CHAPITRE 13.2 * JAMES

8 minutes de lecture

J.L.C


♪♫ YOU ARE THE REASON — CALUM SCOTT ♪♫



Les rues sont encore calmes à cette heure-ci. Les pavés sous mes pieds sont mouillés, brillants sous les premières lueurs du soleil matinal. La pluie de la nuit a laissé derrière elle une fraîcheur vivifiante et les feuilles mortes, encore trempées, se sont accumulées sur les trottoirs, créant un tapis coloré de jaunes et de roux. Le soleil, faible, mais persistant, traverse les nuages et éclaire les façades des immeubles avec une lumière douce, presque dorée. J’inspire profondément, sentant l'air frais emplir mes poumons, presque suffocant. Le parfum humide de la terre mouillé emplit l'air, offrant une atmosphère mélancolique et nostalgique.


À un passage piéton, je m’arrête. Un bruit de skateboard me fait tourner la tête. Un adolescent passe à toute vitesse devant moi, son casque vissés aux oreilles, indifférent au reste du monde. Je l’observe s’éloigner, zigzaguant entre les passants avec une insouciance que je lui envie presque. Cette énergie juvénile, cette urgence à avancer coûte que coûte… Un instant, je me surprends à sourire. Puis, mes pensées glissent à nouveau vers elle, vers Victoria. Toujours elle.


Derrière les grilles d’un parc encore déserté, je vois les chemins détrempés qui serpentent entre des massifs de fleurs aux couleurs fanées de l’automne. Je sens une boule se former dans ma gorge. Et je me souviens.


Victoria et moi, allongés paresseusement,à l’abri de la chaleur étouffante d’une journée estivale, savourant l’ombre accueillante d’un saule pleureur, sous ses longues branches pendantes qui formaient une alcôve naturelle. Nos corps se frôlaient, se découvraient dans une intimité nouvelle et délicate. J’avais exploré les contours des tatouages d'oiseaux qui ornent son dos, suivant leurs motifs sinueux jusqu'à la naissance de ses seins, tandis qu’elle était allongée sur moi. Je me mords inconsciemment la lèvre inférieure, me rappelant la douceur de sa peau sous mes doigts.


J’avais massé ses pieds engourdis alors qu’elle était plongée dans la lecture d’un livre, étendue à plat ventre sur l’herbe. J’avais léché ses doigts un par un, après qu'elle ait glissé un morceau de barbe-à-papa rose dans ma bouche en riant, ma tête posé sur ses genoux. J’avais fermé les yeux, lorsque lové contre mon torse, elle fredonnait un air en écho à la musique qui planait dans l’air, portée par une enceinte au loin.


Je me revois assis à ses côtés, admirant les jeux d'ombre des feuilles qui dansaient sur son corps étendu, tandis qu'elle somnolait, récupérant un peu d'énergie après une nuit torride qui m’avait laissé totalement épris et sous le charme. Je secoue la tête, chassant le souvenir de la chaleur de son corps contre le mien.


C'était le septième jour de notre histoire, le jour du repos, celui où seules minutes passées en sa compagnie valaient la peine d'être vécues, avant que je ne reparte, loin d'elle et d'un potentiel nous.


Elle m’avait parlé de son enfance au village, partagé des souvenirs de ses dernières vacances, et expliqué comment elle projetait de créer une tête de lit bohème pour son nouvel appartement. Je passe une main dans mes cheveux, frustré de la simplicité apparente de ses rêves comparée à mes propres incertitudes. La facilité avec laquelle je l'écoutais, l'admiration grandissante que je ressentais à mesure qu’elle partageait sa vie avec moi, l’apaisement que je trouvais dans son sourire, et le désir ardent de l’embrasser, de la toucher, de la posséder, ont rempli mon cœur d’espoir. J’ai rêvé l’emporter avec moi en Écosse, la garder pour toujours, ne jamais la quitter.


Un klaxon retentit quelque part au loin, me ramenant brusquement à la réalité. Je sursaute légèrement, ma main se crispant dans ma poche. Cet après-midi-là, je crois que je suis tombé amoureux d’elle. C’était une journée parfaite où tout semblait possible, et où les complications de ma vie semblaient lointaines et insignifiantes face à la certitude qui naissait en moi. Et maintenant, je ne peux m’empêcher de penser que cette nuit était probablement une erreur monumentale.


