CHAPITRE 11.2 * VICTORIA
V.R.S.de.SC
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Quand j’ai dit que j’avais besoin d’honnêteté, je ne pensais pas que ce serait un tel tsunami. Mon cœur se serre alors que la vérité explose dans ma tête : il y a eu d’autres fois. La question me brûlait les lèvres tandis qu’il me tenait contre lui. De toutes celles qu’il m’a confiées, — la drogue, sa décision d’emménager à Toulouse —, c’était elle qui me torturait le plus : il avait couché avec Elaine. Ou plutôt “baisé” comme il dit. En vrai, qu’est-ce que ça change ? Rien bon sang ! Mais ça remontait à plusieurs semaines déjà. Et depuis ? Est-ce qu’il a recouché avec elle ? Avec d’autres ? Et soudain, l’idée que ce soit Elaine ou quelqu’un d’autre n’a plus eu d’importance. J’avais besoin de savoir.
“Je n’en sais rien”. Voilà sa réponse. Ces mots résonnent en boucle dans ma tête, chaque répétition enfonçant un peu plus le couteau dans la plaie béante de ma confiance brisée. J’accuse le choc. Ce n’était donc pas un simple moment d’égarement sous l’emprise de la drogue, ni perte de contrôle momentané impulsé par l’assouvissement d’un désir charnel. Ça, j’étais plus encline à lui pardonner. C’est la répétition, la conscience de ces actes qui change tout.
Mes jambes vacilles et une brûlure lancinante me noue l'estomac, comme si une force invisible m’écrasait. Le sol, que je croyais stable, se transforme soudain en un gouffre béant, entraînant ma chute dans un abîme sans fin. Mon cœur bat si fort que j'ai l'impression qu'il va éclater, chaque pulsation accentuant l'intensité de ma fureur.
La vérité, lourde et déstabilisante, modifie tous les paramètres de notre relation. Mon Dieu… que reste-t-il de l’homme que je pensais connaître alors que tout ce que je découvre aujourd'hui semble saper les fondations mêmes de ce que j'ai cru être les prémisses d'un véritable amour.
Je comprends soudain que tout espoir de renouveau était fondé sur des mensonges, sur des illusions tissées de sa main. Comment puis-je continuer à croire en nous quand je constate qu’il a manipulé des cartes que je ne comprends même pas ? Et comment ai-je pu être aveugle à ce point ? Je veux le haïr, le frapper, le forcer à ressentir ne serait-ce qu’une infime partie de la souffrance qu'il m'inflige. D'un revers de la main, je chasse cette part de moi toujours en quête désespérée d’une justification, d’une raison pour ne pas tout abandonner. Le vase a débordé là !
Avant même que je me rende compte de ce que je suis en train de faire, mes pieds m'amènent devant lui. Il est déjà dans mon entrée, enfilant ses chaussures, prêt à partir, à me quitter. Espèce de salaud !
Une rage aveugle, incontrôlable, surgit comme un torrent de lave. Sans réfléchir, mes poings se heurtent à son torse avec la force du désespoir. L'impact est un coup contre l’image que je m’étais construite de lui. Cette prise de conscience me nouleverse avec une telle intensité que mes ongles s’enfoncent un peu plus dans mes paumes, provoquant une douleur aiguë qui se mêle à mes sentiments déchaînés. Je ne veux plus rien éprouver.
Sous la violence de mon assaut, James se recule, les yeux écarquillés par la surprise.
— “Vi, arrête !", m'implore-t-il.
Sa voix est un écho lointain, mais je ne l'écoute pas, je ne m'arrête pas. Je lui assène une gifle monumentale. Il ne bronche pas, ne bouge même pas. Son visage se durcit, sa machoîre se carre mais ses yeux bleus ne transmettent que tristesse et désolation.
— "Je suis désolé, je ne voulais pas te faire de mal", tente-t-il encore.
— “Désolé ?", je crache. "Ce mot ne veut plus rien dire dans ta bouche James !”
