CHAPITRE 3.1 * VICTORIA
LE COEUR A LA FETE
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V.R.S.de.SC
♪♫ SUMERTIME SADNESS - LANA DEL REY ♪♫
J’ai trop bu. Je n’aime pas l’alcool. Je bois rarement, presque exclusivement des cocktails sucrés et fruités. Ils en font de très bons ici, meilleurs depuis que je leur ai donné quelques petits conseils pratiques.
La jeunesse ne conçoit pas la fête sans l’ivresse. Moi, j’aime avoir l’esprit clair parce que je suis une maniaque du contrôle. Quand je bois, je perds pied. Je ne tiens pas spécialement l’alcool. Mais aujourd’hui, c’est mon anniversaire. J’ai le cœur en miettes. Mes amis sont tous là pour me soutenir si je tombe, pour me rattraper si je m’écroule, pour me prendre dans leur bras, si les émotions me submergent. Alors, je me laisse aller, juste cette fois. J’essaie de noyer ma tristesse, de faire taire ce chagrin lancinant. Chaque gorgée me rapproche un peu plus de l’oubli temporaire que je recherche désespérément. Les rires de mes amis résonnent autour de moi, mais ils semblent venir de loin, comme étouffés par la brume de l’alcool et de la mélancolie.
Je remercie Mati de nous avoir alloué la loge VIP. Il est passé m’embrasser lorsque je suis arrivée. Non, il ne m’a pas embrassée sur la bouche, il m’a prise dans ses bras, m’a souhaité un joyeux anniversaire et m’a offert une magnifique poêle à crêpes. J’avais promis de lui en faire, il n’oublie jamais rien. C’est donc plus un cadeau pour lui que pour moi d’ailleurs, j’ai déjà une poêle à crêpes.
Depuis qu’on s’est installé dans la loge VIP, j’ai bien vu que, de temps en temps, Mati me lançait des regards inquiets. Il s'assure à ce que je ne dépasse pas mes limites. Il sait ce que j’endure, il connaît la douleur que je tente de masquer derrière des sourires forcés et des éclats de rire artificiels. Il est là, prêt à intervenir si jamais je vacille trop près du bord.
Il est 22h. Nous sommes arrivés il y a quelques heures déjà. Exceptionnellement, nous avons eu tout le loisir de profiter du rooftop, privatisé pour marquer cette journée unique — cadeau de Mati pour son employé fidèle —, et d’un super apéro dinatoire, jusqu'à ce qu’une pluie soudaine nous pousse à nous réfugier dans la loge VIP, décoré en bleu nuit et or. Bleu parce que c’est ma couleur préférée, et or parce que, selon mes amis, je suis une fille en or ! Quelle bande de faux culs ! Mais je les adore.
L’alcool coule à flots. J’y ai veillé personnellement. Je n’ai même pas pu m’empêcher de vérifier furtivement que tout était en place pour ce soir. Je ne travaille pas au club en tant que tel ; j’y organise des soirées spéciales de temps à autre. Mais étant perfectionniste et curieuse de comprendre les rouages de la gestion d’un club, chaque fois que l’occasion se présente, je prends le temps d’observer et d’enregistrer les détails. J’aime voir comment tout fonctionne en coulisses. Et cette soirée est partie sous de bons auspices.
Tout le monde est sur son trente-et-un. Mes copines et moi avons toutes le même dresscode. Et non, ce n’est pas bleu nuit et or. Nous avons opté pour le satin.
Pour ma part, j’ai choisi une robe fourreau bleu nuit avec de fines bretelles et une fente très osée sur le côté droit qui offre un aperçu de mes jambes que j’ai enduites de crème scintillante dorée, tout comme mes bras et mon décolleté, sous les conseils de ma copine Nina.
Mon maquillage est léger : un trait de khôl noir pour accentuer mes yeux, du mascara waterproof pour éviter les bavures, une ligne de strass dorés collés sur les paupières. J’ai ajouté un peu de blush sur mes joues pour une touche de fraîcheur. Rien de plus. Pas de contouring, je n’aime pas être trop maquillée ; je veux que ma peau puisse respirer. Et surtout, rien sur les lèvres. Jamais.
Je porte des sous-vêtements noirs, mais pas de string, j’ai horreur de ça, ni de push-up, je privilégie la lingerie plus sobre. Ce soir, naturellement, j’ai préféfé mettre un shorty, parce qu’il n’y a rien de pire que de se retrouver les parties à l’air lorsqu’on porte une micro-robe comme la mienne.
J’ai jeté mon dévolu sur des talons hauts, bien que je regrette déjà. Je préfère généralement être à plat. Les talons, c’est beau, mais pas pratique quand on court dans tous les sens. Ce soir, je prévois de danser jusqu’à épuisement et je sais déjà que mes talons vont finir sous ou, sur une table.
