CHAPITRE 4.1 * JAMES

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WHISKY

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J.L.C

♪♫ PLAYA (SAY THAT) - DENNIS LLOYD ♪♫

Une ovation s’élève dans le club. D’abord, les verres qu'on trinque, dans un toast silencieux, les visages illuminés par des sourires complices, ou qui cliquète les uns contre les autres, dans des éclats de joie. Quelques voix s’élèvent, des cris enthousiasmés et des hourras désordonnés qui retentissent de toutes parts, qui se chevauchent pêle-mêle au rythme de la musique ambiante. Des sifflements aussi éclatent un peu partout, fendant l’air, stridents, mais sincèrement joyeux. Et enfin, les applaudissements résonnent, crescendo, leurs échos répercutés sur les murs de la salle, comme si l’énergie collective avait atteint son apogée. Des rires, des bras qui s’agitent en l’air, et cette explosion de bruit qui envahit chaque recoin, animant la foule d’une ferveur contagieuse.

Et tout ça, pour Victoria.

Parce que c'est son anniversaire, et que toute la salle s'est arrêtée pour la célébrer. Les regards sont tournés vers elle, rayonnant de cette joie partagée, et l'espace d'un instant, elle est au centre de l'univers, sous les feux de la rampe, inondée de l'affection et de l'admiration de tous ceux qui l'entourent.

Putain, qu’elle est belle ! La vue de cette femme me fait grave bander. Un feu ardent s'empare de mes veines et, pourtant, en même temps, un froid glacial commence à faire chemin, comme une lame invisible qui me coupe le souffle. Ce n’est pas seulement le désir qui me consume, c’est aussi ce putain de sentiment d’impuissance face à la scène qui se déroule devant moi. C’est comme si mon corps était en guerre, le chaud et le froid se disputant chaque centimètre de ma peau. L’excitation me fait bouillir, mais mes regrets et ma douleur me glacent les os, me laissent pétrifié, incapable de bouger, tandis que tout en moi se déchire entre ces deux extrêmes.

Et merde... Finalement, j’irai fumer cette clope plus tard. Essayant de masquer mon agitation, je me dirige vers les toilettes. L'air est lourd, oppressant, et j’ai besoin de m’éclaircir les idées. Il est bientôt 23h, et je suis là, dans ce putain de club, avec Victoria si proche et pourtant si lointaine, comme si elle était à des kilomètres, intouchable. Je pousse la porte des toilettes pour hommes, la ferme derrière moi et appuie sur le robinet d'eau froide, avant de m’asperger le visage. Mon esprit tourne à mille à l’heure. Je fais quoi putain ? Je vais la voir ? Non, je ne sais pas comment elle va réagir et je ne veux pas lui gâcher sa fête.

Je sors mon téléphone de ma poche. J’ouvre Insta. Je tape son nom, dans un réflexe désespéré. Là dans le descriptif : signe scorpion, chiffre 29. Ça correspond. Merde, elle est née le 29 octobre et je ne le savais même pas. Quel abruti ! J’ai maté son profil un nombre incalculable de fois et je n'ai jamais remarqué cette putain de date ! Comment tu peux aimer une fille à ce point et ne pratiquement rien savoir d’elle ! Mais à quoi ça sert de connaitre l’anniversaire de quelqu’un à la fin ! Dans mon cas, à me rendre compte que ma sœur m’a entrainé dans un plan foireux. Merde ! Je ne peux plus partir sans lui parler maintenant, j’ai déjà commis l’erreur de la laisser filer dans le passé. Plus jamais.

La première fois que je l'ai vu, c’était lors du féria de Carcassonne, derrière les remparts de la cité médiévale. Il y a plus d'un an déjà. J’avais été complètement hypnotisé par cette fille dont je ne connaissais même pas le nom. Antoine n’avait pas pu me dire qui elle était ; il avait juste mentionné qu’elle s’était présentée comme faisant partie du comité d’organisation. On avait à peine échangé quelques mots elle et moi, quelques sourires, quelques regards, mais déjà si profonds, si intenses, que j'en voulais plus.


