nuit et toi
J’avais le cœur – en miettes, en détresse – déchiré. D’un amour adolescent qui se rompt brutalement. Clac ! Un coup sec et tout n’est plus qu’inanité et larmes aphones. Sans demi-mesure, sans compromis, je l’aimais à vouloir en crever – je faisais qu’abîmer mon oreiller de sel, et l’apathie me collait aux basques, comme une ombre poisseuse et moite. Quand je riais c’était trop fort. Quand je pleurais c’était trop faible. Ma voix se perdait sur des ondulations de faux-semblants.
Je cherchais une trêve dans le corps à corps : passer sur d’autres lèvres le goût des siennes, essuyer sa peau, dissiper ses mots. Evincer son visage au fil de rencontres anonymes. Je m’entêtais dans des nuits sans intérêt, avec des types sans intérêt, me levant le ventre un peu plus creux. Et les soirs solitaires, je chassais mes rêves en volutes de fumée ; ces rêves-là qui percent dès le sommeil venu et qui laisse un vide caustique – humide entre les cuisses.
Et toi soudain, entre deux cours, entre deux clopes. Je t’avais déjà vu-sans-te-voir. Beauté banale, sourire soleil. Tu m’as étiré les lèvres d’un pas-grand-chose et tu clignais des yeux comme ça : ==··==·. J’ai ri à l’intérieur. C’était chaud, c’était doux. T’avais le regard rond, la voix ronde, une bouche ronde. Tu regardais dans les yeux, tu voyais là, dans les profondeurs viscérales.
Je ne sais plus comment, on s’est saisis. On a baladé nos cils sous le ciel montpellierain crevé de rayons caligineux. Bras dessus bras dessous, t’as joué des doigts sur mes reins, des mains sur mes –.
Puis les mots sont venus se noyer dans la mousse de la bière. Sous le barnum, deux gouttes ont éclaté dans un ploc élastique. Une pluie fine parsemait nos rires qui se chatouillaient et se chevauchaient ; de la fumée valsait entre nos visages qui se démangeaient. Les mégots se consumaient. Je fardais mes pommettes de rosée brûlante. Ma main dans mes cheveux te susurrait un je te veux silencieux du bout des doigts.
Tu m’aspirais sur les pavés suintants. J’avais trop bu et ça tournait. Les belvédères vacillaient sous mes paupières illunées. Dans ma tête ça tanguait. Je cherchais ta langue et t’avais le goût du plaisir. J’ai ri trop fort – encore – brisé la nuit de mon ivresse. T’avais l’odeur des caresses.
Blottie dans ton appartement près du tram Saint Eloi, j’ai jeté ma pudeur et mes habits mouillés à tes pieds. Déshabillée je t’ai quémandé des baisers – de baiser. J’avais l’âme en vague, il revenait là, en écume effilée. Alors j’allais quérir tes bras et ta peau ; nos souffles en émulsion pour étouffer la peine qui s’accrochait à mes entrailles. Je voulais que tu me prennes, que tu l’exiles, qu’on s’embrase. Défaire le lit, salir les draps – garder mes pleurs.
Mais t’es resté là planté droit, les yeux égarés loin de mes seins pointés vers toi. Tu m’as couverte, je me suis tue. Je pleurais sans larmes dans le pli des couvertures, j’avais froid, je tremblais. Tu m’as étreinte, m’a serrée fort – si fort. Tu m’as tenu chaud comme ça toute la nuit, nos peaux séparées par la ouate et, au réveil, il était parti. J’ai regardé ton visage, j’y ai vu la douceur, celle qui répare les peaux cassées. J’ai murmuré « merci », avant de te laisser aux draps.
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