Chapitre 28

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- Ce mec a vraiment un gros problème ! grommelle Lila.

Dans ses mains, elle tient le courrier de la journée. Au milieu des factures et autres publicités, une enveloppe beige la fait soupirer. Elle retrouve Ambre qui est assise sur la terrasse, à l’arrière de la maison. Le retour du Mexique a été compliqué. Elles s’étaient habituées à la chaleur et au soleil permanent, mais de retour chez elles, elles ont bien senti qu’elles avaient rejoint l’hémisphère nord. En cette fin juin, les températures sont particulièrement glaciales. Alors, aujourd’hui que le soleil a décidé de se montrer et de chauffer l’air, les filles comptent bien en profiter un maximum. Sa colocataire lève la tête, ses yeux protégés par de grosses lunettes noires.

- Quelque chose d’intéressant ?

- Oui, tiens.

Lila lui tend l’enveloppe. Ambre la prend, la retourne et l’ouvre avec violence.

- Qu’est-ce qu’il nous veut encore le Michel ?

- Aucune idée, mais il commence sérieusement à me gonfler. Il nous en envoie au moins une par jour !

Ambre ne répond pas tout de suite, concentrée à lire le contenue de la lettre manuscrite qu’elle tient dans la main. Lila se doute de ce qu’elle contient. La même chose que les dizaines d’autres qui trainent dans un dossier.

- Comme d’habitude, il veut venir sur la propriété. Comme d’habitude, on ne va pas lui répondre. Comme d’habitude, il va nous insulter. Comme d’habitude, on va recevoir une nouvelle lettre dès demain, résume Ambre.

Elle repose le papier sur la table en fer forgé avec un long soupir de lassitude.

- Si Claude François n’avait pas essayé de s’entraîner pour le casting de Détective Pikachu, on l’aurait inspiré pour une nouvelle chanson ! fait de l’humour Ambre, sans en avoir le cœur.

Lila se rassoit à sa place et se remet au travail. Vivement qu’elle ait fini de traiter les mails pour aller travailler dans son verger. Ça lui permettra de se défouler. Elles sont submergées par le travail et en plus, il faut qu’elles subissent les pressions de ce Michel Laurin, alias le petit-fils de Madame Howard, alias la personne qui met en péril leur avenir. Quand elles sont rentrées de vacances, cinq mêmes enveloppes les attendaient dans la boite aux lettres. Les voyant dépassées par les évènements, Gabriel leur est venu en aide. Il a appelé son frère en renfort pour savoir la marche à suivre. Il leur a dit de surtout ne pas rentrer dans son jeu et leur a proposé de les rencontrer pour parler plus en détail de la situation. C’était une invitation inattendue que Lila a accepté avec soulagement.

- Heureusement qu’on voit David demain, dit Lila en repensant à tout ça. Au fait, je change de sujet, mais on fait comment pour l’anniversaire de Noah ?

- Je pensais faire un petit repas sympas tous les quatre à la maison. Et après on pourrait rejoindre les autres à Montréal pour finir la soirée.

- Ça sera parfait. En plus, ça va être plus animé que d’habitude. Ça va lui plaire.

- Tu crois ? Parce que d’accord, le 21 juin c’est la fête de la musique en France et il y a des choses organisées ici aussi, mais c’est surtout la journée nationale des peuples autochtones. Tu crois que c’est une bonne idée pour lui ? Enfin, je veux dire, tu sais qu’il n’est pas très à l’aise avec tout ça. J’ai peur qu’il se braque…

- Ne t’inquiète pas, Montréal est grand, on trouvera bien un bar qui passe du rock plutôt que des chants traditionnels.

- Oui, tu as raison, dit Ambre soulagée. Je me mets beaucoup trop la pression pour que son anniversaire soit parfait. Je ne peux pas expliquer pourquoi, mais j’ai l’impression que cette année, il a vraiment besoin de ça. De sentir qu’on est là.

- On va tout faire pour lui organiser un super anniversaire alors ! conclue Lila avec un grand sourire.

