CHAPITRE 3.2 * VICTORIA

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V.R.S.de.SC

♪♫ ILLUSION - DUA LIPA ♪♫

Je regarde Leslie s’éloigner en se déhanchant sur un remix porté par la voix de Bebe Rexha. Les bras levés, son verre dans une main et un petit éventail dans l’autre, elle est l'incarnation même de la joie et de la séduction.

Ce soir, ses longs cheveux noirs, qui d’ordinaire cascadent dans son dos jusqu’à ses fesses, sont relevés en une magnifique queue de cheval, mettant en valeur la ligne de son cou et le décolleté de dos de sa robe verte. Son maquillage toujours très créatif est un festival de couleurs, de strass et de paillettes, accentuant ses yeux de façon spectaculaire. Elle a opté pour des teintes vives et des accents métalliques qui scintillent à chaque mouvement, ajoutant une dimension presque théâtrale à son allure. Lors de toutes nos soirées, les mecs se retournent sur son passage, mais Leslie les ignore royalement. Elle sait ce qu'elle veut et l'exprime d'un seul regard, sans se laisser distraire par les avances non sollicitées. Si elle ne t'a pas remarqué, tu n'as absolument aucune chance. C’est une règle d’or avec Leslie : elle est implacable en ce qui concerne ses choix. Elle avait repéré Mati dès notre première venue ici, dommage qu’elle ne voit plus l’intérêt qu’il lui porte encore aujourd'hui.

À propos de Mati, je regarde là où j’avais cru l’apercevoir plus tôt, mais plus trace de lui. Je suppose qu’il doit être pris par ses responsabilités, entre la foule, la musique et l'organisation du bar. Je me dis qu'un peu de réconfort et d'oubli seraient les bienvenus ce soir. Non pas que j’aie l’intention de l’utiliser comme un toy-boy, mais si l’occasion se présente et qu’il est partant, je ne serai pas contre me laisser tenter. À peine cette pensée formulée, je la regrette immédiatement. Non, je n’ai pas l’intention de coucher avec quelqu’un ce soir. Je vais boire, danser, profiter de la présence apaisante de mes amis et rentrer chez moi au petit matin. Seule. J’ai pris une résolution et je m’y tiendrai.

D’ailleurs, en parlant d’amis, je constate que Justine est assise dans un des fauteuils noirs au fond de la loge. On se connait depuis l’époque du lycée et on est toujours inséparables. Elle a choisi une tenue empreinte de sobriété et de classe : un pantalon noir impeccable associé à un top en satin noir, fluide et légèrement brillant. Ju est toujours tirée à quatre épingles, fidèle à sa nature calme et posée. Assis à côté d’elle, Gabriel bien-sûr. Ils sont ensemble depuis qu'on est en seconde. Ils sont adorables, un couple solide et complice. En les voyant, je ne peux m’empêcher de ressentir un pincement au cœur. J’envie un peu la stabilité et l'assurance qu’apporte une relation qui dure depuis aussi longtemps. Mais je chasse rapidement cette pensée pour me concentrer sur la soirée. Je ferais mieux de retourner danser, avec ma cousine, par exemple.

Lauriane — mais tout le monde l’appelle Laurie — est en train de siroter son cocktail appuyé à la rambarde, dos à la salle. Elle semble, elle aussi, perdue dans ses pensées. La veille, on a chillé ensemble devant Netflix en mangeant de la glace à la vanille. Laurie traverse une rupture douloureuse qu’elle peine à surmonter. Deux cousines, deux cœurs brisés. Son ex, Julien, le gendre idéal bien sous tous rapports, l’a trompé. Quel enfoiré ! Trois ans d’engagement envolés en un éclair.

Même si elle n’est pas vraiment d’humeur à faire la fête, elle a fait l’effort de descendre de Paris plus tôt que prévu pour être présente à mon anniversaire, ou peut-être pour qu’on puisse se soutenir mutuellement dans cette épreuve. Elle rentre demain matin chez ses parents. La famille se réunit chaque année pour la Toussaint au domaine, surtout depuis que grand-mère nous a quittés il y a quelque temps. Je serais bien partie avec elle, mais j’ai la soirée d’Halloween avant.

