CHAPITRE 11.1 * JAMES

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VERITES OU MENSONGES

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J.L.C

♪♫ DEMONS - IMAGINE DRAGONS ♪♫

Victoria est assise sur le canapé, recroquevillée sur elle-même, une posture qui trahit sa souffrance et son désespoir. Ses bras sont serrés autour de ses genoux, qu'elle masse avec une lenteur presque rituelle, comme si elle cherchait à apaiser une agitation intérieure ou à soulager des muscles tendus par la souffrance que j'ai ravivée. Chaque mouvement, chaque soupir révèle l'intensité de son combat intérieur. Elle est en train d’intérioriser les révélations que je viens de lui faire.


Je l’observe perdue dans ses pensées et je réalise que je n'ai pas encore tout dit. Ma capacité à m’expliquer est limitée par la peur de la douleur supplémentaire que cela pourrait engendrer. Les regrets et l'incertitude l'emportent sur ma raison. Merde, est-ce que j’ai vraiment bien fait de tout lui dire tout de suite ? J’aurais dû attendre, y aller par étape… La gravité de ce que je garde encore pour moi est une autre forme de trahison. Chaque seconde d’hésitation me semble une éternité et la culpabilité me ronge de l'intérieur.

Quel putain d'égoïste ! Sa détresse me troue l'estomac, me vrille les entrailles, me fout en rogne. J'aurais mieux fait de fuir ce club lorsque je l'ai aperçue, de ne jamais chercher à la revoir, de ne pas provoquer nos retrouvailles ni encourager notre rapprochement, encore moins désirer si intensément ma venue chez elle.

Chaque mot que j’ai prononcé pèse désormais une tonne, m'enfermant dans un mutisme écœurant. Je suis cloué sur place, à portée de main de son corps si fragile, mais paralysé par ma honte et conscient du gouffre grandissant entre nous. Cette présence distante, plus insidieuse qu’une simple séparation physique, crée un abîme d’émotions qui nous isole l’un de l’autre. Le silence s’abat sur nous comme une chape de plomb, me fige dans un état de profond dégoût de moi-même. Une part de moi brûle de réconforter Victoria, de la sortir de cet océan de douleur où je la vois se débattre, mais cette envie se heurte à l’impuissance qui m’étreint.

Elle prend une grande inspiration et se redresse, essayant de garder son calme et une certaine dignité malgré tout. Son visage, que je pourrai passer des heures à contempler, est désormais le miroir de la profondeur de sa déception. Je me maudis intérieurement pour avoir laissé mes peurs et mes erreurs guider mes actions. Mais je ne peux pas effacer mon ardoise ; seule elle, le peut. Mon cœur bat douloureusement dans ma poitrine, un rappel constant de tout ce que j'ai détruit.

Je plonge dans ses yeux d'ambre pour y voir une mer de confusion, un tourbillon de questions sans réponse qui semble engloutir chaque pensée claire. Pourtant, ses pupilles dilatées révèlent une lueur fragile, presque éteinte, car noyée sous des vagues de tristesse et d'incertitude, mais tenace. Cet éclat éphémère, comme une flamme vacillante prête à s'éteindre, me surprend. Je vois à ces clignements répétés qu'elle réprime des larmes menaçantes. Mais son regard semble suspendu entre l'espoir et la désillusion.

Plus les secondes passent, plus je ressens un poids comprimer ma poitrine. Pourtant, je sais au plus profond de moi que je ne veux plus reculer. Chaque pensée que je garde encore pour moi devient une pierre de plus dans le fardeau déjà insupportable de mes regrets. Il est temps de partager une dernière vérité, celle qui pourrait redéfinir notre histoire et d’affronter les conséquences de mes choix.

— “Victoria”, je l'interpelle finalement, d'une voix tremblante mais résolue. “Il y a encore quelque chose que je dois te dire. Ça n’a peut-être plus d’importance pour toi maintenant, mais la raison pour laquelle je t’ai appelé ce soir-là, c’est que...”

