CHAPITRE 6.2 * VICTORIA

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V.R.S.de.SC

♪♫ FALLIN - ALICIA KEYS ♪♫

Les bruits de la ville en contrebas se fondent dans un murmure lointain, amplifiant le silence entre nous. Chaque mouvement, chaque souffle devient palpable. En bas, j’étais incapable de ressentir vraiment. J’étais sous le coup de la colère, je l’avais laissé me guider et prendre le dessus. J’étais une braise sur un brasier, ou plutôt une mèche prête à exploser. Maintenant que j’ai fait taire cette émotion, je peux à nouveau éprouver calmement.

Je prends ma veste doucement, l’enfile d’un geste fluide. Le tissu se referme sur moi comme une étreinte protectrice et je croise les bras sur ma poitrine, me réfugiant dans cette chaleur réconfortante. La pluie continue de tomber, mais sous cette veste, je me sens un peu plus protégée, un peu plus en sécurité.

— “Merci”, dis-je doucement.

James avance d’un pas, tendant une main vers moi, son visage marqué par une expression de vulnérabilité. Il ouvre la bouche, prêt à parler, mais dès que je fais un pas en arrière, il se ravise immédiatement. Sa main reste suspendue dans l'air, comme un geste interrompu et son regard trahit une hésitation profonde.

Tout à l’heure, je ne lui ai pas posé les bonnes questions. Je ne lui ai même pas laissé le temps de me répondre vraiment. Tout est allé trop vite. J’étais là avec mes amis, profitant ou, pour être tout à fait honnête, feignant de profiter de la soirée. En vérité, l’alcool m’y a grandement aidé et a engourdi les pensées qui me tourmentaient. J’ai voulu renvoyer une image de femme forte, prête à passer à autre chose. Je ne voulais pas inquiéter mes amis. C'était plus simple de prétendre, de sourire et de danser, de faire comme si tout allait bien. Je ne dis pas que je n’ai rien ressenti, les émotions sont réelles et ne peuvent pas être dissimulées. La joie de retrouver mes amis, l’excitation de la fête, tout ça était là. Mais les sentiments, c’est une autre histoire. Ils sont plus profonds, plus nébuleux et je les ai tenus à distance, les repoussant à chaque éclat de rire forcé, à chaque verre levé, à chaque pas de danse esquissé. J'ai voulu croire qu’en souriant suffisamment, les blessures se refermeraient d'elles-mêmes. Mais les sentiments ne se laissent pas si facilement enfouir. Ils restent cachés sous la surface, prêts à resurgir au moindre signe de faiblesse. Je me sentais vulnérable, tiraillée entre l'envie de tout lâcher et celle de tenir bon, de montrer que je pouvais avancer. Peut-être que c'était ça, le problème. J'ai voulu trop vite prouver quelque chose, à moi-même, à tout le monde.

Quand j’ai compris que James était là, quand j’ai tenu sa carte entre mes doigts, mon cœur a déraillé. Chaque cellule de mon corps a perçu sa proximité immédiate, quelque part dans ce club, près de moi, et alors mes neurones, en surcharge, ont vrillé totalement, incapables de traiter l'information avec clarté.

Désormais, face à lui et à ses yeux bleus qui me détaillent intensément, sous cette pluie qui ne cesse de tomber, je sens ces sentiments revenir en force, me submerger. Je ne peux plus prétendre. Pas ce soir. Mais je ne suis pas prête.

Soudain, je me mets à trembler. Je ne sais pas si c’est à cause du froid mordant, avec mes pieds nus maintenant mouillés, ou si c’est l’angoisse qui me serre tellement fort que mon corps semble prêt à se liquéfier. Je réalise que je dois rentrer à l’intérieur. La pluie, le froid, et l'angoisse combinés rendent l’air trop piquant pour que je puisse rester ainsi. J'ai besoin de chaleur, de refuge, de m’éloigner de James. J'hésite un instant, mais le frisson qui parcourt mon corps me rappelle à l'ordre.

— “Il faut que je rentre", lui dis-je simplement.

— “Attends”, supplie-t-il en s’avançant à nouveau vers moi.

Cette fois-ci, je ne recule pas. Je le fixe, cherchant à déchiffrer ce qu'il ne dit pas. Dans ses traits, je vois une lueur d'inquiétude, un mélange de regret et de détermination, comme s’il espérait encore une chance de réparer ce qui est brisé.

— “James”, je commence doucement, “je suis désolée, mais ce n’est pas le bon moment".

Il soupire et ses yeux se voilent.