On se ressemble beaucoup, d’ailleurs tout le monde le remarque facilement. Tout comme moi, elle est blonde, bien que ses cheveux soient un ton plus clair, plus courts et moins bouclés. Elle est un peu petite et plus mince que moi aussi, de sorte qu'on nous prend pour des sœurs. La principale différence entre nous, ce sont nos yeux : les miens sont d'un ambre profond, tandis que ceux de Laurie sont d’un bleu éclatant. Malgré ces nuances, notre ressemblance est frappante, un reflet de nos liens familiaux, même si nos regards en ce moment racontent des histoires similaires.

Laurie et moi avons quasiment grandi ensemble. Ma tante Caroline est la sœur de mon père, et nos mères sont meilleures amies. Cette proximité a tissé entre nous un lien particulier, renforcé par nos nombreuses aventures communes, petites et grandes. Plus qu’une cousine, Laurie est pour moi une véritable sœur. Elle a toujours été là pour moi, et moi pour elle, à travers les hauts et les bas, les joies et les peines.

Ma cousine est architecte-paysagiste. Elle partage avec moi un goût prononcé pour la nature et la décoration d'intérieur, et on adore toutes les deux chiner dans les antiquaires et les vide-greniers. Là où nos intérêts divergent, c'est dans notre manière d’aborder les objets : Laurie préfère restaurer des meubles et des objets anciens, leur redonner vie et respectant leur histoire. De mon côté, j’aime créer des pièces uniques, donner forme à des idées nouvelles, alliant souvent modernité et touches personnelles.

Même si elle tente de sourire, ses yeux trahissent une douleur que rien ne semble pouvoir apaiser. Ce n’est pas facile pour elle, je vois le chagrin de la trahison dans ces yeux. Est-ce ce que tout le monde voit dans mon regard à moi aussi ?

Je m’approche lentement et passe mon bras derrière son cou pour lui offrir d’un câlin complice. Je me penche vers son oreille pour me faire entendre par-dessus la musique qui pulse autour de nous :

  • “Allez, viens. On va se défouler sur la piste et arrêter de nous poser trop de questions."

Laurie me regarde, son sourire se transforme en une moue malicieuse.

  • “T’as raison, Vicky. On va leur prouver que les Reines des Neiges ont du feu dans les veines !”

J'accepte son défi en riant. Elle pose son verre vide sur la table et enlace mon bras, se calant contre moi pour un bref instant. Ce petit geste silencieux exprime tout ce qu'il y a à dire : elle est prête à oublier, même si ce n’est que pour quelques heures et moi, je suis prête à l'accompagner.


Sans un mot de plus, on se dirige ensemble vers les escaliers de la loge. La musique vibre sous nos pieds tandis que nous descendons, les lumières clignotantes du club créant des ombres dansantes autour de nous. En bas, la piste de danse est bondée, une mer de corps en mouvement, synchronisés par le rythme effréné du DJ. La foule est dense, compacte, mais accueillante, prête à nous engloutir dans son énergie électrique. Quelques minutes plus tard, je repère Sacha dans la foule. Il se déhanche au milieu de la foule, chantant à tue-tête sur un remix du tube de Tiesto, Business. Sacha a toujours cette manière désinvolte de se lancer dans la fête avec un enthousiasme débordant, peu importe le chaos autour de lui. Je pense qu’à cette heure-ci, il est déjà un peu saoul. Je nous approche de lui. Tandis qu’il se déchaîne et que Laurie se laisse peu à peu aller, je constate que ses regards appuyés se portent sur elle. Elle ne remarque rien, mais moi, oui. Sacha est une véritable boule d'énergie, et il semble que ce soit exactement ce dont Laurie a besoin ce soir. Je fais mine de m’éloigner en adressant un geste d’encouragement à Sacha au passage. Avec une démarche décontractée et séductrice, il se glisse près d’elle et l’invite à danser. Ma cousine le repousse gentiment au début, mais Sacha se penche pour lui murmurer quelque chose à l’oreille. Elle fronce les sourcils un instant, puis éclate de rire avant de lui prendre la main. Je souris. Elle aussi a le droit de se changer les idées et de penser à autre chose. Je me demande ce qu’il lui a dit.

Sacha est l’antithèse parfaite de son ex. Tandis que Jules est un modèle de propreté et de réserve, Sacha est un tourbillon de vie, un électron libre qui met le feu aux poudres. Ce soir, il arbore un look de dragueur latino avec un marcel blanc décolleté, un pantalon militaire, un bonnet noir et une chaîne en or. Quand il fait la fête, il adopte des tenues exubérantes et inattendues, contrastant vivement avec son style de tous les jours d’agent immobilier, bien plus sage et maitrisé.

