CHAPITRE 16.2 * JAMES

6 minutes de lecture

J.L.C

♪♫ WAY MAKER — LEELAND ♪♫

Je quitte enfin le balcon pour revenir à l’intérieur. Après quelques pas hésitants, je me fige au milieu de la pièce, mal à l’aise : je ne sais pas où aller ni quoi faire… Les souvenirs de ce que j’ai fait tout à l’heure me hantent, et je me demande comment m’excuser pour mon comportement. Il faut qu’elle sache que ça ne se reproduira plus. Le mur de sa cuisine est un rappel silencieux de ma maladresse, alors je décide de me diriger vers le coin salon.


L’appartement a pas mal changé depuis ma dernière visite. À l’époque, elle venait d’emménager, et il régnait un désordre charmant, un pêle-même organisé, totalement à son image. Je me rapelle les cartons pas encore défaits dans un coin de sa chambre, les pots de peinture laissés sur le balcon parce qu’elle venait de repeindre les meubles de la cuisine en vert de gris. Son lit était alors un simple sommier sans ornements ; aujourd’hui, il est surmonté d’une tête de lit en rotin, ornée de guirlandes lumineuses diffusant une douce lueur dorée. Les murs du salon, qui étaient nus et impersonnels, sont désormais décorés de miroirs, tableaux, cadres photos et étagères. Je me souviens particulièrement du grand miroir accroché au mur, celui qu’elle avait acheté lors de l’une de nos sorties en ville. Je l’avais aidé à le fixer, tout comme j’avais fini de monter l’étagère de sa bibliothèque, qui est maintenant pleine à craquer de livres. Elle adore la lecture, elle pourrait passer des heures plongée dans un roman.


En observant tout cela, je pose une main sur le dossier du canapé, mes doigts effleurant le velours beige. Je me dis, qu’à ma manière, j’ai un peu contribué à la création de cet espace, que j’ai aidé à en faire un véritable chez-soi. À l’époque, elle avait plaisanté sur cette idée, comme si elle se projetait dans un futur où on emménagerait ensemble. J’avais trouvé ça craquant. Et maintenant, je me demande si j’ai encore une place dans ce tableau…


Son intérieur est à la fois chaleureux et lumineux, avec une décoration mêlant matériaux bruts et couleurs neutres, agrémentée de touches de vert et de bleu, ces couleurs préférées. Je remarque le soin méticuleux apporté aux détails, le rangement presque millimétré de chaque objet, révélant son côté maniaque et son besoin de contrôle. Tout semble à sa place, chaque élément ayant son rôle précis, à l'exception de son bureau où le désordre règne en maître : papiers éparpillés, stylos et carnets en désarroi, notes autocollantes griffonées de rappels et d’idées... Une boîte de jeu de société et une maquette du système solaire inachevée côtoient des échantillons de matériaux et des affiches évènementielles. Ce chaos apparent est en réalité un reflet de son esprit créatif, un lieu où l'ordre extérieur cède la place à une effervescence intérieure.


Je me laisse tomber dans le canapé, un soupir profond échappant de mes lèvres. Les souvenirs de nos moments passés ici flottent autour de moi. Je me rappelle les rires, les conversations tardives, ces instants précieux qui semblaient éternels. À présent, je me demande si je suis encore capable de retrouver cette intimité perdue.


Alors que je tente de me détendre, un détail me revient en mémoire, comme un coup de poignard : le nom de Mati, et le commentaire provocateur qu’il a fait la veille. Ce connard m’a clairement fait entendre qu’ils baisent ensemble, ou qu’ils ont baisé par le passé. Cette pensée ravive en moi une angoisse lancinante, celle que je croyais enfouie depuis longtemps. Je serre les poings nerveusement. Qu’est-ce qui se passe réellement entre eux ?


