CHAPITRE 15.4 * VICTORIA

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V.R.S.de.SC

♪♫ ... ♪♫


Les minutes qui suivent sont un tourbillon rapide et pressé. Je descends les escaliers avec une précipitation presque palpable, ma hâte se mêlant à une anxiété sous-jacente. Chaque pas qui me rapproche du parking où mes proches m’attendent amplifient l’agitation intérieur qui m'ébranle . Je prends à peine le temps de discuter, me contentant de donner un câlin rapide à ma cousine et d’embrasser Camille et Flora, leur souhaitant un bon voyage. Leurs sourires et leurs adieux semblent presque flous dans le tourbillon de mes pensées. Je leur rappelle que je les rejoins dans deux jours tout juste et que j’ai déjà hâte de les retrouver. J’essaie de paraître la plus normale possible, cachant mon état derrière un sourire poli.


En remontant les escaliers, mon esprit est en proie à une vague de questions. Une part de moi est encore en colère et troublée par ce qu’on vient de vivre, tandis qu’une autre essaie de comprendre comment on en est arrivés là. Le décalage entre mes émotions et ma rationalité se creuse davantage. Mon cœur bat à tout rompre, partagé entre l’envie de résoudre ce qui reste entre nous et la nécessité de me recentrer sur ce qui est important maintenant. Je lutte pour concilier ces deux impératifs, mais quelle direction claire prendre dans ce maelström émotionnel ?


Quand je rentre chez moi, j’aperçois James affalé sur le canapé, fixant le plafond. En m’entendant, il tourne la tête vers moi. Ses iris bleus révèlent une pronfondeur troublante. Ressent-il lui aussi ce mélange complexe de regret et de désir non résolu ? Ses épaules s’affaissent légèrement, comme si ma simple vue suffisait à alléger un peu le poids qu'il porte. Les marques de l’angoisse, les signes de son tourment, sont évidents. Chaque détail — de la raideur dans sa nuque à la crispation dans ses mâchoires, de la tension dans ses mains, à l’expression pensive sur son visage — témoigne du conflit qu'il traverse. Bien, aucun de nous n’est sorti intact de cette situation.


Il se redresse lentement et je continue mon inspection tandis que je retire mes chaussures. Je garde toutefois mon gilet : le froid mordant de l’extérieur sur mes cuisses dénudés provoque une chair de poule incontrôlée. Je remarque les petites imperfections, les détails qui trahissent son état émotionnel. James est marqué par une fatigue profonde. Ses cheveux sont en désordre, ses vêtements froissés. Sa chemise déboutonnée laisse entrevoir une partie de son torse, comme un fragment de ce qui est resté de notre intimité explosive. Le contraste entre sa posture et le désordre intérieur qu'il semble vivre est frappant. Ai-je la même allure ? Probablement...


Je me demande comment réagir. L’envie de l’interroger, de comprendre, est aussi forte que celle de m’éloigner.... Mais malgré tout, je sais que nous devons confronter ce moment, même si ça signifie dévoiler des vérités douloureuses. Je pénètre doucement dans le salon. La pièce, désormais silencieuse, semble attendre notre conversation. James se lève, me surplombant de toute sa hauteur. Mon dieu, comme je me sens petite face à lui… Je prends une profonde inspiration, cherchant à rassembler le courage nécessaire pour aborder ce qui doit être dit.


— “James, il faut qu’on parle de ce qui vient de se passer.”


Il ouvre la bouche, mais aucun son ne sort. Sa respiration devient un peu plus irrégulière, comme s’il luttait pour trouver les mots justes. Je poursuis, résolue à exprimer ce que je ressens.


— “J’ai besoin de savoir où nous en sommes James. Qu’attends-tu vraiment de nous ? Ce qu’on a partagé a encore de la valeur pour toi ? Ou est-ce que c’était juste... un moment d’égarement ? Je ne parle pas de ce qui vient de se passer dans la cuisine. Je parle de tout, de tout ce qui s’est passé entre nous depuis le début. Je ne peux pas envisager quoique ce soit de plus tant que je n’ai pas toutes les réponses”.


