CHAPITRE 18.2 * VICTORIA

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V.R.S.de.SC

♪♫ ... ♪♫

Si je suis sûre de moi ?

Je lève les yeux vers lui, mais les mots restent coincés dans ma gorge. Une tension familière s’empare de ma poitrine. Je sais que Mati agit par bienveillance, qu’il cherche à me protéger, mais sa question rouvre la brèche que le retour de James avait quelque peu colmatée. Avant que je ne trouve que répondre, il reprend, hésitant, la voix plus douce, presque cassée :

— C’est juste que... je sais ce que tu as traversé. J’étais là, tu te souviens ?

Son regard cherche le mien, lourd de sous-entendu. Je comprends tout de suite. Il s’inquiète. Et je sais pourquoi. Mati a été mon pilier pendant cette épreuve quand James a disparu de ma vie sans prévenir. Et pourtant, il est toujours celui qui fait battre mon cœur...

Mon ami m’a soutenue quand tout s’effondrait autour de moi, quand je n’avais plus de repères, quand j’étais à deux doigts de me perdre. Il m’a tenu, littéralement, quand je voulais disparaître dans l’oubli… dans ses bras.

Un frisson me parcourt. Ce souvenir-là n’est pas facile à convoquer : je le garde enfoui dans une boîte cadenassée. Pas seulement parce qu’il est douloureux — et il ne devrait pas l’être pourtant —, mais parce qu’il est teinté d’un mélange confus de réconfort et de regret. Ce qui, jusqu’ici, ressemblait à un ancrage, à une bouée de sauvetage, porte aujourd’hui la marque d’une trahison silencieuse.

Non, je ne dois pas culpabiliser. Ce ne serait pas juste ni pour moi, ni pour Mati. Ce n’était pas une erreur, mais une nécessité.

— Je sais, mais je… je ne veux pas que tu te fasses du souci pour moi, finis-je par murmurer.

Mais même à moi, ma réponse sonne creuse. Je sens le poids de ce non-dit qui plane entre nous, cet instant d’égarement que ni lui ni moi ne savons vraiment où placer. Entre James et moi, c’est une équation à trop d’inconnues. Une toile d’ombres et de lumières que je dois éclaircir, des vérités que je dois encore affronter.

Mati secoue doucement la tête, et je sens sa frustration grandir.

— Vic, je ne veux pas que tu souffres encore à cause de lui. Je l’ai vu te briser une fois, je ne peux pas…

Sa voix se brise à son tour, et quelque chose au fond de moi s’agite, une culpabilité sourde, lancinante. Il a raison, quelque part. Il a toujours été là, quand James ne l’était pas. Mais ce n’est pas si simple. Mati, plus que quiconque, doit pouvoir comprendre que ce n’est pas si facile de tourner la page.

— Mati, je comprends ce que tu ressens vraiment. Mais j’ai besoin de réponses. J’ai besoin de comprendre ce qu’il y a entre lui et moi, de savoir si…

Je m’interromps. Les mots sont difficiles à prononcer et laisser entrevoir ses failles est un exercice périlleux, même pour moi.

— Avec ou sans lui, je dois avancer.

Il reste silencieux quelques instants, mais ses yeux trahissent tout. L’inquiétude, la colère retenue, l’affection sincère.

— Et tu crois réellement que tu vas trouver ces réponses avec lui ? Vic, je ne veux pas te voir replonger. Pas encore.

Sa phrase claque comme une mise en garde, et je sens mes barrières vaciller. Mais je ne peux pas lui donner raison. Pas maintenant. Bien que sa sollicitude me touche, elle n'altère pas mes sentiments.

Son regard s'adoucit. Il me connaît, il sait que je suis têtue et quand j’ai une idée en tête, je ne la lâche pas facilement. Il ne le dit pas, mais son expression révèle une compréhension mêlée de résignation, comme s'il savait qu'il ne pourra pas me convaincre autrement.

— Écoute, je comprends que tu veuilles lui donner une chance, mais sois prudente, d’accord ?

Je passe une main nerveuse dans mes cheveux et jette un coup d’œil autour de nous. La salle est déserte, l’atmosphère est baignée dans un silence presque oppressant. Même le vrombissement régulier de la ventilation semble étouffé, comme si l’espace retenait son souffle en écho à mon propre malaise.

J’ai besoin de me confier, de libérer ce poids, et Mati... je sais qu’il m’écoutera. Toujours. Sans me juger.

— James a des problèmes avec la drogue, je lâche, ma voix à peine plus qu'un murmure. Il a replongé après m’avoir laissé ce message vocal. Il m’a dit être sobre depuis 13 jours.

Mati écarquille les yeux, son expression basculant entre surprise et préoccupation.

— Merde... souffle-t-il le visage grave.

Sans attendre, il s’approche et s’assoit en face de moi, ses mains croisées et posées sur la table entre nous. Je vois l’étendue de la situation se refléter dans ses pupilles, cette compréhension immédiate qui fait monter les larmes, brouillant ma vision et me rendant vulnérable.

