse. Un premier bâillement vint le cueillir. Il s’excusa auprès du couple, il allait se coucher. Après avoir dit un dernier au revoir à Ariane et Vincent, il salua Lucas, qui, une méthode de langue italienne à la main, s’entraînait à parler à voix haute en le prenant comme public :

— Tristano è un ragazzo. Va a letto. Buonanotte amico mio, dit-il tout fiert de lui.

Tristan le gratifia d’un pouce levé avant de venir l’embrasser. Arrivé chez lui, il constata que son cœur était aussi lourd qu’avant. Ses amis semblaient tous épanouis, sauf lui. Qu’est-ce qu’il avait fait pour mériter ça ? Une fois sous sa couette, il voulut se rassurer une nouvelle fois en se disant qu’il traversait juste une mauvaise période. Heureusement, tout allait rentrer dans l’ordre dès le lendemain soir. Pourtant, au plus profond de lui, il sentait que quelque chose n’allait pas. Il ne put s’empêcher de se refaire un scénario catastrophe, s’imaginant déjà quittant la gare seul, les larmes aux yeux, sans sa Charlotte adorée à son bras.

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