CHAPITRE 22.1 * VICTORIA
AU BORD DU GOUFFRE
* *
*
V.R.S.de.SC
♪♫ ??? ♪♫
Après avoir passé près d’une heure plongée dans mon livre, j’ai décidé de me préparer un repas rapide et simple. Un reste de soupe de légumes d’automne, mijotée dans la semaine et une tartine grillée, ont fait l’affaire. À chaque cuillère chaude et veloutée fondant sur ma langue, à chaque morsure dans le petit pain beurré, je me sentais envelopper par une vague de réconfort. C’était exactement ce dont j’avais besoin, une étreinte chaude et bienveillante pour l’âme qui chassait les tensions accumulées. Pour couronner ce moment de douceur, je me suis même octroyée un petit plaisir coupable : un carré de chocolat au lait et aux éclats de noisettes.
Pour continuer à diminuer fatigue et tension, je me suis faufilée sous la douche, où l’eau chaude a caressé ma peau, apportant avec elle une sensation de légèreté. La fragrance délicate de l’huile de douche a flotté dans l’air, dissipant lentement les préoccupations de la journée. James suivait mes pensées non plus comme une ombre, mais comme une brise légère, effleurant mes souvenirs avec une tendresse inattendue.
Une fois rincée et revigorée, j’ai enfilé mon pyjama, un nouvel ensemble beige, doux et cosy que j’avais choisi avec soin. Le tissu glissait sur ma peau, ajoutant à ma sensation de bien-être. À chaque mouvement, je ressentais comme un écho de sa présence, une sorte de chaleur résiduelle, comme si les éclats de nos rires passés se mêlaient à l’air, me rappelant que même dans la solitude, il y avait des traces de lui qui continuaient à danser autour de moi.
C'est comme ça depuis des semaines : mon humeur oscille entre la douce mélancolie des souvenirs et une colère sourde face à l’ambiguité de ce qui s’est passé entre nous. Chaque jour, je navigue entre le besoin de combler le vide qu’il a laissé pour pouvoir retrouver ma paix intérieure et le désir de ressentir à nouveau ce que j’ai éprouvé avec lui. J’ai l’amère impression que ce qu’il représentait, cette connexion unique, est quelque chose que je ne retrouverai jamais chez personne d'autre. Dans le silence de mon cœur, une petite voix chuchote que même sans étiquette, notre lien est peut-être celui qui définit tout le reste.
Demain soir, je saurai enfin où j'en suis. L'étincelle entre nous subsiste toujours, et l'attraction est réciproque, c’est indéniable. James m’a déjà avoué ses sentiments : il m’aime. Mais est-ce que mes propres émotions, aussi intenses soient-elles, suffiront pour que je lui ouvre mon cœur ? Peut-être que le moment de vérité approche, mais ai-je vraiment le courage d'affronter ce qui pourrait changer notre dynamique à jamais ?
Je laisse échapper un soupir, me reconnectant au présent. Je finis par me lover sur le canapé, m’enroulant dans un plaid gris douillet avec une tasse de chocolat chaud près de moi et ma vapoteuse. Ce soir, j’ai besoin du maximum de réconfort possible. Je lance Netflix et choisis de regarder un épisode de Outlander, ma série de prédilection. L'épisode vient à peine de commencer, et déjà, je me retrouve déjà happée par l'histoire, transportée dans l’Amérique du XVIIIe siècle. Les paysages majestueux, les costumes d'époque, tout cela a quelque chose d’apaisant, comme une escapade mentale loin de mes propres préoccupations. Mais je ne peux m'empêcher de remarquer que le personnage principal, Jamie Fraser, partage plus qu'un simple prénom avec James. Et même si j'essaie de l'oublier, la comparaison est inévitable.
Leur ressemblance frappante me fascine autant qu’elle me trouble. Tous deux Écossais, avec cette même force tranquille et ce charme irrésistible qui semble presque inné. C’est déconcertant de voir autant de similitudes entre la fiction et ma réalité. Jamie, avec son charisme brut et son cœur d’or, me rappelait dangereusement James et la manière dont il peut si facilement balayer mes défenses et éveiller mes perceptions.
Je songe un instant à opter pour une série moins romantique comme Mad Men, Peaky Blinders ou Breaking Bad — quelque chose avec un peu plus de mordant et moins de tendresse, qui m'aiderait peut-être à garder la tête froide. Mais à bien y réfléchir, des histoires de drogues, de trahisons et de meurtres ne sont sans doute pas des choix plus judicieux, surtout après les révélations que James m’a faites ce matin.
Juste après le départ de mes copines, il m'avait enfin répondu. J’avais passé l’après-midi dans l’angoisse, à guetter une réaction qui ne venait pas. Pas de texto, ni d'appel. Mon premier message — envoyé pour annuler notre déjeuner —, était resté sans réponse, me laissant à la fois triste et désemparée. J'avais d’abord pris mon mal en patience, déterminé à ne pas succomber à la tentation de l’interpeller. Mais, finalement, j’avais rassemblé mon courage et décidé de l’inviter à la soirée d’Halloween, comme évoqué avec Leslie et Nina.
