CHAPITRE 8.1 * VICTORIA
DANSONS
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V.R.S.de.SC
♪♫ DANCIN - AARON SMITH ♪♫
J’aime danser.
La danse est une des formes d’expression les plus anciennes de l’humanité. Dans toutes cultures à travers les âges, la danse a transcendé les mots, devenant un langage universel et ancré dans notre besoin fondamental de ressentir et de partager.
J’aime la danse pour la liberté qu’elle me confère, pour ce lâcher-prise total où le monde extérieur se dérobe. Quand je danse, je me laisse emporter par le rythme, les pulsations sonores qui s’imprègnent dans chaque fibre de mon être. Mon corps devient un instrument de sensation : chaque frémissement sous la musique résonne en écho dans mes muscles, chaque nerf répond instinctivement à la mélodie qui parcoure mes oreilles. Parfois, je ferme les yeux, laissant mes mouvements onduler et se déployer sans contrainte. Mon esprit s’évade. Dans ces moments, il n’y a plus de place pour les pensées encombrantes ou les préoccupations quotidiennes ; seule persiste la connexion pure avec la musique, avec moi-même, avec le monde qui m’entoure. La danse est alors une harmonie parfaite entre l’essence et le physique, le sacré et le concret.
J’aime danser avec mes amis. On se relie les uns les autres dans une communion collective qui crée un sentiment de cohésion, de communauté. C’est à la fois émotionnel et spirituel. Chaque geste reflète notre lien, chaque sourire échangé renforce cette complicité, qu’elle soit légère ou intense. Par nos corps, on transmet nos émotions : joie, désir, tristesse. C’est un moment de liberté partagé où on met de côté nos soucis pour nous concentrer sur le plaisir d’être ensemble, en symbiose avec la musique.
Je n’éprouve aucune gêne à danser avec des inconnus. C’est presque encore plus euphorisant, parce que je sais pertinemment que pour moi, ce n’est qu’une danse, rien de plus. Certains d'entre eux s’imaginent toujours autre chose, quelque chose de plus. J’apprécie ce jeu subtil où mon corps parle à ma place, où je joue avec les attentes et les fantasmes des autres, tout en gardant le contrôle total de la situation.
Mais ce que j’aime par-dessus tout, c’est danser avec mes partenaires. Quand on danse avec quelqu’un que l’on connait intimement dans notre chair, la danse prend une nouvelle dimension. Elle devient une expérience plus profonde, plus intense encore. Ce n’est plus seulement un jeu de séduction ou un exutoire solitaire ; c’est une fusion des énergies, une extension de notre connexion physique, un langage à part entière, chargé de sous-entendus et de souvenirs partagés.
Faire l’amour, c’est comme une danse. Les corps s’apprivoisent, se découvrent, se synchronisent dans une symphonie tour à tour sensuelle, tendre, parfois sauvage, brutale. Chaque mouvement, qu'il soit savamment mesuré ou totalement spontané, devient une exploration des limites de l'autre. Il y a une élégance particulière dans cette manière qu'ont les corps de se répondre. La chaleur, le rythme, les caresses forment une chorégraphie improvisée où chaque sensation, frôlement, réaction ajoute une nouvelle étape à cette danse intime parfaitement orchestrée. Les corps se laissent guider par le désir, se cherchent et se trouvent, creant une entente profonde où l’équilibre entre contrôle et abandon se transforme en une expérience inoubliable.
C’est en cela que le sexe et la danse sont semblables. Et c’est exactement ce dont James et moi avions besoin : une manière de prolonger encore un peu l’intimité que nous venions de partager sur le toit-terrasse.
Ce n’est pas la première fois que je danse avec lui, ni la première fois qu’il me voit danser. Mais ce soir plus que jamais, je veux que nos corps parlent pour nous, qu’ils se connectent, que nos mains, nos lèvres, et nos regards plongés l’un dans l’autre disent ce que les mots ne peuvent exprimer. Parce que parler ce soir, je n’en ai pas la force. Nous discuterons demain. Pour l’heure, mon corps lui transmet ce que les mots ne peuvent pas toujours traduire. C’est ce que j’attends de James : qu’il comprenne à travers mes gestes tout ce que je n’ai pas encore réussi à lui dire.
La danse devient notre terrain privé, un espace où on peut être nous-mêmes, sans masque, sans artifice. Une manière d’apprendre à nous connaître autrement, au-delà du physique, au-delà des souvenirs douloureux, dans une langue que seuls nos corps maîtrisent. Ce n’est pas juste une question de mouvement ou de rythme, c’est un dialogue silencieux.
Il est près d’une heure du matin. Depuis minuit, le DJ enchaîne les morceaux que j’ai soigneusement sélectionnés. Et ça fait plus d’une heure que je danse, je ris et je sirote des cocktails — sans alcool, désormais —, entourée de mes amis. Et de James.