Ce jour-là, j’avais craqué pour elle, en la voyant de dos, alors que je revenais vers notre stand après être parti chercher de quoi nous rafraîchir, Antoine et moi. La chaleur étouffante de ce fameux mois d'août était à peine atténuée par la fraîcheur des murs de pierres qui nous entouraient.

Elle portait une adorable petite combinaison-short en lin crème, à la fois élégante et décontractée. Sa coupe évasée et féminine flottait légèrement autour d'elle, et le dos nu, agrémenté d’un nœud au centre, révélait subtilement sa peau délicate, tandis que la ligne de ses reins, mise en valeur, attirait l'œil sans en faire trop. Ses longues jambes et ses fesses rebondies là rendait irrésistiblement attirante, appétissante même.

Ses longs cheveux blonds tirés en une haute queue de cheval, laissaient échapper quelques mèches délicates qui dansaient doucement dans la brise. J’aurais donné n’importe quoi pour glisser ma main dans sa crinière blonde et l’embrasser là, sans même avoir besoin de voir son visage…

Plus tard, j’ai eu de nombreuses occasions de le faire... empoigner ses cheveux… et la goûter jusqu’à ne plus pouvoir m’en passer. Et bong sang, c’était démentiel, jouissif. Elle a des cheveux aussi doux que de la soie, comme j’en avais rêvé. J’ai attrapé ses foutus cheveux pendant que je la prenais par-derrière, pendant qu’elle me suçait la queue. Je les ai caressés longuement alors qu’elle était allongée nue contre moi, repue et comblée, ou lorsqu’on était blotti l’un contre l’autre sur son canapé, pensifs et apaisés. Je les ai effleurés doucement lorsqu’on se regardait dans les yeux, apprenant à nous connaitre assis à la terrasse d’un café, dans la voiture en rentrant de soirée... J’ai glissé délicatement ma main dans ses cheveux lorsque je l’ai embrassé pour la première fois, mais aussi la dernière, sur le pas de sa porte, avant de repartir… merde, comme pourrais-je un jour l'oublier...

Le fameux jour où je l’ai rencontrée, je m’étais approché d’elle discrètement, alors qu’elle discutait avec mon beau-frère. Sa voix était douce, quoiqu’un peu enrouée. Quand je l’ai recroisée pour la deuxième fois, son timbre était différent, plus joyeux — parce qu’elle était probablement éméchée —, mais aussi plus profond que ce que je m’étais imaginé.

Quand je m'étais aventuré dans son sillage, un tourbillon de notes épicées, mêlées à des accords orientaux riches et profonds m'avait envahi. Pas comme ceux que portent les petites filles, qui sentent les fruits ou les fleurs. Non, quelque chose de résolument féminin et sophistiqué, comme celui de ma sœur, par exemple. J'avais adoré. Il y avait quelque chose de familier dans cette fragrance, un écho qui m’avait touché.

J’avais interpellé Antoine alors que j’étais derrière elle, à quelques centimètres à peine :

— “Elle est canon celle-ci, fais gaffe qu’Isla ne soit pas dans les parages !”, l'avais-je taquiné en anglais.

Sauf que j’avais utilisé un équivalent en gaélique pour le mot "canon", et pour "sœur", j’avais employé le terme "sœurcière".

— “Nach ist thu, James” (“pourquoi tu la fermes pas James”, m’avait rétorqué sans détours Antoine, en gaélique également.

Malgré la foule qui grouillait de toute part, la fille avait légèrement sursauté quand j’avais parlé. Lorsqu’elle s’était enfin tournée et avait levé les yeux vers moi, j’en avais eu le souffle coupé. Sa beauté était époustoufflante! Avec ses lèvres fines, mais pulpeuses, qu’elle était en train d’humecter ; ses petites et discrètes taches de rousseur qui parsemaient ses joues et lui donnait un air espiègle et si séduisant ; son nez droit et raffiné ; et ses yeux, mon Dieu, ses yeux étaient fascinants, un cuivré profond. Putain, cette fille avait les iris de la couleur du whisky. “Si c’est pas un signe du destin !” avais-je pensé.

