CHAPITRE 18.1 * VICTORIA

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TOME 1

24H POUR SE RETROUVER


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PARTIE 3

A CONTRE COEUR




METRO BOULOT DODO

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V.R.S.de.SC

♪♫ ... ♪♫

Tandis que l’Uber disparaissait dans le flot des véhicules, un sentiment étrange d’inachevé m’avait saisie. Mes doigts, presque machinalement, avaient frôlé mes lèvres, comme pour capturer l'écho de notre baiser. Une pensée fugace s'était insinuée : est-ce que tout ça pourrait vraiment marcher ? J'avais chassé l'idée d'un léger mouvement de tête. Pas le temps de me laisser distraire par mes doutes. Il fallait que je me concentre sur ce qui m'attendait. Le travail n'allait pas se faire tout seul.

En passant la porte, l’atmosphère avait radicalement changé. Fini le tumulte extérieur, et place à une tranquillité presque solennelle. Contrairement à l’effervescence des soirs d’ouverture, en journée, le club semblait endormi. Aujourd'hui, toutefois, ce silence était ponctué par les sons sourds des marteaux et des perceuses provenant du chantier de la piscine extérieure. À cette heure, le lieu était fermé, et seuls quelques employés s’activaient, chacun à sa tâche, préparant méticuleusement la grande soirée d'Halloween.

J'avais brièvement salué les quelques visages familiers avant de monter en hâte vers le bureau de Mati à l’étage. Sans perdre une seconde, mon sac et la boîte que je portais avaient trouvé leur place sur le canapé à l’entrée, tandis que mes doigts cherchaient déjà la liste préparée par Mati. Celle-ci était cruciale pour les derniers détails techniques — corrections, ajustements, finitions, tout y était noté. N’y connaissant pas grand-chose en matière de plomberie ou de maçonnerie, je devais m’appuyer sur les annotations méticuleuses de Mati pour m’assurer que tout était en ordre.

L’heure suivante avait été un véritable marathon. Entre ouvriers à superviser, décorations à finaliser, coups de fil aux différents prestataires qui se succédaient, je n’avais pas eu une minute à perdre. L’aménagement des lieux ne pouvait pas être repoussé plus longtemps. Tant pis pour l’effet de surprise. Le club ne pouvait se permettre de rester fermé un soir de vacances. Ce n’était pas une option pour Mati. Ce soir, les clients auraient un aperçu de la grande soirée d'Halloween, une sorte de mise en bouche. Avec un peu de chance, cela attisera leur curiosité et les fera revenir demain. Pour les affaires, ce serait un succès, et par extension, pour mon compte en banque. Ces soirées événementielles sont une vraie aubaine : si elles rapportent gros, Mati continuera à faire appel à mes services. Sinon, il me faudra chercher un nouveau job ailleurs.

Bien sûr, il existait des alternatives. En temps normal, je travaille dans les séjours de loisirs pendant les vacances d’octobre et les mois d’été. Mais cette année, je n’en ai eu ni l’envie ni la force. S’occuper d’enfants quand on a pas le moral, serait injuste pour eux et épuisant pour moi. La fatigue émotionnelle, combinée aux exigences du métier, peut rapidement devenir un cocktail explosif de frustration et de stress que les enfants ne méritent pas de subir. Alors, j'avais préféré me jeter à corps perdu dans l'organisation de cet événement. Un choix réfléchi, mais nécessaire, autant pour occuper mon esprit que pour remplir mon porte-monnaie. Une décision que je ne regrette pas à présent.

Ce que j'aime dans l'événementiel est très proche de ce que je ressens quand je travaille avec des enfants dans l’animation. Dans les deux cas, je prends une idée brute et je la modèle, la transforme en quelque chose de concret, de vivant. Ce sont deux domaines qui me permettent d’exprimer ma créativité et de donner vie à des concepts, des plus simples aux plus complexes. Qu’il s’agisse de planifier une soirée à thème, de bosser pour un festival ou de mettre en œuvre des activités ludiques pour les enfants, voir un projet se concrétiser est toujours gratifiant. Depuis leur première ébauche jusqu'à leur réalisation complète, chaque petite étape franchie est une victoire. Chaque élément qui contribue à créer une atmosphère unique est un plaisir. C’est si excitant, palpitant. Voir mes idées prendre vie, c'est ça qui me fait vibrer.

