CHAPITRE 18.3 * VICTORIA

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V.R.S.de.SC

♪♫ ... ♪♫

Quelques minutes plus tard, alors que je reprends peu à peu le contrôle de mes émotions, Mati répond à un appel urgent d’un prestataire. Sa voix calme et posée contraste avec le tumulte de mes pensées. Je l’observe, le regard perdu, encore ébranlée par notre échange.


Quand il raccroche, il me lance un sourire en coin, une lueur espiègle dans les yeux :


— Tu as toujours eu un don pour t’entourer de casse-têtes émotionnels.


Il secoue légèrement la tête, mi-amusé, mi-fataliste :


— Ah lala, l’amour !


Ce sourire, bien que taquin, est une bouffée d’air frais. L’atmosphère se détend un peu, et je sens mon cœur, encore lourd, battre à un rythme plus régulier. Sa manière d’alléger les choses, de dédramatiser au bon moment, presque sans effort, me rappelle pourquoi il est si important pour moi.


Je tente un sourire, faible mais sincère, et laisse échapper un rire tremblant, encore empreint des sanglots que j’ai refoulés :


— Oh, arrête un peu ! Et pense un peu à Leslie...


Son soupir exagéré me tire un sourire plus franc. Il roule les yeux, avec une expression à la fois amusée et faussement exaspérée.


— M’en parle pas...


Après une seconde de silence, il se redresse d’un bond, comme mû par une soudaine énergie.


— Tu devineras jamais ce qu’elle m’a sorti hier. Elle m’a dit que ma bite n’était pas assez grosse pour arriver de l’autre côté du trottoir ?


Je le fixe, abasourdie et bouche bée.


— Attends, quoi ?


Il hausse les épaules, feignant l’indifférence, mais son sourire narquois trahit son égaiement :


— Je sais pas trop ce qu’elle voulait dire, mais, apparemment, elle pense beaucoup à mes attributs masculins...


— Mati ! je proteste en levant les yeux au ciel à mon tour.


Impassible, il poursuit :


— Et, c’est pas tout : avant de monter dans l’Uber, elle m’a carrément mis la main aux boules.


Je m’apprête à réagir, mais il place déjà ces deux mains devant lui, prêt à se défendre.


— Je l’ai pas laissée faire ! J’suis pas complètement con ! Je l’ai balancé dans l’Uber en claquant la portière !


— Mouais... mais t’aurais bien voulu, avoue, soupirè-je.


Un rictus satisfait collé au visage, il s’esclaffe.


— Toujours !


Son éclat de rire, sincère et désarmant, finit par m’arracher un sourire. Une partie de moi reste encore engourdie, comme prise dans une brume épaisse, mais sa présence, son énergie et son humour m’aident à recoller peu à peu les morceaux.


Ce moment léger fait fondre la tension qui pesait entre nous. Nos regards se croisent et dans le sien, je lis une bienveillance indéfectible. Une sorte de promesse silencieuse : peu importe les tempêtes, les hauts et les bas, il sera là, en ami fidèle.


— Bon, puisque tu me laisses en plan et que tu préfères ton bel Apollon à ma charmante compagnie, je te laisse filer le rejoindre.


Il prononce cette phrase avec une moue faussement vexée. Pourtant, la malice dans ses yeux trahit le sérieux qu’il dissimule habilement. S'éloignant déjà pour reprendre son rôle de grand chef, il me lance :


— Profite bien de votre tête-à-tête. Et surtout, n’oublie pas ce que je t’ai dit : prends soin de toi.


J’acquiesce d’un signe de tête. Je suis reconnaissante, non seulement pour son soutien infaillible, mais aussi pour cette franchise teintée de douceur qui me permet de respirer à nouveau.


Quand il s’éclipse dans son bureau à l’étage, le silence reprend ses droits, et je jette un coup d'œil à l’heure : 14h15. Une piqûre de rappel. Il est temps de rassembler mes affaires, de mettre un point final à mes dernières tâches avant l’arrivée de James.


Pourtant, alors que je me redresse et commence à m’organiser, mes pensées s’égarent. Mati et Leslie… Je revois son regard quand il parlait d’elle, cette agacement mêlée d'une affection retenue, comme un fil invisible qui les maintient liés malgré tout. Leur dynamique semble si compliquée, comme un nœud qu’ils tirent chacun dans des directions opposées.


Ces deux-là me fascinent. Mati est tombé sous le charme de Leslie dès qu'ils se sont rencontrés. Mais ma meilleure amie s'est convaincue qu'il n'était qu'un séducteur invétéré, incapable de se contenter d'une seule femme. Elle a toujours eu peur de ne pas être à la hauteur, de ne jamais pouvoir combler l'attention qu'il semble constamment rechercher.


Quand elle l'a quitté après à peine quelques semaines, j’ai vu Mati s’effondrer. Il a tout tenté pour la reconquérir, mais Leslie était catégorique : elle refusait de croire qu’il pouvait changer. Elle voyait en lui ce qu’elle redoutait le plus, une confirmation de ses propres insécurités.


Epuisé par le rejet constant et par le spectacle quotidien de Leslie flirtant avec d'autres mecs sous ses yeux, Mati a fini par lâcher l’affaire. Il s’est résigné, du moins en apparence.Mais récemment, il m’a confié, presque avec une lueur d’espoir fragile, qu’il n’avait jamais vraiment tourné la page. Les yeux brillants, il avait avoué qu'il était prêt à tout pour une deuxième chance, pour lui prouver qu’elle se trompe et qu’il est capable d’être l’homme qu’elle voudrait qu’il soit.


Est-ce toujours ainsi, entre deux êtres qui s’aiment mais ne savent pas comment se rejoindre ?