Je m'interromps dans mon élan, un ricanement s'échappe de mes lèvres, trahissant l'ironie de ce que m'apprête à dévoiler. Qu'est-ce qu'elle en aura à foutre désormais, putain ! Je suis acculé par mes erreurs et douloureusement conscient que la fin est proche. Mais je n'ai plus rien à perdre... sauf elle. Elle, dont l'attention est maintenant totalement tourné vers moi, prête à entendre ce dernier fragment de vérité. La curiosité se dessine sur ses traits, mêlée à une fatigue palpable. Mais, chaque syllabe que je prononce alors est une épreuve.

— “Je viens m’installer à Toulouse”, annoncè-je, en essayant de donner à chaque mot l'importance qu’il mérite.

Victoria cligne des yeux. La surprise traverse son visage. Puis, lentement, ses sourcils se froncent, ses lèvres se pincent, tandis qu'elle tente de saisir la portée de mes mots et que l'étonnement se transforme en un trouble. Une étincelle se met à briller au fond de ses prunelles, comme si ma déclaration faisait jour. Mon Dieu, comme j'aimerais tant qu'elle soit le reflet de l'espoir de notre avenir commun ou la prise de conscience de l'effort que je suis prêt à faire pour elle. Non, ça, il est trop tôt pour le dire...

— “T’installer à Toulouse ?” répète-t-elle, comme pour confirmer que ce n’est pas une illusion.

Elle parcourt mes traits d'un air toujours aussi désorienté. Je veux qu’elle comprenne que ce n’est pas simplement un geste pratique ; c’est une promesse d’intention, une tentative de rebâtir du solide à partir des débris de notre passé. En tout cas, ça l’est pour moi.

— “Oui,” je confirme. “Je t’ai laissée ce message pour te dire que je voulais tout recommencer, repartir de zéro, ici, à Toulouse. C’était mon plan. Je voulais... je veux dire... j'espérais qu'on pourrait essayer de construire quelque chose de réel, de stable, ensemble. Enfin, si tu avais été d’accord.”

Victoria semble soudainement totalement abattue. Comme si cette dernière confidence avait été celle de trop, une couche supplémentaire de complexité qu'elle n'arrive plus à supporter. Ses mains se crispent autour de ses genoux et elle détourne à nouveau le regard, mais pas assez vite pour que je ne remarque pas la larme qui s'y est formée et qui glisse maintenant le long de sa joue.

Je me sens de plus en plus coupable, comme un fossoyeur qui creuse la tombe dans laquelle il précipite les débris d'un coeur en miettes. Ma responsabilité me saute à la gorge. Je suis tiraillé, incapable de partir ou de me taire, alors que mes mots ne font qu’aggraver son chagrin.

— “Je sais que ça ne change rien à ce que je t'ai fait et que ça ne réparera pas mes erreurs. Mais je voulais vraiment être avec toi Victoria..."

Elle demeure murée dans le silence pendant de longues secondes, et chacune exacerbe l'angoisse qui me prend aux tripes. Je sens mon cœur s'affoler, et une sensation désagréable monte en moi. Je réalise que je suis surement en train de vouloir forcer une porte déjà fermée. Un idiot, voilà ce que je suis. C’est à elle de décider. Elle détient tous les atouts de notre partie, le pouvoir de choisir si elle veut me faire confiance, si elle a encore envie de moi dans sa vie.

Soudain, sa voix s’élève, fragile, mais résolue.

— “Assieds-toi James.”

Sa demande est à la fois une supplication et un ordre. Je m'exécute lentement, chaque mouvement est un effort monumental pour ne pas céder à l'impulsion de m'asseoir près d'elle. La pièce est remplie d’une tension palpable alors que je gagne l’autre bout du canapé, éloigné d’elle, mais toujours présent. Les minutes passent, s’éternisent, nous plongeant dans un silence vertigineux. Je m'accoude à mes genoux, baisse la tête et prends une profonde inspiration. Il n’y rien d’autre à faire qu’attendre.

Je me demande si j’ai encore le droit d’être ici, chez elle, avec elle. Une vague de fatigue et de tristesse m’envahit, m’indiquant que le moment est peut-être venu de la quitter. Cette perspective me déchire, mais une partie de moi veut lui donner l’espace dont elle a besoin.

Soudain, je perçois un mouvement à ma droite. Du coin de l'oeil, je vois Victoria se lever lentement mais, je reste pétrifié sans oser me redresser. Mon cœur frappe contre ma cage thoracique avec une puissance suffocante, attendant de voir ce qu’elle va faire, ce qu'elle va dire.

