Le don 3/3
Fanchon et Esteban laissèrent à Jack le temps d’ingurgiter toutes ces informations, avant que la femme ne reprenne.
— Tu aimes les femmes, donc pour toi cela ne pose pas de problèmes d’envisager quelques câlins avec Hawa.
— Et si j’avais été homo, moi aussi ?
— Nous nous serions arrangés autrement.
Le regard surpris de Jack amusa Fanchon.
— Ici, la fécondation artisanale n’est pas interdite.
Une profonde complicité passa entre Fanchon et Jack. Ils échangèrent un long regard. Ils n’eurent pas à échanger de mots pour se comprendre. Elle se tourna vers son compagnon qui ébaucha un sourire. Il tendit une main à hauteur de son torse et respira profondément. Fanchon plaça l’une des siennes au-dessus. Une forme commença à grossir entre les deux mains. Le vent souffla une multitude de feuilles à l’intérieur de la grotte. Ces feuilles furent comme aspirées par la boule qui prenait consistance entre les mains des protecteurs. Quand la transformation fut complète, Esteban tendit la sphère à Jack.
— La prochaine fois que tu voudras t’accoupler, donne-le à la femme et laisse-la faire. Elle ne te posera aucune question. Sur Cobannos, tout le monde sait à quoi sert cet objet. Elle te le rendra pour que tu puisses l’offrir.
Le sapiens prit la boule qui ne pesait presque rien, la tourna un instant dans ses mains. Il regarda tour à tour Fanchon et Esteban ne sachant pas comment allait être reçue sa demande.
— Je peux en avoir une autre ?
— J’espérais que tu nous le demanderais, répondit Esteban.
*
S’il avait été facile de discuter avec Fanchon et Esteban, Jack dû faire un effort pour aller voir Hawa. Il la vit entrer dans la tanière du dragon vert de Cordelia. Cette dernière rappliqua en voyant l’homme s’y diriger. La présence de la dragonnière, loin de le déranger, rassura le sapiens. Ils pénétrèrent ensemble dans l’antre de Mahuta. Jack ne prononça pas une parole. Il sortit le réceptacle de sa semence d’une de ses poches et le tendit à Hawa. Elle le regarda avec surprise, avant de sourire. Cordelia s’en approcha avec convoitise. Sa compagne lui donna la boule qu’elle prit avec une telle délicatesse qu’elle ne se serait pas comportée autrement s’il s’était agi d’un œuf de dragon. Elle regarda Hawa puis Jack avec appréhension. L’homme abrégea les souffrances de la dragonnière en sortant une deuxième sphère de son autre poche. Hawa hésita avant de la prendre, eut un hoquet, puis se décida. Quand la boule roula doucement au creux de ses mains, elle ne put retenir ses larmes. Les femmes serrèrent chacune leur cadeau sur leur cœur. Cet instant ne lui appartenait plus. Jack prit la direction de la sortie. Avant d’en passer le seuil, il se retourna vers les deux femmes qui pleuraient dans les bras l’une de l’autre. Il croisa le regard de Mahuta. Le dragon vint se placer contre le couple et étendit son aile comme pour cacher les femmes. Mahuta fit un bruit sourd en direction du sapiens. Jack était si heureux qu’il ne se rendit pas compte que sa perle s’était mise à briller. Il franchit en quelques enjambées la distance qui le séparait de l’extérieur de la grotte. Entre l’ombre et la lumière, il se retrouva…
… de l’autre côté.
*
Féréol et Gobos se moquaient de leur apprenti jusqu’à en pleurer de rire, tandis qu’Azia lui appliquait un baume sur sa brûlure.
— Tu as beaucoup de chance. Tu aurais pu te faire bien plus de mal, lui dit la guérisseuse.
— Ne t’en fais pas, le nargua Féréol, les femmes adorent les cicatrices.
— Adore ! cria presque la femme. Tu vas voir les cicatrices que je vais te mettre. On verra bien si ta compagne est de ton avis.
La boutade de sa douce moitié déclencha un rire sonore chez l’homme à la peau sombre. Même Athéna ne résista pas à la légèreté du moment. Dimitrius faisait les frais de la complicité de ses maîtres avec plaisir. Lui qui supportait mal d’être pris pour cible l’acceptait de bon gré. L’idée de devenir le prochain maître forgeron de Cobannos contribuait à assouplir sa tolérance aux plaisanteries des deux hommes.