— “D’accord. Laisse-moi juste te souhaiter un joyeux anniversaire en personne”, dit-il prudemment, comme s’il avançait sur un terrain miné.

— “Je déteste les anniversaires", m’entends-je répondre, ma voix plus froide que je ne l’aurais voulu.

Il hausse un sourcil, à peine perceptible, mais suffisant pour trahir sa surprise. Il me regarde intensément. Il pèse ses prochains mots avec soin, je le sens. Puis, dans un contraste presque surprenant, il murmure avec sincérité :

— “Tu es magnifique", glisse-t-il de sa voix profonde et veloutée, si agréablement calme.

Je fonds intérieurement parce que, oui, un compliment, ça fait toujours plaisir, surtout venant de lui, quelqu'un dont l’opinion compte plus que je ne veux l'admettre. Chaque syllabe prononcée est une tentative d’effacer la distance qu’il y a entre nous, je le sais. Mon corps y réagit spontanément, malgré moi : mes muscles se détendent un par un ; l’excitation remonte le long de ma colonne vertébrale ; mes défenses se fissurent ; l’amertume qui m’habite se dissipe. Je lutte pour garder une façade de froideur, mais c’est difficile. Terriblement difficile.

— “Je suis désolé”, dit-il en secouant légèrement la tête.

Les mêmes mots que sur la piste de danse, mais cette fois, je ne sais pas s’ils me sont destinés ou s’ils les répètent pour lui même. Je le fixe, perdue entre ce que je ressens et l’image que je veux donner.

— “Tu l’as déjà dit”, rétorqué-je, ma voix trahissant un mélange de lassitude et de douleur.

Il baisse les yeux un instant, mais les relève aussitôt. Son regard est chargé de remords.

— “Je ne me le pardonne pas”, murmure-t-il, et cette fois, je sais que c’est lui qui se débat avec ses propres démons.

Je m’accroche à ses paroles comme à une bouée de sauvetage, même si une partie de moi est encore en colère, encore blessée. Il y a tant de choses que j’aimerais lui dire, tant de mots, mais je ne peux pas en émettre un seul quand il me regarde comme ça. Les excuses, bien qu’importantes, ne guérissent pas les cicatrices laissées par le passé. Elles sont comme une pommade appliquée sur une plaie encore vive, apportant une lueur d’espoir à un cœur qui avait presque cessé d’y croire.

Le pardon, c’est une notion complexe, presque paradoxale. C’est à la fois un acte de libération et une épreuve de confiance. C’est l’équilibre délicat entre reconnaître la douleur et espérer la guérison. Pardonner ne signifie pas oublier ou excuser les erreurs, mais accepter que la rancœur ne peut pas nous définir, ne peut pas nous enfermer dans le passé. C’est comme offrir une seconde chance à soi-même autant qu’à l’autre, permettre à l’amour et à la compréhension de s’immiscer là où la colère et la douleur ont régné en maîtres.

Le pardon nous permet d’avancer. J’ai besoin d'avancer.

En ce moment, alors que je regarde James, j’essaie de comprendre cette dynamique. Chaque mot d’excuse, chaque geste de sa part est une tentative de reconstruire un pont entre nous. Le pardon ne garantit pas que tout sera comme avant, mais il ouvre une porte sur un nouveau chapitre, où nous pouvons décider de nous relever, d’apprendre, de grandir. C’est un chemin semé d’embûches, mais aussi une opportunité de transformer la souffrance en quelque chose de plus lumineux, authentique.

Si je lui pardonne, je donne une chance à notre relation, quelle qu'elle soit, de se redéfinir.Mais avant de pouvoir entamer ce processus, il faut que je sois claire avec moi-même, et ce soir, ce n’est pas le cas.

— “J’ai trop bu James. Je n’ai pas les idées claires et je ne suis pas en état d’avoir une conversation constructive. Pas ce soir.”

Il hésite un instant, puis demande doucement, presque timidement :

— “Mais tu es d’accord pour qu’on en reparle ?”

Son regard sombre parcourt mon visage, et ça ressemble à une caresse. Je hoche la tête, incapable de trouver les mots. James semble soulagé, mais la tristesse reste dans ses yeux. Nous savons tous les deux que le chemin vers le pardon sera long et difficile. La nuit s’étire autour de nous, la musique du club résonne en arrière-plan, presque comme un murmure lointain comparé à l’intensité de notre conversation. La promesse d’une discussion à venir me donne un léger répit, mais elle n’efface pas l’importance de ce que nous devons aborder. Je lui adresse un regard qui mélange regret et espoir, un regard qui dit que, malgré la douleur et les frustrations, il y a une part de moi qui est prête à envisager un futur différent, la possibilité d'une guérison et/ou d'une compréhension mutuelle. J’espère qu’il comprendra.

