Chapitre 1: La vie, un grand miracle, et aussi un grand mystère
La vie, un grand miracle, et certainement le plus grand mystère de ce monde. Pourquoi sommes-nous sur cette terre ? Que devons-nous y faire ? Quel est le sens de notre existence ? Ce sont des interrogations que tous les hommes possèdent au fond de leur cœur. Pourtant, personne ne peut y trouver de réponse définitive.
Cependant, ceux qui se posent ces questions sont des êtres faits de chair et de sang, nés un jour, ayant grandi et acquis cette conscience de soi au fil des années, ce qui leur a permis de découvrir leurs propres réponses. Or, moi qui échappe à ces règles, pourquoi suis-je ici ? Dans quel but ai-je été créé ? Quel est le véritable sens de mon existence ? Et surtout, que suis-je ?
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Des cliquetis de machines vrombissantes me tirèrent de mon sommeil. Lorsque j’entrouvris mes paupières, je réalisai que je me trouvais à l’intérieur d’une sorte de tube en verre, baigné dans un liquide orangé et opaque. Seules quelques ombres mouvantes m’apparaissaient à l’extérieur.
Je ne pus continuer mon observation plus longtemps et dus plisser mes yeux nouvellement formés sous la lueur aveuglante des néons braqués sur moi. Je levai le bras pour m’en protéger, mais fus aussitôt traversé d’un picotis désagréable sur la peau. Mon regard s’abaissa jusqu’à mon coude pour en découvrir l’origine. Ce que je constatai me laissa perplexe plusieurs secondes. Tout mon corps était connecté à une étrange machine par des câbles ancrés profondément dans ma chair et qui limitaient mes gestes.
Que se passait-il ? Je n’avais aucun souvenir et, pourtant, je n’étais nullement inquiet. Je me sentais bien, à l’intérieur de ce bocal, comme protégé d’un monde cruel et injuste par cette fine paroi de verre et ce liquide poisseux, mais si agréable. J’étais comme un embryon, recroquevillé sur lui-même, qui n’attendait que de pouvoir sortir du ventre de sa mère… Un embryon capable, néanmoins, de penser par lui-même. Un embryon déjà adulte.
Au même moment, comme en réponse à mes réflexions, des voix s’élevèrent de l’autre côté de la cloison qui m’emprisonnait. Tout à coup, une volonté irrésistible de m’en échapper m’envahit.
Oui. Ma place n’était pas ici, mais à l’extérieur !
Galvanisé par ce désir, je ressentis un afflux soudain d’énergie se propager dans tout mon être. Mon cœur se mit à battre plus vite, plus fort. J’entendis des sirènes d’alarme se déclencher. Le verre craqua et se fissura de toutes parts avant de voler en éclats. Telle une cascade orangée, le liquide poisseux s’échappa de ma prison et se déversa sur le sol.
Plusieurs secondes me furent nécessaires pour m’habituer à ma nouvelle condition en dehors de ce tube. Mes yeux me piquèrent quelques instants, mes poumons se remplirent d’air, éjectant ainsi le fluide de mon organisme. Les câbles accrochés à ma peau se détachèrent sans laisser aucune séquelle et un vent frais me glaça le sang jusqu’aux os.
La pièce que je découvris me déconcerta. D’autres tubes comme le mien s’y trouvaient, mais tous étaient vides. Il n’y avait pas une seule fenêtre. L’unique source de lumière provenait de ces néons disposés en rangées au plafond gris qui continuaient à m’aveugler. Il y avait aussi partout des dizaines de machines dont les voyants clignotaient de toutes les couleurs. Il m’était cependant impossible d’en deviner leur utilité. Étrangement, pour moi qui venais de naitre, cet environnement ne m’était pas inconnu. Il s’agissait d’un laboratoire de recherche.
L’atmosphère ici était pesante.
Depuis mon léger promontoire, je baissai les yeux et remarquai plusieurs personnes en blouse devant moi. Ils me regardaient, tantôt étonnés, tantôt effrayés. J’en conclus aussitôt que mon réveil brutal n’était pas prévu dans leurs calculs. L’un d’eux attira plus particulièrement mon attention.
Il s’agissait d’un grand homme qui devait avoisiner la soixantaine. Des lunettes rondes étaient posées sur son visage creusé par de profondes rides et recouvert en partie d’une barbe de trois jours. Ses yeux, d’un bleu intense, brillaient d’un sentiment que je n’arrivais pas à distinguer. Était-ce de l’espoir ? De l’admiration ? De la satisfaction ? Je l’ignorais.
Avec un sourire, il se détacha du groupe et s’avança vers moi, les bras croisés dans son dos :
— Alors tu es enfin réveillé ! s’exclama-t-il d’une voix enthousiaste, mais rauque, comme s’il avait passé plusieurs jours dans le mutisme.
— Réveillé ? répétai-je sans comprendre.