Son ombre plonge sur moi lorsqu'elle me fait face, obstruant la lumière tiède du lampadaire dans son dos. Lorsque ses doigts s'enfoncent timidement dans mes cheveux, je retiens mon souffle. La tendresse de ce geste, que je n'avais pas anticipé, me prend par surprise.

— “James”, murmure-t-elle calmement.

Je ne prends pas le risque de la toucher même si j'en meurs d'envie. Chaque mouvement de ses doigts sur mon cuir chevelu est un supplice. J’ai tant besoin d’elle, de la prendre dans mes bras.... Son contact me tue, m’écrase sous le poids de ma culpabilité. Mais je ne suis qu'un lâche, accro à l’illusion d’un bonheur perdu, aveuglé par l’angoisse d’un futur incertain, fou amoureux d'elle. Mon désir — ou désespoir — de renouer une connexion, aussi fragile soit-elle, me pousse à agir.

Les doigts tremblants, je pose mes paumes sur ses cuisses et je l’attire nerveusement vers moi. Mon visage se niche contre son ventre, cherchant un refuge dans la douceur de son corps. Victoria referme ses bras sur moi, délicatement, prudemment. Le monde extérieur s’efface peu à peu alors que je tente de me réconcilier avec mes propres erreurs, là, tout contre ce corps que j'adore, je vénère, contre cette femme qui m'a tant manqué, qui m'a tant donné. Son parfum m’enveloppe, son souffle résonne contre ma joue, sa chaleur se propage dans mon esprit, et je me dis que peut-être, il y a encore une chance qu'elle me pardonne, qu'elle m'accepte tel que je suis.

Non, putain ! Impossible ! Pas quand elle apprendra toute la vérité ! Une frustration sidérante monte en moi, un désir intense de tout effacer, de tout détruire. Si ça ne tenait qu’à moi, je la prendrais ici et maintenant sur ce foutu canapé, sans un mot de plus. La sentir contre moi, en moi, oublier le chaos, le gâchis, me perdre en elle pour toujours. J’en ai besoin comme un affamé qui n’a pas mangé depuis des mois. Mais non ! Ce serait une autre erreur monumentale, un acte dicté par mon arrogance et mon impulsivité. Elle mérite mieux que ça, putain ! Je dois réfréner mes ardeurs, faire taire mes démons et cette envie viscérale de la faire mienne sur le champ, sans état d'âme.

Je ferme les yeux et presse mon visage contre son ventre pour m'aider à canaliser la tempête intérieure qui menace de tout emporter. Ses mains continuent de caresser doucement mes cheveux, mais ce geste apaisant ne suffit plus à chasser l'appréhension qui me tenaille et je crains qu’il ne reste rien de nous si je ne trouve pas un moyen de la calmer.

Victoria brise le silence, et avec lui, le dernier rempart de ma résistance, le dernier espoir de ma rédemption :

— “James, est-ce qu'il y a eu d'autres fois ? D'autres femmes ?"

Mon coeur s'arrête. C'était inévitable. Ses mots flottent dans l’air, durs et froids, s’enroulant autour de moi comme un serpent venimeux. Elle vient de mettre le doigt sur une plaie béante, celle de ma débauche et de ma luxure. Je déglutis pour ravaler la bile que me tord les entrailles. Comment lui avouer à quel point je ne suis qu’un putain d’enfoiré !

Mon silence lui répond bien plus que n’importe quel mot, et je le sens, ce voile ténébreux sur ma conscience. Je veux lui dire que c’était différent, que rien n’était comparable à ce que nous avions. Mais la vérité est bien plus complexe.

Le pire ce n’est pas d’avoir couché avec Elaine alors que j’étais complété drogué. J’aurais pu me persuader que c’était juste une faiblesse passagère, quelque chose que j’aurais pu essayer de justifier, de lui faire comprendre, voire même de me pardonner. Non, le pire, c’est que six jours plus tard, lorsque j’ai vu ses appels sur mon téléphone — des appels que je n’étais pas prêt à prendre — j’ai replongé de plus belle. Le soir même, putain ! J’ai enchaîné les rails et j’ai laissé la première nana qui s’est frottée à moi me sucer avant de la prendre sans retenue contre un grillage comme une putain d’addict à la baise !

