CHAPITRE 20.1 * VICTORIA
LES COPINES
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V.R.S.de.SC
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C’est étrange comme les jours d’automne peuvent être trompeurs. Ce matin, en ouvrant les yeux, le soleil inondait ma chambre d’une lumière si éclatante que j’ai cru, naïvement, que tout irait bien, que tout serait plus simple. J’imaginais une journée agréable où le poids de la conversation à venir avec James se ferait plus léger. Pourtant, voilà que l'après-midi tire à sa fin, et je me retrouve ici, assise dans mon salon, à fixer ce téléphone sur la table basse, comme s'il détenait toutes les réponses que j’attends.
Je balaie la pièce du regard. Mon appartement, mon refuge, ce petit cocon dans lequel j’ai tant investi de moi-même. Les cadres végétaux, que j’ai patiemment confectionnés pour capturer le printemps au cœur de l’hiver, ont parsemé les murs de couleurs. Sélectionner les fleurs, les faire sécher, les arranger avec soin : toutes ces tâches m'ont procuré un immense plaisir, presque une méditation. Là, dans un coin, cette suspension en macramé. Je me souviens avec nostalgie du soir d’orage où j’ai tressé les feuilles vertes et beiges, la pluie tambourinant à mes vitres. Tout pour ne pas penser, oublier James. Toujours James.
Je songe aux palettes récupérées au club et qui trainent toujours sur mon balcon, vestiges d'un projet inachevé. Je voulais les transformer en banquettes pour profiter des longues nuits estivales. Au final, je n’ai pas donné suite. Manque de temps, de motivation, ou peut-être les deux ? Je ne sais plus. Ensuite, il y a ces toiles minimalistes effet plâtre que j’ai en tête, inspirées d’un tuto sur les réseaux. Une œuvre simple en apparence, mais porteuse de sens caché, une métaphore de ma vie actuelle : brute, complexe, avec un potentiel de beauté encore à découvrir. Je me cramponne à cette idée comme à une bouée dans un océan d’incertitudes. J’aimerais pouvoir m’accrocher à cette métaphore, exercer un certain contrôle sur quelque chose, alors que tout le reste – mes sentiments pour James en particulier – me glisse entre les doigts.
Il est presque 19 h. La journée a été longue, mais elle a filé en un éclair. Plongée dans les préparatifs de la soirée d’Halloween au club, j’ai tenté de me perdre dans l’agitation, de remplir mon esprit d’autres préoccupations. Depuis que j’ai envoyé ce message, une boule s’est installée dans mon estomac et ne veut pas partir.
Je laisse échapper un soupir, espérant évacuer un peu de la tension qui étreint mes muscles. Mon téléphone vibre légèrement. Retour brutal à la réalité. Mon cœur s’emballe. Une réponse de James ? Non. Juste une notification sans importance. Je repose l'appareil de malheur. Le soulagement d’avoir annulé notre rendez-vous a été de très courte durée. Depuis, je joue à cache-cache avec mes regrets. Spoiler : ils gagnent à chaque fois. Je m'en veux. C’est aussi simple que ça. Et terriblement compliqué. Chaque minute loin de lui est une minute de trop.
De la cuisine me parviennent les voix feutrées de mes deux meilleures amies. Leur présence me réconforte, mais, en même temps, j’éprouve le besoin de rester seule ce soir. Leslie m'a proposé de sortir, mais je n'en ai pas la force. Je suis épuisée, comme vidée. Quant à Nina, malgré ses plans avec Baptiste, elle a insisté pour me raccompagner après le tournage du clip promotionnel au club. Elle est allée jusqu’à faire venir sa meilleure alliée. Nous voilà toutes les trois ici, dans mon chez-moi. Et pourtant, même entourée de leur affection, je suis encore seule avec mes pensées.
Mes copines vont sûrement me demander comment je vis le retour de James. Comment répondre quand, moi-même, je n’en ai pas la moindre idée ? Nos débuts prometteurs se situent désormais loin derrière nous. Peut-être qu’en me confiant, elles m’aideront à y voir plus clair. Ou peut-être que je devrais simplement… laisser ce passé à moitié bâti là où il se trouve, comme ces foutues palettes que je n’ai jamais eu le courage de terminer ?
Ce message lapidaire, deux mois plus tard, pour clore cette affaire inachevée, je l'ai encore en travers de la gorge, malgré ces explications. James voulait étouffer ses sentiments pour moi dans des excès débridés, entre poudre blanche et corps étrangers. Cela fait-il de lui un lâche ? Ou de moi ? Parce que je le savais. Dans ses yeux, dans ses mots, dans chacun de ses gestes, j'avais vu cet amour, brut et sans filtre. Il m'aimait, c'était une certitude. Et pourtant, quand il a rompu, à part me morfondre, broyer du noir, pleurer comme une madeleine et briser mes rêves à coups de pensées enragées, je n'ai pas levé le petit doigt. Je n'ai pas cherché à le retenir. Je ne me suis pas battue pour nous. Aurais-je pu faire la différence si j'avais essayé ?