Un changement subtil se produit dans l’expression de James. Ses yeux s’illuminent d’une étincelle nouvelle, comme si une compréhension profonde venait de faire jour en lui. Sa posture se redresse, ses épaules se détendent et il semble prendre une résolution. Son regard se fait plus clair, plus déterminé, comme s’il avait enfin trouvé les mots qu’il cherchait. Il se rapproche de moi, glisse prudemment ses mains sur mes avant-bras pour me saisir par les coudes. Je fond sous son contact, mais je brûle de savoir ce qu’il va dire.


Malheureusement, le destin semble s'acharner sur nous ce matin. Avant qu'il ait la chance de partager ce qu'il a sur le cœur, le téléphone se met à sonner à nouveau. La sonnerie bruyante et intrusive perce l’atmosphère chargée et me tire brusquement de notre moment d’introspection. Je sursaute légèrement, détournant le regard pour plonger la main dans la poche de ma veste et en sortir le téléphone. Cette distraction inattendue menace encore une fois de retarder notre confrontation cruciale.


C’est Mati. Mon esprit est tiraillé entre l’urgence de la conversation avec James et la nécessité de répondre à cet appel. En prenant une profonde inspiration, je décroche, essayant de masquer mon malaise face à cette situation délicate.


— “Allo ?”, dis-je.


James se crispe aussitôt et me lâche derechef. Sa réaction est claire, nette, tranchante : il est contrarié. Je me détourne, me mettant de dos pour prendre l'appel. La voix de Mati, familière mais teintée d’inquiétude, résonne dans le combiné. Je l’écoute attentivement, tentant de saisir le sens de ses paroles tout en restant consciente de la présence de James, dont le regard pesant et la tension palpable se font ressentir malgré sa tentative de rester calme.


— “Salut, Vic. J’suis craiment désolé de te déranger. Je sais qu’on devait se voir qu’à 14h, mais il y a moyen que tu viennes un peu plus tôt au club ? On a un problème avec un fournisseur. La livraison des boissons est retardée et je dois aller m’en occuper tout de suite. Sauf que les gars pour la piscine sont déjà là, et que je peux pas les laisser seuls, sinon ils vont faire de la merde et que Baptiste est même pas là encore...”.


Je l’interromps avant qu'il n’aille plus loin.


— “C’est bon, j’arrive.”


— “Putain, merci, tu me sauves la vie là !”


—“Je m’occupe de la piscine”, je le rassure aussitôt. “Toi, concentre-toi sur la livraison. Laisse-moi juste le temps de me préparer et de prendre le métro. Je devrais être là dans moins d’une heure”.


— “Merci, Vic ! Je dois filer tout de suite. Je te fais confiance, et t’inquiète, arrive quand tu peux. Je te revaudrai ça !”


J’entends le soulagement dans sa voix. Alors que je m'apprête à raccrocher, Mati ajoute :


— “Juste avant que je te laisse, tout va bien de ton côté ? Tu as passé une bonne nuit ?”


Il y a une note subtile dans sa question qui me fait hésiter une fraction de seconde. Je tourne le dos à James, ressentant une pointe de gêne.


— “Oui, tout va bien. La nuit a été... mouvementée, mais ça va.”


— “Sûre ? Tant mieux. Et James, est-ce qu’il est toujours avec toi ?”


— “Oui.”


Je jette un coup d'œil par-dessus mon épaule. James est là, silencieux, une expression neutre — non, pas neutre du tout, il enrage presque — fixé sur moi. Je me mords les lèvres, un geste nerveux que j’essaie de dissimuler.


— "D’accord. Si tu as besoin de quelque chose, tiens-moi au courant, d'accord, Vic ?"


— "Bien sûr. À plus tard alors."


