CHAPITRE 14.1 * JAMES

9 minutes de lecture

CONFIDENCES

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J.L.C

♪♫ UNSTEADY — X AMBASSADORS ♪♫

La quiétude de notre moment passé, devant sa fenêtre, l’air frais du matin nous enveloppant, n’aura été qu’un fragile équilibre, une parenthèse qui s’est vite refermée. Une cigarette, un café, une méditation silencieuse. C’était notre façon de se préparer à la suite, à cette conversation difficile mais nécessaire, où les non-dits allaient enfin être exposés.


Tandis qu’on était là, chacun perdu dans ses pensées, nos regards s’étaient croisés à la dérobée, comme si on cherchait dans l’autre une assurance, une permission d’ouvrir notre cœur, de mettre les choses à plat. Elle était si belle et si fragile. Calme, mais seulement en apparence, parce que je pouvais deviner la tempête qui grondait derrière ses yeux. Elle remuait légèrement son latte d’un geste mécanique et distrait, sans vraiment y toucher, comme si elle était dans un autre monde, un monde où les mots restaient enfermés, lourds et menaçants.


Et moi, j’étais un véritable champ de bataille. Le fracas de mes pensées se heurtait comme des armes, une brûlure incessante de vouloir tout lui dire, de m’exposer entièrement… et pourtant, une autre partie de moi s’accrochait encore à l’idée de repousser l’inévitable. Par où commencer, bon sang !


En buvant alors doucement mon café, je m’étais dit que ce que je ressentais pour Victoria était une énigme. Depuis deux ans, je n’ai fait que multiplier les histoires sans lendemains, me perdant dans des conquêtes éphémères, cherchant simplement à assouvir mes pulsions charnelles sans jamais m’attacher. Chaque rencontre était une distraction, un enchaînement de moments creux, dépourvus de profondeur. Je ne comptais plus le nombre de filles avec qui j’avais baisé.


Quand j’ai rencontré Victoria pour la première fois, ma seule obsession était de la mettre dans mon lit. Elle me plaisait, énormément, comme peu de femmes avaient réussi à le faire, avec une force irrésistible qui brouillait mes instincts habituels. Et quand une fille me plaît, je la désire, je la prends, puis je passe à autre chose. Sauf qu’avec Victoria, ce désir initial s’est transmuté en quelque chose de plus complexe et profond.


Pour moi, le désir est une force impérieuse, presque une nécessité à la fois biologique et psychologique ; une impulsion fondamentale qui guide nos sens et nous pousse à satisfaire nos besoins, à embrasser nos passions. Cependant, le désir ne peut jamais être complétement satisfait, ce qui nous maintient dans un perpétuel état de frustration. On assouvit nos pulsions immédiates, mais le contentement est provisoire. On atteint un sommet, mais notre désir se déplace vers un autre horizon nous entraînant dans un cycle vicieux proche de l’absurde. Chaque accomplissement est suivi d’une nouvelle quête, un besoin toujours plus insatiable, toujours plus exigeant.


Mais Victoria a mis fin à ce cycle. Avec elle, la recherche d’assouvissement du plaisir charnel s’est transformé en une connexion réelle. Elle a apporté une dimension nouvelle que je n’avais jamais connue auparavant si tôt dans une relation, que ce soit émotionnellement ou psychiquement. Ses rires, ses regards, et même ses silences m'ont marqué d'une manière que je n’avais pas pressentie. Elle est devenue plus qu'une tentation : elle a apporté une clarté et une constance qui ont illuminé un recoin sombre et solitaire longtemps enfoui en moi.


Parce que c’est lorsque j’étais au plus bas, enfermé dans une impasse existentielle, avec pour seules compagnes, une détresse viscérale et un dénuement total, que les traits de cette belle inconnue ont jailli dans mon esprit comme une flamme dans l’obscurité.


Victoria, dont je ne connaissais même pas le nom à l’époque — juste un visage, un regard flamboyant, un sourire ravageur et un corps à se damner — représentait pour moi une lueur d’espoir et la promesse d’un futur sans ombrage. Loin des échos du passé. D’Amy. Des poisons que je propulsais dans mon propre corps. Cette fille incarnait la possibilité de réapprendre à vivre et à aimer. Que ce soit avec elle ou une autre... peu importait. C'est sous ses traits que je me figurais l'avenir.

