Le colocataire
Retour au travail après quelques semaines de repos au soleil. Rechausser ses escarpins, je préférais les tongs.
Ils en ont profité pour me changer de bureau, et de collègue de bureau. L’autre est décédé, il fallait bien le remplacer.
Mais celui-là a l’air trop méticuleux, je préférais feu le bordéleux.
Une semaine que je suis rentrée et que je commence à oublier mon chapeau de paille. Mais le nouveau reste un inconnu. On n’est pas présent les mêmes jours pour cause de crise sanitaire, gestes barrières, distanciation …. Je ne vous fais pas le topo.
Les semaines passent, le protocole sanitaire s’allège.
Normalement ce matin je découvre enfin le coloc de bureau qui n’a mis aucune photo. Pas la sienne mais celle qu’on a toutes : nos chérubins.
D’autres collègues m’ont dit qu’il était sympa et classe. Certains pensent qu’il est gay. D’autres croient qu’il est bi. Et s’il était juste beau. Perso, ça m’irait déjà bien.
Notre bureau est au bout du couloir. A peine sortie de l’ascenseur, je l’aperçois. Beau gosse l’animal de loin. L’approche se faisant, je ralentis mon pas … Je n’y crois pas, ça ne peut être lui, mon chéri du lycée perdu de vue depuis une décennie, et quelques poussières d’années.
Son nom est tellement courant que forcément je n’ai pas fait le rapprochement d’autant qu’aux dernières nouvelles on n’était pas parti pour le même métier. Je dois avoir quelques hallucinations réminiscentes.
Je franchis le seuil de la porte et plus aucun doute, c’est bien lui. Il se lève pour m’embrasser (je n’ai pas dit m’emballer !) avec un sourire à la « What Else ».
Là, présentement la distanciation physique, on oublie totalement.
Ma surprise est à la hauteur de sa connaissance parfaite de sa coloc.
« Je me demandais si on allait finir par se retrouver un jour. Même en venant dans ton entreprise, le Covid a réussi à retarder les retrouvailles. Tu m’as manqué.»
Je suis choquée, interloquée, enjouée, réservée… un subtil mélange de sentiments sensations et ressentiments.
Il débarque dans ma vie comme ça sans crier gare et il espère qu’un claquement de doigt et on repart.
Bon il a totalement raison mais je ne peux pas lui laisser croire … ou pas tout de suite.
La bise étant faite. Un siècle que je n’ai bisé personne. Je n’ai pas plus baisé d’ailleurs. Mais que fait-il ici ? Et mes principes « no zob in job » ?
Mais il est là. Il a fait tout cela pour me retrouver …
L’heure de notre séminaire de reprise approche. Nous poursuivrons notre discussion de rattrapage / mise à niveau de vie en fin de journée.
Volontairement je m’installe en face de lui dans cette salle où tables et chaises sont rangées en U.
Concentrée sur la réunion, mon cerveau est néanmoins perturbée par cette retrouvaille autant improbable qu’impromptue. Mais qu’allons-nous faire ?
À la pause, nous nous affairons aurores de nos collègues en nous évitant. Retour en salle, il me suggère de regarder mon téléphone.
Je découvre quelques textos d’explications de sa vie jusqu’à maintenant. Il en écrit des nouveaux commentant ma tête. Je découvre aussi qu’il n’a rien raté de ma carrière, d’autant que j’ai fait quelques unes de presse people. Il sait donc tout de moi pendant que je ne sais rien ou plutôt j’ai sa vie accélérée textotée.
Pause déjeuner en extérieur. Passage dans notre bureau pour attraper nos manteaux. Il s’empresse de m’aider à le mettre … c’est gênant et galant, et tellement tentant de me retourner pour l’embrasser. Mais je résiste. Il le perçoit ? Très certainement.
Au restaurant, nous ne pouvons faire autrement que d’être côte à côte. Il ne tarde pas à poser sa main sur ma cuisse.
Sa main me fait l’effet d’une bombe à retardement. Je frissonne d’envie. Je sens mon intérieur se liquéfier tout en ayant très chaud.
Retour dans la salle du séminaire. Des textos d’abord sobres qui deviennent plus excitants. Mes jambes s’affolent, mon coeur s’emballe, mon string n’est plus sec.
Pause. Rester en salle, gérer mes courriels sinon je ne vais pas réussir à me contenir.
La fin de journée est tournée vers nos sextos hotement indécents.
Fin du séminaire. Il a déjà réservé l’hôtel. Je n’ai pas dit que j’allais résister 100 ans non plus. Il part avant moi. L’hôtel est à 800 mètres.
Il me précède de cinq minutes. Quand il ouvre la porte de la chambre, je ne peux que me jeter sur lui pour l’embrasser.
Ce baiser presque sauvage n’a plus le goût d’avant. Nous avons mûri mais il est juste annonciateur d’une suite divine.
Nos vêtements semblent presser de se reposer à terre pour batifoler eux aussi peut-être. Nous voilà déjà nus, laissant nos bouches hermétiquement scellées respirant par le nez. Nos mains se cherchent, trouvent notre épiderme. Quand la sienne effleure mon sein, je ne sais retenir un cri de jouissance. Quand son autre main glisse entre mes reins pendant que je saisis sa hampe … l’extase s’installe déjà. Mais on ne va quand même pas jouir dans cet état primaire et préliminaire.
Le lit absorbe nos deux corps mêlés et bientôt reliés par une intimité délicate.
Nous avions maladroitement réussi notre premier missionnaire à l’époque. Celui-là est juste parfait, les yeux noyés dans les yeux, nos sexes harmonieusement en rythme. La sauvagerie du premier baiser après tant d’années a laissé place à la sensualité extrême. Le missionnaire sera la seule position jusqu’au bouquet final car il est arrivé au bout de sa quête : je suis là, il me possède entre mes jambes, je ne peux plus m’échapper. Excitant et stressant à la fois cette emprise mais lâcher prise sans réfléchir. Laisser venir, rester jouir … encore et encore. La nuit noire est à nous deux pour ces retrouvailles improbables avec un colocataire de bureau.
Rêve ou réalité ? Réalité ou fantasme ? À faire ou à refaire ?
Changez de coloc de bureau et vous saurez mais évitez de tuer l’actuel.le quand même ;-)
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