CHAPITRE 14.3 * JAMES
J.L.C
♪♫ SAY SOMETHING — A GREAT BIG WORLD ♪♫
Victoria me dévisage avec des yeux sombres, tentant d’analyser la véracité de mes mots, de percer à jour mes intentions. Ses sourcils sont légèrement froncés et elle se mordille les lèvres. Elle pousse un long soupir, un signe poignant de fatigue émotionnelle, avant de déclarer :
— “C’est beaucoup à encaisser d’un coup, James”.
Elle avance vers le canapé, le pas alourdi et ses épaules voûtées sous le fardeau de mes révélations. Elle s’y laisse tomber, jambes croisées, coudes plantés sur ses genoux, ses mains formant une barrière fragile contre l’orage de ses pensées. Ses cheveux glissent en cascade devant elle, voile ténu sur son visage. Après un long silence, elle me fait signe de la rejoindre. Je m’assois à ses côtés alors qu’elle se tourne vers moi, ajustant sa posture, un bras posé sur le dossier, une jambe repliée sous elle.
— “Je tiens à toi et je crois que tu le sais”, murmure-t-elle.
L'étincelle dans ses yeux est empreinte de sincérité, ses traits sont adoucis.
— “Mais il faut que je réfléchisse à ce que ça signifie pour nous. Ça va prendre du temps.”
— “J’attendrai”, je réponds aussitôt.
Elle commence à se masser doucement le front, puis les tempes, ses doigts glissant le long de l’arête de son nez, jusqu’à effleurer ses lèvres. Je reste suspendu à chacun de ses gestes, incapable de détourner le regard, comme si le moindre mouvement de sa part pouvait annoncer la suite de ce que j’allais entendre.
— “Ça ne veut pas dire que je me détourne de toi, au contraire. Quoi qu’il advienne entre nous, sache que je serai là pour t’aider. Je te soutiendrai autant que possible. Tu n’as pas à traverser ça seul... je veux dire ton addiction, ton mal-être, tes errances... Je te promets de t’accompagner, de t’aider à avancer. Je le ferai sans hésiter, comme une vraie amie le ferait, parce que c’est ce que font les amis.”
Sa voix se fait alors plus douce, plus fragile, teintée d’une émotion retenue.
— “Mais... si tu attends qu’on soit plus que ça, qu’on soit plus que des amis, c’est différent. Ce n’est plus le même engagement.”
Ses paroles résonnent lourdement en moi, pressant mon cœur. Non… il est trop tard pour moi, je ne peux plus me contenter d’une simple amitié. Pas après tout ce que j’ai ressenti, pas maintenant que je réalise… que je l’aime. Si elle n’a pas de place pour moi autrement, je disparaitrai de sa vie, je plaquerai tout, je quitterai Toulouse, parce que l’aimer de loin, c’est la seule chose décente à faire pour elle. Je refuse de la tirer vers le bas.
Parce que je serais inarrêtable. Si je dois souffrir de la voir dans les bras d'un autre... je me connais. Plus rien ne pourra pas m’empêcher d’aller puiser à nouveau dans mes travers.
Et pourtant, je la crois. Je connais sa dévotion, son altruisme et sa force de caractère. Je sais qu’elle viendrait me chercher, qu’elle essaierait de me sauver. La voir sacrifier ses forces, sa lumière, pour tenter de repêcher mon âme lorsque je serai au bout du rouleau, je n’y arriverai pas. Elle ne mérite pas ça, elle mérite le bonheur, la légèreté, la paix.
— “Non, c’est impossible”, m'exclamè-je soudain, avec une fermeté que je ne maîtrise plus.
— “Pardon ?”
Elle se fige, surprise par l'intensité soudaine de mes mots.
— “Qu’est-ce qui...”
Je me redresse d’un bond, luttant contre la vague d’émotion qui menace de me submerger.
— “Ton amitié, Victoria”, je réplique d’un ton brusque en passant mes mains dans mes cheveux. “Je sais que c’est déjà beaucoup et je t’en suis reconnaissant. Mais ça te couterait trop...”
Et à moi aussi d’ailleurs, pensè-je, en silence, accablé par ce qu’une simple amitié exigerait de moi
—“Comment ça ?” me s'enquiert-elle, visiblement perdue et déstabilisée par mon emportement.
