CHAPITRE 20.3 * VICTORIA
V.R.S.de.SC
♪♫ ... ♪♫
— Peut-être que je pourrais l’inviter à venir à la soirée d’Halloween ? annoncè-je à voix haute, brisant le fil de mes pensées. Ce serait l'occasion de le voir dans un cadre plus léger, sans trop de pression, non ?
Nina approuve mon plan, tout en portant un verre d’eau à ses lèvres.
— C’est une bonne idée, Vic. Ça pourrait éviter la surcharge émotionnelle d’aujourd’hui.
Leslie, toujours fidèle à son humour incisif, y va de son petit grain de sel :
— Ouais, bof, pas sûr que vous restiez longtemps en mode « discussion ». Vous allez probablement finir par retourner vous envoyer en l’air sur le rooftop comme hier soir !
Elle ponctue sa phrase d’un sourire mielleux, se délectant pleinement de son effet, tandis que le bourdonnement lointain de la circulation de la rue nous parvient à travers la fenêtre entrouverte.
— Alors, c’était comment d’ailleurs ? Je suppose que vous avez remis le couvert ici, hein ? Allez, balance les détails, on veut tout savoir !
— Rohhh, Leslie, laisse-la tranquille ! intervient Nina d’un ton réprobateur, tout en s’étirant sur le canapé comme pour déloger les derniers vestiges de la journée.
— Oh, arrête de jouer les saintes nitouches, Ninette ! T'es pas la dernière à nous raconter tes péripéties acrobatiques avec ton Baptiste !
Notre piquante amie en roulant des yeux, avant de se tourner à nouveau vers moi :
— Vic, sérieusement, si James n’était pas ton Écossais, j’en aurais bien fait mon quatre heures ! Ce mec, c’est un pur avion de chasse ! Je parie que c’est une vraie bête au lit !
Ce rouge pivoine, qui ne manque jamais de me trahir, me monte aux joues. Leurs regards curieux — même celui de Nin — se braquent sur moi avec une attention accrue.
— Arrête de tout ramener à ça, soupire Nina. Vic, t’es pas obligée de répondre, hein.
Après un instant de réflexion, le temps de tirer une nouvelle bouffée de ma vapoteuse, je finis par leur avouer, presque à mi-voix :
— En vérité, je ne me suis jamais sentie aussi vivante qu’avec lui. C’est… phénoménal.
Un silence admiratif s’installe, vite brisé par Nin, assise près de moi, qui éclate de rire.
— Ah, je vois. Donc, ce n’est pas juste un feu d’artifice, c’est carrément un festival pyrotechnique !
— Putain, tu fais rêver, pleurniche Leslie, presque dépitée. Mes derniers plans étaient tellement foireux qu’on aurait cru une rediffusion ratée de télé-réalité.
Elle marque une pause, puis ajoute avec son franc-parler habituel :
— Mais sérieusement, si James ne se jette pas sur toi comme un affamé devant un fondant au chocolat, c’est soit qu’il a un problème grave niveau libido, soit qu’il s’est fait retirer les roubignoles pendant la nuit !
Ma meilleure amie s'esclaffe à sa propre blague et Nina la rallie. Pendant un instant, l’ambiance devient plus légère. Leurs regards pétillent d’amusement et moi, je garde le silence, ma peau affichant une teinte cramoisie qui n’échappe à personne. Je détourne les yeux, me concentrant sur la cigarette électronique que je fais rouler entre mes doigts, comme si ça pouvait calmer le tumulte dans ma tête.
— Je te rassure, aucun souci technique au compteur, ni de panne moteur. Et je peux te garantir que ses... attributs sont, non seulement fonctionnels, mais aussi impeccablement utilisés. Merci de t’en inquiéter.
L’éphémère retenue cède sous l'assaut d’une nouvelle vague d’hilarité collective. Je me joins à elles cette fois, mais en conservant une touche d’ironie dans mon sourire. Ce n’est pas tant pour étouffer leur curiosité que pour les désarmer.
Malgré mon apparente décontraction, au fond de moi, une certitude s’installe, tranquille et sans appel : James et moi, sur ce terrain-là, on est toujours sur la même longueur d’onde. Ce que je veux, il le veut aussi. Ce que je désire, il le désire également. C’est aussi simple que ça.
Bien sûr que je doute de mes capacités à éveiller en lui ce feu intense, à entretenir cette étincelle qui illumine chaque regard qu’il pose sur moi, à le surprendre sans cesse, à faire naître en lui cette fièvre insatiable de revenir à chaque fois, plus ardent que jamais. Suis-je assez stimulante ? Audacieuse ? Démonstrative ? Mais ces interrogations, je les garde pour moi. Elles ne résistent jamais bien longtemps face à la manière dont il me touche, me contemple, comme si j’étais l’unique écho à ses élans secrets, l’oracle de ses rêves de luxure...