Je ne peux m’empêcher de me demander quel genre de relation ils ont. Victoria m’a menti quand elle m’a affirmé qu’ils étaient juste amis. son regard fuyant et son sourire légèrement nerveux au téléphone trahissaient quelque chose, j’en mettrais ma main à couper. Ce sentiment de confusion me serre le cœur. L’idée qu’elle soit sur le point de rejoindre Mati en sortant d’ici, ne m’enchante guère. Mais, il y a pire : la perspective qu’elle puisse être impliquée avec lui, pour le travail ou autre chose — surtout autre chose — me plonge dans un état de doute et d’angoisse. Je ressens une jalousie poignante et déstabilisante, une ombre menaçante qui semble prête à faire voler en éclat la confiance que j’ai envie d’accorder à Victoria. Il me faut absolument clarifier la situation, comprendre ce qui se passe réellement. Je refuse que le spectre de la trahison vienne tout gâcher à nouveau. Mais pour le moment, je dois lui laisser le bénéfice du doute et mettre ma peur de côté et surtout, ne pas tout foutre en l’air. 


Victoria sort alors de sa chambre, frottant ses cheveux encore humides dans la serviette —saumon. Elle m’interrompt dans mes réflexions, et je la regarde, à la fois désorienté et attiré.


— “Ça va ? Il faut que j’aille me sécher les cheveux et me maquiller. Désolé pour l’attente.”, m’informe-t-elle doucement.


Je la détaille de pied en cap. Elle est habillée de façon décontractée, mais avec une élégance naturelle qui la caractérise. Son pantalon bordeaux taille haute en velours côtelé épouse ses courbes tout en restant confortable. Son chemisier noir, légèrement transparent avec des motifs automnaux, est rentré dans le pantalon, soulignant la finesse de sa taille. La tenue fait met en valeur sa peau dorée et son teint lumineux. Un ras-du-cou délicat en or jaune avec des perles orne son cou, tandis qu’une longue chaîne pend avec élégance entre ses seins. Un petit gilet noir en maille complète l’ensemble, ajoutant une touche de douceur et de chaleur.

— “Pas de souci,” lui réponds-je, tentant de repousser les questions qui me taraudent.

Je ne suis pas en position d’exiger quoique ce soit d’elle.

Elle retourne dans la salle de bain. Je pose mes bras sur mes genoux en me penchant en avant, attendant. Le bruit du sèche-cheveux se fait entendre, et j’essaie de me détendre, bien que le simple fait de m’asseoir ici, dans son chez-elle, fasse remonter un flot de souvenirs et de questions difficiles à organiser.

Je repense à une matinée où on avait à flâner chez elle, allongé sur ce même canapé. Elle avait la tête posé sur mes cuisses, ses doigts jouant distraitement avec les miens, tandis que je caressais doucement ses cheveux étalés sur moi. Je me rappelle le calme qui régnait, la lumière douce qui baignait la pièce, et la manière dont elle levait les yeux vers moi, avec ce mélange de sérieux et de douceur.


Victoria rêvait de devenir instit. Elle m’avait parlé de ses études, de cette année sabbatique qu’elle avait prise pour réfléchir à son avenir. Elle avait finalement décidé de reprendre et de se lancer dans une carrière de professeur des écoles. Ses yeux brillaient d’un éclat particulier lorsqu’elle évoquait son désir d’enseigner, de transmettre et d’accompagner les enfants dans leur développement. Elle m'avait décrit avec passion ses expériences avec les enfants, ses jobs étudiants dans l’animation, ses été passé en colonie de vacances. C’était un véritable bonheur pour elle, et j’avais été touché par son engagement et sa joie. À ce moment-là, je m’étais dit que Victoria était exactement le genre de femme avec qui je pouvais envisager un futur, une vie de famille.


C’est là, sur ce canapé, que j’ai réalisé à quel point elle était unique à mes yeux. Elle ne se contentait pas de vivre, elle cherchait à faire une différence, à construire quelque chose de durable, d’important. Et moi, à ce moment-là, j’avais voulu faire partie de cette construction, de cet avenir qu’elle imaginait. Aujourd’hui, je me demande si je suis à la hauteur de ses rêves, si j’ai encore une place dans cette vie qu’elle façonne avec tant de minutie.


En attendant qu’elle revienne, je me demande ce que l’avenir nous réserve. Chaque moment passé avec elle est une leçon, un défi, et une chance de redéfinir ce que nous sommes ensemble. Peut-être est-ce le moment de prouver que je peux être plus que ce que je suis maintenant.

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