Le lendemain, Lila et Ambre, accompagnées de Gabriel, marchent dans les rues bondées de Montréal. Ambre est devant, en pleine discussion téléphonique avec un groupe de musique. Pour dynamiser leur été et augmenter leur visibilité, la grande brune a eu l’idée d’organiser des apéro-concerts dans le verger pendant toute la saison estivale. Ça va leur demander beaucoup de travail, mais le concept prend bien autour d’elles. Lila espère que ça va mettre un peu de beurre dans les épinards. En même temps, se plonger dans le travail leur permet d’oublier un peu ce qui leur arrive. Ou risque de leur arriver si elles ne font rien pour se défendre face à cet héritier sorti de nulle part. C’est pour ça qu’elles sont là aujourd’hui. Le soleil qui a décidé de rester, chauffe les façades en bétons et se répercute sur les trottoirs. Les barres d’immeubles de plusieurs dizaines d’étages, empêchent l’air de circuler. L’atmosphère est presque étouffante. Lila retire sa veste fleurie pour ne pas arriver en nage à leur rendez-vous. Gabriel lui prend la main alors qu’ils passent devant un Starbucks.

- Merci de nous accompagner, lui dit-elle.

- C’est tout à fait normal. Comment tu te sens ?

- Stressée ! Et en même temps un peu rassurée de savoir qu’on n’est pas seules, que ton frère va nous aider. J’attends de voir avec impatience ce qu’il va nous dire.

- Oui. En parlant de mon frère…

Lila se retourne vers Gabriel pour le regarder en face.

- Qu’est-ce qu’il a ?

- Disons qu’il n’a pas clairement dit qu’il acceptait de vous défendre. Il a juste dit qu’il jetterait un coup d’œil au dossier.

- Ah…

Le cœur de Lila s’emballe. Elle mise beaucoup sur cette rencontre, sur cette aide. Sans lui, elle ne sait pas comment elles vont faire. Elles ne connaissent pas d’avocat ici. Et elle doute que quelqu’un veuille prendre leur affaire, vu la teneur du dossier.

- Mais ne t’inquiètes pas, je vais tout faire pour le convaincre de vous défendre, s’empresse de rajouter le musher.

- Je sais. Merci, répond Lila en lui embrassant le dos de la main.

Plus ils marchent, plus ils entrent dans le cœur névralgique de la ville. Ils pénètrent dans le quartier des affaires. Les hauts buildings, géants de verre et de bétons, les protègent de leur ombre.

- Il y a autre chose qu’il faut que tu saches, confie Gabriel, tendu. Il se peut qu’on croise mon père.

Lila encaisse la nouvelle. Elle était tellement concentrée sur son problème de propriété, qu’elle en a oublié pour qui travaille David. Elle appréhende déjà assez de voir officiellement son frère pour la première fois, et pas de lors d’un enterrement. Elle n’est pas du tout prête à faire la connaissance du père. Surtout vu la façon dont Gabriel lui en parle. Elle n’avait pas imaginé sa rencontre avec sa belle-famille de la sorte. Elle s’était figurée un repas l’été, sur la terrasse, dans leur maison. Quelque chose d’informel, de détendu. Le faire dans les locaux du groupe Erimel, empire de la famille Lemire, à quelque chose d’extrêmement intimidant. Elle a l’impression de se jeter directement dans la gueule du loup.

- J’aurais surement dû te prévenir plus tôt, mais je viens d’y repenser à l’instant. Je ne suis pas du tout au fait de son agenda et il pourrait aussi bien être en déplacement. Ça m’arrangerait d’ailleurs.

- Ce n’est pas grave. En même temps on va dans son entreprise, donc c’est normal. Mais, c’est juste que…

- Oui je sais, soupire Gabriel. Tu ne t’imaginais pas rencontrer ma famille comme ça. J’ai l’impression de ne rien faire comme il faut. On aurait dû faire un repas où je t’aurais présenté à tout le monde. Déjà que j’ai foiré avec Vanessa. A chaque fois que tu vois mon frère, c’est dans des circonstances merdiques. Et là, tu risques de rencontrer mon père au détour d’un couloir. C’est nul.

Lila pose sa main libre sur le bras du musher.

- Eh, ne t’en fais pas. Les choses ne se passent pas toujours comme prévu. C’est la vie et ça ne me dérange pas. On aura d’autres occasions de faire les choses dans les règles. Ce n’est pas ça qui m’embête.

- C’est quoi alors ?

