CHAPITRE 9.2 * JAMES
J.L.C
♪♫ ??? ♪♫
Putain de merde. Il baise avec elle. Quand ? Depuis combien de temps ? Je le fixe avec une colère brûlante. Mon cœur s’emballe et mes muscles se tendent comme des câbles sous tension prêts à rompre sous une charge trop forte. Je lutte pour contenir mon envie de violence, conscient que je n’ai pas le droit d’être en colère contre elle ou contre lui, pas après ce que j’ai fait. Malgré son arrogance et ses mots venimeux, ce gars semble vouloir protéger Victoria et je ne peux pas lui en vouloir pour ça. Je dois rester concentré sur ce qui est important maintenant, même si la douleur me déchire. Sur ce, Victoria s’approche de nous. Elle me lance un regard furtif, ses yeux brillants de quelque chose d’indéchiffrable, avant de se tourner vers le type.
— “Mati, merci pour tout, dit-elle en l’enlaçant brièvement, et de manière un peu engoncé, j’ai l'impression.
Le geste est rapide, presque comme une caresse, mais je remarque que la main de Mati s’attarde dans le creux de ses reins, comme s’il cherchait à prolonger le contact. Je vois rouge.
— “Tout ce qui te fait plaisir”, lui répond-il avec une tonalité subtilement suggestive, un sourire en coin qui me fait tiquer.
Sa voix est teintée d’une ironie difficile à ignorer. Victoria ne semble pas s’en apercevoir.
— “Tu n’aurais pas vu Joël par hasard ?”, demande-t-elle d’une voix légère.
— “Dehors, peut-être ?”, répond Mati,
— “Super, merci !”, lui dit-elle avec un hochement de tête et un petit signe de la main, comme pour indiquer qu’elle a compris l’idée.
Alors que Victoria se dirige vers la sortie fumeur, sa copine en robe vert pomme, passe près de nous. Victoria l'intercepte rapidement.
— “Leslie”, l'appelle-t-elle en l’attrapant gentiment par les épaules.
La fille s’arrête, vacille, et cligne des yeux, visiblement bien éméchée. Victoria se tourne à nouveau vers Mati.
— “Je lui ai appelé un Uber, tu veux bien t'assurer qu’elle y monte, s’il te plaît ?”
Mati attrape Leslie par les épaules, mais elle se dégage aussitôt avec un éclat de colère dans les yeux.
— “Putain, mais lâche-moi toi !” crache-t-elle, la voix empreinte de mépris.
Je ne peux m’empêcher de rire doucement devant la scène. Leslie ne semble pas beaucoup apprécier ce type, et quelque part, bien fait. Mais mon rire est vite étouffé par les regards noirs que Victoria et Mati me lancent. Qu’est-ce que j’ai fait encore ?
— “C’est bon, je m’en occupe,” annonce Monsieur, son ton autoritaire laissant peu de place à la discussion.Il se place entre Victoria et moi, en attrapant Leslie par le poignet au passage. Comme on fait la même taille, il me cache la vue de Victoria. Fait chier ! Ils échangent quelques mots que je n’entends pas, leurs voix noyées dans le brouhaha environnant. Mati hoche la tête, puis lève la main vers son visage. Il se décale suffisament pour que je puisse aisèment observer qu’il effleure une mèche de ses cheveux d’un geste possessif. Mais à quoi il joue — ils jouent —, là !
Mati se retourne enfin vers moi, un petit sourire éxaspérant en coin et me fait un léger signe de tête, un geste bref, mais lourd de sous-entendus. Putain de merde, je vais me le faire ! Puis, sans un mot de plus, il converge vers Leslie et l’expédie vers le vestiaire juste derrière, pour qu’elle récupère ses affaires. Instinctivement, je me rapproche de Victoria, comme si mon corps réagissait avant même que mon esprit ne puisse analyser ce qui se passe. La proximité entre nous est immédiate, presque protectrice. Je me place près d'elle, un peu trop près peut-être, mais je m’en moque. J’ai besoin de combler l’espace laissé par Mati, de m’assurer qu’elle est là, juste à côté de moi, accessible, réelle.
— “Mais merde, à la fin, je t’ai dit de me lâcher !” lui crie-t-elle Leslie, pleine de hargne.
— “Si je te lâche, tu t’affales par terre comme une grosse merde !” rétorque sarcastiquement l’autre con.
— “C’est toi la grosse merde, espèce de grosse bite !” riposte Leslie, en essayant de se libérer de sa prise, mais sans grand succès.
Le gars ne semble pas s'en formaliser, alors, Leslie pivote vers Victoria, essayant visiblement de rallier son amie à sa cause :
— “Vic, dis-lui toi, que c’est qu’une grosse merde et qu’il a une toute petite bite”, implore-t-elle, son timbre teinté d'une fausse gravité.