Je me jette sur lui les poings en avant et mes coups redoublent d'intensité. Je dois faire éclater la boule délirante de chagrin qui s'est formée en mon sein.
Mais merde, qu’est ce qu'il croit ? Qu’il peut simplement s’enfuir, me laisser sur le carreau ? Que je vais rester là sans rien dire, encore une fois ? C’est trop tard ! Bien trop tard, depuis que je sais que je… Non, non, non. Il ne doit jamais savoir. Je ne lui dirai pas, je ne lui offrirai pas ce levier... Ou peut-être que si ? Peut-être devrais-je tout lui dire, lui révéler l’ampleur de mes sentiments, le confronter aux conséquences de ses actes, pour qu’il comprenne enfin ce qu’il a brisé. Le savoir pourrait être un châtiment en soi. Mais est-ce vraiment la solution ? Le détruire davantage, est-ce vraiment ce que je souhaite ? En ai-je seulement le pouvoir ?
Et si tout cela n'était qu'un jeu pour lui ? Et si ce qu'il ressentait n'était qu'illusion ? Peut-être vaudrait-il mieux le laisser dans l'ignorance, lui faire croire que ça ne m’atteint pas, que c’est ma fierté qui prend le dessus, pas mon coeur...
James finit par m’attraper pour endiguer ma fureur, ses mains se refermant sur mes poignets. Il me contient avec une force maîtrisée, comme un barrage que je ne veux pas franchir
— "Lâche-moi putain !", je crie, ma voix déchirée.
Ses bras autour de moi sont un rempart, une frontière physique entre lui et ma colère. Ma respiration est hératique, ma poitrine brûle sous l'effort, mais ses yeux bleus tristes et affolés à la fois, me fixent, et je me retrouve soudain face à un choix terrible. Dois-je continuer à me battre contre lui, contre nous, ou tout abandonner et laisser la douleur nous consumer tous les deux
— "Vi, je comprends que tu sois furieuse, mais je t’en supplie, arrête, calme toi…"
Que je me calme ! Oh James... Ne me dit jamais de me calmer ! En réponse, je reitère ma tentative de dégagement pour recommencer à le cogner. Je me débats encore de toutes mes forces, cherchant à le repousser l’intolérable vérité qui m’écrase, mais en vain. Il est plus fort que moi, bien sur qu'il l'est...
Au milieu de ma rage, je sens mes mains trembler et une bouffée de tristesse si forte, qu’elle m’en coupe presque le souffle, supplante ma frénésie.
Sa prise, ferme mais étrangement réconfortante, se renforce, me paralysant totalement. Alors, je m’arrête enfin. James me dévisage. La tristesse et le regret s’entrelacent dans son regard. Sa tension musculaire et le tremblement de ses mains contre ma peau nue trahissent son propre tourbillon intérieur et révélent une vulnérabilité qu’il ne parvient pas à cacher. Sa dévastation me renvoie une image déformée de la vérité que je refuse d'accepter. Mais, peut-être que je me berce d’illusions, comme si je croyais encore pouvoir le comprendre mieux que personne, malgré toutes les preuves du contraire.
— “Vi, je te jure que je suis désolé, que je vais tout réparer.”
— “Des excuses ? Des promesses ? C’est tout ce que tu as à offrir après tout ça ?"
— "Je ne supporte pas de te voir comme ça !", insiste-t-il en me serrant plus contre lui.
Mais au cœur de cette furie, je suis consciente de sa proximité alors qu'il me retient. Le contact brûlant de son corps contre le mien déclenche des frissons d’un désir inattendu. La texture de ses mains sur ma peau, la pression de son torse, son souffle qui caresse mes cheveux, éveillent en moi des pulsions conflictuels. Mon corps — ce traître — réagit contre ma volonté et une tension vive nait dans mon ventre, une passion charnelle qui se mêle à ma rage, rendant chaque sensation encore plus confuse et intense. Mon Dieu, ce n’est pas lui que je déteste, c’est moi !