- Si j’avais su, je me serais un peu mieux habillée… avoue-t-elle d’une petite voix.

Lila regrette de ne pas avoir fait un peu plus d’effort. Pour sa première rencontre elle veut laisser une bonne impression au père de Gabriel. Surtout que leur relation est très tendue. Si elle avait su, elle aurait mis autre chose qu’une blouse blanche et un jean. En plus, elle est en basket. Heureusement, sa veste aux couleurs pastel améliore un peu sa tenue. La jeune femme est tirée de ses pensées par l’arrêt brusque de Gabriel. Il la regarde en secouant la tête.

- Quoi ?

- Tu es magnifique ma puce. (Il la fait tourner sur elle-même avec la main qu’il tient dans la sienne). Magnifique.

Lila se sent rougir sous ses yeux couleur océan. Elle ne se lassera jamais de la couleur qu’ils prennent quand il est au soleil. De la façon dont il la regarde. Une irrésistible envie de l’embrasser vient occulter toutes ses préoccupations. Elle s’approche de lui et se hisse sur la pointe des pieds pour poser ses lèvres contre les siennes.

- Allez les amoureux ! Ce n’est pas le moment. Vous ferez ce que vous voudrez après, mais on va être à la bourre.

- Elle a fini son appel on dirait, murmure Gabriel tout contre sa bouche.

Ils pénètrent dans un immeuble entièrement vitré. Gabriel leur indique que le bureau de son frère se situe au dernier étage, soit le quarantième. Avant de monter dans l’ascenseur, il s’assure que Lila ne va pas refaire une crise de panique. Elle voit bien qu’il est tendu lui aussi. Durant leur ascension, il n’arrête pas de jouer avec ses clés. Elles tintent quand elles s’entrechoquent. Lila le regarde amusée et attendrie. Il a l’air plus stressé qu’elle. Elle pose sa main sur la sienne, avec un sourire rassurant, lui prend les clés et les glissent dans son sac. Elle se tourne vers lui et lui dépose un baiser sur la joue, leurs doigts toujours entrelacés. Lila a un sentiment bizarre, la dernière fois qu’ils se sont trouvé dans une situation similaire, Gabriel était celui qui tentait de la rassurer. Aujourd’hui, elle à l’impression que les rôles se sont inversés.

Les portent s’ouvrent sur une pièce lumineuse et incroyablement grande. En face d’eux, un bureau d’accueil d’un blanc immaculé se tient devant un open-space. La jeune femme derrière le comptoir relève les yeux à leur approche. Son regard s’écarquille quand il se pose sur le musher.

- Nous avons rendez-vous avec Maître Lemire, explique Gabriel.

- Monsieur Lemire, c’est un plaisir de vous voir, dit la femme avec un grand sourire. Voulez-vous que je le prévienne de votre présence ?

- Non, ce ne sera pas nécessaire, je vous remercie.

La jeune femme hoche la tête. Elle les regarde s’éloigner à s’en dévisser le cou. Pour rejoindre le bureau de David, ils passent par un couloir qui longe l’espace commun. Les murs sont en verre, laissant passer la lumière. Tous les regards sont tournés vers eux. Lila se sent vraiment très mal à l’aise. Gabriel marche la tête droite, les yeux rivés face à lui. Les muscles de sa nuque sont tendus à l’extrême. La jeune femme resserre sa prise sur sa main, pour se donner du courage. Le musher lui répond en la tirant vers lui, la rapprochant de son corps. Ils en ont autant besoin l’un que l’autre. Ambre, quant à elle, les suit, silencieuse. Soucieuse.

En arrivant au bout du couloir, ils bifurquent sur la gauche, dans un autre long couloir. C’est un vrai labyrinthe. Il est composé de portes noires espacée de manière régulière. Lila suppose que ce sont les bureaux stratégiques de l’entreprise. Au bout, se trouve une double porte en bois massif. Elle s’ouvre et un flot de personne en sort. En les voyant, certains font un arrêt, surpris. Tous regardent Gabriel avec un drôle d’air. Comme s’ils avaient espéré son retour et qu’ils ne pouvaient pas croire qu’il puisse être là, en chair et en os. Une femme d’une trentaine d’année se détache du groupe et avance vers eux avec un sourire éclatant. Grande, élancée, elle a tout d’un top model. Sa taille fine est mise en valeur par un pantalon large blanc. Son chemisier rose pâle met en avant son décolleté et sa veste longue assortie à son bas lui donne une élégance incroyable. Le bruit de ses talons aiguilles est absorbé par la moquette. Lila ne peut pas dévier son regard de cette femme. Elle est d’une beauté à couper le souffle. Ses cheveux, d’un blond presque blanc, sont coupés en un carré court. Une frange droite fait ressortir ses yeux bleus. Ils sont rivés sur Gabriel. Ce dernier lâche la main de Lila précipitamment, comme si elle l’avait brûlée.