Tout s’est enchaîné si naturellement entre nous. La spontanéité, la réciprocité, la synchronisation. Dans l'intimité, nos corps se sont sondés, apprivoisés, conquis. À chaque nouvelle étreinte, c’était comme si la moindre cellule, pulsation, particule de nos êtres avait déjà convergé, anticipé nos désirs, instinctivement. Je ne songe plus à ses attentes. Je n’ai plus besoin de les deviner, de les lire dans ses yeux. Je le sais. Ce que je ressens, je le lui donne sans questionner, et il le reçoit, me répond. Nous sommes deux âmes qui s’entrelacent dans un équilibre parfait, sans avoir recours aux mots, juste en permettant à notre passion de se libérer.
La rapidité avec laquelle on a atteint ce stade me sidère. Et, pourtant, je ne peux m’empêcher de me dire qu’on n’aurait jamais pu en arriver là avec quelqu’un d’autre. C’est lui, c’est nous. L’univers qui s'aligne pour nous réunir.
Un petit sourire se dessine sur mes lèvres, impossible à retenir. C’est notre secret, et je n’ai pas l’intention de le partager. Mes copines n’ont qu’à laisser leur imagination faire le travail. Enfin, non ! Surtout pas ! Manquerait plus qu’elles commencent à fantasmer sur mon homme, mon royaume. Je n’ai aucune envie que d’autres le projettent dans le leur, ni qu'il sorte du mien, sous aucun prétexte.
Mes pensées flottent entre l’envie de fuir les railleries de Leslie et la complicité que je ressens en écoutant Nina. Je brise finalement le flot de leurs taquineries et recentre la conversation sur un sujet plus… tangible : nos tenues de soirée.
— Et toi, Les, dans quel look tu comptes faire sensation et enflammer la piste ?
La concernée se tourne vers moi, son sourire en coin déjà en place, avant de lâcher, détachée, un brin hautaine :
— Lara Croft.
Je sens tout de suite la piqûre de son attitude nonchalante. Connaissant Leslie, l’experte dans l’art du non-conformisme, je ne suis pas surprise, mais j’ai hâte d’en savoir plus. Curieuse, je plonge dans l'attente de ses explications. Nina, qui est en pleine réflexion, semble un peu perdue.
— Euh… quel rapport avec Halloween, là ? lance-t-elle, son regard scrutant notre acolyte comme pour démêler ses intentions.
Je rebondis aussitôt, amusée :
— Et quel lien avec le thème "Ange et Démon", surtout ?
Leslie hausse les épaules, ses bras croisés dans une posture défiant toute logique, comme si tout était limpide dans son esprit.
— Lara Croft, c’est le paradigme de la dualité humaine, non ? La force et la vulnérabilité, la brutalité et la douceur, la violence et quête de rédemption. Elle dépasse la dichotomie du bien et du mal. C’est une figure héroïque et imparfaite, complexe, qui se nourrit de contradictions et incarne la rébellion de ce qui est réprimé, refoulé, en nous... Ce côté obscur intérieur que l’on craint, mais qui est pourtant essentiel à notre survie. Comme un ange et un démon réunis en fait, mais sans les chaînes de la morale. Halloween, c’est justement le moment idéal pour laisser s’exprimer cette part de nous qu’on cache la plupart du temps.
Je reste bouche bée, suspendue à ses paroles. Leslie a ce don rare de transformer une simple discussion sur un costume en une réflexion profonde sur la condition humaine. Elle ne parle pas uniquement de Lara Croft, mais de nous tous. De ce qui nous rend entiers, du chaos et de l’harmonie qui se côtoient sans cesse dans nos têtes.
Lorsque je m’apprête à réagir, elle change brusquement de ton, sa voix redevenant badine, presque désinvolte, comme si ce qu’elle venait de dire n’était qu’une digression opportune.
— En plus... j’ai une combinaison ultra-sexy que j’ai très envie de rentabiliser, alors…
Nina, qui semble avoir digéré le tout avec un regard plus curieux, déclare :
— Ah, je vois, Madame la pédopsy ! C’était quoi déjà le sujet de ta thèse ?
Leslie redresse légèrement le menton, son sérieux sur le devant de la scène un bref instant et déclame d'une diction solennelle, :
— "La figure du héros et la genèse du rebelle : étude de l'influence des archétypes moraux sur l’émergence, le développement identitaire et les comportements déviants chez l’enfant et l’adolescent."
Nina plisse les yeux, un rictus narquois aux lèvres :
— Parce que moi j’étais plutôt en train de te visualiser avec l'option débardeur, short et rangers, façon Lara Croft des débuts, quoi.