Tous les deux se mettent à danser ensemble sur un remix dynamique et électro de No Lie de Dua Lipa et Sean Paul et j’ai l’impression que la carapace de Laurie se fissure doucement, comme une peinture ancienne qui craquelle sous l'effet de la chaleur, révélant une lueur de spontanéité et de légèreté. Oui, définitivement, Sacha est le mec parfait pour l’aider à décompresser. Il agit sur elle comme un vent frais qui balaye le poids des ombres du passé, permettant à ma cousine de se défaire du manteau de regrets dans lequel elle s’est enveloppée, même si ce n’est que pour une danse ou deux.

Décidée moi aussi à me changer les idées, je me laisse emporter par l’ambiance et me joins à quelques inconnus. Je danse avec une énergie renouvelée, m’abandonnant à la musique et au moment présent. Les corps se déplacent en harmonie avec le rythme effréné du DJ, et je me perds dans ce tourbillon de sons et de lumières.

Au bout de quelques chansons, je décide qu’il est temps de rejoindre le reste de mes invités dans la loge. En arrivant, je prends un moment pour respirer et apprécier la vue sur la piste de danse animée en contrebas. Les éclairages tamisées et les rires des autres me rappellent que, malgré les difficultés, il est possible de trouver des instants de joie et de répit.

Je m’affale doucement sur un des fauteuils de la loge près de Nina qui me tend déjà un verre avec un sourire complice. J’ai les orteils en compote, comme je m’y attendais. Ma tête bascule en arrière et je m’absorbe dans le spectacle des lumières qui dansent sur le plafond, projetant des éclats multicolores à la fois dynamiques et hypnotiques. Le tumulte de la salle, avec ses cris et ses rires, se dissout en arrière-plan, pour faie place à une quiétude bienvenue. Le poids de la soirée commence à se faire sentir, et ce moment de pause est une véritable bouffée d’oxygène. Je prends une profonde inspiration pour que le calme se répande lentement à travers moi. Mes pensées, jusque-là tourmentées et en désordre, se mettent à dériver comme des feuilles emportées par un courant tranquille. Les vibrations de la musique s’éloignent, et me voilà dans une bulle de sérénité qui m’enveloppe, paisible et accueillante. Je passe une putain de soirée et je m’en réjouis intérieurement, j’avais vraiment besoin de me ressourcer auprès de mes amis.

Quand je me redresse doucement, mon regard se pose sur Camille et Flora qui dansent tranquillement. Les notes d'un remix langoureux de Can't get you out of my head résonnent dans le club. Je regarde leurs corps coller l’un à l’autre, presque immobiles par rapport à la musique qui nous entoure. Ils suivent une mélodie qui leur est propre, une sorte de monde à part où ils se déplacent au rythme de leurs émotions plutôt qu’au son ambiant. Leurs mouvements sont lents et synchronisés, comme s'ils étaient en train de partager un secret silencieux. Flora est bien plus petite que lui, elle lui arrive à peine au menton. C’est une belle fille tout en courbes, avec de magnifiques cheveux noirs bouclés. Son teint bronzé, typique de ses origines réunionnaises, rayonne sous les lumières tamisées de la loge.

Camille, c’est mon meilleur ami, mon véritable meilleur ami. Il est fou amoureux de Flora depuis six ans maintenant. C’est le premier garçon que j’aie embrassé lorsqu’on avait huit ans. L’amitié garçon/fille est étrange, parfois compliquée, mais entre nous, il y a un réel lien profond et indéfectible.

On a quasiment tout partagé : lorsqu'on faisait des bêtises, c’était ensemble qu'on était punis ; quand l’un de nous tombait malade, l’autre se retrouvait souvent à partager la même fièvre ; à chaque victoire de Camille sur les courts de tennis, j’étais là, fière et enthousiaste, et lorsque je participais à des concours d’équitation, il était toujours présent dans le public, pour me soutenir avec une ferveur inégalée. On a affronté les épreuves du brevet et du bac ensemble, et le jour où Flora lui a brisé le cœur quatre ans plus tôt, c’est vers moi qu’il est venu chercher du réconfort. Et ce qui devait arriver arriva : quelque chose qu’on avait jamais encore expérimenté à deux. Le sexe. Une nuit, une seule et unique nuit dans les bras l’un de l’autre. Et rien. On n’a rien éprouvé d'autre que du plaisir instantané et une consolation éphémère. Notre amitié ne s’est pas muée en amour. Le lien qui nous unissait est resté intact, comme une connexion ancienne que ni le temps ni les circonstances ne peuvent altérer. Je pourrais lui demander n’importe quoi, il le ferait sans hésiter. Sauf peut-être qu’on recouche ensemble. Flora ne pourrait jamais nous le pardonner une seconde fois.