Ce que j'apprécie également, c'est la diversité et la polyvalence que ces pratiques requièrent. Il faut savoir jongler entre des missions variées, respecter des délais serrés, surmonter des imprévus constants, tout en gardant la tête froide. Organiser un festival, par exemple, implique d’anticiper les besoins des exposants ou des artistes, de coordonner les différentes équipes, de gérer les autorisations et toute la logistique, et tout cela sans perdre de vue l’essentiel – créer une expérience inoubliable pour les visiteurs. Cette complexité m'oblige à être non seulement organisée mais aussi flexible, capable de voir à la fois le tableau d'ensemble et les plus petits détails. C’est un défi à plusieurs niveaux, stimulant et enrichissant qui me va parfaitement.

Avec les enfants, c’est un peu différent, bien sûr. Les projets que je mets en place pour eux semblent être plus simple en apparence, mais ils nécessitent une bonne dose d’ingéniosité et d’adaptation. Il faut savoir capter leur attention, créer des moments où ils peuvent s’amuser, apprendre et grandir, sans négliger de garantir leur sécurité et de veiller à leur bien-être. Garder leur intérêt, les divertir, les émerveiller, c’est un vrai challenge et une responsabilité que j’adore. Leurs sourires, leurs éclats de rire, être témoin de leur émerveillement est une récompense qui n’a pas de prix.

Dans les deux cas, c’est toujours l’humain qui m’importe. Rassembler des gens, créer des souvenirs, voilà ce qui me touche. Que ce soit des adultes qui profitent d’une soirée que j’ai mise en place, des familles qui découvrent une expo que j’ai aidé à préparer, ou des enfants qui s’enchantent devant une activité, c’est ce lien, cet échange qui donne tout son sens à mon travail. J’aime l’idée d’avoir contribué à un moment de bonheur, à une parenthèse d’émotion partagée.

Mais avec l’adrénaline vient aussi la prise de conscience : ce rythme, cette intensité ne peuvent durer éternellement. Certes, ce frisson, c’est ce qui me pousse à me dépasser, à exiger le meilleur de moi-même, à être toujours sur le qui-vive. Mais je sais aussi qu'à terme, j'aurai besoin d'une voie plus stable. C’est pourquoi j’ai finalement décidé de me tourner vers un diplôme dans l’enseignement. J'ai besoin de cet équilibre, de cette régularité pour contrebalancer la volatilité de mes pics d’activité. Il est essentiel pour moi de pouvoir construire mon avenir sur des fondations solides et avancer dans la vie sereinement.

Parfois, je me surprends à rêver de ce futur, peut-être dans un an, peut-être dans quelques années, après avoir épuisé toutes mes énergies dans ces projets passionnants et en avoir tiré une profonde satisfaction. Je m’imagine dans une classe, entourée d’enfants à l’esprit vif et à l’enthousiasme contagieux. Leur transmettre ce que j’ai appris, créer avec eux des moments de partage et de découverte… Enseigner, guider, inspirer, ce serait l’aboutissement d’un parcours riche et diversifié, ancré dans la sécurité d’une nouvelle étape de vie. Et puis qui sait ? Peut-être un jour, aurai-je mes propres enfants, et à mes côtés, une personne que j’aime, qui m’aime en retour, avec qui je partagerais ce même idéal de vie. Ce serait une autre forme d’accomplissement plus intime. Une autre aventure plus douce et profonde. Chaque projet ne serait plus seulement professionnel, mais personnel, à deux. Avec tendresse. Avec complicité.

Et pourtant, malgré ces rêves de stabilité et d’harmonie, je suis bien consciente que pour l’instant, ma réalité est ailleurs. Je suis encore plongée dans l'intensité de mes projets actuels. Il y a un certain charme à cette vie trépidante, une satisfaction immédiate que je ne pourrais nier.