Chaque fois que j'avais pensé à elle, chaque fois que j’avais rêvé de la revoir, je faisais un pas de plus vers la guérison, pour repousser mes démons dans leur antre maudit. Elle était mon arche de Noé. Elle éclairait un chemin que je ne savais même pas pouvoir emprunter, offrant une chance de réécrire mon histoire et d’embrasser un futur où la paix et l’amour pourraient devenir à nouveau réalité. Je crois que j’ai commencé à l’aimer dans mes rêves avant même de l’avoir vraiment rencontrer…


Plus tard, alors qu’on est attablés dans sa cuisine, le bruit des croissants craquant sous nos dents et le parfum du café flottant encore dans l’air, Victoria m’interroge.


— “Je veux comprendre, James, je te promets que je le veux vraiment...”


“Il n’y avait rien à comprendre, j’ai déconné, comme toujours”, pensè-je.


— “C’était quand la dernière fois ?”


— “Il y a 13 jours”, je lâche.


Ces mots résonnent en moi, comme une sentence que je me suis moi-même infligée.


Quand je dis 13 jours, je veux dire 13 jours sans replonger dans cette merde, sans céder à cette voix intérieure qui me murmure sans cesse que je pourrais me sentir mieux après, juste encore une fois. Mais après... je sais que ce n’est jamais la dernière. C’est toujours la première d’une nouvelle série de descentes aux enfers. Et même au bout de 13 jours, le manque est toujours là, tapi dans l’ombre, prêt à surgir au moindre signe de faiblesse. Parfois, ça me bouffe de l’intérieur et je dois m’accrocher de toutes mes forces pour ne pas sombrer.


— “Aujourd’hui, ça va faire 13 jours que je n’ai pas consommé de drogue”, je proclame comme une litanie, en la regardant droit dans les yeux.


Pas seulement pour elle, pour qu’elle entende la vérité sortir de ma bouche, mais pour moi aussi. 13 jours… Ce chiffre est à la fois un fardeau et un espoir. Il me rappelle à quel point la pente est raide. Mais il me donne aussi une raison de continuer, un petit quelque chose auquel je peux m’accrocher, pour ne pas tout foutre en l’air encore une fois


En revanche, je ne lui dit pas que ça fait aussi 13 jours que je n’ai pas baisé avec une fille rencontrée au hasard de mes errances, ni que ça fait 13 jours que j’ai signé le contrat qui me lie désormais à cette ville où elle vit. Elle ne sait rien de tout ça : la drogue, le sexe, Amy, mon travail, mon déménagement. Mais j’espère qu’elle pourra comprendre ce que c’est que de devoir lutter à chaque putain de minute contre soi-même. Je ne sais pas comment elle va réagir, je ne sais pas si elle pourra accepter tout ça. Mais au moins, je dois être honnête, parce que sinon, à quoi bon ? Sans ça, je n’ai plus rien. Pas de seconde chance, pas de rédemption. Juste le néant.


— “Tu aurais pu m’en parler avant”, me dit-elle alors.


Avant ? Elle veut parler de l’été dernier, lorsque j’avais laissé mes sentiments prendre le contrôle sur mes émotions, lorsque j'avais voulu être simplement moi, tel que j'aurais dû être, voulu être, aimé être, pour elle.


— “Je sais Vi, mais durant la semaine qu’on a passé ensemble, j’étais clean depuis presque sept mois. Je pensais vraiment que j’avais tourné la page. J’ai mis tout ça de côté, je me suis concentré sur nous. Je voulais vivre le moment présent, ne pas me laisser rattraper par le passé. Tu comprends ?”


Elle a d’abord hoché la tête, un geste presque imperceptible, puis ses sourcils se sont froncés, laissant transparaître une confusion naissante. Visiblement décontenancée, les rouages de son cerveau faisant jour, elle m’a alors interpellé :


— “Ce que tu dis n’a pas de sens. Pourquoi en avoir repris le soir où… tu sais ? Je veux dire, si tu avais réussi à rester clean aussi longtemps, pourquoi t’a replongé ?”


Victoria me fixe avec une attention particulière, ses grands yeux couleur ambre presque implorants. Sa posture légèrement penchée vers moi trahit une volonté sincère de comprendre ce qui m’a conduit à retomber après tout ce temps. Je sais pourquoi elle me demande ça. Du soir où tout a basculé, le soir où, à travers un message vocal laissé à 1h du matin, je lui ai avoué mes sentiments à demi-mots, galvanisé par la perspective de venir m’installer à Toulouse et de pouvoir — dans l'éventualité qu'elle le veuille aussi — reprendre le cours de notre idylle estivale. Sa question est légitime et pourtant, même si je comprends pourquoi elle me la pose, la réponse n’est pas si évidente.