Encore une fois, j'avais attendu, anxieuse, craignant qu'il ne réponde jamais. Finalement, en début de soirée, son nom s'est affiché sur mon écran. “Ok”, puis, presque instantanément, un smiley sourire. Malgré la brièveté de sa réponse, j’avais senti la pression se relâcher dans ma poitrine. James viendrait, et quelque part, cette certitude me réjouissait plus que je ne l'avais escompté. Pour l’encourager à s’impliquer dans la conversation et dans l’espoir de susciter son intérêt, j'avais rapidement tapoté en retour le thème de la soirée “Anges et Démons”, mais sa réponse avait été tout aussi distante : “C’est noté.”
Au début, sa confirmation m'avait apporté satisfaction et soulagement. Pourtant, au fil des secondes, cette simplicité a commencé à m'irriter. Pas de questions, pas d'approfondissement, juste trois quatre mots à la hâte qui semblaient réduire notre complicité à une froideur déconcertante. Je me rappelais nos anciens échanges où il s'enthousiasmait pour chaque détail, où on pouvait passer des heures à discuter de choses et d’autres, de petits riens comme de grands projets. En vérité, j'attendais qu'il me dise qu'il comprenait mon invitation, qu'il était heureux de venir, ou même qu'il se souciait de notre situation. Mieux encore, j'aurais préféré qu'il m'appelle pour qu'on puisse en parler de vive voix, échanger nos pensées, comme autrefois. Cette absence de nuance m’avait perturbé plus que de raison, je le sais, mais j’avais la désagréable impression que notre lien était désormais relégué à une simple formalité.
Mais qu'est-ce qu'il lui prenait, à la fin ? J’avais senti l’agacement poindre et, plus vive encore, une note de colère s’imprimer dans mes entrailles. Mais, je m’étais vite ressaisi : peut-être était-il occupé tout simplement, absorbé par des préoccupations que j'ignorais. Peut-être que j’exagérais le choses. Après tout, il n'était pas dans ma tête et ne pouvait pas savoir à quel point son manque d’enthousiasme m’attristait. Il me fallait trouver un équilibre entre malaise et compréhension.
Puis, je m’étais demandée comment il vivait tout ça de son côté : nos retrouvailles imprévues, sa volonté manifeste de ne pas se contenter d’une simple amitié, et surtout, sa déclaration d’amour. Ces paroles résonnaient encore en moi, troublantes et puissantes, mais surtout, porteuses de tant de questions. Comment parvient-il à gérer ses propres émotions dans tout ce chaos ? Comment arrive-t-il à concilier l’amour qu’il dit me porter avec toutes les craintes qu’il m’a exprimées ?
Plus j’y réfléchissais et plus je réalisais que James est devenu une énigme à mes yeux, une contradiction permanente qui ne cesse de m’intriguer et de m’inquiéter. Sa dépendance à la drogue, bien qu'apparemment sous contrôle pour le moment, reste tout de même une épée de Damoclès prête à s’abattre sur lui. Sur nous ?
J’avais perçu la peur sur son visage, cette peur de replonger dans les ténèbres dont il avait à peine émergé. Il hésitait, déchiré entre ses sentiments pour moi et ses propres démons intérieurs, et je me demandais comment il pourrait éviter de sombrer. Puis, la vérité m’avait frappée : James est déjà en train de se noyer. Il se débat, lutte désespérément pour ne pas être emporté par le courant, pour garder la tête hors de l’eau, mais au fond, il est déjà totalement submergé.
Il dit ne pas attendre de moi que je le sauve, mais il est impensable que je le laisse couler dans les profondeurs. Ce serait comme voir un navire en détresse à la dérive dans une mer noire : hors de question que je reste sur la rive, spectatrice impuissante de sa perte. Sauf si... sauf si je suis la cause principale de sa tempête... sauf si, en cherchant à le secourir, je suis celle qui aggrave son naufrage. Mon dieu, il y a de la place dans mon cœur pour deux mais si je devenais le vent qui précipite les vagues au lieu de l’ancre qui le stabilise ?
James... celui qui a été le soleil de ma vie pendant une semaine, avant de me laisser au crépuscule d’un chapitre que j’ai essayé si fort de refermer. Celui qui aurait dû se transformer avec le temps en un rayon de joie éternel dans les méandres de ma mémoire. Se peut-il qu’il soit l’homme avec qui je vais voguer contre vents et marées ? Le compagnon de voyage à travers les tumultes de ma vie ? Si James est ce navire fragile perdu dans cette mer déchaînée, suis-je prête à embarquer pour cette traversée incertaine ?
Tout est trop confus dans ma tête, comme un puzzle dont les pièces refuse de s’emboîter. Et puis, il y a ce quelque chose dans son passé avec Amy, un aspect troublant pas encore entièrement clair pour moi. Les bribes d'informations que j'ai rassemblées ne forment qu'une image partielle, insuffisante pour comprendre l'ampleur de leur histoire.
Je suis tiraillée entre mes propres émotions - désir, colère, peur -, mais une chose est certaine : je veux comprendre, percer les mystères et trouver un chemin, même s’il est semé d’embûches. Il m'a laissé dans le doute trop longtemps et il est temps que je cesse de vivre dans l'incertitude.
Epuisée par cette tempête intérieure, j’ai réalisé que je ne pouvais pas continuer à me perdre dans ces réflexions. J’avais besoin d’un répit, d’un moment pour respirer et m’éloigner de ce tourbillon émotionnel. Alors, je me suis tournée vers l’épisode 13 de la saison 3 d’Outlander, espérant que l'univers de Claire et Jamie m'apporterait l’évasion nécessaire.
Annotations