CHAPITRE 20.2 * VICTORIA

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V.R.S.de.SC

♪♫ ... ♪♫

— Vous avez peut-être raison, réponds-je après un moment d’hésitation. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire !

Leslie se redresse soudainement, son regard déterminé, avant de se lever avec élégance. Elle plonge la main dans son sac, fouillant frénétiquement à la recherche de ses cigarettes. Ses longs cheveux noirs, luisants comme de la soie, cascadent derrière elle et forment un voile sombre qui semble s’étendre jusqu’à l’infini. Lorsqu’elle revient vers nous, le paquet entre les doigts, elle arbore un sourire narquois et ses iris d’un bleu gris pétillent d’une malice évidente.

— Eh bien, sans nous, tu te noierais probablement dans un océan de thé froid et de mauvaise qualité, reprend-elle.

D’un geste précis, elle allume son sésame et m’adresse un clin d’œil complice.

— Heureusement qu’on est là pour te sauver de toi-même ! Sinon, tu risquerais de te perdre dans ton propre univers mental.

Je lève les yeux au ciel, amusée par la façon dont elle dramatise toujours les choses. C’est l’occasion rêvée pour aborder un autre sujet, histoire de la titiller un peu, de lui rendre la pareille.

— Et toi, alors ? Tu t’es pas vaguement noyée dans l’alcool hier soir ? l’interpellè-je malicieusement.

Leslie exhale un nuage de fumée, ses lèvres s’étirent, sardoniques.

— Eh, chacun sa méthode pour gérer le stress, ma chérie, réplique-t-elle avec un air faussement indigné. Toi, tu te plonges dans des réflexions interminables, tandis que d’autres préfèrent se perdre dans un bon verre de rosé… Ou une bouteille entière… Peut-être même deux.

Ses sourcils se haussent légèrement, tandis qu’un éclat espiègle étincelle dans ses yeux.

— Qui compte vraiment, de toute façon ?

Je me cale plus confortablement sur le canapé, glisse le plaid sous mes pieds et le tire un peu plus sur mon ventre pour me réchauffer. Le tissu doux me caresse la peau tandis que je scrute Leslie, observant ses doigts fins jouer avec sa cigarette.

— D’ailleurs, je lance d’un ton faussement innocent, à propos de toi et de tes écarts…

Je me rapproche légèrement, mon air mutin contrastant avec ma voix feutrée.

Mati m’a raconté ce qui s’est passé hier.

Un silence lourd s’installe. Nina, jusqu’ici absorbée dans ses pensées, se redresse brusquement, son intérêt soudainement piqué.

— Qu’est-ce qui s’est passé ? s’enquiert-elle.

Le feuilleton Leslie contre Mati est au cœur de nos discussions hebdomadaires, un drame sans fin qui nous tient en haleine depuis des mois, chaque épisode plus chaotique que le précédent.

La concernée tourne la tête lentement vers moi, un sourcil arqué, essayant de dissimuler son inquiétude sous une apparence de calme.

— Ah ? Vraiment ? Et qu’est-ce qu’il t’a dit exactement ?

Elle cherche à évaluer la situation, à connaître l’étendue des confidences de son ex-petit ami.

— Eh bien… commencè-je en étirant les mots, savourant le moment. Il m’a dit que tu t’étais un peu… comment dire… laissée aller à quelques exubérances, mais rien d’étonnant n’est-ce pas ?

Je l’épie, anticipant sa réaction, mais elle reste impassible, sa mâchoire légèrement serrée, son menton relevé, ses yeux fixés sur moi comme si elle attendait la suite.

— Genre ? lance-t-elle enfin, prenant une nouvelle bouffée de sa cigarette.

Je me penche en avant pour saisir ma vapoteuse sur la table basse.

— Genre… je répète, un sourire en coin. Tu lui as dit que son joujou n’était pas assez gros pour atteindre l’autre côté du trottoir, et ensuite… tu t’es laissé aller à quelques palpations explicites…

Leslie ouvre grand les yeux, son visage passe par une gamme d’expressions allant de la surprise pure à l’horreur totale. Elle explose en une toux violente, s’étouffe presque dans une quinte incontrôlée.

— J’ai pas fait ça ! s’écrie-t-elle, la bouche grande ouverte, complètement estomaquée.

Nina, qui n’a pu retenir un éclat de rire, secoue la tête comme si elle venait de recevoir la révélation du siècle.