Je toussotai et expulsai le reste du liquide qui stationnait encore dans ma gorge.
— Ah ! Nous venons à peine de te créer et tu penses déjà par toi-même. N’est-ce pas formidable ?
— Vous m’avez… créé ?
— C’est exact. Ou pour être plus précis, nous avons confectionné ton corps. Tu as l’apparence d’un humain, mais tu ne l’es plus totalement.
Je fronçai les sourcils, dérouté. Jusqu’à maintenant, je ne m’étais même pas questionné sur ma véritable nature. Mon cerveau avait tenu pour acquis le fait d’être humain, moi aussi.
— Je ne comprends pas… Que voulez-vous dire par « plus totalement » ? L’ai-je été un jour ? Si tel est le cas, que suis-je à présent ? Et pourquoi m’avoir transformé ?
— Nous aurons tout le temps de répondre à tes questions plus tard. Mais je peux d’ores et déjà te dire ce que tu es : un familier, la création artificielle de l’homme la plus complexe en ce monde, bien plus élaboré que n’importe quelle machine. Tu n’es pas vivant au sens propre du terme, bien que tu l’aies été par le passé. Tu ne ressens donc pas la douleur de la même façon que nous autres. Ta vie ne dépend pas non plus d’un quelconque organe. On peut dire que tu es presque immortel.
— Tout cela me parait presque irréel… Et pourtant, je vous crois, murmurai-je après plusieurs secondes de réflexions.
— Cela ne m’étonne nullement. Ton cerveau a été entièrement programmé pour avoir déjà assimilé la plupart des connaissances actuelles.
Alors que le scientifique s’extasiait devant sa réussite, une question insensée me vint à l’esprit.
— Dans ce cas… qui est mon maitre ?
Le visage de l’homme s’illumina à nouveau d’un large sourire.
— Il est vrai qu’un familier a besoin d’une personne nommée « invocateur » pour se manifester dans ce monde. Mais pas toi. Tu es notre plus grand succès. Tu es un familier libre.
Je restai sans réaction à sa déclaration, comme si être libre me paraissait, après réflexion, totalement normal.
Je ne cherchai pas à en savoir davantage pour le moment. Je sautai donc de mon piédestal et l’un des scientifiques présents me tendit une serviette que je m’empressai de nouer autour de ma taille.
— Et maintenant ? demandai-je après m’être rapidement essuyé.
— Et maintenant, si tu le veux bien, nous allons passer à la phase suivante de notre grand projet. Pour cela, nous souhaitons simplement que tu mènes une vie ordinaire de lycéen. Alors, acceptes-tu de coopérer avec nous ?
Le chef du groupe me tendit la main pour m’inciter à la serrer. Mon esprit était encore embrumé après ce réveil, mais quelque chose au fond de moi me poussait à faire confiance à cet homme. De toute façon, avais-je vraiment d’autres choix ?
Devant mon hésitation, il reprit d’une voix plus douce.
— Je peux comprendre ton appréhension, mon jeune ami. Nous ne t’obligeons en aucun cas à devenir notre associé si tu ne le désires pas. Mais sache que tu possèdes en toi quelque chose de formidable, des pouvoirs qui ne pourront être dévoilés qu’en situation réelle, des pouvoirs qui t’aideront à protéger ceux que tu aimeras, des pouvoirs qui pourront peut-être sauver notre monde un jour.
À ces mots, mon sang se mit à battre plus fort dans mes veines. Un fort sentiment de regret me submergea. Alors que je venais de naitre, mon cœur était assailli par le chagrin, comme une épine plantée au plus profond de moi.
— Sauver… le monde ? lâchai-je d’une voix éteinte. Très bien, j’accepte. Mais en échange, je veux que vous me révéliez tout ce que vous savez de moi.
— Nous te le promettons. Je m’appelle Leblanc. Je suis certain qu’ensemble, nous allons accomplir de grandes choses.
Le dénommé Leblanc me désigna avec un sourire la seule porte du laboratoire tandis que tous les autres scientifiques se retirèrent dans un silence absolu. D’une démarche confiante, je pris cette direction, mais m’arrêtai juste avant de franchir la sortie de cette salle obscure.
— Une dernière question : quel est mon nom ?
— Oh, c’est vrai, j’ai failli oublier ce détail ! Tu t’appelles Arthus Leclipse. Cela ne te promet-il pas un avenir radieux ?
Arthus Leclipse ? Ce nom me plaisait bien. Je ne savais pas ce qui m’attendait de l’autre côté de cette porte. J’ignorais même si ce que cet homme me racontait était la vérité. Mais une chose était certaine : je lui faisais confiance, comme un enfant tenant pour vraie chaque parole de ses parents.
Oui. Ce jour était le point de départ de ma vie, en tant qu’étudiant de seconde année, mais aussi en tant que premier familier libre.
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