Cette danse étrange qu'ils exécutent, chacun de leur côté, feignant de profiter de la vie sans l'autre. Leslie clame qu'elle se fiche de lui, qu'elle est passée à autre chose. Mais je la connais trop bien. Ce n’est pas de l’indifférence, c’est de la peur. Peur de l’amour, peur de se laisser aller à quelque chose de vrai, de vulnérable.


Mati, de son côté, continue de jouer les séducteurs, laissant les filles tomber à ses pieds sans vraiment y chercher plus qu'une distraction. Il sourit, plaisante, mais je vois bien que derrière cette façade légère, il attend. Lui aussi a peur, mais ce n’est pas la même. La sienne est celle de retomber, de se donner à nouveau, sans savoir si cette fois elle sera prête à l’accueillir.


Je soupire, ma propre situation me revenant en plein visage. Les préparatifs continuent autour de moi, des pas pressés et des conversations murmurées emplissant l’air, mais je suis ailleurs. L’heure tourne. James ne tardera plus. Et avec lui, les réponses ou les questions qui viendront troubler un peu plus les eaux déjà agitées de mon cœur.


Mati et Leslie sont pris dans un cycle dans lequel la crainte, l'orgueil et l'incertitude les empêche d'avancer, de se donner une réelle chance. Ils s’aiment, c’est évident, mais ils sont trop terrifiés pour l’admettre, chacun attendant que l’autre fasse le prochain pas. Leur histoire est un triste rappel de la complexité des émotions, de la manière dont les cicatrices du passé influencent nos choix présents.


Et qu'en est-il de ma propre relation avec James ? Aimer c'est accepter de se mettre en danger, de se perdre un peu pour découvrir ce qui pourrait être. Mais combien de fois peut-on se brûler les ailes avant de conclure que le jeu n'en vaut plus la chandelle ? Me voilà surement en train de reproduire le même schéma, me précipitant dans une situation qui pourrait se terminer de la même manière qu'avant, avec un James qui prend la fuite et sombre dans ses travers.


Non ! Si le récit venait à se répéter, je le suivrai et je le ramènerai. Mais sentimentalement parlant, je suis piégée dans les mêmes tourments, enfermée dans une histoire dont je ne suis pas certaine de pouvoir en réécrire le cours autrement.


J'ai dit à Mati que j’avais besoin de réponses, sauf que les chercher auprès de James, dans un face-à-face prématuré n’est peut-être pas la meilleure approche. Je crois que j'ai besoin de temps pour méditer avant de le revoir. Ou, au contraire, peut-être devrai-je arrêter de tourner en rond, d’hésiter, et prendre une résolution rapide ? Qu’il s’agisse de réconciliation ou de rupture, de toute façon, l'ambiguïté est insupportable. Mais pour l’instant, je me trouve à un carrefour, sans savoir quelle voie emprunter.


Je le soutiendrai, l'accompagnerai dans son combat, c'est une certitude. Mais quel rôle aurai-je dans sa vie ? James ne veut de mon amitié, il cherche mon amour et l'amour est souvent un duel entre nos désirs et nos hantises, entre ce que l’on est prêt à exposer et ce que l’on garde précieusement pour soi, de crainte de voir nos espoirs réduis à néant et nos rêves s’envoler.


Le dilemme se resserre autour de moi. Aimer James, c’est aussi l’accepter dans sa complexité, dans ses fragilités, et savoir que tout n’est pas simple, tout n’est pas rose. Peut-on vraiment se dévouer sans tout comprendre, sans être sûre de ce qu’on veut et de ce qu’on peut donner en retour ? La tentation est forte, mais le spectre de l’échec, encore plus. Peut-être suis-je encore trop blessée pour être entière dans cette interdépendance. Après tout, on est en plein champ de bataille, chacun redoutant ce qui pourrait arriver si on se laissait complètement aller.


Lui, appréhende de me faire du mal, de se perdre dans ses travers et ses failles, de ne pas être à la hauteur de ce qu’on pourrait devenir. Et pour moi, le suivre dans son tourbillon est un pari risqué, aussi bien pour moi, que pour lui… Je dois être sûre de la force de l’amour que je lui porte, et pour l’instant, ce n’est pas le cas... Moins, ne lui suffira pas… Moins, le détruira…


Avant de plonger dans cette relation corps et âme, avant de m’engager durablement — et cette fois-ci sans date de péremption, ce qui va à l’encontre de mes habitudes —, je dois m’assurer de ma capacité à offrir tout ce que j’ai, sans réserve. Il me faut être pleinement investie et convaincue de ce que j’éprouve, car sinon, notre couple, s’il venait à exister, serait fragiliser et mes hésitations causeraient sa destruction. Ce n’est pas une question de prix à payer, de cicatrices encore trop vives, non, avant d’arrêter mon choix, je dois me retrouver. Je soupire en repensant aux paroles de Mati. Il a raison de s’inquiéter. D’abord moi. Après James.


Assez tergiverser. Quand faut y aller, faut y aller. Je prends mon téléphone et, avant que mes doutes me rattrapent, j'envoie un message à James pour reporter notre déjeuner.

“Hey James, il vaut mieux qu’on annule notre rendez-vous. J’ai besoin de prendre un peu de temps pour réfléchir. J’espère que tu comprendras. Je suis désolée.

Après avoir appuyé sur “envoyer”, je prends une profonde inspiration. C’est un petit pas, mais un pas vers quelque chose de plus clair, de plus sain. Il ne s'agit pas d’une fuite, mais d’une manière de nous protéger, de m’assurer que lorsque je prendrai ma décision finale, elle sera la bonne pour nous deux.


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