CHAPITRE 10.3 * VICTORIA

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V.R.S.de.SC

♪♫ CLANDESTINE —​​​​​​​ EMMA PETERS ET EDMOFO REMIX ♪♫

"Il n'était pas seul."

La révélation me frappe avec une violence telle, que j'en ai le souffle coupé. Les larmes se précipitent, mais je les retiens de justesse. Il n’était pas seul… Ces mots s’insinuent en moi comme une lame glacée, tranchant nette toute illusion. Je me les répète encore et encore, essayant de leur donner un sens, de forcer mon cerveau à assimiler la dure réalité de ses actes. Le soir même, ou plutôt, non, le lendemain matin... Quelques heures à peine après m’avoir envoyé sa déclaration d’amour, il a couché avec une autre. Je ne comprends pas. Pourquoi ? Je me doutais bien que quelque chose clochait, que ce silence de sa part cachait une vérité, mais jamais je n’aurais imaginé ça. Pas ce soir-là… Non. Je ne veux pas y penser. Je veux juste oublier.

Et là ce soir, dans mon salon, après des mois passées à rembobiner notre histoire, à analyser chaque détail, à soupeser chaque geste et chaque parole, cramponnée à l'espoir qu'une explication viendrait tout éclairer, la vérité surgit telle une flèche empoisonnée, transperçant mon coeur sans sommation.

James, l'homme qui m'a brisé le cœur, se tient là, les mains crispées sur le dossier de la chaise près de la table. Ses jointures blanchissent sous la pression, et ses épaules sont voûtées, comme s'il s'accrochait à cet objet comme si sa stabilité mentale en dépendait. Ses yeux évitent les miens, mais sa voix vibre encore entre les quatre murs de mon appartement quand il poursuit :

— “Et après ça", insiste-t-il, "je ne pouvais pas juste te rappeler et faire comme si de rien n'était.”

Son aveu, enfin libéré, jaillit comme s'il avait été emprisonné depuis trop longtemps. Chaque syllabe brise un verrou en moi, m’atteint avec la puissance d'une déflagration, réveillant des blessures que je croyais endormies. Je me sens trahie, bouleversée, mais aussi étrangement touchée par sa sincérité. La honte et la douleur qui transparaissent dans sa voix sont presque plus difficiles à supporter que l’acte lui-même.

La déchirure dans le tissu de mes émotions est suffocante. Mon coeur bat la chamade alors que mon esprit tangue en total décalage avec la réalité. J’ai besoin de clarté, de précisions, de comprendre vraiment ce qui s’est passé. Alors, du tac au tac, je lui demande :

— "Qui ?"

— “Personne...", repond-il en soupirant, la tête toujours baissée.

Un rire amer m’échappe, aussi cinglant que la douleur qui me ronge. Je n’en crois pas mes oreilles. Personne ? Ce mot, creux, absurde, presque insultant, me gifle brutalement, un mensonge si évident qu'il en devient risible. Comment peut-il oser dire ça, après tout ce qu'on a partagé ? C’est plus qu’un réflexe d'incrédulité, c’est ma manière de transformer ma souffrance en colère. Une ultime tentative de contrôle dans ce chaos intérieur. Un bouclier, une arme pour rendre cette trahison palpable, pour ne pas me laisser dévorer par le vide. Parce qu’accepter qu'il puisse réduire ça à "personne", c’est accepter qu’il me réduise à rien. Je ne le laisserais pas tout balayer par des demi-vérités. Il me dois plus.

— “Personne ?” je rétorque vivement. “Tu te rappelle au moins son nom ou tu n’as même pas pris la peine de le lui demander avant ?”

Je suis méchante, jugeante, acerbe mais je m'en fiche. En réalité, je ne fais que lancer des suppositions, m'accroche à des hypothèses, incapable de savoir ce qui est pire : l'ignorance ou ce que je redoute. Parce qu'au fond, je ne sais rien. Tout ce que je peux faire, c’est essayer de reconstituer des morceaux disparates d'une vérité floue. Peut-être qu’il ne se souvient vraiment pas, ou peut-être qu'il n’a jamais voulu se rappeler. Cette "personne" n’a peut-être jamais compté pour lui, ou bien au contraire, elle fait partie d’un tableau plus vaste, une pièce cachée dans un décor dont je ne voyais que les contours.


— “Elaine...” concède-t-il finalement.

Le nom s’échappe de ses lèvres comme un souffle amer qui laisse un goût de cendre. La peine qui me traverse, implacable, emporte avec elle les derniers fragments de calme que j’essayais de préserver. Elaine... un prénom qui retentit fort, qui implique trop... Un prénom que j’ai vu défiler sur ses réseaux, parmi les posts, les likes, les commentaires... J’avais tout rationalisé, me disant que c'était insignifiant, que je me faisais des idées. Le pire des scénario, qu'il soit marié ou engagé dans une relation de plein pied, m'avait traversé l'esprit, evidemment. Pendant des semaines, je l'avais en tête, mais ça ne collait pas, c'était trop gros. Je l'avais rayé de ma liste d'explications probables. Et pourtant, la revoilà l'angoisse que je croyais enterrée.