J’ai gardé mes cheveux lâchés au naturel mes cheveux lâchés au naturel même si je me suis laissé convaincre par Joël, le petit ami de mon cousin, de les asperger d’eau pailleté doré. J’ai désormais les cheveux qui scintillent de mille feux. Bien sûr, j’ai toujours un élastique à portée de main. Pour l'instant, je les garde ainsi, mais je commence à sentir les gouttes de sueur glisser le long de ma nuque.
En guise de bijou, j’ai opté pour une chaîne délicate accrochée juste entre mes omoplates, au-dessus de mon tatouage en forme de nuée d’oiseaux. Je l’ai fait l’été dernier, c’est mon premier, et, vu la douleur ressentie, je doute que je réitérerai l’expérience un jour. Mais il me plait. James l'aimait bien lui aussi, quand il en dessinait les contours en me caressant tendrement. Je chasse cette pensée de mon esprit. Hors de questions de penser à lui ce soir. Il me faut un autre verre !
Je me précipite vers la table à alcool près de la rambarde, pour me servir un shot de tequila. Je le bois cul-sec, puis je mordille une tranche de citron vert pour en chasser le brûlant. Depuis la loge, on a vue sur quasiment tout le club. Le bar, par exemple, derrière lequel Baptiste, comme à son habitude, attire une foule de midinettes qui lui font les yeux doux. Il faut dire que Baptiste dégage un charme fou. Il a un air faussement détaché, mais c’est un cœur tendre. Et il est pris. Elles n’ont aucune chance de rivaliser avec Nina.
Nina est l'une de mes meilleures amies depuis bientôt quatre ans. On s'est rencontrées sur les bancs de la fac, lors d'un cours en sciences de l'éducation, l'une des options que j'avais choisies en troisième année de licence. Dès le premier échange, on a sympathisé. On a vite découvert qu'on travaillait toutes les deux dans l'animation pour financer nos études. Alors, naturellement, on s'est mises à candidater dans les mêmes centres de loisirs et on est partie sur les mêmes séjours à de nombreuses reprises. Depuis, on a toujours avancé main dans la main, unissant nos forces et nos espoirs.
C'est ensemble qu'on a postulé pour le master MEEF — qui pépare aux métiers de l'enseignement —, et c'est à deux qu'on a franchi cette étape. Mais notre amitié va bien au-delà des études et du boulot. Quand j'ai envie de faire un tour au musée, c'est Nina que j'appelle. Si un concert attire mon attention, on y va ensemble. On partage une passion pour les sorties culturelles, les découvertes artistiques et ces moments deviennent des souvenirs précieux qui renforcent encore plus notre lien. Aujourd'hui, on se soutient mutuellement, travaillant sans relâche, déterminées à réussir le concours de fin d'année et à décrocher nos diplômes d’enseignantes.
Mais depuis que Nina sort avec Baptiste, je la vois un peu moins. Elle est en train de tomber amoureuse et je sens qu’elle s'épanouit dans cette nouvelle relation. Je suis heureuse pour elle, d'autant plus que Baptiste est un amour. Ils se complètent et s'entendent à merveille, formant un couple qui semble parfaitement en harmonie.
Je me perds dans mes pensées alors que je m'accole à la rambarde, regardant le club en contrebas. La foule danse et rit, les lumières scintillent et la musique battent son plein. En proie à l'alcool et à une vague de nostalgie, je suis à peine consciente de ce qui m'entoure jusqu'à ce que Nina — quand on parle du loup — se rapproche discrètement derrière moi.
— “Je crois que tu as du vomi dans les cheveux”, me glisse-t-elle avec une moue malicieuse.
Surprise, je me retourne vivement, le cœur battant.
— “Quoi ? Beurk”, dis-je, affolée.
Nina pouffe de rire, ses yeux brillants de malice.
— “Je rigole, t’es splendide. Mais moi, je suis un peu bourrée,” avoue-t-elle en gloussant.
— “Comme d’habitude...”, je lui rétorque, amusée malgré moi.
— “Tu veux pas descendre te trouver un gentil mec pour la soirée ? Gentil ou méchant comme tu voudras ! Ou peut-être attends-tu qu’un certain propriétaire du club te prenne sauvagement sur son bureau ?” me taquine-t-elle.
Je fulmine intérieurement et lui fais les gros yeux, je n’aurais jamais dû lui confier quoi que ce soit. Je lui fais confiance, sauf... quand elle est un peu trop alcoolisée, comme ce soir. Malgré mes efforts, je jette des regards alentours pour essayer de repérer Mati dans le club. Je crois le distinguer près d’une alcôve, entouré d’hommes en costard-cravate.
— “Non, je vais plutôt prendre un autre shot pour la peine !” répliquè-je.