— Sérieux, Leslie t’abuse ! s’exclame-t-elle en rigolant franchement.

Leslie laisse échapper un juron, son sourire ironique s’estompe légèrement sous l’effet de la gêne. Elle écrase sa cigarette avec une telle vigueur que le cendrier semble protester sous l’impact.

— C’est sa faute, aussi ! Avec ses remarques à la con à longueur de temps ! se justifie-t-elle, visiblement exaspérée.

Je hausse les épaules avec désinvolture, aspirant une bouffée fruitée de mangue-pastèque. Le goût sucré se mélange à l’arôme de tabac qui flotte encore dans l’air.

— Pour ton information, que ça ne lui ait pas tout à fait déplu, confiè-je, laconique.

— Sans blague ! ricane-t-elle.

Nina, la plus sérieuse de nous trois, lui suggère gentiment, comme une amie bienveillante tentant de calmer la tempête.

— Il est vraiment temps que vous résolviez votre problématique tous les deux.

— Tout le monde le pense, Less, je reconnais avec un air compatissant. Loin de moi l’idée de te donner des conseils, vu mes difficultés perso… mais, va falloir crever l’abcès un jour.

Notre copine fait la grimace. Elle s’appuie nonchalamment contre le meuble télé dans son dos, les bras croisés. Son corps se détend légèrement, sauf que le rictus cynique qui étire ses lèvres trahit son irritation.

— Ah, donc maintenant, on se convertit en thérapeutes de l’âme ? On boit, on fume, et on répare les cœurs brisés ? Je suppose que je devrais préparer mon matériel de chirurgie émotionnelle. Pourquoi ne pas envisager l’ouverture d’un centre spécialisé dans le désengorgement des relations interpersonnelles, tant qu’on y est ?

Je laisse échapper un petit rire, amusée par sa capacité à transformer une conversation sérieuse en une comédie improvisée. Je sais que son humour sert de mécanisme de défense.

— Moi, je suis partante pour une collab ! intervient Nina, son visage s’illuminant d’un enthousiasme contagieux. Et pour toi, Vic, on pourrait même proposer un programme de fidélité sur mesure : consultations illimitées, conseils premiums… et tout ça à un tarif préférentiel !

Tout heureuse de sa trouvaille, elle enchaîne :

— Tiens, j’ai déjà en tête un protocole pour les cas désespérés, comme les vôtres : prescription de cocktails à gogo, séances intensives de karaoké, ou non une thérapie de danse endiablée.

Leslie réagit subitement en se redressant.

— Non, pour Victoria, j’ai encore mieux : du pole dance !

Elle applaudit, comme si cette idée venait de régler tous les mystères cosmiques.

— Imagine-toi, Vic, en pleine chorégraphie sensuelle face à ton Écossais préféré. Toi qui t’enroules langoureusement autour de la barre, les jambes croisées avec grâce… et James, assis à quelques mètres, à deux doigts de perdre le contrôle. Il se tortille sur sa chaise comme un gamin devant une vitrine de bonbons.

Elle éclate de rire, poursuivant, manifestement fière de son scénario.

— Et là, tu effectues ce fameux mouvement où tu te laisses glisser lentement, ton dos cambré, tes cheveux effleurant le sol, tu écartes entièrement tes gambettes… Eh hop ! L’invitation est lancée ! Je parie qu’à ce stade, il serait déjà K.O. ! Il ne tiendrait pas jusqu’à la fin du spectacle, je te le garantis !

— Tu sembles en avoir fait l’expérience, je la charrie, un sourire moqueur aux lèvres.

— Tu crois vraiment que j’ai installé cette barre dans mon salon pour faire du sport ?! réplique-t-elle en roulant les yeux.

Je croise les bras et prends un air faussement sérieux.

— Très bien, Less. Si tu te décides enfin à te lancer avec Mati, je te promets que je viendrai assister à un de tes cours, et si tu arrives à conclure avec cette technique…

— Oh ma chère, je n’ai aucunement l’intention de conclure quoi que ce soit avec Mati de un. De deux, c’est plutôt à lui de se tortiller sur la barre pour moi et pas l’inverse, me coupe-t-elle en ricanant.

— Oui, bon, ce que je voulais dire, c’est que, si tu lui fais ce petit numéro de pole dance devant le boss, alors moi, je m’engage même à tenter ma chance avec James.