Je m’arrête un instant, une main enfoncée dans la poche de mon pantalon, la tête baissée. Je regarde mon autre main qui tient un sac. Ce n’est pas grand-chose, juste des croissants, un double café-noir pour moi, un latte macchiato pour elle. C’est une manière pour moi d’ancrer notre relation dans la réalité, de normaliser notre situation délicate, d’édifier les premières pierres de notre reconstruction. Je voulais qu’elle sache que, malgré les tourments et les incertitudes, je suis prêt à m’investir solidement. Peut-être est-ce encore un acte manqué de ma part. Peut-être que je fais n’importe quoi.


Je ne suis pas l’homme qu’il lui faut. Elle est si… pleine de vie, de rêves et de projets, tandis que je traîne avec moi un bagage lourd de déceptions et de doutes. Elle mérite quelqu’un qui peut lui offrir une stabilité, un avenir clair, quelqu’un qui sait exactement où il va. Moi, je suis encore en train de chercher ma voie, toujours perdu entre les éclats de mon passé et les inconstance de mon avenir. Quand je vois ses yeux brillants, pleins de vie, je me demande si elle pourra vraiment être heureuse à mes côtés.


Je passe entre les étals d’un fleuriste. Les chrysanthèmes, avec leurs fleurs chaudes et variés, sont de sorties pour la Toussaint. Mais à travers la vitrine, je vois des arrangements plus romantiques et des plantes vertes à foison. Je me demande quelles fleurs pourraient plaire à Victoria, quelles couleurs et formes pourraient capturer l’essence de sa personnalité. Je m’arrête un instant, les yeux fixés sur un bouquet de roses blanches et de pivoines rose pâle, imaginant le sourire qu’elle aurait en recevant un tel cadeau. Mais, en vérité, je ne sais même pas si Victoria aime les bouquets.


Des fleurs, est-ce que ça lui plairait ? Des roses rouges, bien-sûr, un grand classique, qui exprimerait parfaitement la passion que je ressens pour elle. Mais, Victoria est loin d’être une femme conventionnelle : elle est créative, talentueuse, bohème. Peut-être que des fleurs plus sauvages, des touches d'herbes séchées et de branches délicates, seraient plus en harmonie avec son esprit libre et sa sensibilité unique. Mon esprit se perd dans ces réflexions, espérant que ce geste, aussi modeste soit-il, pourrait montrer à quel point elle compte pour moi.


Je prends une profonde inspiration, me décide finalement et pousse la porte de la boutique. Le carillon de l’entrée tintinnabule, annonçant mon arrivée. L’intérieur est baigné d’une lumière douce, et les parfums délicats des fleurs fraîches remplissent l’air. Je me dirige vers le comptoir, où une fleuriste souriante m’accueille.


— “Bonjour, je voudrais créer un bouquet spécial. J’ai besoin de conseils pour quelque chose d’original, qui reflète vraiment la personnalité de quelqu’un de très spécial pour moi. Ce sera la première fois que je lui offrirai un bouquet. Je ne voudrais pas faire de bévue” expliquè-je en souriant poliment.


— “Bien sûr, je serais ravie de vous aider ! Pouvez-vous me parler un peu plus de cette personne ? Quels sont ses goûts, ses couleurs préférées ? Est-ce qu’elle aime les fleurs plutôt classiques ou plutôt sauvages ?” me demande-t-elle gentiment.


Je réfléchis un moment, cherchant les mots justes.


— “Je dirais quel aime les couleurs claires et la simplicité des fleurs sauvages. Elle a beaucoup de plantes vertes chez elle. Je pense à quelque chose d’élégant et d’aérien, rien d’ostentatoire.”


La fleuriste hoche la tête. Ses yeux pétillants d’enthousisme, elle m'invite à la suivre pour me faire part de ses conseils. J’avoue ne rien y connaitre en fleurs et elle propose de me guider à travers ses choix.


— “Très bien, je vois ce que vous voulez dire. On pourrait commencer par un mariage de pivoines et de dahlias dans des tons doux mais riches, pour une base élégante. On ajouterait des gypsophile pour la légèreté ainsi que de la bruyère, avec ses petits felurs violettes, qui apporteraient une texture subtile et sauvage”.