Il se trouvait à des milliers de kilomètres. Ses silences étaient des falaises que je ne savais pas comment franchir. Est-ce une excuse ? J'aurais pu contacter Isla, me renseigner, prévenir, m'efforcer de comprendre plutôt que de me complaire dans ma propre douleur. J'aurais pu anticiper, voir les signes, parer la chute avant qu'elle ne soit irrémédiable.
Mais comment aurais-je pu deviner ? James exsudait toujours eu cette aura d'implacable solidité, comme un rocher inébranlable contre lequel rien ne pouvait flancher. L'idée même qu'il puisse avoir des failles, surtout avec la drogue, ne m'avait jamais effleurée. Il personnifiait l’assurance, et je m'étais perdue dans cette conviction, aveugle à ses vulnérabilités.
Enveloppée dans une sorte de léthargie mentale qui m’empêchait d’agir, je suis restée là, dans l’incapacité de regarder la vérité en face, paralysée par une crainte que je ne voulais pas nommer. La peu d’entendre qu’il avait choisi un autre chemin, qu’il avait vraiment tourné la page. Pire encore, qu’il n’avait jamais cru en nous autant que je l'avais fait.
Mon regard dérive vers la fenêtre. Le ciel s’assombrit de minute en minute. Les nuages s’amoncellent à l’horizon, teintés de gris, graves et menaçants, comme une armée silencieuse prête à déferler.
Demain, c'est Halloween. Ironiquement, je me sens déjà masquée, mes véritables émotions cachées derrière une façade de calme apparent. Mon souffle devient plus lourd alors que mes yeux se posent une nouvelle fois sur l’écran qui s’allume. Toujours rien.
Des fragments de conversations flottent jusqu’à moi, se fondent dans le murmure du thé qui infuse. Enroulée dans une couverture, recroquevillée sur le canapé, j’essaie de me protéger du froid qui s’insinue – à l’extérieur comme à l’intérieur. Des pas légers approchent, et Leslie apparaît, un plateau à la main.
— Et voilà, du thé pour tout le monde ! J’ai envisagé d’y verser une goutte de rhum, mais t’as planqué les bouteilles, plaisante-t-elle, essayant de détendre l’atmosphère avec son ton enjoué.
Espérant que la boisson m’aidera à rassembler les lambeaux épars de mes réflexions. Je me redresse péniblement et attrape l’une des tasses,. Leslie s’assied à même le sol, juste en face de moi, tandis que Nina s’installe confortablement sur le canapé.
La vapeur du thé s’élève, danse dans l’air et apporte un peu de répit bienvenu.
— Tu veux bien nous en dire un peu plus sur ce qui se passe avec James ?
Nina me regarde avec une tendresse sincère, mais ses mots font dévaler en moi une avalanche d’incertitudes.
— On voit bien que tu es... bouleversée. Tu as l’air si perdue.
Je prends une longue inspiration, sentant le poids de ses mots se poser sur ma poitrine. Je serre la tasse entre mes mains, espérant y trouver un semblant de chaleur, une échappatoire à cette confusion. Mes yeux s’égarent dans les volutes de vapeur, mon esprit cherche une réponse dans le liquide doré.
— Honnêtement, je ne sais plus où j’en suis, avouè-je dans un souffle en haussant les épaules. Tout paraît. Chaque pensée tire dans une direction différente, et je n'arrive plus à savoir quelle direction prendre.
Je ferme les paupièrs un instant pour rassembler le courage d’affronter cette vérité. Je les rouvre, je plonge mon regard dans celui de mes amies, tente de trouver les mots justes.
— Une partie de moi veut croire qu’on peut encore surmonter ce qui s’est passé, que ce qu’on avait, c’était réel. Et qu’il reste quelque part une petite chance, même infime, de bâtir quelque chose ensemble.
Un subtil frisson me traverse lorsque j'évoque cette possibilité. Durant un bref moment, mes épaules se détendent, comme si cet espoir naissant allégeait mon fardeau. Mais presque aussitôt, le doute, ce compagnon familier, revient me hanter. Je déglutis et ma voix se fragilise, presque cassé.
— Mais comment pourrais-je oublier tous ses secrets ? Comment pourrais-je ignorer ces mensonges ? Est-ce que je suis réellement prête à sacrifier ma tranquillité d’esprit pour une relation qui pourrait, en fin de compte, s’avérer un échec total ?