Elle semblait surprise, mais, agréablement surprise. Ce qui est très flatteur. Elle m’avait sondé avec une intensité qui m’avait fait frémir. Son regard perçant s’était attardée sur mes lèvres, que je mordillais sans même m’en rendre compte. Une étincelle s’était allumé au fond de ses pupilles. Du désir ? Oui, un homme perçoit ce genre de chose.

J’en avais profité pour la dévisager à mon tour. Ses créoles dorées scintillaient à chaque mouvement. Elle pressait un bloc note bleu clair contre sa poitrine et un chapeau de paille pendait à son bras. Son décolleté carré et ses bretelles à volants soulignaient son port de tête. Ses seins, parfaitement proportionnés — juste comme je les aime, ni trop gros ni trop petits — me donnaient envie de les envelopper, s'ajustant parfaitement à la courbe de mes paumes. Ma queue s’est mise à frétiller dans mon pantalon, déjà enchantée — obsédée, serait plus l’idée — par l'envie de la conquérir.

La jolie blonde avait changé de pied d’appui, ouvert puis refermé la bouche, en esquissant un léger pas en arrière.

— “Arrête de saliver”, m’avait raillé mon beau-frère en gaélique, m’extirpant à ma stupeur.

Ce n’était pas exactement le mot "saliver", il l’avait un peu écorché. Antoine a encore des progrès à faire en gaélique. Je lui avais lancé un regard furibond, avant que la jolie blonde ne prenne la parole :

— “Bonjour”, m’avait-elle dit. “Vous avez parlé en anglais, il me semble, mais vous avez utilisé des mots en…”, elle avait hésité un instant avant de poursuivre, “en gaélique, c’est bien ça ? Je suppose que vous êtes écossais ou irlandais ?

J’avais pensé : “Je suis tout ce que tu veux, mo bhòidheach (“ma belle”), même un putain d’Anglais si ça te fait plaisir”. Mais je lui ai répondu en anglais :

— “Aye...Bien joué !

Elle avait souri. Un sourire éblouissant qui aurait fait fondre n’importe quelle banquise. C’était un mélange parfait de charme et de malice. Une seule pensée m’avait alors traversé : “Elle sera mienne !”.

Voilà comment j’ai rencontré Victoria. Je n’avais pas couché avec elle ce jour-là, ni la fois suivante d’ailleurs, mais ça n’a pas empêché mon esprit de fantasmer sur elle, encore et encore.


Déterminé à la retrouver, je m’étais lancé à sa recherche à travers les ruelles pavés et les places ombragés. Les rires et les accords de guitare résonnaient sous le soleil éclatant, tandis que les pierres anciennes renvoyaient la chaleur du jour. Des drapeaux colorés flottaient au-dessus des ruelles étroites, et les remparts se découpaient fièrement contre le ciel d’un bleu profond. L’air était imprégné tantôt de l'odeur gourmande des crêpes dorées et des barbe à papa sucrée, tantôt des fragances florales et subtiles des cosmétiques artisanaux, des savons faits main et des huiles essentielles. Parfois encore, les senteurs plus brutes du cuir travaillé par les artisans et des effluves de vin capiteux venaient se mêler à ce parfum enivrant, créant une symphonie olfactive qui captivait les sens. Mais il n’y avait qu’un que je cherchais désespérément : le sien. Malheureusement, impossible de lui mettre la main dessus : trop de monde, trop d'agitation. J’avais cru ne plus jamais la revoir. J'étais terriblement déçu, mais je n'y pouvais rien. Elle resterait gravée dans ma mémoire comme l'inconnue de Carcassonne, .

Ce n’est que tard dans la soirée, alors que les stands étaient déjà fermés et que je profitais d'un repos bien mérité avec Antoine et quelques proches qui nous avaient rejoints, que j'ai enfin retrouvé sa trace. J'en suis resté bouche bée. J'ai d'abord cligné des yeux devant une telle apparition. J'avais même hésité un instant, car la danseuse de flamenco — de sévillane, m'expliquera-t-elle plus tard — qui claquait ses doigts et ses talons au sol avec une énergie captivante au centre de ses coéquipières, était tout simplement à couper le souffle.

