CHAPITRE 2.1 * VICTORIA
ANNIVERSAIRE
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V.R.S.de.SC
♪♫ DANCING ON MY OWN — ROBYN ♪♫
Ils sont tous là pour moi : ma super bande d’amis ! On est réunis au grand complet au Diamant Rose pour fêter mon anniversaire.
Je déteste les anniversaires, mes amis le savent, mais comme on ne rate jamais une occasion de faire la fête, nous voilà ici ! Tant pis pour moi.
Je les adore.
Le Diamand Rose appartient à Mati, ou plutôt à Monsieur Matthias Carollo. Je n'en reviens pas que ce petit con m’ait persuadé de travailler pour lui. Pour ma part, je préfère considérer cela comme une collaboration. Je suis là en tant que prestataire pour organiser des soirées à thèmes, pas en tant qu’employée. Lui, en revanche, adore me rappeler que collaboration ou pas, c’est lui qui va signer mes chèques, donc je suis son employée. “Tu travailles pour moi, tu fais tout ce que je te demande, en public comme en privé”, me taquine-t-il.
Petit j’ai dit ? Rectification, il n’est pas si petit que ça. Il fait largement une ou deux têtes de plus que moi. À 28 ans, il attire tous les regards des filles qui franchissent le seuil de son club. Et des hommes aussi. C’est Leslie, la première de mes copines à avoir craqué pour lui. Leur histoire n’a duré que quelques semaines. Leslie est une femme sûre d’elle et Matthias, eh bien, il est bien résolu à ne pas avoir de relation à long terme. “Des complications non essentielles”, comme il dit. “Une putain de bite en chaleur”, l’avait-elle décrié.
Mati est totalement conscient de son emprise sur les autres. Il est complètement libre dans sa tête et dans sa peau. Il plait parce qu’il a l’arrogance de sa classe sociale, le charme d’un prédateur, le corps d’un putain de super-héros ! C’est un beau brun, avec des cheveux mi-longs, toujours ébouriffés comme s’il venait juste de sortir du lit ou de s’envoyer en l’air. Il porte en permanence une barbe de quelques jours, savamment négligée, qui ajoute à son côté sauvage, mais sophistiqué. Ses yeux couleur chocolat et sa peau bronzée trahissent ses origines italiennes, accentuant encore plus son allure irrésistible.
Les muscles, c’est à cause du travail acharné qu’il abat chaque jour pour son Club. S'il faut aller stocker des fûts de bières et des tonneaux de vin dans la cave, c’est lui qui s’y colle. Quand il faut réaménager les espaces et déplacer du mobilier, il est là. Ce n’est pas le genre de type à aller soulever des poids en salle de muscu. Ses bras puissants et son torse bien dessiné sont le résultat des heures passées à diriger son club et à maintenir l'ordre dans un endroit constamment envahi par une foule bruyante et impétueuse. Rien à voir avec les heures passées à ramer dans le club d’aviron qu’il fréquente depuis son adolescence. Rien à voir non plus avec les innombrables parties de sexe endiablé qu’il affectionne particulièrement.
Non, n’y voyez aucune jalousie de ma part. Il me plait, mais pour des raisons bien différentes. C’est une sorte de modèle à suivre à mes yeux. Je le connais depuis un peu plus d’un an maintenant et il m'inspire profondément. Il me pousse à me dépasser, à surmonter mes limites, à mettre de côté mes réticences et à aborder la vie avec une nouvelle perspective. Grâce à lui, j’apprends à lâcher prise. Moi qui lutte en permanence avec le contrôle, je trouve avec lui un équilibre qui me permet d’être plus terre à terre – moins psychorigide -, ouverte à l’inconnu.
J’ai dit con aussi ? Non, Matthias est un self-made-man, contrairement à ce que les gens disent de lui. Tout ce qu’il a accompli, tout ce qu’il a enduré, il l’a fait seul. Sa famille n’y est pour rien. L’argent de son père ? Ne lui en parlez pas. Il n’a pas voulu suivre ses traces, et il le paye cher encore aujourd’hui. Il faut se méfier des apparences, comme on dit.