Les deux métiers ont d'ailleurs cette capacité à me sortir de mes pensées, à m’ancrer dans le réel. Quand je suis plongée dans l’organisation d’un événement, il n’y a plus de place pour les doutes ou les inquiétudes. Je suis là, investie, concentrée, résolue à donner le meilleur. L’équilibre que je trouve est difficile à atteindre autrement. Cette immersion totale dans le travail est un véritable contrepoint à mes préoccupations personnelles et mes turbulences émotionnelles. Surtout aujourd’hui, alors que mes émotions sont particulièrement à fleur de peau.

Il était tout juste 13h00 lorsque Mati a fini par faire son apparition. Quelques minutes avant, James m’avait écrit, me demandant où nous devions nous voir. Je lui avais simplement répondu de me rejoindre au club, on improviserait ensuite.

Installée dans une des alcôves devant le bar — peut-être même celle où James avait passé la soirée précédente —, j’étais en pleine révision de la liste des détails de dernière minute à vérifier pour la soirée. Autour de moi, les lieux baignaient dans une lumière tamisée, accentuée par les premières lueurs de l'après-midi filtrant à travers les hautes fenêtres du club. C’est dans ce calme feutré que j’ai vu Mati entrer, fatigué, mais toujours avec ce sourire qui trahit son endurance. Il portait encore les stigmates d’une longue nuit de labeur, les yeux légèrement cernés, témoignage de son engagement sans faille et de son obstination à mener à bien chacun de ses projets. Mati a toujours eu ce sens aigu des affaires et une détermination à toute épreuve, surtout quand il s'agit de son club. Je l’avais accueilli avec un sourire sincère, reconnaissant en lui un partenaire aussi passionné que moi par la quête de l’excellence et du travail bien fait.

Voilà que maintenant, une dizaine de minutes plus tard, nous passons en revue les éléments clés de la soirée : installations temporaires, animations prévues, menus spéciaux. Mati, toujours aussi méticuleux, me rassure en confirmant que le souci avec les boissons est réglé. Les bouteilles de champagne devraient arriver à 15h, à condition que tout se passe comme prévu.. Son calme est un véritable havre de paix au milieu de l’agitation des préparatifs.

Je consulte ma montre : 13h20. James ne devrait pas tarder à se mettre en route et une légère impatience m’envahit à l’idée de notre rencontre.

— “J’attaque la com’ cet après-midi et je tourne la dernière vidéo promotionnelle pour les réseaux. J’ai déjà pris le costume dont on avait parlé et Nina me rejoindra pour m’aider avec le maquillage. J’attends juste que les miroirs soient livrés pour filmer”, explique-je à Mati.

— “Et merde, j’ai complètement oublié ma tenue… C’est obligé ?”, demande Mati, visiblement contrit.

— “Bien sûr !”, je réplique avec un sourire espiègle.

Je sais bien que Mati n’est pas particulièrement emballé par l’idée de se déguiser, il n’aime pas ça mais il n’a pas trop le choix. C’est une soirée Halloween et, en tant que patron, il doit se prêter au jeu. Heureusement, le thème choisi est assez sobre : “Anges et démons”, avec juste ce qu’il faut de mystère et de sophistication. Ca devrait être supportable.

— “Allez, Mati, c’est pas la mer à boire !”, je lui assène en voyant sa moue boudeuse.

— “Ok, d’accord, c’est bon”, grommelle-t-il d’abord, puis, avec une touche de bonne humeur, il ajoute : ​​​​​​​“Bon, tu as faim ? Moi, oui ! On va manger quelque part ? Ou on se fait livrer si tu préfères ?”

— “Je ne peux pas, Mati, désolé.”. Je marque une légère hésitation avant d’avouer : “Je dois retrouver James pour le déjeuner”.

Son expression change aussitôt. Mati n’a pas l’air ravi. Ses sourcils se froncent et il fixe un point imaginaire, son esprit visiblement préoccupé, avant de revenir vers moi avec un regard plus sérieux.

— “Vic, ne le prends pas mal, mais tu es vraiment sûre de ce que tu fais avec lui, après tout ce qui s’est passé entre vous ?”

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