— “Je ne peux pas t’imposer ça, Victoria. Je ne peux pas te demander d’accepter quelque chose que moi-même je n’arrive pas à gérer. Si tu n’es pas prête à envisager quelque chose de plus, rester dans ta vie comme une ombre du passé, non, c’est...”
Putain de merde ! Je me détourne et je commence à faire les cent pas dans la pièce.
— “Je sais que tu veux m’aider et c’est justement ce qui m’effraie. Mais si tu ne veux pas de moi… je partirais.”
Je lui jette un coup d’œil furtif. Elle fronce les sourcils un instant, puis soudain, des éclairs peignent son regard. Elle se lève à son tour, un petit ricanement franchit ses lèvres. Elle se plante devant moi, sa voix montant d’un cran, tandis qu’elle me fixe droit dans les yeux.
— “Pourquoi ? Tu penses que je n’en ai pas la force ? Que je vais t’abandonner au premier obstacle, te repousser ? C’est ça, James ? Tu crois que je suis trop faible pour supporter ce qui pourrait arriver ?
Je secoue la tête, sentant le poids de ses accusations me frapper en plein cœur.
— “Non, Victoria, ce n’est pas ça, je sais que tu tiendrais le coup” je réplique, la voix tremblante de frustration.
Elle s’avance, me forçant à lui faire face à nouveau. Je vois son souffle suspendu, comme si chaque mot qu'elle essaie de maîtriser exigeait une force surhumaine. Son visage est une toile de colère et d’incompréhension.
— “Alors qu’est-ce que c’est, bon sang ? Tu crois qu’on oublie si facilement ? Que je vais t’oublier, toi
Elle expire bruyamment, ses yeux fixés sur moi avec une intensité qui me fait vaciller. Ses lèvres tremblent, et les émotions tourbillonnent dans ses yeux, comme une mer agitée.
— ‘Tu crois que ça me coûterait trop ? Que je ne pourrais pas encaisser ? Tu n’as pas le droit de décider à ma place ! Si je suis prête à me battre, c’est mon choix, pas le tien !”
Visiblement bouleversée, elle baisse la tête un instant. Ses épaules tremblent légèrement, ses mains s’agitent nerveusement tandis qu’elle tente de reprendre contenance. Mais les mots jaillissent encore, se transforme en une diatribe torrentielle. Les phrases se succédent avec force et détermination.
— “Tu n’as pas le droit de m’exclure de ta vie sous prétexte de vouloir me protéger. Ce que tu cherches à faire, c’est fuir. Encore ! C’est toi qui n’es pas prêt à affronter tout ça, pas moi !”
Elle a visé juste. Mon dieu... Je sens la vérité de ses mots m’écraser. C’est moi qui suis terrifié à l’idée de la voir plonger dans mon chaos. C’est moi qui me dérobe face à ce que nous pourrions réellement devenir ensemble... Merde. Je fais un pas en avant, cherchant désespérément une réponse, quelque chose qui ne soit pas une évasion de plus.
— “Victoria, je...”, je commence, hésitant. “Je ne veux pas fuir. J’ai peur de ce que je pourrais te faire endurer. Je ne suis pas sûr de pouvoir me battre contre mes démons sans t’entraîner avec moi. Alors peut-être que tu as raison, mais je ne veux pas te faire souffrir. Et je sais que si je reste, je te briserai.”
— “Tu ne me briseras pas, James,” riposte-t-elle, une émotion brute transparaissant dans son intonation. “Tu me rends furieuse, tu me fais peur, mais tu ne me briseras pas. Tu n’as pas le pouvoir de me détruire comme tu le penses. Ce que tu as, c’est le pouvoir de me perdre, et ça, c’est la seule chose que je ne te pardonnerai pas.”
Je la regarde, le cœur lourd. Je n’aurais jamais imaginé que ses paroles seraient une telle claque, que sa détermination pourrait à la fois me réconforter et me terrifier.
— “Tu ne me le pardonneras pas, mais te le pardonneras-tu à toi-même ?” j’articule, la voix alourdie par un mélange de désespoir et d’une vérité impossible à ignorer.