Je raccroche, sentant un poids se déposer dans ma poitrine. Même si l'appel de Mati m'a ramenée à la réalité, la tension du moment vécu avec James continue de couler dans mes veines. Je ressens maintenant en plus une sensation de malaise que je peine à évacuer. Je reste un moment immobile, le téléphone encore dans la main. Chaque fibre de mon être est encore en alerte, mon cœur bat toujours rapidement dans ma poitrine. D'un côté, il y a James et ce que je viens de vivre avec lui, si brut et si puissant qu'il m'a presque consumée. De l'autre, il y a ma vie quotidienne, mon travail, mes obligations auxquelles je ne peux pas me soustraire. Ou peut-être que si, pour une fois, aujourd'hui, je pourrais ? Non, définitivement pas.


— "Je vais devoir y aller. Une urgence pour le boulot."


— “Tu travailles au Diamant Rose ?”, me demande-t-il doucement, mais son expression trahit son anxiété.


— “En quelque sorte”, je lui réponds évasivement, sans vouloir l'être.


— “Pour le gars que j’ai croisé hier ?”


Je hoche la tête.


— “Oui.”


Le silence qui suit suffocant. James me fixe, une lueur indéchiffrable dans les yeux. Sa mâchoire se contracte légèrement. Essaye-t-il de camoufler sa jalousie ? Non... je chasse cette pensée... Je me demande ce qu'il imagine, ce qu'il pense vraiment. Est-ce qu'il s'inquiète que Mati soit plus qu'un simple ami ? Crois-t-il que je lui cache quelque chose ?


Je n’ai rien à me reprocher. Si James pose la question, je lui dirai la vérité. Mais il n’est plus celui que je connaissais, ou du moins, il n’est plus entièrement celui que j’ai connu. Une angoisse sourde s’installe au creux de mon ventre. Il a évoqué Amy, une ex qui semble encore très présente dans son esprit. L’aime-t-il toujours ? Il a dit que leur rupture l’avait anéanti, mais pourquoi ? Que s’est-il passé entre eux ? Il pourrait y avoir un millier de raisons possibles, y compris l’infidélité. Si c’est ce qui l’a brisé, je dois être prudente. Je ne veux pas que James pense que je joue sur plusieurs tableaux. Déjà, parce que ça n'est pas mon style. Et puis, je crains qu’une explication sur la nautre de ma relation avec Mati ne fasse que raviver ses propres blessures, et je ne suis pas certaine d’être prête à le confronter à ses propres démons. Pas maintenant, pas dans ces circonstances.


James insiste tout de même, preuve que quelque chose se trame. Bien que son ton soit neutre, je devine facilement une pointe d'angoisse.


— “C’est juste ton patron ?”


— “C’est un ami, rien de plus”.


J’ai peut-être répondu un peu trop vite, comme si j’avais besoin de le convaincre. La vérité, c'est que je n'ai jamais pensé à Mati de cette manière, mais je sais que pour James, rien n'est aussi simple. Il ne connaît pas notre histoire, il ne sait pas ce que Mati représente pour moi. James hoche la tête, mais je vois bien que mes paroles ne l'apaisent pas vraiment. Son regard se durcit, une lueur froide s'installe dans ses yeux. Il recule légèrement, mettant encore plus de distance physique entre nous.


— “Je dois me préparer, désolé”, dis-je en posant le téléphone sur la table basse.


James se tend avant de répondre :


— “Je comprends”.


Il prend sa veste sur la chaise haute, d’un geste calme et mesuré, puis se dirige vers l’entrée de mon appartement. Le voyant sur le départ, je ne peux m’empêcher de lui demander :


— “James, est-ce que tu voudrais qu’on déjeune ensemble après ? Si tu n’as rien de prévu, je veux dire.”


J’ai besoin qu’on reprenne notre conversation. Il y a tant de choses que nous n’avons pas encore dites, des émotions qui réclament à être explorées. Ce silence entre nous, cette tension non résolue, mérite une chance de trouver une issue. Un déjeuner pourrait offrir l'occasion de discuter plus calmement, de clarifier nos sentiments et de comprendre où nous en sommes vraiment.