- Gaby, ça alors. Je ne m’attendais pas à te voir ici.

Lila a un temps d’arrêt sur l’emploi de ce diminutif. Apparemment, ils se connaissent bien.

- Bonjour Hannah, dit-il en penchant légèrement la tête en avant.

Sans même faire attention à la jeune femme à côté de lui, elle s’avance et dépose un baiser sur la joue du musher. Lui ne bouge pas d’un pouce.

- Comment vas-tu depuis le temps ?

- Bien merci. Je suis venu voir mon frère.

- Je suis là, dit David en apparaissant dans le couloir, toujours dans son costume trois pièces impeccable. Je suis à vous dans deux minutes, j’ai juste un dernier coup de téléphone à passer avant.

Il s’engouffre dans un des bureaux, son portable déjà collé à l’oreille. Hannah essaye de capter de nouveau l’attention du musher en posant une main parfaitement manucurée sur son bras.

- Alors qu’est-ce que tu deviens ?

Elle est interrompue par Vanessa qui apparaît en sautillant derrière elle. Lila ne peut que sourire en la voyant arriver et se jeter dans ses bras. C’est un véritable rayon de soleil.

- Coucou Lila ! Je suis contente de te revoir ! Gab, salut elle en enlaçant à son tour son frère, obligeant Hannah à reculer d’un pas. Et toi, tu dois être Ambre ? demande-t-elle à la grande brune.

- Tout à fait.

- Je suis ravie de te rencontrer. J’ai beaucoup entendu parler de toi !

- Ah bon ? Et je dois m’en inquiéter ?

- Pas du tout, rit la blonde. Il paraît que tu es un vrai personnage !

- Je ne sais pas trop comment je dois l’interpréter, mais je prends. Je suis ravie aussi de faire ta connaissance.

- Ness, est-ce qu’il est là ? demande Gabriel à sa sœur, un peu tendu.

Elle le regarde un moment les yeux plissés, avant de lui faire un sourire encore plus grand que le précédent.

- Il est à Vancouver. On a fait une visio pour la réunion hebdomadaire.

Gabriel relâche le souffle qu’il avait retenu. Lila le sent se détendre un peu. Elle suppose qu’ils parlaient de leur père. Elle n’aura donc pas à s’inquiéter d’une éventuelle rencontre. Par contre, elle est curieuse d’en apprendre plus sur cette Hannah qui ne le quitte pas des yeux. Et de comprendre la réaction qu’a eu Gabriel à son approche. Elle a le sentiment que leur relation était plus que simplement professionnelle. Elle ne sait juste pas qu’elle teneur elle avait.

- Bon, les jeunes, je vous laisse, j’ai du taf, dit Vanessa en s’éloignant dans le couloir, avant de se retourner. Au fait Gab, n’oublie pas de rappeler maman pour le 1er juillet. Tu sais comment elle est à l’approche de la fête.

- Tu seras présent cette année ? demande Hannah pleine d’espoir.

- Je ne sais pas encore.

- Tu nous as manqué les éditions précédentes…

Lila sent Gabriel de plus en plus mal à l’aise. Elle, est totalement transparente aux yeux de la blonde. Elle n’a même pas eu la politesse de la saluer. Elle ne lui inspire décidément pas confiance. Heureusement, son frère passe la tête dans l’entrebâillement de la porte pour leur dire d’avancer. Le musher se tourne vers Hannah et lui sourit en disant :

- J’étais content de te revoir.

Il la contourne et se dirige vers le bureau de David, suivi par les filles. L’avocat referme la porte derrière eux et les invite à s’assoir. L’espace est plus petit que ce que Lila s’était imaginée, seulement meublé d’un grand bureau et d’une bibliothèque. Derrière David, la vue est à couper le souffle, elle domine la ville.