— “Non, je crois au contraire que t’as dit que j’en avais une grosse... Les”, dit Mati d’une voix suave en lui jetant un regard fiévreux ?
Putain, mais il les baise toutes ou quoi !
— “Oh, pardon Monsieur, j’avais confondu avec ton ego. Sale type !”, l’incendie-t-elle avec un sourire acide en titubant légèrement.
Sans un mot, Mati attrape le sac puis la veste qu'on lui tend et les balance sur la tête de Leslie. Elle grogne de frustration, mais il l'enserre fermement par le bras et l'entraîne vers la sortie du club, sans prêter attention à ses protestations. À côté de moi, j’entends Victoria leur crier :
— “Rentre-bien ma chérie ! À demain, chef ! ”
Chef ? C’est quoi ce putain de délire ? Manquait plus que ça !
Le terme résonne étrangement, donnant un tout nouveau sens à l’interaction entre eux. J’avais d’abord cru, qu’il était son putain de plan cul ou bien un ex chelou ou simplement un putain d’enculeur de mes deux. Mais maintenant, voilà qu’elle l’appelle chef. Elle bosse pour lui ? Bordel ! Victoria interrompt mes pensées en se hissant légèrement à mon bras, parlant assez fort pour se faire entendre par-dessus la musique :
— “Il faut que j’aille dire au revoir à Joël et Andrè”, annonce-t-elle.
— “Ok”, je lui réponds simplement, masquant mon trouble derrière une façade calme.
J’ai des questions plein la tête, mais ce sera pour plus tard. J’ai hâte de me retrouver seule avec elle, au calme, pour discuter et mettre les choses au clair entre nous. Bon d’accord, j’ai peut-être d’abord envie de lui faire l’amour, longuement, passionnément, voir sauvagement pour lui faire oublier ce putain de Mati de merde. Mais après, on discutera. Il le faut. J’ai des choses importantes à lui révèler, à lui avouer....
Je la suis dehors, où je repère Joël et Andrè en train de fumer un pétard. Merde ! Et encore merde, lorsque je vois son cousin le glisser entre les lèvres de Victoria. Elle prend une bouffée, puis une deuxième et me le tend. Je lui fais non de la tête. Pas ça… Malgré moi, je jette des coups d'œil alentours. C’est bon, y'a rien d’autre. J’inspire profondéent. Elle rend le joint à son cousin pour que Joël puisse la prendre dans ses bras. Dire que j’avais cru qu’il se passait quelque chose entre ce beau métis et elle. Il ressemble étrangment à cet acteur d’une série à la mode — dont je ne me rappelle plus le nom, mais ma sœur la regarde — sur une américaine à Paris qui travaille dans la pub.
— “Ma chérie, comment tu vas ? Tu passes une bonne soirée ?” demande-t-il en la serrant contre lui.
Le ton de Joël est chaleureux, il la couve d’un regard protecteur.
— “Je me suis régalée, merci d'avoir aidé à tout organiser”, s’exprime Victoria avec une sincère gratitude dans le regard.
— “C'est parce que je t'adore ! ”, lui lance Joël avec un clin d'œil, avant de l’embrasser sur la joue.
Je lève la tête un instant avec l’impression que Andrè m'observe. C’est le cas. Ses yeux perçants me scrutent comme s'il cherchait à lire au-delà des apparences. Plus tôt dans la soirée, Victoria m’a révélé que son cousin, adjudant dans les Forces Spéciales du 3° RPIMa de Carcassonne — je ne sais même pas comment j’ai réussi à retenir ça —, avait passé les derniers mois en mission en Guyane française. Avec ce détail en tête, je comprends mieux sa présence imposante, une force tranquille qui se passe de mots.
Même silencieux, il dégage une aura de vigilance, comme s’il était toujours en état d'alerte, prêt à réagir au moindre signe de danger. Son regard, bien que calme, semble constamment analyser son environnement, pesant chaque situation avec la minutie d’un soldat aguerri. Il finit par se détourner, se penche vers Victoria, et l'embrasse à son tour doucement sur la joue. Il ajoute quelque chose à son intention mais je ne le comprends pas — quoique je devine une note d’avertissement dans son ton. Son accent, que j'avais à peine remarqué auparavant, devient maintenant plus évident, révélant une partie de ses origines que je n'avais pas encore saisies. Ce doit être un cousin maternel de Victoria.
“Victoria est bien entourée”, je me répète.
Lorsque nous sommes apparus ensemble en revenant du rooftop, j’avais perçu une tension sous-jacente. Les regards échangés entre ses amis, m’avaient donné l’impression que j’allais être un intrus dans leur cercle clos. Pourtant, suite à ça, aucun d’eux n’a laissé transparaître de ressentiment ouvert envers moi. Je suppose qu’ils respectent suffisamment Victoria pour accepter ses choix, même si cela semble les mettre sur leurs gardes.