Je m’interromps, ajuste ma position, mes doigts effleurent le bord de la tasse.
— Je veux dire, je vois toujours tout en noir et blanc. Parfois, je me dis que ça pourrait vraiment en valoir la peine et d’autres que le risque est trop grand.
C’est la vérité… La drogue, ses pulsions, son comportement instable… Tout ça, c'est du haut potentiel destructeur, toxique. Je viens de découvrir une facette de lui à laquelle je ne m’attendais pas. Je lève les yeux vers mes amies. Nina hoche la tête, l’air compréhensif. Leslie, en revanche, assise en tailleur de l’autre côté de la table basse, ne peut s’empêcher de répliquer d’un ton moqueur :
— Bravo Victoria ! Encore une bonne façon de t’autoflageller ! Comme d’hab quoi.
Je vois bien qu’elle essaie de me faire sourire, même si c’est teinté d’ironie. Tellement typique d’elle…
— Sérieusement Vic, reprend-elle, tu ne peux pas continuer à te compliquer la vie en te faisant des nœuds dans le cerveau à longueur de temps. Si tu veux que ce soit simple, commence par arrêter de rendre tout aussi complexe qu’un cours de la physique quantique. Prend les moments comme ils viennent ! Et, franchement, prend James aussi, saute-lui dessus, fais des folies avec son corps... Parce que, franchement, tu as vu le mec ?
Elle se tourne vers Nina, complice :
— On est d’accord, ce gars, c’est un Apollon ? Ou un Hadès super sexy, tout dépend l’angle sous lequel tu le regardes ! ajoute-t-elle en me lançant un clin d’œil.
La remarque audacieuse de ma meilleure amie m'arrache n rictus hésitant. La tension en moi s’atténue un peu. Nina acquiesce avec un sourire approbateur, déposant sa tasse sur la table avant de commenter à son tour :
— Leslie a raison. Parfois, il faut juste se laisser porter par le courant et ne pas trop réfléchir. C’est pas toujours facile, mais l'aventure en vaut peut-être le détour.
Oui, mais…
— C’est plus compliqué que ça, rétorquè-je. On ne peut pas simplement tout recommencer à zéro, comme si de rien n’était…
Nina me scrute avec une attention particulière, comme si elle essayait de détecter les nuances cachées derrière mes propos. Puis, d'une voix apaisante, elle me conseille :
— Tu n’as pas à te décider tout de suite. Prendre le temps nécessaire pour réfléchir est tout à fait normal. Si annuler aujourd’hui t’aide à y voir plus clair, alors c’est peut-être la meilleure chose à faire.
Leslie, elle, affiche un sourire espiègle, secouant la tête avec un air faussement sévère.
— Allons bon... Il erait peut-être temps que tu te bouges un peu, sinon tu risques de te fossiliser sur ce canapé. On va devoir appeler une grue pour t’extirper d’ici. Peut-être qu’on devrait commencer à chercher une société de démolition, juste au cas où.
— Très drôle, Les ! je ricane un peu renfrognée, même si intérieurement sa remarque me fait sourire.
Je me laisse aller au fond de l'assise.
— On est là pour toi, Vic. Quoi que tu décides, complète Nina, son regard posé sur moi avec une tendresse qui me réchauffe le cœur.
Leur soutien inconditionnel est tout ce dont j'ai besoin en ce moment.
— Bien sûr qu’on est là, Vivi, reprend Leslie plus sérieusement. Mais ne te laisse pas trop paralyser par la peur. On ne vit qu’une fois. Peut-être qu’affronter tes sentiments te permettra de vraiment avancer.
— Et c’est toi qui dis ça ! je réplique, un brin amusé.
Leslie lève un sourcil, feignant l’indignation avec un air exagéré.
— On n’est pas en train de parler de moi là, mais de toi ! Mêle-toi de tes fesses, blondasse !, me jette-t-elle en me tirant la langue.
Je ris de nouveau en secouant la tête. Leslie a le don de rendre les choses moins lourdes, même quand elles pèsent sur mon cœur. Je prends une gorgée de thé chaud. Elle n’a pas tort, bien sûr. Je ne veux pas que mes doutes me fassent passer à côté de ce qui pourrait être une grande histoire d’amour. Non pas que je considère James comme l'homme de ma vie hein ! C’est peut-être un peu trop tôt pour dire ça. Oui, c’est sûrement trop tôt…
Je me redresse légèrement sur le canapé, consciente de la tension qui traverse mon corps. Trouver un équilibre entre ma crainte, mon désir et cet espoir fragile devient un véritable casse-tête. Peut-être que c'est précisément dans cette lutte émotionnelle que réside la magie, et que chaque pas en avant mérite d’être vécu…
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