Sei un amico per lui
— Marie-France, viens voir, je suis sûr que ça va te plaire !
— Qu’est-ce qu’il y a mon chéri ? Oh, le disque de la musique du Grand Bleu, nous qui adorons ce film !
— Regarde, ils ont même fait un coffret spécial, avec en plus du disque, une petite bouteille de parfum en forme de dauphin, ils sont malins !
— Jean, tu me fais marcher, vraiment ?
— Mais oui, vise par toi-même, le parfum, c’est du Lagon Bleu *, comme celui que je t’ai offert, ma chérie. Tu es vraiment… Comment on dit de nos jours, fashion ?
— Oh, Jean, tu vas me faire rougir…
— Mais enfin, qu’est-ce que vous faites ici ? s’étonna Tristan.
— Oh mon chéri, on est là depuis une heure ! Toi, tu as besoin de repos, à moins que nous couve encore quelque chose, lui répondit Marie-France, qui ajusta son chapeau sur la tête.
— Je vais très bien, maman, dis-pas n’importe quoi.
— Mais oui, mon fils va très bien, ne joue pas les mères poule ! le rassura Jean.
— Oh, vous m’énervez vous deux à toujours vous liguer contre moi. Tiens, mais qui voilà ? Notre adorable Charlotte !
Tristan se retourna, abasourdi de la voir en chair et en noce. Elle était ravissante dans sa petite robe d’été à fleurs.
— Bonjour tout le monde ! Désolé d’être en retard, mais j’ai enfin réussi à t’en trouver une paire, Tristan.
Elle lui tendit des sandales en cuir.
— C’est gentil, mais je n’en ai pas besoin, j’ai ce qu’il me faut. Je préfère marcher avec mes après-skis. Ils sont plus confortables sur le sable.
— Je ne veux pas vous vexer, ma chère Charlotte, mais en tant que vendeur de chaussures, je dois bien reconnaître que de se sentir à l’aise dans de bonnes chaussures fermées, c’est primordial pour la voûte plantaire. Surtout que, regardez : vu l’épaisseur de la couche de sable qu’il y a dans le magasin, il vaut mieux pour mon fils qu’il ne s’abîme pas les pieds. Il passe suffisamment d’heures à trottiner sur place. J’en fais l’expérience tous les jours…
— En tous les cas, bravo mon chéri pour la décoration. C’est bien simple, on se croirait à la plage ! Je crois que je vais me laisser tenter par un petit rafraîchissement sous le parasol, ajouta toute guillerette Marie-France en s’asseyant dans une chaise longue, habilement placée entre deux étagères.
— Hop hop hop, il ne s’agirait pas de traîner ma chérie, sinon, nous allons manquer notre bateau, s’écria Jean.
— Mais oui, tu as raison, Jean, je n’avais pas vu l’heure. Oh, malheur, l’eau commence déjà à monter jusqu’ici, dépêchons-nous !
Tous furent surpris par une grosse vague qui les aspergea abondamment !
— Ça arrive de temps en temps, mais ne vous inquiétez pas, ça sèche vite ici, il y a toujours un vent chaud en fin d’après-midi, les rassura Charlotte, manifestement ravie d’être mouillée.
— Charlotte, tu as finalement raison, je crois que je vais me laisser tenter par ces sandales, je commence à avoir chaud dans mes grosses chaussures, conclut Tristan qui voulut retirer un premier après-ski. Mais devant la difficulté à l’extraire, il perdit l’équilibre et tomba lourdement par terre.
Tristan se réveilla brutalement sur le parquet de son studio. Il lâcha un juron, se leva laborieusement et s’étira de tout son long. On frappa à la porte. Par réflexe, il regarda l’heure à son radio-réveil.
— Merde !
Il courut ouvrir la porte. Barbara apparut devant lui. La jeune femme russe était drapée comme à son habitude de sa capeline noire aux reflets dorés, sa longue chevelure bouclée tombant sur ses épaules. Son visage d’habitude si lumineux était recouvert ce matin-là d’un sombre voile.
— Bonjour, je suis en avance, dit-elle tristement.
— Mais, non, c’est moi qui suis à la bourre. Quel idiot, je suis vraiment désolé. Je file sous la douche, j’en ai pour cinq minutes. Fais-toi un café si tu veux, il en reste dans la cuisine.
— C’est gentil, mais j’en ai déjà pris un avec les autres.
— Oh, punaise, vous m’attendez, c’est ça ?
Barbara lui sourit timidement.
— Je file me doucher et j’arrive.
Tristan la prit en un temps record.
— T’en penses quoi de ma tenue, ça ira ? Demanda-t-il à la jeune fille, assis sagement sur un tabouret.
— Ta veste est sobre, je pense que c’est bien pour des funeral, c’est comme ça que vous dites ? Hésita-t-elle, déjà au bord des larmes.
Elle se leva et se laissa prendre dans les bras de Tristan.
— Sorry, je préfère pleurer ici que devant Rickie, je ne veux pas qu’il me voit dans cet état. Il a besoin de nous.
Tristan fut parcouru d’un frisson.
— T’inquiètes pas pour ça, un jour comme celui-ci, le plus important, c’est d’être auprès de lui. Ça va aller ?
Barbara acquiesça doucement du menton.
— Allons rejoindre les autres.
Arrivés au Petit Marcel, Tom, Paul et Marie les attendaient, prêts à partir. Lucas derrière le comptoir, nettoyait frénétiquement des verres, nerveux. Sandro, accoudé au comptoir, tournait plus que de raison sa cuillère dans sa tasse.