- Eh ben dis donc frangin, ça faisait longtemps que je n’avais pas vu Hannah comme ça, dit David en déboutonnant sa veste pour se mettre plus à l’aise.

- On peut éviter d’aborder le sujet s’il te plait ? réplique Gabriel en grimaçant.

- Comme tu voudras. Mais avoue qu’elle est toujours aussi canon !

Lila regarde la réaction de Gabriel du coin de l’œil. Il a la tête penchée sur le côté, une mèche rebelle pend sur son front. La jeune femme a une terrible envie de la remettre en place, de passer sa main dans ses mèches claires, mais le sourire entendu qu’il arbore la refroidit instantanément. Serait-il en train d’être d’accord avec son frère ? Que se passe-t-il entre cette Hannah et le musher ? Un sentiment que Lila n’a pas ressenti depuis un moment, depuis qu’elle a accepté de laisser Gabriel dans sa vie, vient l’assaillir. Une impression de déjà vu malsaine lui serre le ventre. En sortant du rendez-vous, elle se promet d’avoir une discussion avec lui.

- Excusez-moi. Je ne voudrais pas casser l’ambiance, mais vous êtes vraiment en train de faire ça ?

Ambre s’est redressée sur son fauteuil et dévisage les deux frères. Eux, n’ont pas l’air de comprendre où elle veut en venir.

- Vous êtes vraiment en train de parler de cette fille, qui clairement a des vues sur Gab, devant Lila, comme si elle n’était pas là ? Franchement, vous êtes aussi pathétique l’un que l’autre, s’étonne-t-elle en secouant la tête.

Les garçons ne disent rien. Ils se contentent de la dévisager. Apparemment, ils n’ont pas trop l’habitude de recevoir des reproches aussi directs. Lila pose la main sur celle de son amie. Elle ne veut pas qu’elle se prenne la tête pour ces histoires. Ce n’est pas le moment d’aborder le sujet, elles ont bien d’autre soucis à gérer dans l’immédiat.

- On pourrait parler de ce qui est vraiment important plutôt ? Ce qui nous amène ici.

- Oui, oui, bien sûr, déclare David en ouvrant un tiroir de son bureau.

Il en sort un dossier, qu’il pose devant lui avant de l’ouvrir. Il s’empare d’une feuille qu’il parcourt rapidement des yeux.

- Commençons par résumer la situation. Monsieur Laurin, petit-fils de Madame Howards, ancienne propriétaire de la maison que vous avez acheté il y a un peu plus de deux ans, veut la récupérer, sous prétexte qu’il est son héritier légitime.

- Voilà, acquiesce Ambre.

- Je ne vais pas vous le cacher, ce n’est pas du tout ma spécialité juridique. En principe, je fais du droit international, politique ou commercial.

- On sait très bien et on te remercie vraiment d’avoir pris le temps d’étudier notre cas, dit Lila.

- Qu’est-ce qu’on ne ferait pas pour son petit frère ? déclare David avec un sourire en coin en jetant un coup d’œil à Gabriel. Le problème, c’est que ça s’annonce un peu plus compliqué que prévu.

- Ah bon, pourquoi ? questionne la brune.

- Disons que je connais bien le cabinet d’avocat qu’a choisi Monsieur Laurin pour se défendre. C’est un gros groupe international, qui n’a pas la réputation de perdre ses affaires. Qu’elle qu’elles soient. Le point positif, c’est que son avocat est jeune et que c’est sa première grosse affaire.

Un silence pesant tombe sur la pièce, le temps que les filles digèrent cette information. Gabriel s’est rapproché de Lila et a posé délicatement sa main sur sa cuisse. David, les observe quelque instant, une expression indéchiffrable sur le visage.

- Qu’est-ce qu’on peut faire ? demande Ambre, le désespoir s’entendant dans sa voix.

- Vous pour l’instant rien. Vous ne bougez pas. Vous continuez à vivre et à travailler normalement. Pour ma part, je vais essayer de mettre en œuvre tout ce que je peux pour prouver que l’achat s’est fait dans les règles et que vous avez les pleins droits.