Quand j’ai fini par redescendre, j’ai tout de suite envoyé un message à Victoria pour la tenir éloigner de moi pour toujours. Un message sans équivoque : “Oublie-moi”. Je me suis convaincu que tout était foutu, que je n’étais bon qu’à détruire tout ce que je touchais. Et putain, c’est vrai ! Je suis incapable de changer, incapable de faire confiance à une femme, encore moi à moi-même. Alors, j’ai sombré pour de bon. J’ai bu, j’ai sniffé de la coke, pris de la K, quelques opioïdes pour éviter d’aller me perdre dans le fenta et j’ai baisé non-stop avec n’importe qui, n’importe où, sans vergogne, sans même me protéger, putain !

À partir de ce moment-là, tout est devenu flou, des semaines entières plongées dans un brouillard épais. Je ne me souviens plus vraiment ni du pourquoi, ni du comment. Je ne sais même pas si c’était pour oublier Victoria ou pour m’oublier moi-même. Le chaos plutôt que la vérité, voilà ce que j'ai choisi. Je ne voulais pas l’entrainer dans mes travers, la plonger dans mon tourbillon autodestructeur. La peur de lui faire du mal m’a rongé, et maintenant, je vois bien que c’est exactement ce que j’ai fait et continue à faire. Merde.... J’ai eu raison de l’éloigner. J’ai eu tort de revenir dans sa vie. Putain ! Je ne peux plus rester...

Sans un mot, je repousse Victoria et je me lève. Je ne supporte plus notre contact. Je suis un poison, un fardeau qui va la détruire. Victoria me regarde, confuse, les yeux écarquillés et déjà humides. Elle ne comprend pas ce qui se passe et elle n’acceptera jamais. A quoi ça sert de se voiler la face ! Et elle aura raison putain ! Tout ce qui s’est passé ce soir était une putain d’erreur !

Quand j’ai vu Victoria dans ce club, quelque chose en moi a cédé. Une force irrésistible que je n’ai pas pu contrôler. J’ai voulu rétablir le contact, remettre les compteurs à zéro, comme un putain d’égoïste poussé par ses propres besoins primaires, sans égard pour la femme dont je suis tombé amoureux. Quand on a couché ensemble sur ce toit, putain, c’était comme un nouveau départ. Mais la culpabilité m’a hanté toute la soirée. Quand on a dansé, quand on s’est embrassés, j’avais ce sentiment lancinant que tout était faux. J'ai même pensé un moment être encore dans une de mes putains d'hallucinations. Mais je n’étais pas dupe. Au fond, je savais que j’étais dans le déni le plus total et qu'une seule soirée ne pouvait pas compenser la douleur que j’avais infligée à Victoria. Mais je refusais de voir la réalité en face, j'essayais simplement de repousser l’inévitable. Mes torts étaient là, m'accompagnant à chaque instant et j’ai accepté de la suivre parce que je n’ai pas eu la force de me dérober. Je la voulais près de moi, à moi… mais je n’en ai pas le droit.

Alors que mes pas me dirigent déjà vers la porte, Victoria, paniquée, m'interpelle. Je me retourne une dernière fois alors qu'elle se redresse vivement.

— “James, qu’est-ce qui se passe ?”

— “Je suis désolé, Vi, je... je ne te mérite pas...”.

— “C’est moi qui décide ce que je mérite ou pas !”

Sa voix s’élève, pleine de colère et de souffrance, comme si elle essayait de se faire entendre au-dessus du chaos émotionnel qui nous entoure.

— “Tu ne peux pas encore m’arracher le droit de savoir ! Combien James ? Combien de fois ? Combien de femmes ? Putain, pendant un moment, j’ai vraiment cru que ça n’avait été qu’une erreur isolée. Mais vu de ta réaction, il y en a plus, n’est-ce pas ?”

L'accusation est brûlante mais véridique. Tout remonte à la surface et je suis pris au piège entre l’envie de tout balayer d’un revers de main et le besoin d’être honnête avec elle. Ses yeux, embués de larmes retenues, cherchent une réponse qui la détruira.


— "Je n'en sais rien".


Et je lui tourne le dos.

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