Gobos eut soudain un malaise. Tout aux soins qu’elle prodiguait, Azia ne s’en rendit pas compte. L’homme à la peau sombre la fixa avec dévotion. La vibration se fit plus présente en lui, comme un appel. Le moment était venu. Il le savait. Il le sentait au plus profond de lui. Il se leva et se dirigea hors de la forge.
Athéna avait senti les vibrations, tout comme l’homme à la peau sombre. Elle s’approcha de la guérisseuse et la rattrapa alors qu’elle s’évanouissait, dévoilant son imprégnation avec Gobos.
Azia perdit connaissance au moment même où son homme passa…
… de l’autre côté.
*
Wolfgang était heureux à s’en exploser la poitrine. Si un jour on lui avait dit qu’il dormirait dans une grotte aménagée, il n’y aurait jamais cru. Ce qu’il s’apprêtait à faire paraissait hallucinant. Il avait hâte de savoir quand et comment il pourrait faire venir Groß Grau dans ce monde. Sacha écoutait attentivement toutes les informations que lui donnait le jeune sapiens afin d’évaluer au mieux la place qu’il faudrait attribuer à ce frère semi-sauvage. Un loup, ce n’est pas un demi-loup. Pandora pouvait se retrouver mise en danger, ainsi que les parents d’Eoline qui ne manqueraient pas de faire des va-et-vient entre la meute et la cité.
Attablés dans la salle commune, Eoline, Pandora et les deux hommes-loup y réfléchissaient activement. Leur grotte possédait de nombreuses anfractuosités et des trous de toutes formes et de toutes tailles. Tira y avait choisi son antre ; il n’y avait pas de raison que Groß Grau ne trouve pas une tanière qui lui convienne.
Wolfgang se leva si soudainement que la tablée sursauta. Il regarda dans toutes les directions pour comprendre d’où le danger venait. Les paroles de Pandora et d’Eoline lui parvenaient de très loin, comme si les sons essayaient de venir à lui à travers de l’eau. Il calma le rythme de sa respiration, ce qui l’apaisa. Il se dégagea du banc où il était assis quelques secondes auparavant et se campa au milieu de l’allée de tables. Pandora glissa sa main dans la sienne.
— Là, dit-elle. Dans la lumière.
Wolfgang se tourna dans la direction que lui désignait sa compagne. Sacha se mit debout à son tour, pour mieux voir ce que les jeunes fixaient. Le couple s’élança, comme propulsé par une force invisible. L’imprégnation du père pour sa fille emprisonna la poitrine de Sacha. Au lieu de lui donner la force de protection, il fut comme cloué au sol. Il s’agrippa à la table pour ne pas tomber, enjamba le banc. La douleur devint intense, puis s’arrêta nette quand Pandora et Wolfgang furent engloutis par le rayon de soleil que l’ouverture dans la voûte de la grotte laissait passer.
Abasourdi dans un premier temps, le cœur de Sacha se remplit d’une rage qui l’aveugla un instant. Une onde apaisante l’enveloppa. Son esprit lâcha prise. Quand la vue lui revint, Fanchon et Esteban se tenaient devant lui. Leurs regards et celui de Sacha se tournèrent vers la lumière qui avait happé le couple. Elle pâlit. La pièce s’assombrit le temps d’une respiration, avant de s’éclairer étrangement.
*
En plein milieu de la journée, on vit dans un ciel parsemé de petits nuages, les couleurs d’un soleil couchant. Les hommes-dragon, protecteurs de ce monde, n’avaient pas attendu pour se disperser bien au-delà des territoires des hominidés. La nature notre mère leur avait envoyé la vibration, signe que le messager Djibril avait partagé son don avec sa compagne, devenant à leur tour des protecteurs. Les hommes-dragon prirent leur envol et montèrent bien plus haut que le plafond que s’octroyaient les nuages. Les habitants de ce monde ne se rendirent compte de rien, mais leur espace-temps ralentit. La séparation des deux mondes put commencer.
Les jours passèrent ; puis des cycles lunaires ; pour changer de saison. Eoline donna la vie dans sa nouvelle tanière, aidée par une Azia vieillissante malgré la présence d’Athéna. La fille de Cordelia fut le premier enfant de son couple à saluer la nature notre mère. Le fils de Hawa suivit les deux lunes suivantes.
Bien que les tremblements de terre et les catastrophes naturelles aient disparu, le ciel rappelait à chacun que leur monde était en sursis.
Et puis le changement se produisit. Le jour laissait doucement place à la nuit, quand on put voir les hommes-dragon redescendre du ciel, comme une pluie légère qui prenait son temps avant de toucher le sol.
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