Je la défie en haussant un sourcil, avant de plaisanter :

— Sauf que contrairement à tes incroyables contorsions acrobatiques, il est fort probable que ma prestation ressemble davantage à celle d’un poulpe désorienté qu’a celle d’une gracieuse sirène.

Nina se tord de rire, en se tenant le ventre, visiblement ravie de la tournure de la conversation.

— Franchement, Vic, même en mode poulpe, je parie que James te trouverait encore à son goût. En tout cas, s’il aime le poulpe, pouffe-t-elle.

Leslie claque des mains, toujours hilare :

— Un poulpe désorienté ? Je donnerais cher pour voir ça ! Allez Vic, fait pas ta mijaurée, tu adorerais le pole dance ! Ma partenaire me manque… Quand est-ce qu’on se met quand au travail ? Je sens que ça va être épique !

— D’accord, on en reparlera plus tard. Mais pour en revenir à toi et Mati…, je commence, tâchant de réintroduire un peu de sérieux dans la conversation.

Leslie, anticipant mon sermon habituel, se redresse :

— Ah non, Vic, pas encore…, proteste-t-elle en levant les paumes pour m’arrêter.

— Non, vraiment, Less, je la coupe avant qu’elle ne se défile. Il va falloir que tu prennes ça en main. Vous ne pouvez pas vous enliser dans ce cycle vicieux.

Elle croise les bras, un sourire ironique flottant sur ses lèvres, mais ses yeux reflètent autre chose : une gêne, peut-être même une certaine lucidité.

— Ah, voilà, comme toujours tu recommences, Vic… Tu as un talent fou pour déterrer les vérités qu’on préfère garder bien enfouies, réplique-t-elle.

Sa voix se veut légère, mais une pointe de sincérité perce derrière son sarcasme.

Nina, jusque-là silencieuse, prenant une gorgée de son thé, conclut avec douceur désarmante.

— Eh bien, on est là pour ça, non ? Pour se rappeler les vérités qu’on choisit d’ignorer.

Leslie roule des yeux, finit par hausser les épaules, un soupir las échappant à ses lèvres.

— D’accord, d’accord. Je vais réfléchir à tout ça. Mais à une condition, ajoute-t-elle en pointant un doigt accusateur vers moi. Toi aussi, Victoria, tu prends ce fichu téléphone que tu n’arrêtes pas de lorgner, et tu appelles James une bonne fois pour toutes !

Je me fige un instant, surprise par sa soudaine réplique, avant de croiser son regard déterminé.

— Oui, Vic, renchérit Nina, appuyant les paroles de Leslie. Parfois, il vaut mieux faire le premier pas et affronter les choses plutôt que de rester cloîtrer dans l’incertitude. Tu vis avec son souvenir depuis des mois, et voilà des semaines que tu rumines dans ton coin. Tu pleures, tu t’isoles, tu bois… tu… enfin, tu vois ce que je veux dire… avec Mati…

— Allez ! Qu’est-ce que je disais à propos de lui déjà ?! intervient Leslie, avec un petit rire nerveux.

Nina fait mine de ne pas l’entendre. Posant sur moi un regard bienveillant, mais ferme, elle m’encourage :

— James est revenu dans ta vie. Tu m’as annoncé qu’il s’installait ici, alors fonce. Ne reste pas là, à te morfondre. Tu as assez attendu, Vic.

Je prends une profonde inspiration, consciente que leurs mots résonnent avec une justesse désarmante. Mais si je revois James aujourd’hui, je sais que je risque de craquer. Et franchement, je ne suis pas prête pour ça. Je ressens encore la fatigue accumulée par ma soirée d’anniversaire, et peut-être aussi celle laissée par la fougue de James. Mon corps tout entier porte les échos de cette passion dévorante : chaque muscle, chaque nerf me rappelle l’énergie dépensée.

Non, ce soir, j’ai surtout besoin de me prélasser tranquillement, bouquiner un bon livre et me ressourcer dans ma bulle. Repousser notre rencontre à demain semble la décision la plus sage. C’est la raison qui parle, bien sûr… parce que mon désir, lui, ne connaît ni patience ni logique. Il murmure son nom dans chaque battement de mon cœur, insatiable, impérieux. James. Je le veux. Avec moi, en moi, maintenant, toujours…


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