Parce qu’en vérité, ce soir-là, je ne me rappelle pas avoir consommé de la drogue de ma propre initiative ! Putain ! Je ne me souviens de rien. Je ne sais pas ce qui s’est passé. J’ai essayé pourtant, mais c’est le noir total. C’était surement une pilule... de la K ? du X ? Je ne suis pas sûr. Pas de trace de piqure donc pas de fentanyl... heureusement putain ! Pas de vestiges quelconques autour de moi... pas de seringues vides... pas de cuillères ou de filtres… de foutues traces de poudres... de tablettes planquées sous les draps. Rien bordel !


— “Je ne sais pas… je suppose que c’était une énième tentation à laquelle je n’ai pas pu résister. La réalité m’a rattrapé et maintenant je me retrouve ici avec toi, à devoir assumer les conséquences de mes erreurs et à faire face à à ce que j’ai fait, même si je ne comprends pas bien comment ça a pu arriver.”


Ce matin-là, j’avais réveillé Elaine — une ex que j’avais eu la désagréable surprise de trouver dans le lit à mes côtés. Je l’ai confronté pendant que je retournais cette putain de chambre dans tous les sens essayant de recoller les morceaux. Mais, elle ne m’avait pas été d’une grande aide : elle prétendait ne rien m’avoir vu prendre, du moins pas tant qu’elle était avec moi ; j’étais déjà en plein trip quand elle était arrivé. J'avais exigé des explications, cherchant à comprendre ce qu'elle racontait. D'après elle, c'était moi qui l'avais appelée plus tôt pour l'inviter à me rejoindre à l'hôtel. Putain, elle déraillait ou quoi !? Elle avait ajouté que j’avais chialé à un moment donné mais qu’elle se fichait pas mal de savoir pourquoi ; qu’elle n’avait aucune explication à me fournir sur quoi que ce soit ; qu’elle était elle-même déjà bien défoncée et qu’elle voulait juste que je foute le camp de là pour qu’elle puisse dormir en paix...


Alors, je l’avais planté là, au milieu de ce putain de lit qui me donnait la gerbe. J’avais rassemblé mes vêtements éparpillés en hâte et j’étais sorti de cette putain de chambre d’hôtel, me retrouvant quasiment à poil dans le couloir. Je voulais m’éloigner au plus vite de ce merdier, fuir cette situation qui me foutait les nerfs. Je me rappelle encore comment mon cœur battait à tout rompre et comment l’écho de cette nuit infernale se répercutait violemment sur les murs autour de moi, me rappelant amèrement que j’avais encore touché le fond.


Mon esprit était en ruines, incapable de discerner la réalité des fragments de souvenirs épars qui m’échappaient. Tout ce que je voulais, c’était m’échapper. Encore aujourd’hui, je ne sais toujours pas comment j’ai atterri là-bas, ni quand et par quel moyen j’étais passé d’un bar en centre-ville à un hôtel se situant à plus de cinq kilomètres, au bord de la côte. Alors, j'avais sorti mon téléphone pour m’appeler un taxi et c’est là que mon cœur s’est brisé :


“Hey, désolé, je dormais. J’ai écouté ton message et je pense qu’on devrait vraiment se parler, toi et moi. Appelle-moi ce soir, ou quand tu veux, d’accord ? Je pense à toi. Bisous Scotty man.”


Mon Dieu… Victoria…


Il y avait un coup de fil manqué à 7h43. Elle avait dû m’appeler juste après son réveil. Elle devait même être encore dans son lit quand elle avait écouté mon vocal. Le texte indiquait 7h46. Juste le temps de le taper, parce que je n'ai pas répondu… putain de merde...


Ce matin-là, j’ai réalisé avec horreur que je venais de foutre ma vie en l’air. Que je ne pourrais plus jamais regarder Victoria dans les yeux sans me souvenir de la trahison que je lui ai infligée. Que chaque fois que je me verrais dans un miroir, ce serait pour affronter le reflet cruel de ma honte. Je me suis maudit de toutes mes forces, écrasé par le poids de mes actes. Le reste de la journée n’a été qu’une spirale de douleur et de manque — manque d’elle, manque de drogue —, mon corps et mon esprit succombant à l’agonie de la rechute. Merde, j’ai vraiment tout foiré…

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