- Attends, si je comprends bien ce que tu es en train de dire, c’est que tu acceptes de nous défendre lors du procès ? demande Lila pour être sûre d’avoir bien compris.

David hoche la tête en la regardant droit dans les yeux. Avec son air sérieux, sa tenue stricte, il a vraiment tout du parfait avocat. Il a la même bouche que Gabriel, le même sourire, la même posture, décontractée. Pas de toute, ils se ressemblent vraiment beaucoup.

- Merci beaucoup ! souffle Lila soulagée.

- Attendez, j’ai juste une question avant de faire péter le champagne. Combien ça va nous coûter tout ça ? questionna Ambre.

Les deux frères se toisent un moment, puis Gabriel finit par hocher la tête. David arbore un grand sourire. Lila ne comprend pas vraiment ce qui vient de se passer. Elle a l’impression qu’elle vient d’assister à une scène surréaliste. Le musher se penche en avant en s’appuyant sur la cuisse de la jeune femme pour regarder Ambre.

- Ne t’en fais pas pour ça. C’est arrangé.

- Comment ça arrangé ?

Personne ne prend la peine de lui répondre. David a reporté son attention sur les papiers devant lui, en tendant un à son frère pour qui l’examine. Pour eux, la discussion à l’air d’être close. Lila se recule sur son siège et les observe à tour de rôle. Elle a l’impression de mener une étude anthropologique. Les deux frères ne parlent plus. Ils sont concentrés sur le dossier, se passant par moment certains documents. Ils n’échangent que quelques mots. Les filles sont totalement transparentes à leurs yeux. Ils sont plongés dans leur monde, retrouvant leurs anciennes habitudes de travail. C’est là que Lila se rend compte, encore plus qu’avant, qu’un fossé sépare leur éducation. Quand elle est seule avec Gabriel, elle a tendance à oublier d’où il vient, qui est sa famille. Le voir interagir avec David vient de lui remettre les idées en place en une seconde. Après un long moment d’étude, l’avocat leur demande si elles ont apporté les lettres de menaces et d’injonctions que Michel Laurin leur a envoyé. Il les parcourt des yeux en citant certains passages.

- Madame Bousquet, Madame Saleil, je me présente… bla bla bla… souhaite venir me recueillir sur le domaine que ma très chère et regrettée Eleanor affectionnait tant… Je ne souhaite pas que la situation dégénère et vous assure regretter toute cette situation. Je vous prie d’agréer, bla bla bla…

Il passe à une autre lettre et la lit de la même manière. Lila sait exactement ce qu’elles contiennent toutes. Au début, leur opposant avait été gentil, tentant de les atteindre par la corde sensible, évoquant les souvenirs qu’il avait avec sa grand-mère de cœur. Puis, voyant qu’elles ne répondaient pas, le ton s’est fait plus froid, voire même agressif, menaçant. Il voulait absolument venir sur la propriété, recourant à toutes les excuses possibles et inimaginables. Il avait même fini avec une lettre les insultants. Depuis, elles n’avaient plus rien reçu de sa part. Lila ne savait pas trop ce que ça signifiait.

- Bon, reprend David en ayant finit de lire les courriers. C’est un élément qui peut jouer en notre faveur lors du procès. L’intimidation et les menaces, ça ne fait jamais bonne impression auprès des juges. Si vous acceptez, je vais en garder une copie pour les mettre dans le dossier.

Il appelle ensuite sa secrétaire pour qu’elle en fasse des photocopies. En entrant dans la pièce, elle met un temps d’arrêt en apercevant Gabriel, avant de se reprendre.

- Gabriel, je vais te poser une question qui peut paraître bizarre mais, les gens te croient mort ? demande Ambre en se penchant en avant.

La réaction de David surprend tout le monde, même son frère. Il explose de rire.

- Euh… non. Pourquoi ? demande le musher en reportant son attention sur la brune.

- Parce qu’à chaque fois que quelqu’un te croise dans ce bâtiment, on dirait qu’il est en train de voir un fantôme. C’est très étrange… et malaisant.

- A qui le dis-tu !

Gabriel soupire en s’appuyant contre le dossier de sa chaise les bras croisés. David pose les dernières questions dont il a besoin pour pourvoir aider au mieux les filles. Il leur assure qu’il va faire son possible pour leur assurer de garder le Manoir.