Cependant, leur amour est fort et indestructible, et la petite Emma est là pour en témoigner. Ce petit ange comble ses parents de bonheur, et sa marraine aussi ! Elle est à croquer. Je crois que pour eux, cetee soirée est plus que la simple célébration de mon anniversaire. C’est leur chance de s’évader, de se libérer un peu des couches et des biberons, de retrouver une part de légèreté et de complicité dans leur couple. Le rythme de la vie quotidienne avec un bébé est implacable et épuisant et une escapade comme celle-ci leur permet de se reconnecter.

Je me tourne soudain vers Joël, qui m'invite pour une petite danse. Il me sourit, un éclat amusé dans les yeux, et attrape mes mains pour me forcer à me lever de mon fauteuil.


  • “Allez debout feignasse ! Viens bouger ce corps de rêve !”

Je me laisse guider tandis qu’il pose ses mains sur mes hanches, m’entraînant dans un mouvement langoureux au rythme du mix aux tonalités zouk qui emplit la salle. La musique est lente, pleine de sensualité. Parfait. Il cale son genou entre mes cuisses et je me laisse emporter. Il se penche vers moi :


  • “Alors, beauté, tu t’amuses bien ?”, me demande-t-il en souriant.

Je pose ma main sur son épaule, sentant son corps contre le mien. La tête rejettée en arrière, je me laisse emporter par la musique, oubliant, pour un moment, les ombres qui hantent mon esprit. Il me retourne et me plaque sur la rambarde.


— “Regarde bien ! Observe-les et choisis-en un bon sang ! Tu ne vas pas passer ta soirée d’anniversaire sans une bonne baise !” dit-il avec insistance au creux de mon oreille.

Ces paroles me mettent du baume au cœur. Mes amis savent que je souffre, et leur soutien est inestimable. Me trouver un mec ? Non, je ne veux pas d'une aventure de passage en ce moment, ni d’ancrage. James est encore trop présent dans ma tête, dans mon cœur, dans mon corps. Ça va passer, mais il me faut du temps. Après Peter, j’ai attendu près d’un an. Après, Alex, quelques mois seulement. Avec James, je n'ai pas envie de compter les jours. Je secoue la tête. Non.

Encore en pleine réflexion, je suis brusquement interrompue par une déstabilisation inattendue. Un instant, je suis dans les bras de Joël me laissant porter par la musique, un cocktail à la main. L'instant d'après, il retire son bras si rapidement que je chancelle et me rattrape de justesse à la rambarde.

Non de nom ! C’est quoi ce bordel ? Je me retourne vivement et à peine ai-je eu le temps d’apercevoir le brillant d’un piercing à l’arcade, que je suis envahie par une explosion de joie : Andrè ! Je n’y crois pas. Je suis tellement surprise que j’en renverse mon verre. C’est comme un rayon de soleil inattendu dans une nuit orageuse. En un éclair, Joël a fondu sur lui. Ils s’embrassent à en perdre haleine, comme si le monde n’existait plus.


Andrè se dégage un instant de l’étreinte passionnée de son petit ami et vient me prendre dans ses bras.

  • “Joyeux anniversaire, cousine !” me dit-il en portugais, avec un sourire radieux.

Je me jette à mon tour dans ses bras réconfortants et me rappelle à quel point il compte pour moi. Je suis submergée par l’émotion de le retrouver. Ses yeux brillent autant que les miens en ce moment ! Il me fait un clin d’œil complice. Joël, avec un sourire narquois, joue les jaloux. Je lui envoie un baiser avec mes mains. La présence d’Andrè et l’énergie de la soirée me rappellent à quel point ce moment est parfait. Pour ce soir, je suis entourée de gens qui comptent, et je me laisse aller à la magie de l’instant.

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