— “Tu n’as pas le droit de me dire ce que tu supportes ou pas, pas après tout ce que tu as fait. Tu veux quoi ? Que je te pardonne sur le champ ? Que je fasse semblant de ne rien ressentir ?!”, j'éructe.
— “Non,” explique-t-il doucement en secouant la tête. “Tout ce que je veux c'est être celui qui te réconforte, pas qui te brise.”
— “Trop tard pour ça !”, je rétorque vivement.
— “Je sais. Mais je veux que tu comprennes que chaque geste, chaque mot, venait d’une part de moi qui a toujours voulu te protéger, même si j’ai échoué lamentablement. Je ne peux pas effacer ce qui a été fait, mais je suis prêt à tout pour toi”, poursuit-il, ses yeux reflétant une profonde sincérité.
— “Je n’ai pas besoin qu'on me protège !”, réponds-je, mon animosité reprenant le dessus.
Peut-être pense-t-il que je ne suis pas assez solide pour comprendre ses raisons, ses sentiments. L’amour ne détruit pas, il rend plus fort pas vrai ? Et soudain, la vérité m’éclate en pleine figure : je n'ai pas la force d'endurer tout ça. Chaque coup que je lui ai porté en est la preuve. J’ai laissé mes émotions déferler en une explosion ingouvernable et cette perte de contrôle m'effraie autant qu'elle me soulage.
Je me sens comme une poupée de chiffon flottant au milieu d’une tornade.
— “Et merde...”, dis-je dans un souffle en essayant de me dégager encore une fois.
Sauf que cette fois, je craque... Je laisse mes larmes couler et emporter avec elles la façade que j'essayais de maintenir.
Voilà ! Voilà la vraie moi. Celle qui essaie toujours de se montrer forte mais qui, en vérité, est aussi brisée et vulnérable que du cristal sous pression. La colère et le chagrin se mélangent, formant un cocktail chaotique et inextinguible. Je pose ma tête contre son torse tandis qu'il m'attire à lui.
— “Si seulement je pouvais revenir en arrière, faire table rase du passé, pour que tu puisses retrouver un peu de paix, mo chridhe.”
Je n’ai rien à répondre alors je pleure, je sanglote. Chaque gémissement échappant à mes lèvres libère un peu plus la peine que je porte en moi. Je suis totalement démunie et la situation me dépasse. Je n’ai plus le contrôle et je déteste ça. James me serre contre lui, comme s’il tentait de me protéger du monde extérieur, mais c'est son propre cœur que je pulvérise en cet instant, lui infligeant un aperçu brutal de ma dévastation, non pas par la violence de mes coups mais par celle de mes larmes.
Incapable de faire la distinction entre le besoin de me battre et celui de me réconcilier, épuisée et à bout de force, c’est dans ses bras que je laisse mes émotions prendre l'ascendant et m’assaillir. Je m’effondre en m'aggripant à sa chemise. James cale son menton sur mon crâne et me berce tendrement, ses bras m'enveloppant avec une délicatesse qui tranche avec la violence de la situation précédente. Je m’accroche à lui comme à une bouée dans cet océan troumenté. Chaque inspiration est maintenant une tentative de calmer les sanglots qui secouent mon corps. Mes muscles encore tendus se relâchent l'un après l'autre.
Ses mains caressent doucement mon dos, comme pour apaiser une douleur qu’il ne peut entièrement comprendre mais qu’il ressent profondément. Sa présence est à la fois une source de confort et un rappel cruel de la déchirure entre nous. Les minutes passent et, petit à petit, mes larmes se tarissent, chaque goutte semblant emporter un peu de la tension qui me serrait le cœur. C’est un moment fragile, où l’espoir se mêle au désespoir, où l’amour et la haine se confondent. Je n’ai pas de réponses, pas encore. Alors je reste là, blottie contre lui, me permettant enfin de lâcher prise, de céder à cette vulnérabilité que je n’avais jamais osé dévoiler auparavant. Mais au milieu de cette étreinte, une pensée incongrue s'impose à moi : si cette douleur est le prix de notre vérité, qu’adviendra-t-il quand les secrets restants éclateront enfin ?
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