Elle cille, ses yeux s’écarquillent, comme si ma question avait frappé une corde sensible, résonnant profondément en elle. Le silence qui s’installe entre nous est chargé comme des lignes de tensions électriques frappées par la foudre. Sa poitrine se soulève à chaque inspiration, son rythme saccadé trahit l’émotion qui monte en elle. Moi-même, je sens mon cœur cogner douloureusement, comme s'il cherchait à briser la barrière de ma cage thoracique. Elle secoue la tête, ses pensées l’assaillent, puis elle relève la tête avec une lueur de détermination, un éclat nouveau.
— “Si tu veux vraiment faire quelque chose pour moi alors reste. Ne m’enlève pas la possibilité de choisir. Si je veux prendre ce risque, alors laisse-moi le prendre.”
Je reste là, figé, réalisant l’ampleur de sa déclaration. Est-elle réellement prête à s’engager ? Ses sentiments envers moi sont-ils aussi profonds que les miens ? Est-elle en train de m’offrir la possibilité d’être avec elle. Je dois savoir, être sûr.
— “Si je reste”, je murmure d’une voix brisée, les yeux rivés aux siens,je ne veux pas qu’on soit juste amis, Victoria. Ça me tuerait à petit feu.”
Elle ferme brièvement les yeux, comme si elle absorbait la douleur, la tristesse de ma confession. Ses doigts effleurent sa tempe. Sa posture, légèrement courbée, montre l’effort qu’elle fait pour rester calme face à la situation.
— “James,” reprend-elle avec une voix plus assurée, “je veux que tu comprennes… Ce n’est pas une question de courage ou de résilience. Je suis prête à t’accepter avec tes forces et tes faiblesses, à affronter avec toi ce que tu traverses. Mais ce que je ne peux pas accepter, c’est que tu me prives de cette décision. Que tu décides de me mettre à l’écart avant même que j’aie pu choisir.”
Je perçois ce qu’elle essaie me dire, mais putain, je ne peux pas ! L’idée de lui faire du mal à cause de mes démons me torture déjà. Elle ne réalise pas à quel point cela pourrait la consumer. La frustration bouillonne, me poussant dans une spirale de désespoir. Elle ne comprend pas... comment pourrait-elle cerner le fardeau de ce que je pourrais lui imposer ? Je la fixe intensément, les mâchoires serrées, luttant pour ne pas céder à l’angoisse.
— “Je sais ce que je suis, Vi. Je ne te laisserai pas te sacrifier pour moi. Ce serait pire que tout. Je ne pourrais pas te protéger...”
Face à ma réaction, elle explose, sa voix débordant d'une colère si brute qu’elle en devient palpable.
— “Oh ! Arrête de vouloir jouer au super-héros ! Tu penses que je ne sais pas quelle est ta kryptonite, Superman ?”, réplique-t-elle furieuse.
Bordel ! C'est moi qui vois rouge à présent. Conscient de ma propre peur, de la frustration qui m'étouffe, je l’attrape par le bras, sentant mes limites céder.
— “Non, tu n’as pas compris !”
Elle tente de se libérer, mais je resserre ma prise, résolu à faire passer mon message. Mon cœur bat à tout rompre et chaque pulsation résonne dans mes tempes.
— “Bien sûr que si !”, crache-t-elle avec véhémence. “Tu prends de la drogue pour oublier...”
Avant qu’elle ne puisse achever sa phrase, je tranche sèchement, la secouant sans même m’en apercevoir :
— “Pour oublier quoi Vi ?”
Ses yeux s’arrondissent et sa colère laisse soudain place à une expression de stupeur. Ses traits se détendent ; elle semble soudain désorientée. Je peux voir ses épaules se relâcher alors qu’elle cherche désespérément à comprendre ce que je veux vraiment dire. Je relâche son bras, regrettant immédiatement ce geste déplacé, et je recule d’un pas.
Elle me fixe, perdue, ses lèvres légèrement entrouvertes. Dans cette fraction de seconde, je vois sa vulnérabilité, une fragilité cachée derrière sa force apparente. C'est un moment de vérité brutale, où chaque émotion se reflète clairement sur son visage, et où nos âmes se rencontrent sans masque. Une sueur froide perle sur mon front alors que j'inspire profondément, chaque inspiration semblant brûler mes poumons.
— “Ce n’est pas juste une question de dépendance à la drogue...”, dis-je, dépité et abattu. “Si j’ai replongé, c’est à cause de ce que je ressens pour toi... C'est le seul moyen que j’ai trouvé pour ne pas t’aimer.”
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