Sa remarque, assortie d’un petit rire, relâche l’atmosphère.
— Ah, Ninette, toujours aussi prévisible ! Faut vraiment que tu sortes des sentiers battus ! commente Les. Mais si ça t’arrange, tu peux m’imaginer en Selene. Au moins, une vampire, ça coche la case Halloween, non ?
Elle ricane doucement, ses pupilles pétillent de malice. Mais dans ses paroles, je perçois une vérité plus profonde, celle d’une quête personnelle, d’une libération intérieure, qu’elle cache derrière chaque costume, chaque bravade.
Nina croise les bras sur sa poitrine, feignant une moue outrée, ses sourcils exagérément froncés pour appuyer son indignation :
— Oh, pardon, madame l’avant-garde ! On ne peut pas toutes être des aventurières badass ou des démones sadiques, figure-toi !
Elle fait une pause, plantant ses iris noisette dans ceux de Leslie, avant d’ajouter avec un soupir dramatique :
— Moi, je vais être un ange. Parce que, tu sais quoi ? Un peu de lumière dans ce monde de ténèbres, ça ne fait pas de mal !
La plus douce et solaire de la bande sera parfaite dans son ensemble crop top et jupe vaporeuse, tout en délicatesse. Avec ses voiles translucides et quelques découpes subtiles pour un soupçon de sensualité, elle incarnera un ange tout droit descendu du ciel. Et pour compléter son allure, j’ai même réussi à lui dénicher des ailes en plumes blanches et une auréole.
— Très bien, donc on aura une adorable petite ange, toute pure et rayonnante... même si, de base, il n’y avait pas vraiment de place pour la gent féminine dans leurs rangs, je te signale ! Pas étonnant que Lucifer ait préféré quitter le paradis pour aller créer son propre enfer de débauche, entouré de créatures plus... audacieuses.
Elle termine sa tirade avec un clin d'œil appuyé, savourant la légère exaspération qui transparaît sur le visage de Nina.
Cette dernière secoue la tête, amusée malgré elle, avant de riposter avec une pointe de défi :
— Tu peux dire ce que tu veux, Leslie, mais même l’Etoile du Matin reconnaît que la vraie nature d’un ange peut être trompeuse... La lumière attire et consume, n’est-ce pas ? Les messagers divins aussi savent se faire remarquer.
— Par leurs sermons ? ironise Leslie, moqueuse.
— Par leur éclat ! raille son adversaire en lui tirant la langue.
La Lara Croft du jour lui rend la pareille avant de se tourner vers moi :
— Et toi, Perséphone, tu te sens prête à régner sur les Enfers ?
Je souris, jouant le jeu :
— Toujours. Mais n’oublie pas que Perséphone ne se limite pas au Tartare ou aux Champs Élysées. Elle est autant la reine de la mort que celle du printemps, de la fertilité et de la renaissance.
Leslie croise les bras, son sourire taquin de retour :
— En résumé : tu as trouvé comment dominer à la fois la lumière et les ténèbres et occuper le trône sur les deux mondes. Entre l’innocence des fleurs et la noirceur des ombres... Pas très fair-play, Vic.
— On fait ce qu'on peut avec ce qu'on a ! je ris en haussant les épaules.
— Du coup, ni vraiment ange, ni vraiment démon, c'est ça ? établit celle qui penchera le plus souvent vers le côté obscur.
— Je ne sais pas… J’attends ta psychanalyse avec impatience.
— Ouh la, attention ! Si on s’engage dans ce chemin-là, prépare-toi à me payer rubis sur l'ongle. Avec tout ce que j’ai à disséquer, ces séances pourraient bien se multiplier à l’infini !
Elle réajuste sa position, s'assoit en tailleur et repousse ses long cheveux soyeux derrière ses épaules.
— Commençons par le gros morceau : ton James d’amour ! T’as ton Hadès personnel à mater — dans les deux sens du terme — et une romance à ressusciter. T’es en plein cycle de renouveau. Franchement, je dirais même que ton petit Écossais vient de remonter tout droit des Enfers pour te reconquérir… ou pour t’enlever, ça reste à définir !
— Une Toulousaine en Écosse, ça pourrait être un chouette vlog de voyage ! commente ma voisine.
— Ça pourrait cartonner sur les réseaux avec un titre comme "Highlands & Heartbreaks", renchérit Leslie.
— De un, on n'en est pas là et, de deux, dis-je à l'attention de Madame Sarcasme, "Heartbreaks", sérieusement ? Merci, pour le soutien moral, Leslie. Je vais de ce pas chercher un décorateur pour mon futur cœur brisé, histoire qu’il soit Instagrammable.
— Oh ! Je t'imagine tellement pleurer à chaudes larmes devant un loch sous la pluie, en mode drama queen !