— “Qui est Elaine ?” je demande, d'une voix dure, prête à briser les derniers vestiges de la confiance que j’avais en lui.

James se redresse légèrement, glisse une main tremblante dans ses cheveux, l'autre s'accrochant au bord de la table comme s'il craignait de s'effondrer. Mon regard, que je sais intense et intransigeant, reste fixé sur lui, exigeant une réponse claire.

— “Une vieille connaissance avec qui je...” commence-t-il, mais je le coupe net, devançant ses mots avec une violence que je ne peux plus contenir.

— “Avec qui tu couches ?”

Le mot sort comme un venin chargé de rancœur et de trahison. Il se fige un instant puis se tourne vers moi, et, pour la première fois depuis le début de ses confessions, il me regarde droit dans les yeux. Des yeux d'acier, hantés et incertains.

— “Avec qui je baise. Parfois", me corrige-t-il, avec insistance, comme s'il voulait que je sente pleinement la cruauté de sa franchise.

Et je le sens…cette brûlure cuisante de l'honnêteté qui perce mes défenses jusqu'à mes entrailles. La distinction ne fait qu’augmenter ma souffrance, éroder ma résistance. Je suis en proie à une vague de dégoût et de tristesse. Il ne me quitte pas des yeux, son regard désespéré cherche une réaction, une réponse qui pourrait atténuer la tension étouffante entre nous. Je lutte pour trouver un moyen d'éteindre ce sentiment d'impuissance, de répliquer avec toute l'ardeur que je ressens, mais rien ne vient.

Le silence qui suit est assourdissant, pourtant, je ne me détourne pas de lui. Il faut que je saches ce que tout ça signifie pour nous, pour moi. La nécessité de clarifier la situation devient vitale et m'englue dans une attente insupportable, comme si chaque seconde qui passe me pressait vers un dénouement inévitable.


Un pas. Sa main qui se tend légèrement vers moi. Il hésite. Il ne faut pas qu'il me touche. Je ne le supporterai pas. Je m'écroulerai sous son contact. La douleur se raviverait de plus belle. Non. Son bras retombe. La tension qui l'habite est palpable. Il est au bord de l'effondrement. Le fil est tendu prêt à se rompre. La menace est omniprésente, comme un orage qui gronde, prêt à éclater. Chaque battement de mon cœur résonne comme un avertissement.  L'incertitude et la peur s'entrelacent, créant un espace où rien ne semble vrai.

— “Je ne te demande pas de me pardonner,” murmure-t-il, la voix presque brisée. “Ce que j’ai fait cette nuit-là, c’était une erreur, la pire de toutes. Mais... Ce n’est pas tout, Vi. Jai replongé. Je ne me rappelle pas l’avoir fait, mais? ce matin-là... je savais. Quelque chose n'allait pas, je le sentais. Le manque... Et, j’ai perdu le contrôle, encore une fois…”

L'ampleur de ce qu'il vient de dire est telle que mes neurones grillent.


— “Le manque ? De quoi tu parles ?”


— “La drogue...” souffle-t-il, à demi-mot, ses yeux fuyant les miens comme s’il ne supportait pas d'affronter la réaction que ses paroles pourraient déclencher en moi.

Cette seconde révélation éclipse la première, comme une ombre qui s'étend et engloutit tout. Mon esprit tente de déchiffrer cette nouvelle donnée dans l'équation chaotique de notre réalité, mais l'anxiété, aussi glaciale qu'un vent polaire, aussi insidueuse qu'un poison, se propage dans chaque recoin de mon être, grandit, nargue, bascule. Cette vérité, cette nouvelle dimension de sa vérité, me laisse sans voix et sans volonté. Je ne peux plus rester debout.


Lentement, presque mécaniquement, mes jambes se déploient vers le canapé. Je m’assois, ramene mes genoux contre ma poitrine, les encercle de mes bras, me protége. Mon front se pose dans le creux de mon corps et je ferme les yeux, tentant désespérément de trouver un peu de paix dans cette posture fœtale.

Je sens la présence de James, debout à quelques mètres, mais je ne peux pas le regarder. Pas maintenant. Je me concentre sur ma respiration, essayant de calmer les palpitations frénétiques de mon cœur, mais c'est inutile. Comment reconcilier l'image que j'avais de lui avec le poids écrasant de son passé, avec ses confessions venues tout droit d'un autre monde ? 