- Je pense que c’est bon, j’ai tous les éléments qu’il me faut. De toute façon, je vous appellerai pour vous informer de la suite des évènements. Je vais prévenir le tribunal que je reprends le dossier, ainsi que mon confrère, le très jeune et inexpérimenté Maitre Chartier, qui défend Monsieur Laurin. Des questions ?

Les filles se regardent et lui assure que tout est clair. David s’empare de son téléphone fixe et compose un numéro rapide.

- Claire, pouvez vous annuler tous mes rendez-vous du 12 août s’il vous plait. A la place, consacrez toute la journée au procès pour l’affaire Bousquet/Saleil – Laurin. Oui. A partir de dix heures au palais de justice de Montréal. Merci.

- Merci encore David ! dit Lila sincère. Je ne sais pas comment on aurait fait sans toi.

- Vous me remercierez une fois qu’on aura gagné le procès.

L’avocat se met debout. Le rendez-vous est terminé. Il les raccompagne vers la porte mais s’arrête en se tournant vers Lila.

- Je suis ravi d’avoir enfin rencontré la petite-amie de mon petit frère.

- Moi de même.

- J’avoue que je ne m’attendais pas à…

- A quoi ? demande Gabriel en fronçant les sourcils.

Instinctivement, il s’est rapproché de Lila, effleurant sa main du bout des doigts.

- Disons que, tu es différente, dit-il en s’adressant à la jeune femme. Je ne sais pas comment le dire sans passer pour un connard mais…

- Alors ne dit rien, le coupe Gabriel.

David se tourne vers son frère et lui serre le bras avec un sourire.

- Avant de t’énerver, attends de savoir ce que je vais dire. Lila est différente de toutes les filles avec qui tu es sorti, parce qu’elle te ressemble.

Gabriel ne sait pas quoi répondre à cette révélation. Il paraît complètement perdu et étonné des confidences de son frère.

- Vous allez bien ensemble, vous avez l’air de bien vous compléter. Maintenant, Lila, j’espère avoir la chance de parler avec toi dans d’autres circonstances. Des circonstances plus plaisantes.

- J’en serais ravie.

- Ah, avant que je n’oublie et que je ne créé un incident diplomatique. (David se dirige vers son bureau). Maman m’a demandé de vous remettre ça.

Il tend une petite enveloppe à Lila et à Gabriel. Elle est jaune pâle, avec de véritables fleurs de violettes séchées collées dessus.

- Qu’est-ce que c’est ? demande la jeune femme.

- Chaque année, notre famille organise un gala de bienfaisance le jour de la fête du Canada, explique Gabriel.

- C’est l’occasion de remercier tous les gens qui ont travaillé avec nous, tous nos amis, et de reverser des fonds pour des causes qui nous tiennent à cœur, complète son frère. Ce sont les invitations, dit-il en montrant du doigt les enveloppes. Maman sera très déçue si vous ne venez pas. Tous les deux.

Le regard insistant qu’il leur lance ne laisse place à aucun refus. Lila sait que Gabriel ne sera pas enchanté à l’idée d’y participer, mais c’est la moindre des choses après ce que David fait pour elle.

- Ambre, si je ne me trompe pas, tu sors avec Noah Jacob ?

- Oui. Pourquoi ?

- Il va également recevoir une invitation. En tant que partenaire, précise-t-il en voyant que la jeune femme ne comprend pas bien pourquoi. Nous avons fait appel à lui sur un gros chantier de rénovation à Mont Tremblant et nous comptons bien renouveler notre partenariat. Apparemment, mon père était très content du résultat.

- Tu m’en vois ravie. J’espère que vous payez bien, parce que je sens qu’on va en avoir besoin avec toute cette histoire !

David rit à sa remarque et lui assure qu’elle sera elle aussi la bienvenue à la soirée. Il lui remet également une invitation. En voyant les détails sur l’enveloppe et la qualité du papier utilisé, Ambre ravale un ricanement. Ah… ces riches !

En repartant vers la voiture, Lila ne peut empêcher son esprit de se poser mille questions. Sur le procès qui les attend. Sur leur avenir. Mais ce qui l’énerve, c’est qu’elle n’arrive pas à se sortir de la tête cette mannequin blonde.