J'attrape un cousin et lui balance à la figure. Elle rit à gorge déployée.
Nina, qui sirote à nouveau une gorgée d'eau, intervient avec une pointe de scepticisme, ramenant la discussion vers des rivages moins pathétiques :
— Mais certains aspects du mythe racontent que Perséphone est tombée amoureuse de son ravisseur, non ? Ce n’est pas un peu… ambigu ?
— Ouais, syndrome de Stockholm, flèche de Cupidon, ou coup de foudre dans les règles de l'art… qu’elle y soit allée de gré ou de force, c'est un détail qui fait débat.
Ah, génial. Me voilà dans une version moderne de Perséphone. Sans le kidnapping, quoique, émotionnellement parlant, je peux sans coup férir dire que James a ravi mon cœur… Gracieusement qui plus est, non par ruse, ni par artifice. Les craintes, les doutes, la prudence, oui mais pas la duperie.
Par contre, l’idée d’aimer quelqu’un par résolution ou parce qu’on se laisse entraîner… Est-ce que l’amour est un acte que l’on décide, une volonté que l’on cultive, ou bien est-ce un vent soudain qui nous emporte, comme un destin qu’on ne contrôle pas ? On pense souvent qu’on choisit d’aimer, mais peut-être qu'au fond, c’est l’amour qui nous prend à sa manière, et nous n’avons plus qu’à suivre le courant.
Plongée dans mes réflexions, je n’ai même pas entendu la suite de l'exposé de ma copine alors qu'elle m'interpelle. Je secoue la tête, réalisant à peine qu’elles attendent une réponse.
— Pardon, tu peux répéter ? hasardè-je, prise dans la confusion engendrée par ma distraction.
Je tente de revenir à la conversation, mais mon esprit reste ailleurs, coincé entre les ombres du mythe et la lumière de ma propre réalité. Leslie, diplomate, reprend son discours, un sourire amusé aux lèvres. De mon côté, je me promets de faire preuve d'un peu plus d'écoute active, histoire de ne pas passer pour une idiote étourdie. Surtout que le sujet principal de ce déballage sentimental, c’est moi.
— Je disais que le roi des Enfers n'est pas une incarnation maléfique comme Satan. C’est un personnage loyal et juste, discipliné, plutôt isolé et mystérieux, séducteur et très, très, possessif. Ça te parle ?
Elle hausse un sourcil interrogateur, comme si elle attendait que je déclare la vérité absolue. Mais son regard glisse vite sur moi, et elle poursuit, toujours aussi assurée.
— Bref… Toi, t’as goûté au fruit défendu, celui qui te lit à son royaume — où à ses draps, à toi de nous dire, si, entre ton dieu du sexe et toi, il y a plus que de la baise ?
Je roule des yeux.
— Suis-je vraiment obligée de répondre ?
Leslie relève les épaules avec un sourire qui en dit long sur sa satisfaction à me mettre mal à l'aise.
— Non, t’as raison. T'es mordue jusqu'à la moelle. Du coup, t’es condamnée à y revenir. Enfin, condamnée, tu me diras… Certains voient Perséphone comme la victime d'un enlèvement cruel, forcée de s'épanouir dans un monde qu'elle n’a pas choisi. D'autres, comme une figure centrale des Enfers, une reine qui fait front avec son mari, maîtresse de son destin. D'un côté, tu as l’image de la captive, l'âme arrachée à la surface, soumise à l’influence d’un homme… et de l’autre, celle d’une femme qui, à force de résilience, a transfiguré son couple en une alliance puissante, voire en une union égalitaire et complémentaire.
Leslie attrape une cigarette dans son paquet et m'en propose une que je décline.
— Tu saisis, ce mythe est intéressant parce qu’il montre comment des forces opposées peuvent coexister et se nourrir mutuellement. Ce n'est pas juste une question d'amour ou de domination. Cette histoire illustre l’ambivalence de la vie, la tension entre la possession et la liberté des sentiments, et le pouvoir de transformation qui peut émerger de circonstances contraignantes, de choix qui n’en sont pas. Perséphone, à sa manière, finit par apaiser Hadès. Elle apporte équilibre et douceur, même dans les ténèbres. Et ça, Vic, ça peut aussi se passer pour toi, dans ce que tu traverses avec James. Dans les situations les plus sombres, il peut y avoir une forme de renaissance et d'évolution.
Je me sens un peu perdue, mais aussi réconfortée par ses mots. Je me demande si c’est réellement possible, ce qu’elles disent... si l’amour peut transcender les démons qui se tapissent dans l'ombre. Je veux y croire. Si je me tiens à ses côtés, James ne plongera plus dans la drogue. Je m'en fais la promesse et je ferais tout ce qui sera nécessaire et en mon pouvoir pour la respecter.
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