— Vic, c’est sérieux, vraiment sérieux. Tu sais à quel point c’est dur de sortir de cet engrenage, de cette dépendance. Je te dis ça parce que…

Il prend une inspiration, comme si ses mots peinaient à sortir et qu’il cherchait à peser chaque syllabe avant de les laisser m'atteindre.

— Ma sœur est passée par là. Et crois-moi, ce n’est pas juste une question de volonté. C’est un combat. De tous les instants. Et pour l'entourage, la situation est tout aussi dévorante. On veut aider, mais on se heurte à des murs insurmontables. L'espoir fait place à l'épuisement, et chaque pas en avant est suivi de deux pas en arrière. On se trouve à jongler entre l'amour qu’on éprouve et l’impuissance qui ronge.

Il marque une pause, enrobe mes mains dans ses paumes. Une lueur de douleur traverse son regard avant qu’il n’ajoute, d’une voix plus calme, mais néanmoins ferme :

— Je sais à quel point tu tiens à lui, Vic. Mais rester aux côtés de quelqu’un qui se bat contre ses propres démons revient à marcher sur une corde raide. L’équilibre est… précaire.

Je hoche la tête. Je vois les gouttes d’eau salée s’agglutiner au ras de mes cils, mais je les repousse avec toute la force que je peux rassembler. C’est plus fort que moi, mais je me crie de me reprendre. Je ferme les yeux un instant, comme pour retrouver une partie de moi-même, avant de revenir à lui.

Les paroles de Mati frappent juste et je lutte pour ne pas céder à l'émotion. Le poids de la situation m’écrase un peu plus à chaque seconde de silence. Pourtant, je me redresse. Je me dois de garder le contrôle, même si ça me déchire.

— Je sais que je devrais probablement prendre du recul, réfléchir à tout ça, et ne pas plonger tête la première sans savoir où je vais. Mais, je ne peux pas non plus l’abandonner comme ça. Pas sans avoir essayé de comprendre, de voir s'il y a une issue possible pour nous deux.

Les doigts de Mati serrent les miens. Je fixe son profil lorsqu’il se détourne. Il hésite encore à poursuivre, mais lorsqu'il me fait face à nouveau, ses iris brillent d’une tendresse apaisante.

— Valentina s'en est sortie. Ça a pris du temps, c'était dur, épuisant, démoralisant... Mais on s’en est sortis. Tu vois ? On se bat pour ceux qu’on aime, même quand on a l’impression qu’on n'y arrivera jamais. Si tu… tu tiens à lui, donne-lui cette chance. Je ne le connais pas, mais je ne le jugerai pas pour cette faiblesse. Il n’y est pas par choix, je te l'assure. Tu peux l'aider, mais il faut aussi que tu te préserves. Que tu restes lucide. Ne laisse pas cette lutte te détruire à ton tour.

Une sensation d’étouffement s’empare de moi, mes pensées tourbillonnent, mais l’une d’elles persiste, insistante et harassante : Et si je le perds ? Si cette merde me l'enlève ? Je ne le supporterai pas… L’idée d’un avenir sans lui me paralyse, me broie. Je vois clairement l’image de James s’éloignant de moi, se noyant dans ses propres ténèbres, et je frémis à l’idée de ne pas pouvoir l’atteindre.

Je regarde Mati, son visage sérieux, son regard perçant, et cette peur m’envahit encore plus.

— Je veux l’aider, mais j’ai... peur qu’il ne s’en sorte pas. J’ai peur de le perdre, Mati. J’ai peur qu’il se perde pour toujours… qu’il se perde dans ça, et qu’il n’y ait plus rien à faire.

Les mots s’échappent, lourds et désespérés. J’ai tellement mal à l’idée qu’il puisse être englouti par ses démons, qu’il puisse disparaître dans ce gouffre sans fin.

— Je comprends, Vic. Tes craintes sont justifiées. C’est normal. Mais tu sais, il y a des choses qu’on ne peut pas contrôler. Tu peux prendre part à sa guérison, l’encourager et le pousser vers la bonne voie, le réconforter et lui venir au secours si nécessaire, et j’espère que tu n’y seras jamais confrontée, mais... tu ne pourras pas tout porter sur tes épaules. Ce n’est pas ta responsabilité de le sauver seule… Ce que tu peux faire, c’est lui offrir ton soutien, lui donner l’espoir qu’il y a une issue. Par contre, promets-moi que tu prendras soin de toi avant tout. Ne te perds pas dans ses problèmes, Vic. Tu en as déjà assez bavé et tu vas finir par te perdre toi.

C’est exactement ce que James redoute… Que je m’oublie, que je devienne une autre version de moi-même, ensevelie dans ses batailles, dans son chaos. Il ne veut pas que je disparaisse dans l’ombre de sa souffrance, comme s’il pensait que je pourrais souffrir bien plus que lui au final. Parce que s’il part, moi, je resterai, et j'aurai tout en mémoire... Chaque mot, chaque geste, chaque frisson de cette folie. Dans les larmes, dans le sang, dans les os, j'endurerai tout.

Non, il est impossible, inconcevable que je le perde. Tant qu'il y a une chance de le ramener vers la lumière, de racheter ses errances, de l'éloigner de son addiction, je tiendrai. Pour lui. Pour nous. Pour moi.

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