Quand il parle de « privé », il plaisante, c’est un peu plus compliqué que ça. Nous n’avons couché ensemble que deux fois : la première, il y a quelques mois ; la seconde, la semaine dernière. Et c’est une longue histoire.
Mati était là quand j’en avais besoin et il m’a tendu une main amicale, peut-être un peu plus. Mais il fallait que je tourne la page d’un des chapitres les plus intenses de ma vie, que je tire un trait sur cet écossais qui m’avait brisée. Non, broyée, piétinée, écrabouillée, dévorée le cœur.
Je ne me comprends pas. Jamais je n’ai ressenti autant et si fort auparavant.
Une seule petite semaine a suffi à chambouler tous mes repères. J’ai vécu une tornade émotionnelle inégalée qui a tout mis sans dessus dessous en l’espace de deux mois. Je sais comment me préserver, comment me protéger, faire face avec dignité aux aléas de la vie et aux peines de cœur. Mais là, je suis perdue. Mon corps et mon âme semblent désemparés, incapables de comprendre ce qui leur arrive.
Les histoires sans futur, c’est ma bête noire, mais j’ai appris à l’apprivoiser. Ce n'est pas que je n’aie jamais eu de relations sérieuses, loin de là. Et je ne suis pas non plus une collectionneuse de plans d’un soir. Mais en ce qui concerne l’amour, je connais toujours la date de péremption à l’avance.
Prenons, par exemple, mon premier amour. Peter.
J’avais 17 ans, j’étais pleine de rêves et d’illusions. Dès les prémisses de notre histoire, je savais pertinemment que notre idylle n’allait pas survivre longtemps. Peter rêvait de devenir comédien, de se faire un nom, de monter sur les planches. A Paris. Pour moi, il était hors de question de partir étudier à Paris, encore moins y vivre. C’est une belle ville à visiter, mais certainement pas un lieu de vie où je me serais épanouie, loin de ma famille, de mes amis, de la mer. Non.
Pourtant, cela ne m’a pas empêchée de m’accrocher de toutes mes forces, de l’aimer intensément et d’espérer contre toute attente. On est sorti ensemble pendant plus d’un an. Puis, un beau jour, il a suivi son rêve parisien. Moi ? Je suis restée dans le sud, avec la croyance insensée que la distance n’affecterait pas notre couple une fois engagés dans nos études supérieures. J’étais bien naïve d’avoir cru que notre amour pourrait défier les kilomètres. Ma raison et mon cœur se sont vite heurtés à la réalité. Aux vacances d’octobre, Peter ne m’a pas rejoint au village comme il me l’avait promis. Non, il a tracé son chemin, tandis que moi, je me suis retrouvée sur le bord de la route, incapable de faire un pas en avant, regardant l’illusion de notre futur se dissiper.
Putain d’innocence envolée.
Trois mois plus tard, Peter a mis un point final à notre histoire. Par texto. Même si j’avais pressenti la rupture, j’ai eu toute la peine du monde à assimiler cette vérité définitive. Ca m’a anéantie. Le rêve de gamine, le conte de fées et toutes les illusions de jeunesse se sont effondrés en un instant. C’est la première fois que je me retrouvais avec le cœur brisé. J’ai perdu cinq kilos en une semaine, le corps ressent intensément les blessures de l’âme.
Deux ans plus tard, il y a eu Alex.
Même page, même paragraphe.
On avait partagé nos rêves et nos ambitions dès le début de notre histoire. Il voulait s’installer à Londres et c’est ce qu’il a fait. Au bout d’un an de relation, il est parti, en me laissant seule - encore une fois, au bord de la route-. Et ce matin d’août pluvieux, lorsque je l’ai accompagné à l’aéroport, j’ai su que c’était un adieu. Il m’avait encouragé à partir avec lui, mais j’avais mes propres envies et je savais qu’il n’était déjà plus qu’un chapitre de ma vie. Il en avait besoin, pour se construire, pour grandir, devenir l’homme qu’il est aujourd'hui, marié depuis peu, bientôt papa, deux chiens et un chat...
