Première partie, chapitre 2
Le lendemain, Nadim se réveille en sursaut. Un regard par la fenêtre sans volets lui indique que le soleil est levé depuis un certain temps, malgré la présence de nuages. Son estomac ajuste l’estimation à neuf heures du matin environ.
Des coups frappés sur la porte d’entrée l’ont tiré des bras de Morphée. Maintenant, des éclats de voix lui parviennent.
Qui peut bien faire autant de bruit ? Des membres de la famille en visite, ce qui arrive fréquemment le vendredi, premier jour du repos hebdomadaire, se révéleraient plus discrets.
Il aimerait retourner au pays des songes, aussi enfouit-il sa tête sous l’oreiller.
Le père de Nadim ouvre la chambre d’un geste large, le visage très sérieux, en prononçant d’une voix énervée :
— Qu’est-ce t’as encore fait ?
Le garçon s’assied dans son lit, en se grattant le cuir chevelu. Il arbore un tee-shirt troué, ainsi qu’un caleçon délavé. Le chef de famille maintient une autorité sur lui, aussi il sait qu’il doit répondre. Après avoir tenté de s’éclaircir un peu les idées, il bafouille :
— Hein ? Quoi ? Euh… Je sais pas… Pourquoi ? Qu’est-ce qui se passe ?
Son paternel s’efface, lui laissant entrevoir deux membres des forces de l’ordre dans le salon.
— Putain…
La décharge d’adrénaline qui se propage dans son système sanguin a tôt fait de mettre le cerveau à plein régime. Une fois debout, il enfile les mêmes vêtements qu’hier.
Il devine tout, maintenant, avec la certitude d’un juge de tribunal devant des preuves accablantes. Des regrets, mêlés d’incompréhension et d’innocence, affluent par saccades dans ses tempes.
Son père insiste :
— C’est une couillonnade que t’as vraiment fait, au moins ? Pas comme la dernière fois ?
L’allusion à une vitrine saccagée et dépouillée qui avait déjà conduit des enquêteurs à entrer chez lui deux mois auparavant est flagrante.
Penaud, Nadim acquiesce par son silence. Il baisse la tête et s’avance vers les agents.
— Faut arrêter de traîner avec ces petits cons du quartier. Je vais te trouver du boulot, moi, si ça continue. On a besoin de bras aux champs. Et tant pis pour les études !
Sa mère, au bord des larmes, tente de s’accrocher au sweat de son fils, mais elle est fermement écartée par l’un des policiers qui garde pourtant son calme :
— Madame, s’il vous plaît. Ne compliquez pas les choses. Il est grand, maintenant.
En quittant le domicile familial, l’aîné devine ses frères et sœurs agglutinés dans le chambranle de l’autre chambre, lui faisant face avec une curiosité à la limite du malsain.
Nadim est poussé sans ménagement à l’arrière du véhicule de service. Ses gardiens s’installent à l’avant. Pris dans leur routine, ils profitent du court trajet pour échanger leurs pronostics sur la future rencontre de football entre l’équipe locale et la favorite du championnat qui doit venir d’Alep dans quelques jours.
Une fois dans les bureaux de la police, il est conduit dans les couloirs qu’il a déjà visités la fois précédente. On lui demande de s’asseoir sur un banc, où il retrouve presque tous ses complices.
Donald, en pleurs, est avachi sur une chaise dans une pièce vide en face d’eux. Son dos nu lacéré laisse du sang souiller les lambeaux de vêtements qui pendent de sa ceinture. Le garçon tourne légèrement la tête vers le nouveau venu et dévoile un œil droit tuméfié. De plus, sa lèvre inférieure est gonflée et présente une large coupure.
Nadim est impressionné.
La peur de ce qui l’attend l’envahit. Qu’est-ce qui peut bien motiver la police à torturer des enfants, à peine coupables d’une bêtise sans gravité ? Le gouvernement a-t-il pris la décision de faire des exemples afin de limiter les agressions dont il est continuellement la cible ? S’ils désirent enfoncer le clou et lui passer l’envie de recommencer, ils voudront probablement aller beaucoup plus loin qu’avec Donald, sans le moindre doute.
Un homme vient se planter juste devant Nadim. Sans uniforme, il n’appartient pas à la police. Le garçon ne le reconnaît pas. Peut-être fait-il partie des services secrets ? Cette idée ne le rassure pas. La réputation de leurs méthodes expéditives et sans scrupules se propage depuis fort longtemps à travers tout le pays. Il évite soigneusement de croiser ses yeux.
L’inconnu s’adresse à lui avec une voix posée et sûre :
— Debout !
Le ton autoritaire conduit Nadim à se lever sur-le-champ.
— On va voir si celui-là est plus bavard que les autres. Regarde-moi, petit. Regarde-moi, j’ai dit.
Nadim obtempère, mais plus lentement cette fois.
— T’as le choix. Tu peux raconter immédiatement qui est derrière tout ça. Sinon y a la manière forte.
L’homme tourne la tête vers Donald en soupirant.
— Ton ami a préféré se taire. Il a seulement donné les noms de ceux qui étaient avec lui cette nuit.
Sa phrase est ponctuée d’un mouvement du menton en direction du banc.
— Mais rien à propos de celui qui se cache derrière cette mascarade. Toi, tu es plus intelligent, pas vrai ?
Nadim devine où se trouve son intérêt et décide de vider son sac :
— Oui, j’avoue.
— Voilà qui est raisonnable. Viens t’installer tranquillement dans mon bureau.
Nadim désire en finir au plus vite. Inutile de perdre du temps pour espérer un confort ou une intimité toute relative qui n’auraient pour seul effet qu’accroître son inquiétude.
— C’est moi qu’est à l’origine de la plaisanterie.
L’homme soupire encore :
— Non, non, non.
Sans prendre de précaution afin que les autres ne l’entendent pas, il articule :
— Ne nous oblige pas à te faire du mal, petit. Tu vas payer pour celui que t’essaies de protéger, mais on réussira à l’avoir quand même. Tu n’as rien à gagner si tu agis comme ça.
Nadim ne comprend pas. Il est tétanisé par la perspective de son avenir proche. Il perçoit déjà au creux de ses tympans le cliquetis de la porte qui se referme sur lui, et le claquement sec des coups qu’il lui faudra endurer.
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