Matti. Mon esprit vacille entre la trahison que je viens de découvrir et ma propre culpabilité. Moi aussi, j’ai cédé. Mais, j’ai beau me torturer, je ne considère pas ma nuit avec lui comme une erreur. Les choses étaient actées entre James et moi. Il n’y avait plus rien à attendre, plus rien à sauver. Je voulais l’oublier. Matti, c’était pour combler un vide, pour essayer de me sentir à nouveau vivante, pour anesthésier la douleur d'un amour en ruine.

Mais pour James… Les questions se bousculent à une vitesse vertigineuse. Ce qu’il a fait n’était pas  prémédité alors ? La trahison était la conséquence de sa dépendance et non un choix délibéré ? Mais s'il a agi sous influence, est-ce que ça allège sa culpabilité — l'exonère même —, ou au contraire, ça la rend encore plus terrible ?  S’il n’était pas vraiment lui-même ce soir-là, à quel point ai-je le droit de le blâmer ?  Est-ce qu'il y a encore une chance pour nous de guérir ? Et si je ne peux même pas lui en vouloir complètement, est-ce que cela ne dilue pas aussi ma propre douleur ?​​​​​​​


La drogue... Mon Dieu... Jamais James ne m’en a parlé, ni référence, ni allusion. Rien. Depuis quand est-ce qu’il en prend ? Quel type de drogue ? Pas un simple pétard, ça c’est sûr ! Il a dit qu’il avait replongé. Qu’est-ce que ça signifie ? Qu’il est dépendant ? Non, je m’en serais rendue compte ! Je l’aurais su bon sang !

Je reste prostrée, abbatue, incapable de faire face. D'un pas feutré, James s'avance dans ma direction. Le bas de son corps entre dans mon champ de vision, mais je ne peux pas relever les yeux. C'est au-dessus de mes forces. Je vais craquer d'une minute à l'autre. Le silence entre nous est pesant, chargé de la gravité de ses aveux et de mon désespoir grandissant.


Mon cœur se serre à l’idée que toute notre relation pourrait avoir été entachée par cette substance. Ca semble impossible à croire. Je ne l’ai jamais vu prendre quoi que ce soit, pas une seule fois. Une semaine, c’est court, mais tout de même ! La vague de confusion ravage mes certitudes et ébranle les fondations instables de nos retrouvailles. L'espoir déjà mince se réduit à peau de chagrin. Parce que si la drogue régit sa vie, si elle obscurcit son jugement et altére ses actions, alors, quelle part de lui est encore intacte ?

Je m’aperçois que je serre mes bras plus fort, presqu'à m'en faire mal. Il n’est pas seulement question d’une infidélité, mais d’un problème plus profond, d’une dépendance qui a pu ronger tout ce qu’il y a de bon en lui. Est-ce que je peux encore croire en un avenir à deux, malgré tout ce qu’il vient de m’avouer ?


Mon attention se porte enfin vers James et j'ai l'impression effrayante de le voir pour la première fois. L’homme qui hante mes jours et mes nuits depuis des mois, tantôt comme un spectre chuchotant à mon oreille, me heurtant à des souvenirs amers et au vide de son absence, tantôt comme un amant perdu, ses murmures sucrés m’enveloppant d’un voile de désir, enflammant mes pensées de promesses inassouvies. L’homme qui nourrit mes fantasmes les plus enfouis, mais qui, en même temps, a su éveiller en moi une colère sourde, un ressentiment que je n’avais jamais éprouver pour qui que ce soit d'autre. L’homme qui a bouleversé mes instincts, fait chavirer mes certitudes, éveillé en moi des sentiments amoureux que je commençais à peine à apprivoiser, à transformer en réminiscences douloureuses mais apaisantes. L’ai-je révé ? Idéalisé ? Oui. Il n'est plus celui qu'il était. Il n'est plus le James que j'ai rencontré, découvert, auquel je me suis attachée. Et, maintenant quoi ?!


Mon coeur, comme une boussole cherchant son nord, se tourne irrémédiablement vers lui.  Il se tient immobile, le souffle lourd, le regard perdu dans le vide. Une ombre figée dans un océan de regrets. Un naufragé. Son combat intérieur, celui qu'il ne m'a jamais laissé entrevoir, surgit comme un ouragan. Sa détresse se reflète dans ses pupilles bleutées et je comprends avec une force dévastatrice qu'il y une complexité en lui qui le rend encore plus unique. Embourbé dans ses erreurs passées, fragilisé par une dépendance qu'il ne semble pas avoir surmonté, il fait naître en moi un paradoxe déroutant : une impulsion vive de l'éloigner à tout prix avant qu'il ne soit trop tard, et une force presque instinctive d'enlacer mes doutes, d'explorer les zones d'ombre de son âme, car l'homme qui se tient devant moi est toujours celui pour lequel mon coeur bat en cet instant. 





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