James marque une pause. Son regard se voile d’une lueur d’incertitude sous sa froideur apparente. Il semble déconcerté, comme s’il était pris au piège entre son désir de s’éloigner et la tentation d'accepter ma proposition. Mon cœur se serre. Je ne veux pas le quitter. J’ai encore besoin de lui. Pour comprendre. Pour trouver des réponses et peut-être une solution. Mais finalement, James relâche son masque et un sourire timide se dessine sur ses lèvres.


— “D’accord”.


Je me sens soulagée.


— “Vers 13h-14h ça te va ?”


— “14h, c’est bien”.


— “Parfait”, je lui souris. “Maintenant, il faut que je me dépêche”.


James acquiesce, semble réfléchir, avant de me proposer :


— “Je vais appeler un Uber. Si tu veux, je peux t’éviter le métro et te déposer”.


La perspective d'un trajet plus confortable est tentante, mais je n'ai pas envie de compliquer les choses.


— “Pas la peine, je peux prendre le métro.”


— “J’insiste. Tu seras plus vite au club et ça me ferait plaisir”.


En vérité, je n’aime pas du tout le métro. Trop de monde, trop de confusion, trop d’odeurs. Et, il est vrai que ça serait un gain de temps non négligeable.

— “Dans ce cas, d’accord”, dis-je convaincue.


— “Très bien. Je contacte un Uber.”


Tandis que James se penche déjà sur son téléphone, je me dirige vers ma salle de bain.


— “Je dois me doucher en premier, j’en ai pour cinq minutes. Fais comme chez toi.”


Il lève les yeux vers moi un instant, hoche la tête et sourit faiblement. Je coulisse la porte derrière moi et je jette un coup d’œil à mon reflet dans le miroir. J’ai une sale mine. Les quelques heures de sommeil que je me suis accordée ne m’ont pas été très bénéfiques. Mes yeux sont rougis, mon teint cireux, mes cheveux sont un désastre total, sans parler du suçon dans mon cou, que je n’avais pas encore remarqué. Mince ! Non pas qu’il me dérange, mais ce n’est pas très professionnel. Je vais devoir garder les cheveux détachés aujourd’hui. Je me déshabille en vitesse tandis que j’ouvre le robinet pour faire couler l’eau chaude. Quand je m’immerge sous le jet brûlant, je sens un peu de ma tension se dissipait. Je savoure ce moment de solitude bienvenue au milieu du tumulte chaotique de ses douze dernières heures. Chaque goutte sur mon corps semble emporter une partie de la fatigue accumulée.


Je commence à faire une liste mentale de toutes les tâches qui m’attendent aujourd’hui. Mais, malgré mes efforts pour me concentrer sur la journée à venir, mes pensées reviennent sans cesse à James. Mon dieu... Dès que je pense à lui, une fièvre torride m’envahit. Merde ! L’eau chaude me fait toujours cet effet euphorisant. Je soupire, mon cerveau encore embrouillé par les émotions et les pensées conflictuelles. Les obligations professionnelles, les préparatifs personnels, et les discussions essentielles avec James s'entrelacent, créant un tourbillon de stress et d’excitation.


Comment ai-je pu passer d'une soirée d’anniversaire animée avec mes ami·es à une nuit aussi intense que troublante avec l’homme qui attise tous mes désirs depuis des mois ? Cette transformation rapide et brutale me déstabilise. Moi qui commençais à peine à guérir mon cœur des blessures passées, le voilà de nouveau assiégé. Je me sens au milieu d’un tunnel dont je ne vois pas le bout. D’un calme durement retrouvé, je me retrouve maintenant plongée dans un chaos sans fin laissé par la confusion des révélations fracassantes de James. Je suis submergée par une vague d’émotions et de responsabilités. La journée à venir semble un défi monumental et je dois maintenant trouver le bon équilibre pour jongler entre mes émotions et mes sentiments en pagaille.


Entre un cœur en reconstruction et une journée à affronter, il semble que je me sois inscrite à un marathon émotionnel sans même m’échauffer.

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