Deuxième cœur brisé, maudit cœur brisé.
Il y a deux ans, je suis tombée sous le charme de Tiago, mon colocataire durant mon année d’Erasmus à Lisbonne. Mais cette fois-ci, c’est moi qui suis partie, qui l’ai laissé sur le bord de la route, consciente que c’était peine perdue d’imaginer un futur avec lui. Que pouvais-je faire d’autre ? L’emmener dans mes bagages et le ramener en France avec moi ? Non. M’empêcher d’aimer, simplement parce que je savais que la relation était vouée à se terminer ? Non.
Même page, même paragraphe, même phrase.
Non, moi, je choisis de ressentir, d’éprouver, malgré tout. Même si je sais d’avance qu’une histoire va se finir, je ne veux pas empêcher mon cœur d’aimer et d’être aimé.
Alors, lorsque James est entré dans ma vie, d’abord comme un bel inconnu, puis comme un amant transi, je l’ai laissé franchir ma bulle, briser mes barrières et m’emmener au comble du bonheur. Sauf que cette fois-ci plus que les autres, et je ne me l’explique pas encore, j’ai senti mon cœur être arraché de ma poitrine, tout sanguinolent et putain, toujours la même histoire...
Il m’a fallu une semaine pour tomber amoureuse, quatre pour que le manque s’immisce sous ma peau comme un doux poison, cinq pour détruire tout espoir qu’il me restait et six pour briser mon cœur. Comment ai-je pu me voiler la face à ce point ? Pourquoi cette fois-ci parmi tant d’autres, ai-je réellement cru que nous avions un avenir ? Putain d’instinct.
Il m’avait prévenu pourtant : « Je ne suis là que de passage, je repars dans une semaine. ». Je me suis dit “encore une date de péremption”. Mais, j’ai foncé tête baissée, convaincue que ce serait sans danger. Après tout, une semaine, c’est à peine suffisant pour connaître quelqu’un, alors, en ce qui concerne les sentiments, aucun risque non ? Pourtant, j’ai trouvé l’amour là où il n’aurait pas dû se trouver. Je suis tombée amoureuse d’un homme en l’espace d’une semaine. C’est invraisemblable. Même moi, je rirai à la figure de celui ou celle qui raconterait une telle mièvrerie.
Pourtant, je sais reconnaitre un cœur brisé. Ce n’est pas juste une métaphore. Il y a même un terme médical pour le décrire : la cardiomyopathie de tako-tsubo.
C’est ce phénomène dans lequel le chagrin est si intense qu’il provoque une douleur physique dans le cœur, une sorte de réaction aiguë au stress émotionnel qui peut être aussi dévastatrice qu’une crise cardiaque. Les symptômes peuvent englober des douleurs thoraciques, des palpitations et une sensation de vide qui vous étreint comme une prise d’étau.
C’est ce que j’ai ressenti il y a quelques semaines. Cela peut sembler étrange, mais cette douleur n'est pas juste dans la tête. Elle est aussi réelle que si une partie de mon cœur avait été littéralement arrachée. C’est une oppression constante qui me rappelle sans cesse la perte de James. C'est une expérience physique et émotionnelle qui me laisse à bout de souffle, perdue dans une mer de souvenirs et de regrets. Et chaque battement de cœur me rappelle cruellement que ce n'était pas simplement une illusion, mais quelque chose de profondément vrai et douloureux.
Mais c’est fini maintenant. Pas la douleur, pas la tristesse, pas la détresse... non juste James et moi, et l’illusion de ce que nous ne serons jamais. Et me voilà à nouveau sur le bord de la route, sauf que cette fois, j’ai l’impression que cette route ne mène plus nulle part.
Même page, même paragraphe, même phrase, même mot.
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