Quand les premières notes de Bulletproof avaient résonné, James et moi nous étions lancés dans notre premier ballet à deux. Un rideau de velours invisible s’était abattu sur nous, nous enveloppant dans une bulle intimiste. Nos corps s’étaient instinctivement rapprochés, presque emboîtés, tandis que nos regards se chargeaient de sens, profonds et assurés. La voix soul de FARR ajoutait une dimension sombre et cathartique à l’instant. James fixait mes lèvres, mais ne tentait pas de m’embrasser.
“This time baby I'll be Bulletproof”.
Ne plus permettre aux choses négatives de nous atteindre, qu’elles viennent des actes, des gestes ou des mots, c’est exactement ce que j’avais ressenti à ce moment-là. Je me laissais porter sans réfléchir, bercée dans les bras de James, dont les caresses sur mon corps, douces, mais possessives, m’obsédaient et m’électrisaient. Les basses lourdes de la chanson apportaient une tension dramatique qui embrasait nos sens. Entrainées par les rythmes langoureux du morceau, nos bouches avaient fini par se savourer, tendrement, presque timidement.
Dès que My Sex is Fire avait retenti, j’avais senti James sourire contre mes lèvres, reconnaissant le titre explicite. Nos baisers étaient devenus franchement sauvages et impudiques. Je m’étais laissé partir en arrière, ondulant lentement contre son corps, les bras levés autour de son visage, jouant avec ma bouche de manière provocante. Le rythme puissant de la batterie faisait échos à mes battements de cœur et le regard de James s’était empli de désir brut. Il suivait chacun de mes mouvements, nos corps se familiarisant avec les courbes et les angles de l’autre. Cette chanson était comme une promesse implicite, une déclaration non dite de ce qui pourrait suivre, plus tard, au coeur de la nuit. Je souriais, comprenant parfaitement l’urgence dans ses yeux, moi qui la ressentais tout autant. Notre danse était devenue plus débridée, chaque caresse affirmant la passion que nous enflammait.
La transition vers un remix de Unforgeatable avait été fluide et naturelle. Les paroles, pénétrantes et nostalgiques, accompagnées des basses profondes et des percussions syncopées, avaient éveillé en moi une sensation de légèreté et un désir irrépressible de me connecter à lui de manière plus intime. Les mots sonnaient dans mon esprit :
“And you are unforgettabe, I need to get you alone [...]
It's not good enough for me, since I been with you [...]”
Les sons s’étaient enchainés, dans des ambiances multiples pleines de sensations et de vérités. Chaque morceau apportait une nouvelle couche d'émotion, nous plongeant dans une profondeur de sentiments qui ne faisaient que renforcer notre connexion. Chaque mouvement était devenu une réminiscence de ce que nous avions partagé jusqu’ici.
Plus tard, lorsque la voix ensorcelante et si sensuelle de The Weeknd s’était élevée, tandis que Moth to the flame avait envahi l’espace, James m’avait à nouveau attiré à lui. Je m’étais sentie exactement comme dans le thème de la chanson, comme “un papillon attiré par une flamme”, consciente du danger, mais incapable de résister. Une confusion sourde avait alors envahi mon cœur : et si j’étais à nouveau en train de me brûler les ailes ? Mais les mains de James sur mes hanches nous guidaient dans une danse lente et hypnotique, et le reste du monde s’était évanoui. Il ne restait plus que lui et moi, perdus dans cette mélodie mélancolique et troublante, aux sonorités électro et R&B. Dans cette ambiance nocturne, presque cinématographique, désir et péril s’entremêlaient. Nous nous étions embrassés, profondément, passionnément, indifférents aux sifflements et commentaires crus de mes amis pour la plupart déjà bien carabinés. James et moi n’étions plus vraiment là, on était emportés par l’attraction irrésistible, et potentiellement destructrice, de nos corps emplis de désir et de nos souffrances en sourdine.
Toutefois, même si je ne demandais rien d'autre que m'abandonner complètement, les complexités de ma relation avec James avaient recommencé à hanter mon esprit de plus belle et j’avais presque été effrayée par la profondeur de ce que je ressentais. Chaque baiser, chaque toucher éveillait à nouveau en moi une lutte intérieure entre l’envie de céder et la peur de me perdre. Une vague de panique m'avait soudainement engloutie, comme une nécessité urgente de reprendre le contrôle. Sans prévenir, je m’étais détachée de lui, brisant notre étreinte avec une précipitation qui l’avait visiblement surpris. Je lui avais adressé un sourire désolé, mais mes jambes avaient déjà pris le relais avant même que je ne puisse m’expliquer.
— “J’ai besoin d’une pause”, lui avais-je crié par-dessus la musique.
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