Nina me pousse affectueusement sur le côté avec sa hanche, me faisant vaciller légèrement avant que je reprenne mon équilibre.
— “Attends au moins un peu avant d’en reprendre !” me gronde-t-elle gentiment.
Je lui fais un clin d'œil et me dirige vers la table à alcool. En me resservant, je l’observe. Nina a jetté son dévolu sur une robe mi-longue en satin rose fuchsia qui diffuse la lumière à chaque mouvement. Ses sous-vêtements, orange vif, ajoutent une touche audacieuse et contrastée à sa tenue pétillante et estivale, reflet de sa personnalité vibrante et flamboyante.
Alors qu'elle regarde par-dessus au loin, ses yeux s’illuminent d’une lueur particulière. Elle fait un signe de main vers le bas, probablement à l’attention de Baptiste. Je vois des petits papillons qui scintillent dans son regard. "C’est écœurant", je me surprends à penser, mais je me ressaisis. C’est cruel de leur en vouloir pour ma peine...
Soudain, Leslie apparaît en haut des escaliers, un grand sourire aux lèvres, avec deux cocktails à la main. Je reconnais une Piña Colada dès que j’en vois une. Se dirigeant vers nous, elle soulève les verres au-dessus de sa tête avec enthousiasme. Elle est absolument exubérante ce soir, fidèle à elle-même, même si, paradoxalement, elle est de loin la plus studieuse du groupe dans d’autres contextes. C’est une future pédopsychiatre, une spécialité où sa sensibilité et son dévouement font toute la différence. Ce contraste entre sa personnalité scintillante sur la piste de danse et son sérieux professionnel en dehors est une partie intégrante de ce qui la rend si unique et admirable.
Il y a quelques minutes encore, elle se déhanchait sur l’estrade près du DJ. Elle aime être au centre de l’attention et, ce soir ne fait pas exception. Sa danse, empreinte d’une aisance naturelle, capte tous les regards. Sa robe courte en satin vert pomme accentue chaque mouvement, faisant d'elle la véritable reine de la soirée.
Elle et moi, on s’est rencontrés durant les cours de danse que j’ai suivis pendant mes premières années de fac. Leslie, avec son énergie contagieuse, partage ave moi cette même passion pour l’éclectisme dans la danse. On avait plongé ensemble dans une variété de styles, du hip-hop au tango, en passant par la salsa ou le modern jazz. Nos cours étaient une aventure inoubliable, un mélange vibrant de rythme urbain et d’élégance classique. Depuis, j’ai arrêté, ne dansant plus qu’en soirée, dans des bars ou des clubs pour mon propre plaisir. De son côté, Leslie s’est lancée depuis peu dans le pole dance et elle est à tomber par terre, littéralement.
Ma charmante copine arrive près de Nina et moi — le trio infernal —, son visage rayonnant de bonheur, et je suis immédiatement tirée hors de ma mélancolie.
— “Tiens, bois”, m’encourage-t-elle en me tendant la boisson sucrée.
— “T’es la meilleure”, lui dis-je en trempant mes lèvres dans la Pina Colada.
Le cocktail est frais et revigorant, ses saveurs tropicales apportant un répit agréable à ma tête embrouillée. Exactement ce dont j’avais besoin.
— “Mati vient de me dire à l’instant qu’il t’avait offert une poêle à crêpes ? Tu nous expliques, s'il te plaît ?” me demande-t-elle en levant un sourcil et en portant la coupe à ses lèvres.
Je rigole doucement.
— “Ah, ça... C’est une histoire drôle.”
— “Drôle ? Ça n’a rien avoir avec du cul ?” réplique Leslie dubitative, l’air à la fois intrigué et amusé.
Bien entendu, Leslie est au courant de mon plan avec Mati ; je ne pouvais pas lui cacher ce genre de choses. Elle est suffisamment ouverte d'esprit pour comprendre et accepter mon geste, sans jugement. On en a longuement discuté, parce que mine de rien, je sais que la situation entre eux est compliquée.
— “Pas du tout, Les, juste des crêpes”.
Leslie fait une moue boudeuse, puis, avec un sourire en coin, elle ajoute, presque déçue :
— “Moi qui croyais que c’était un truc pervers où tu te fais fesser ? Du genre, “Regarde, je vais te faire sauter ta petite crêpe ma bichette !”, dit-elle en mimant la dite fessée.
Je ris aux éclats et prends une gorgée de mon cocktail, soulignant :
— “On sait que Mati adore combiner l’utile à l’agréable”.
Mes amies s'esclaffent à leur tour.
— “Bande de cochons en rut !”, me lance Leslie avant de se remettre à danser. “Va plutôt te chercher un toy pour la soirée, bichette !”, me conseille-t-elle en me donnant une claque sur les fesses.
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