— Vous l’embrassez bien de ma part, ok les gars ? Demanda Lucas, le regard baissé.
— Bien sûr, on te tient au courant de toute façon, répondit aussitôt Tom. Il faut qu’on y aille maintenant, si on ne veut pas arriver en retard à l’église.
À ces mots, tous sortirent en silence du café et montèrent dans la 2CV de Lucas. Au moment où Tristan s'apprêtait à s’installer à l’intérieur, Sandro le rattrapa de justesse.
— Je peux te parler trente secondes, s’il te plaît ?
Tristan le regarda surpris, s’éloigna du véhicule.
— Qu’est-ce qu’il y a, Sandro, c’est Lucas ? Demanda-t-il en connaissant déjà la réponse.
— Si tu savais comment il culpabilise de ne pas venir avec vous, mais…
— Répète-lui bien qu'ici, personne ne lui reprochera quoi que ce soit, ok ?
— À moi, il n’a rien voulu me dire…. J’avoue, je suis perdu.
Tristan se pinça les lèvres.
— Alexandre **, ça te dit quelque chose ? Ça fait deux nuits qu’il crie ce prénom et qu’il se réveille en nage. Quand je l'interroge sur son cauchemar, il me renvoie balader. Non so cosa ho fatto di sbagliato.
Tristan eut un temps d’arrêt. Il hésita avant de lui donner une réponse appropriée.
— Écoute, Sandro. Cela n’a rien à voir avec toi, et crois-moi, tu lui fais un bien fou. Je le connais bien, crois-moi, je ne l'ai jamais vu aussi heureux avec quelqu’un.
Sandro ne put s’empêcher de sourire timidement.
— On a tous nos parts d’ombre, mais rassure-toi, il réussira à les surmonter.
— Grazie mille, davvero. Sei un amico per lui.
Tristan voulut de tout cœur croire en ce qu’il disait, mais qu’en était-il vraiment pour Lucas ? Réussit-on vraiment à oublier quelqu’un qu’on a aimé si fort ? Il se maudit à cet instant de penser à Charlotte. La comparaison avec l’histoire de Lucas était déplacée et inappropriée, se dit-il honteusement. Pourtant, il se put s’empêcher de penser que comme Lucas, il devait ressentir à ce moment-là un absolu désarroi au plus profond de lui. Il tenta de chasser sa douleur en souriant à Sandro. Il lui tapota l’épaule d’un air confiant. Il ne perdit pas plus de temps et grimpa dans le véhicule qui finit par quitter doucement le trottoir.
— Ça va derrière, pas trop serré ? Demanda Tom en observant Tristan, Barbara et Marie dans le rétro.
Mais les trois intéressés ne purent que lui offrir en réponse un faible sourire.
*
En fin de soirée, Philippe rassura toute la bande que Rickie tiendrait le choc, le plus dur pour aujourd’hui était passé. La 2CV les ramena tous au Petit Marcel, où Lucas leur offrit un dernier café avant que chacun ne rentre chez soi. Tristan ne put de résoudre à monter directement à son studio, il avait besoin de marcher.
Il chemina jusqu’à la gare. Il aimait emprunter les vieux escaliers en fer qui menaient à une grande passerelle, au-dessus des quais. De ce poste d'observation, il fut rapidement hypnotisé par les trains qui arrivaient en ralentissant alors que d’autres filaient à toute vitesse, dans un bruit effrayant. Ce spectacle avait le don d’apaiser ses pensées.
Il repensa à ces dernières semaines où il avait essayé de rechercher Charlotte, tellement la frustration de sa disparition était grande. Le seul petit fil de laine qu’il pouvait tirer était qu’elle était violoncelliste. Elle lui avait dit qu’elle partait en tournée à l’étranger. Était-elle connue dans son métier ? À vrai dire, il n’en savait strictement rien. Il avait tenté de se renseigner au conservatoire de musique classique, en vain, son nom ne disait rien à personne. Idem au grand centre culturel ou à la mairie. Manifestement, il perdait son temps. Un matin, alors que monsieur Delphin, sous couvert d’un prétexte fallacieux (en réalité, celui-ci avait juste envie de discuter un peu), Tristan avait eu une idée. S’il y avait bien un client qui s’y connaissait en musique classique, c’était bien lui. Il osa le mettre à contribution. Monsieur Delphin, qui n’attendait que de sortir de l’ennui, accepta sur-le-champ en lui demandant de lui apporter tous les catalogues d’éditeurs en sa possession, il ferait des recherches approfondies. Il avait encore quelques contacts sur Paris, alors pourquoi ne pas essayer. Les espoirs de Tristan furent de courte durée. Monsieur Delphin l’avait appelé régulièrement pour le tenir au courant, et plus les jours passaient, plus l’enthousiasme du début s’amenuisait. Un soir, son client fut contraint de lui avouer qu’il avait échoué.
En réfléchissant à toutes ses démarches et à un jour comme celui-ci, il réalisa qu’il avait fait tout ce qu’il avait pu. Force était de constater qu’il était inutile de continuer à se battre contre le destin. Il valait mieux suivre le flot de la vie, plutôt que d’y résister. Était-il en train d’apprendre amèrement le lâcher-prise ?
Lorsqu’il sentit la fraîcheur de la nuit tomber sur ses épaules, il descendit lentement les marches les unes après les autres, laissant derrière lui l’écho métallique et étrange de ses pas. Il rentra tranquillement en direction du Petit Marcel avec un état d’esprit plus serein.
* Référence à une autre de mes histoires Estate 88.
** Alexandre est un personnage d’une autre de mes histoires Rue des Cascades.
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