Chapitre 6 - 23 février, West Hollywood Los Angeles
Le portable de John vibra dans sa poche, lui rappelant l’heure de la réunion du comité de direction. Après avoir terminé l’examen de sa patiente, il ôta sa blouse et la remplaça par une veste sport, passant du rôle de médecin à celui d’administrateur. Bien qu’ayant progressivement acquis la majorité des parts de l’établissement de la clinique Sunny Vale, il ne pouvait décider seul et s'appuyait sur une équipe de spécialistes pour tout ce qui sortait du domaine strictement médical. La renommée de Sunny Vale reposait, bien entendu, sur la compétence de John et de ses trois associés, mais le développement de l’activité passait aussi par la notoriété qu’il fallait entretenir en permanence. À mi-chemin entre les studios de cinéma et le centre de Beverly Hills, l’établissement était idéalement situé pour accueillir une clientèle aisée désireuse de conserver une image d’éternelle jeunesse au prix de multiples et lucratives interventions esthétiques ou plastiques. Sunny Vale opérait femmes et hommes, et traitait toutes les parties du corps. Les yeux, les lèvres, le nez mais aussi les fesses et parfois le pénis figuraient au catalogue de la clinique, mais c’est dans la chirurgie des seins que John excellait.
Quel que soit l’âge ou la forme de départ, John augmentait, réduisait, modelait les bustes avec un savoir-faire garantissant un aspect naturel sans aucune cicatrice perceptible. La confidentialité des interventions faisait également partie des raisons du succès de Sunny Vale. Plusieurs actrices et certains politiciens de renom s’étaient confiés aux mains de John sans que personne n’en sut rien. La réunion d’aujourd’hui était consacrée à la stratégie de promotion de la clinique et le comité de direction devait entendre les recommandations d’un cabinet de conseil qui avait travaillé sur le sujet. Outre John et ses trois associés, le comité était composé de Shaina Keona, qui veillait sur les finances et l’administration, de Mark Springer, le directeur des services généraux et de Linda Cho, chargée du marketing et de la communication.
Linda lança la réunion à dix-sept heures et après avoir présenté les deux consultants, leur laissa développer leurs conclusions. Le diagnostic mettait en avant un manque de présence de Sunny Vale sur les médias numériques. La discussion était menée par une femme d’allure austère, vêtue d’un tailleur gris avec une jupe descendant sous le genou, un style qui jurait un peu avec l’ambiance décontractée de l’équipe de Sunny Vale. Elle s’exprimait néanmoins avec assurance et n’eut pas trop de mal à convaincre John et ses collègues de passer de la publicité au bord des autoroutes à une communication plus dynamique sur Facebook et Twitter, supportée par un site web modernisé. L’étude se terminait par la recommandation de choisir une figure pouvant personnifier les prestations offertes par l’établissement sur la Toile, une égérie susceptible de devenir l’image de la marque Sunny Vale.
Une heure plus tard, la réunion terminée, John se retrouvait dans son bureau accompagné de Shaina. Attendant l’arrivée d’une candidate pour un poste d’assistante médicale, le chirurgien et son épouse commentaient les propositions de l’équipe du marketing. John ne voyait pas d’inconvénient à moderniser leur mode de communication mais restait hésitant sur le fait de choisir une personne réelle pour promouvoir leur image, même si cela se limitait à quelques courtes séquences de vidéo sur le site de la clinique.
— Pourquoi ne pas demander à Samantha ? Tu lui as refait tout ce qui pouvait l’être et à presque soixante ans, on ne lui en donne pas quarante. C’est une de mes amies, si je lui propose, elle acceptera sûrement.
— Oui, bien sûr, Sam serait un bon exemple de nos possibilités, et elle connait beaucoup de monde dans ce secteur de la ville.
— Si tu veux, je peux lui en parler, on doit se voir prochainement.
Samantha Page était un pur produit de la cité des Anges. Fille d’un fermier du Middle West, son physique avantageux lui avait permis de terminer son cursus dans le lycée de sa petite ville en qualité de capitaine des cheerleaders. À vingt ans, elle avait quitté sa région natale pour tenter sa chance à Hollywood où elle avait mené une modeste carrière dans des films de série B. Certaines artistes moins chanceuses n’hésitaient pas à colporter que son succès était davantage dû à l’aisance avec laquelle elle jouait les scènes dénudées qu’à son talent de comédienne. Quoi qu’il en soit, elle avait épousé Lionel Page, businessman ayant réussi dans l’immobilier, qui avait eu l’opportune idée de mourir à quarante-cinq ans d’un infarctus foudroyant, la laissant veuve, sans enfant et à l’abri du besoin. Plutôt que de chercher un nouveau mari, elle avait préféré une vie indépendante multipliant les liaisons aussi courtes que médiatisées.
Sam passait l’essentiel de ses journées dans les clubs de fitness chics, au bord des piscines de ses amies ou dans les boutiques de Beverly Hills. Le soir venu, sa luxueuse résidence de Pacific Palisades était le lieu de soirées prisées où l’alcool, les substances illicites et les plaisirs du sexe se mêlaient pour de luxurieuses bacchanales. L’âge et les excès avaient fini par avoir raison de sa beauté naturelle et Shaina, qui avait fait sa connaissance lors d’une séance d’aquabike, l’avait menée jusqu’au bloc opératoire de John. Plus de vingt ans d’écart ne les avait pas empêchées de devenir amies intimes et il ne se passait pas une semaine sans que les deux femmes ne se rencontrent autour d’un verre, au bord d’une piscine ou à Surfrider Beach.
La conversation fut interrompue par l’arrivée de la postulante. Une jeune femme à l’allure timide frappa discrètement à la porte restée ouverte. Shaina lui fit signe d’entrer. John regarda la candidate avec attention, ne pouvant s’empêcher de la détailler d’un œil professionnel. Shaina consulta une fiche préparée à l’avance.
— Mademoiselle Reyes ? Asseyez-vous, je vous en prie. Je suis Shaina Keona, directrice financière de cet établissement et voici le Docteur John Freeman qui supervise le secteur médical. Si nous retenons votre candidature, le Docteur Freeman sera votre patron.
Felizita Reyes regarda plus attentivement le chirurgien assis derrière son bureau. John était un magnifique afro-américain et il ne laissait aucune femme indifférente, ce qui avait peut-être contribué à sa réussite, au moins au début de sa carrière. Un peu impressionnée, la jeune femme tenait un dossier serré contre sa poitrine.
— Détendez-vous Felizita, posez donc ce dossier et mettez en valeur votre silhouette. Vous devez imaginer que dans un établissement comme le nôtre, il est important d’offrir à nos patientes l’image de la beauté épanouie. Voulez-vous quelque chose à boire ?
Quelques minutes plus tard, après avoir rassuré la candidate sur ses aptitudes et l’avoir assurée qu’elle recevrait très rapidement une proposition, John et Shaina se retrouvèrent à nouveau seuls dans le bureau.
— Elle te plait cette gamine ? demanda Shaina.
— J’avoue qu’elle est plutôt mignonne, mais elle est beaucoup trop jeune à mon goût. Elle présente bien et saura mettre les femmes en confiance avant les consultations. Je vais lui donner sa chance.
— Si tu n’en veux pas, je la garderai pour moi.
— Au fait, tu te souviens de mon ami Philippe, le chirurgien français ? Je lui ai écrit il y a quelques jours et il m’a répondu qu’il envisageait un voyage touristique en Californie avec des amis, dans quelques semaines. C’est un garçon charmant, très bel homme, et sa femme Brigitte te plaira sûrement aussi.
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