Je redresse légèrement la tête à l’évocation de cette dernière fleur, un sourire amusé se dessinant sur mes lèvres.


— “La bruyère, vraiment ? Ca me rappelle les paysages écossais. C’est une excellente idée”, dis-je avec un sourire complice.


La fleuriste, intriguée, me questionne :


— “Serait-ce d’Ecosse que vient votre jolie accent ?”


— “En effet”, je confirme.


— “Dans ce cas, ça tombe bien ! ​​​​​​​La bruyère ajoutera une touche authentique de chez vous au bouquet”, dit-elle satisfaite d’avoir fait le lien.


Je la remercie, conscient que ce détail ajoute une touche encore plus significative à ce cadeau. Elle se met à assembler les fleurs avec soin, créant un bouquet qui, je l’espère, aura les honneurs de Victoria.


Je quitte la boutique avec une certaine impatience, me réjouissant de découvrir la réaction de Victoria. Je marche rapidement, chaque pas résonnant sur les pavés humides, mes pensées tourbillonnant autour de Victoria. À mesure que je me rapproche de chez elle, les fleurs délicates dans mes mains semblent porter le poids de mon propre désir de lui faire plaisir. Mais ce geste, aussi sincère soit-il, ne fait qu’effleurer la surface de mes véritables sentiments.


Je peux la combler, lui ouvrir les portes de l’extase, ça je sais faire. Aimer les femmes. Les faire vibrer. Leur offrir des moments de passion intense. Mais est-ce tout ce qu’elle veut de moi ? Je ne sais pas. Est-ce tout ce que je veux d’elle ? Oui ? Non ? Je ne sais pas… Moi, je veux plus, beaucoup plus. Ce n’est plus une question de sexe, c’est une question… d’amour. J’ai envie de m’engager, malgré la complexité de ma propre vie, malgré mes errances et mes faiblesses. J’en suis conscient depuis seulement quelques jours. Depuis que j’ai atterri à Toulouse, il y a moins d’une semaine. Mais suis-je prêt pour elle ? Et elle pour moi ? e secoue la tête, troublé. Je sais que cette femme a le pouvoir de m’aider à maîtriser mes démons, à affronter mes propres batailles intérieures, mais ai-je vraiment le droit de lui demander cela ? J’en ai vraiment envie pourtant !


Quand je l’ai revue hier soir, mon cœur s’est empli de bonheur, comme jamais auparavant. La voir danser devant moi, avec moi, pour moi, m’a fait perdre la raison. Je me rappelle son rire contre mes lèvres, son lâcher-prise et la confiance qu’elle manifestait lorsqu’elle était dans mes bras. Je me souviens aussi de la passion brûlante de nos ébats, de la détermination dans son regard alors qu’elle me chevauchait sur la terrasse, puis de la tendresse douce lorsqu’elle s’abandonnait à moi et que je me perdais en elle dans le refuge de sa chambre.


Je vois tout d’elle : sa force ; sa sensibilité ; son abnégation ; son authenticité ; sa passion ; ses propres batailles contre son désir de tout contrôler et son manque de confiance infondé. Sait-elle à quel point elle est exceptionnelle et magnifique ? Et cette sérénité inespérée lorsque je me suis endormi avec elle dans mes bras, les battements de son cœur contre les miens.


Dieu, que je donnerai tout pour elle. Je suis prêt à tout pour la garder, même si cela signifie affronter mes propres limites et mes peurs les plus profondes. Mais à mesure que je revis ces moments, une vague de regret et de culpabilité s’élève à nouveau. Je me rends compte de la douleur que j’ai laissée derrière moi, de la froideur de mon silence passé. La perspective de ce que j’ai fait, de ma fuite en avant, me pèse lourdement. Les voix de mes démons intérieurs reprennent leur murmure incessant, les craintes et les incertitudes que je croyais pouvoir ignore reviennent. Je ne veux pas lui faire de mal. Mais elle, m’en fera-t-elle ? Et moi ? A coup sûr, oui.


Le ciel s’éclaircit peu à peu, et la lumière du matin réchauffe les rues de la ville, apportant une lueur d'espoir à cette nouvelle journée. Je respire profondément, prenant un instant pour me recentrer avant de retourner vers elle et je reprends ma marche, conscient que le chemin que je prends est encore incertain.


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