Glad to be unhappy

4 minutes de lecture

En écoutant Glad to be unhappy de Paul Desmond :

https://www.youtube.com/watch?v=av0mD9YYfEg

*

Tristan ne fut pas tant surpris que cela lorsqu’il entendit frapper à la porte, même si sa montre indiquait les vingt-trois heures passées.

— Vas-y, entre, c’est ouvert, lança-t-il.

Lucas referma la porte derrière lui, cachant manifestement quelque chose dans son dos.

— Trop tard, j’ai vu les bières, tu peux les poser ici, ajouta-t-il en plaisantant. Tiens, je ne les connais pas celles-ci !

— C’est la sœur de Sandro qui lui a rapporté.

— Je ne savais pas que les Italiens faisaient de la bière. Je suis un peu bête, pourquoi n’en ferait-il pas ?

— Il paraît qu’elles surpassent les Irlandaises, répondit Lucas, sceptique.

Tristan siffla.

— Je demande à voir. Attends, je vais nous chercher des verres.

— T’embête pas, on peut les boire comme ça.

— Tu plaisantes, meilleures que la bière irlandaise, des verres s’imposent, répondit Tristan avec le sourire.

— Je me suis aussi permis d’apporter un disque, Paul Desmond pour la soirée, ça te va ? Risqua Lucas.

— Très bon choix. C’est marrant, je n'écoute que ça au magasin en ce moment. Je me disais aussi que ça faisait longtemps que tu n’étais pas passé me rendre visite, ça va ? Dit-il en découvrant le vinyle de Lucas posé sur la table basse.

Glad to be unhappy… Ok, j’ai ma réponse, dit-il en fixant son invité.

— J’ai un petit coup de mou, j’avoue.

— T’inquiètes, je suis un peu dans le même état que toi, mais ça va passer, hein ?

— Toujours…, répondit Lucas en leur servant la bière qu’ils s’empressèrent de goûter.

— Tu diras à Sandro que…

Lucas fit la même grimace que lui avant de lui demander :

— Ça te dirait de venir courir avec moi demain matin ?

— T’es fou ? On est que début mars, ça caille encore dehors !

— Je sais, mais tu verras, ça réveille et surtout ça a le mérite de remettre les idées en place. C’est le début du printemps, la nature se réveille, tout ça…Tenta-t-il faussement pour le motiver.

— Tu cours toujours au jardin public ?

— Oui, pourquoi ?

— Tu me promets, on se fait un truc soft alors, je suis tout rouillé.

— Promesso signore !

— Les cours de langues avec un bon professeur, il n’y a que ça de vrai à ce que j’entends, répliqua Tristan avec une lueur taquine dans son regard.

— Vas-y rigole. Je me surprends moi-même de mon assiduité. Mais je dois bien reconnaître que Sandro sait y faire…

— Tu ne peux pas me faire autant plaisir en disant ça… Je commençais à désespérer… Je plaisante…Répondit Tristan laissant sa voix en suspens.

— Je sais… Et toi, tu veux en parler ?

— Oh, moi… J’ai le sentiment d’avoir vécu jusqu’à aujourd’hui dans un brouillard le plus complet. Pourtant, il y a encore quelques mois, j’étais le plus heureux des hommes. Je regrette parfois de ne t’avoir pas présenté Charlotte. Tu aurais compris pourquoi elle comptait pour moi. Et puis, je ne sais pas si ça t’est déjà arrivé, c’est comme s’il ne s’était rien passé ou rien de vraiment important et en même temps, il s’est passé un tas de trucs… À l’intérieur de moi, je veux dire. Tu vois ?

— Que trop bien…

— Et… ne me prends pas pour un taré, mais je continue de plancher de temps en temps sur un bon gros sujet de philo : l'absurdité du monde.

— Ah, oui, ça aussi, je connais, osa Lucas en plaisantant.

— J’ai même pris des notes sur un cahier. Attends que je le retrouve… Ah, voilà. Selon Albert Camus, l'absurde est le sentiment que ressent l'homme confronté à l'absence de sens face à l'Univers, le constat douloureux de sa séparation avec le monde.

— Vous avez trois heures !

— Mais t’inquiète pas pour moi. Je vais bientôt avoir 20 ans, hors de question de me laisser dépérir.

— Surtout mon petit Antonio mio…

Tristan lui sourit tendrement.

— Ça faisait longtemps que tu ne m’avais pas gratifié de ce surnom, conclut-il en se levant pour mettre le vinyle sur sa platine.

Tel un rituel bien connu d’eux seuls, chacun prit sa place confortablement dans son fauteuil. Le jazz les enveloppa avec la promesse de les réconforter. Tristan attrapa la pochette de l’album. Sous son parapluie, une femme, dont la moitié du visage était cachée par une ombre, le fixait. Elle ressemblait étrangement à Charlotte. À quoi pensait-elle ? Il était bien difficile de le savoir, on pouvait tout imaginer. Tristan se retourna vers son ami, qui avait déjà la tête basculée légèrement en arrière sur le dossier du fauteuil, les yeux fermés, avec un léger sourire qui se dessinait sur ses lèvres. A cet instant, il semblait étonnamment apaisé. Tristan le fixa quelques instants et sourit. Il se résolut qu’il était temps pour lui aussi d’adopter la même attitude. Il ferma les yeux à son tour et ne pensa à rien d’autre qu'à la musique papillonnant dans son cœur.

Fin

Annotations

Vous aimez lire Tom Ripley ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0