Je me retourne lentement pour aller chercher mes talons posés sur la table. Chaque pas que je fais semble plus lourd que le précédent et je garde les yeux baissés. Il fait toujours aussi froid dehors mais ce n’est rien comparé à celui que je ressens à l’intérieur. Je ne veux pas vraiment m’enfuir. Ce que je désire profondément, c’est lui, ici, maintenant. Mais je sais que rester ne ferait que compliquer davantage les choses. Si je relève les yeux une dernière fois vers lui, je sais que je vais céder à ce tourbillon d’émotions et briser ma dernière résolution. Je dois m’éloigner de lui tout de suite. Mon cœur est prêt à se dérober et je ne veux pas que cette vulnérabilité m’emporte complètement. Je prends une profonde inspiration, tentant de rassembler ce qui me reste de volonté et m’avance vers la porte au prix d’un effort immense.

Alors que je m’apprête à le dépasser, James s’écarte légèrement, puis, dans un mouvement soudain, mais délicat, il saisit mon poignet. Je me fige instantanément. La chaleur de sa main contre ma peau est étourdissante. Ce contact si doux fait vibrer chaque parcelle de mon corps. Je reste là, immobile, le souffle suspendu dans l'air froid, incapable de bouger, prise entre l'envie de rester et la nécessité de partir. J’entends sa respiration dans mon dos, haletante et désordonnée. Il fait un pas de plus pour se rapprocher et mon Dieu.. son corps est si près du mien, trop près. Mon cœur tambourine dans ma poitrine à un rythme frénétique et incontrôlable. Comment parvient-il à me faire sentir perdue et trouvée en même temps ?

Il pose son autre main sur mon épaule et, je flanche. Je me laisse aller en arrière, sentant la chaleur de son torse contre mon dos. James est plus grand que moi. Il m’enveloppe comme une couverture chaude dans la nuit froide. C’est de lui dont j'ai besoin, lui que je désire. Sa chaleur, non celle du club. Son contact et celui de nul autre. Ses bras, plus réconfortants que tout le reste. Ses mains, plus rassurantes que n'importe quel autre geste. Son souffle sur ma nuque. Ses lèvres sur les miennes. Le désir brûle en moi, écrasant ma raison sous un flot de sensations irrésistibles. Mon Dieu... rien que l’idée de l’embrasser me fait vaciller. La tentation de fusionner avec lui, d’absorber toute cette chaleur et cette passion, est presque trop forte. James pose sa main sur ma hanche pour me stabiliser.

— “Je ferai tout ce que tu voudras, Victoria. Tout ce qui sera nécessaire”, me chuchote-t-il à l’oreille et j'entends tout son espoir et son affection.

Je suis une fille qui réfléchit trop. Je pèse toujours le pour et le contre avant d’agir. Carpe Diem, ce n’est pas mon credo. J’aime que tout soit sous contrôle, en ordre, prévisible. J’anticipe chaque mouvement, chaque décision, cherchant à éviter les surprises et les imprévus. Mon sac, par exemple, est un véritable arsenal de prévoyance. Un paquet de mouchoirs ? J’ai. Un sachet de thé ? J’ai aussi. Une aiguille ? Bien sûr. Un tournevis ? Évidemment. Un parapluie ? Incontournable à Toulouse. Un doliprane pour les migraines ? Je suis une pharmacie ambulante. Je suis toujours prête à parer les éventualités. Je n’y peux rien, mon esprit est toujours en alerte, analysant les possibles conséquences de chaque choix. C’est ma façon de me protéger, de garder un semblant de maîtrise sur une vie qui, parfois, semble se dérober sous mes pieds. Comme ce soir.

Ce soir, je n'ai pas mon sac. Ce soir, je fais face à quelque chose de plus complexe. Mon esprit, d'ordinaire méthodique, est en émoi. Le contrôle que j’ai toujours cru essentiel, ce bouclier contre l’incertitude, est mis à l'épreuve.Ce soir je n'ai que mon corps et un organe – cerveau ou cœur peu importe – qui me martèle :

"Fais une pause.

Arrête de tout analyser.

Ressens.

Aime.

Vie.”

Mon instinct de contrôle se fissure sous le poids de ce désir brûlant. La vie, ce soir, ne se laisse pas enfermer dans des cases, et moi non plus. Là, maintenant, dans cet instant précis, je sais ce que je veux faire.

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