Leur attitude réservée en dit long sur la dynamique de leur groupe : leurs comportements, bien que mesuré, sont empreints d’une loyauté silencieuse. Il y a une sorte de pacte tacite parmi eux, un accord non dit où ils mettent de côté leurs propres opinions et jugements personnels pour permettre à Victoria de suivre son propre chemin. Je comprends et apprécie leur retenue. Ce n’est pas pour moi que je leur en suis reconnaissant, mais pour Victoria. C’est elle qui bénéficie de cette compréhension bienveillante, de ce soutien feutré qui lui permet de naviguer dans ses choix sans pression extérieure. Leur respect pour elle ainsi que leurs actions en sa faveur montrent qu’elle est entourée par des gens qui s'inquiètent vraiment, ce qui est rare et précieux.
Je me demande si elle a parlé de nous, de moi, à ces amis. J’ai déjà eu l’occasion d’en rencontrer certains par le passé. Leslie, par exemple, était présente le soir où j’ai croisé Victoria devant un bar du quartier Saint-Pierre.
Je venais retrouver Antoine et quelques amis pour prendre un verre dans un bar local. L’entrée était bondée et il pleuvait des cordes. Alors que je me faufilais à l’intérieur, une fille, visiblement pressée, m’a percuté de plein fouet en sortant. Elle était coiffée d’un bandeau fleuri qui ceignait son front, et des lunettes rondes rose fluo étaient perchée sur sa tête. Elle tentait tant bien que mal de se protéger de la pluie avec son sac. Quand elle a levé les yeux vers moi, se confondant en excuses, j’ai eu l’agréable surprise de reconnaître l’inconnue de la Cité, la jolie fille de Carcasonne, avec ses grands yeux ambrés. J'avais tellement rêvé d'elle, les semaines précédentes, que je n'aurais jamais pu me tromper sur son identité. Un désir brutal avait aussitôt serpenté dans mes veines.
Son apparence avait changé depuis notre précédente rencontre : sa longue chevelure blonde bouclée était lissée et elle portait une mini-robe en velours marron, assortie à des cuissardes noires. Elle était accompagnée de plusieurs amis, dont Leslie, qui, comme Victoria, arborait une tenue rétro très années 70. Soirée hippies en perspective.
Victoria, en perdant l’équilibre, avait failli tomber en avant. Je l’avais rattrapée de justesse, son bras se nouant autour du mien tandis qu’elle me remerciait en s’excusant avec une sincérité désarmante. Un courant sensuel avait parcouru mon corps des pieds à la tête à son contact. Mais, un ami à elle l’avait alors aidée à se stabiliser avant de la guider vers une voiture qui les attendait. Je l’avais regardée partir, encore sous le choc de cette rencontre fortuite, incapable de réagir à temps. Tout s’était déroulé trop vite. Avant qu’elle ne monte sur la banquette arrière de la Polo grise, elle s’était retournée pour me lancer un “On se connaît, non ?” avec un sourire aguicheur qu’il m’avait fait fondre sur place. Juste avant que sa copine, Leslie, ne la pousse dans la voiture en lui rétorquant, sur un ton enjoué, mais légèrement agacé, qu’il fallait vraiment “qu’elle arrête de draguer tout le monde ce soir” et que “Nicolas n’était qu’un sale connard”. Je m’étais demandé si le Nicolas en question était le mec brun avec qui le l’avait vu au festival. Je ne l’ai jamais su, et d’ailleurs je ne lui ai jamais posé la question.
À l’époque, je ne savais même pas comment elle s’appelait. Mais la revoir, ce jour-là, dans cette tenue superbement sexy, m’avait plongé dans un état d’excitation comme je n’en avais pas eu depuis plusieurs semaines, trop occupé à exorciser mes démons intérieurs, à lutter contre le manque, à maudire mes faiblesses, et peut-être à deux doigts de me laisser crever...
Je sors de ma torpeur lorsque j’entends Victoria expliquer qu’on va rentrer.
— “Avec lui ?” s’interroge Joël en arquant un sourcil avant de plaisanter en riant : “Ca va s’envoyer en l’air ce soir ! Oups, vous l’avez déjà fait !”
Puis, il éclate de rire en chamaillant gentiment Victoria. Voir ses joues rougir sous la taquinerie de Joël m'excite plus que je ne voudrais l'admettre. Je tente de garder un visage impassible, même si une chaleur familière monte en moi. Il y a quelque chose de terriblement attirant à la voir ainsi, prise au dépourvu, alors que je sais exactement ce qu’elle ressent. Je serre les dents, essayant de ne pas trahir mes propres pensées.
— “Rentrez bien alors", ajoute simplement son cousin en m’adressant un léger signe de tête auquel je réponds discrètement.
Victoria se tourne vers moi, un sourire lumineux aux lèvres :
— “On peut y aller, l'Uber ne va pas tarder.
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