Sa robe, digne d'une diva espagnole, avec son jupon à larges volants, richement décoré de motifs floraux, tourbillonnait autour d'elle à chaque mouvement. Ses hanches voluptueuses étaient ceinturées par un voile à frange noir qui ondulaient délicatement à chacun de ses pas. Sa poitrine fière et élégante était mise en avant par un haut rouge vif avec un décoletté en forme de coeur. Ses cheveux étaient tirés en un chignon serré et une rose rouge y était épinglée avec grâce. Mais c'était son visage, à la fois intense et passionné, qui captivait véritablement l'attention de tous, mais surtout la mienne.

Je l'avais contemplé, sous le charme, et le feu de la passion coulait dans mes veines comme un torrent de lave. Jamais je n'avais observé de femme plus magnifique, avec une allure si glamour et raffinée, et en même temps si sauvage et pleine de fougue. Ses yeux, brillants d'une détermination ardente, semblaient raconter une histoire d'amour et de lutte, tandis que ses traits, marqués par la concentration, se relâchaient soudainement en un sourire radieux et complice, révélant toute la joie et l'enthousiasme de sa danse.


Mon cœur battait à une rythme effréné. Si le coup de foudre existe vraiment, alors je peu dire avec conviction que ce jour-là, jai été foudroyé. Mais ce bond s'était vite transformé en chute libre quand, quelques minutes plus tard, lorsque la musique s'est tari et que les applaudissements saluaient la performance, je l'avais vu se ruer vers un grand brun qui se tenait dans un coin. Elle s'était lovée contre lui tendrement et l'avait embrassé. Putain de chanceux !


J’avais fait machine arrière, mon corps et mon cœur emplit de déception. "Je ne baise pas avec les copines des autres mecs", je m’étais dit alors. Si je veux une fille dans mon lit, ou dans n’importe quelle autre putain d’endroit, je dois être certain qu’elle est libre. Pas question de me retrouver avec un petit ami furieux prêt à me casser la gueule parce qu’il a découvert que je me tape sa nana.

Après cet épisode, je l'avais eu en tête jour et nuit. Je rêvais d'elle, encore et encore, obsédé par les souvenirs de son corps et de son visage. À chaque fois que je m'endormais, elle revenait me hanter, et dans ces rêves, je la baisais. Dans toutes les putains de positions, dans tous les putains d'endroits. Tout le temps, partout.

Quelle ne fut pas ma surprise de la recroiser quelques temps plus tard à Toulouse par une soirée pluvieuse, trois mois plus tard. Ou plus exactement, 87 jours, si je fais le calcul. 18 jours avant les 62 putains de jours suivants, et encore une semaine après. Je secoue la tête. J’avais à peine eu le temps de lui dire un mot avant qu’elle ne disparaisse hâtivement dans un Uber. Une putain de deuxième rencontre ratée !

La belle inconnue de la Cité médiévale était-elle de passage ici tout comme moi ? Je n'en savais rien. Mais à chaque fois que j’étais revenu à dans la ville rose, je n’avais eu de cesse de la chercher dans la foule. Je l’aurais retrouvé n’importe où...

Et puis en août dernier, nos chemins se sont à nouveau croisés, à la terrasse du Turbine, aux bords de la Garonne, alors que je prenais un verre avec de potentiels futurs collaborateurs et qu’elle déjeunait avec des amis. À cette troisième rencontre, je n’ai pas hésité, j’ai foncé. Je n’avais rien à perdre et les conditions étaient réunies. Je n'aurais râté cette occasion pour rien au monde.

Et voilà le résultat. Je suis une putain de grosse merde, dans un putain de club de merde et Victoria est là. Il y a des dizaines d’autres filles ici ce soir, mais aucune ne lui arrive à la cheville ! Son allure, sa beauté, sa présence — rien n'égale la puissance magnétique de Victoria. Et entre nous ce n'est plus qu'un histoire d'attirance physique. Non, plus depuis que nos destins se sont liés, plus depuis l’été dernier.

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