- Je peux te demander un truc ? demande-t-elle à Gabriel à côté d’elle.

- Bien sûr.

- C’est qui pour toi Hannah ?

- Euh… (il laisse passer un silence). Une vieille connaissance.

- Gab, ne me prend pas pour une andouille. J’ai très bien vu son petit manège. C’est une de tes ex ?

- Dit comme ça, on dirait que je suis un vrai coureur de jupons…

- Je n’ai pas dit ça. Mais ça ne répond toujours pas à ma question.

- Oui on a été plutôt proche par le passé.

- Mais encore…

- D’accord. D’accord. On est sorti ensemble pendant quelque temps. Mais il n’y a plus rien entre nous depuis longtemps. Tu n’as aucun souci à te faire là-dessus ma puce.

- Tu as eu ta vie. J’ai eu la mienne. Je ne m’inquiète pas pour ça, crois-moi. Je veux juste que tu sois honnête envers moi, c’est tout, le rassure Lila.

Gabriel continue à marcher en silence, remettant en place ses idées.

- C’est la chargée de relations publiques et d’événementiel du groupe. On se connait depuis pratiquement toujours.

Il regarde Lila du coin de l’œil pour voir sa réaction. Voyant que la jeune femme l’écoute sans rien dire, il continue sur sa lancée.

- Nos parents étaient amis. On a en quelque sorte grandis ensemble. Elle venait passer tous les étés avec nous. Au lycée, j’avais bien remarqué qu’elle me regardait différemment. Que j’étais devenu plus qu’un simple ami à ses yeux. Mais, à l’époque, je ne m’intéressais pas vraiment aux filles.

- Pas possible ! Je ne te crois pas, rit Lila, sincère.

- Je t’assure ! Mais bon, je suis un mec et je ne suis pas aveugle non plus. Hannah n’était plus une petite fille. Et puis, on est partis à la fac. J’ai eu quelques aventures, mais on se retrouvait quand je rentrais au Canada. Je te passe les détails, mais on s’est peu à peu rapproché. J’ai rejoint l’entreprise peu de temps après elle et on s’est mis ensemble.

Lila comprend mieux son ressentis à présent. Par contre, elle avait l’impression que cette Hannah était encore un peu trop accrochée à lui.

- Vous êtes restez longtemps ensemble ?

- Quelques années. Mais vraiment, je ne veux pas que tu t’inquiètes à cause d’elle.

Lila s’arrête et force Gabriel à en faire de même pour le regarder de face.

- Chéri, je ne suis pas jalouse de cette fille.

Gabriel ouvre la bouche mais ne dit rien. Ses traits son un mélange de surprise et de joie. La jeune femme sait exactement pourquoi. Elle n’a pas l’habitude d’utiliser des diminutifs affectueux. Pour l’instant, c’est un cap qu’elle a du mal à franchir. Mais là, aux grands maux les grands moyens. Il faut qu’elle lui montre qu’elle ne considère pas Hannah comme une menace. Sinon, c’est le meilleur moyen pour qu’elle le devienne.

- Je ne suis pas jalouse d’elle, pour la simple et bonne raison que je te fais confiance. On est adulte. On a eux nos histoires par le passé et c’est tant mieux, ça nous a construit. Bon d’accord, il y en a qui nous ont abimées plus que d’autres. Mais si tu me dis qu’il n’y a plus rien entre vous, alors je te crois.

Gabriel hoche la tête. Il dépose un baiser sur son front avant de se remettre en route.

- Par contre, j’avoue qu’elle est un peu trop tactile à mon goût, complète Lila. Si on la recroise, il ne faudra pas qu’elle se rapproche trop, parce que je ne suis pas sûre de la réaction que mon corps peut avoir.

Le musher explose de rire, en passant un bras autour de ses épaules pour la rapprocher de lui.

- Tu serais capable de faire ça ? Toi ?

- Je manie déjà assez bien les entraves par laisse de chien, je pourrais très bien avoir d’autres talents cachés !

- Je vrais prévenir Hel de se tenir prête alors.

- Merci… Gaby.

Le blond grimace à l’évocation du diminutif. Seule Hannah l’appelle comme ça. Et il n’a jamais aimé ça.

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