CHAPITRE 21.1 * JAMES

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PERDITION

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J.L.C

♪♫ LOCATION - KHALID ♪♫

Accoudé au bar du Club Hexa, l’agitation ambiante ne parvient pas à me distraire. Tout ce qui m’accompagne ici, c’est le verre de whisky à moitié vide dans ma main. Pas n'importe lequel. Le nôtre, celui qu’Antoine et moi avons conçu, distillé, perfectionné au fil des années. C'est dans ce haut lieu de la vie nocturne toulousaine que nous avons décidé de le distribuer pour la première fois. Ce soir, Antoine, mon futur beau-frère et associé, m'a convaincu de me joindre à lui, tandis qu’Isla veille discrètement sur moi, comme pour s’assurer que je garde le contrôle.

Ce n'est pas une soirée d'affaires à proprement parler. Observer comment les consommateurs réagissent à nos produits, comprendre leurs préférences, identifier les nouvelles tendances susceptibles d’influencer mes prochaines créations, voilà nos missions. Et en ce qui concerne la future bouteille de notre cru, les idées se bousculent au portillon. Il suffit par exemple de voir la montée en popularité des boissons sans alcool. Ces "whiskies sans whisky", un concept qui me fait sourire. Ce n’est pas en Écosse que cette mode arrivera. Antoine m’a suggéré d’envisager une alternative sans alcool pour notre marque. Son père, producteur de vin bio, a flairé le filon, si bien qu’il développe déjà sa propre gamme. Mais moi… je reste sceptique. Créer un whisky sans alcool, c’est un peu comme essayer de mettre en bouteille une tempête. Quelque chose manque, non ?

Il faut dire que, dernièrement, tout se précipite. L’idée d'expansion plane, mais le marché évolue tout aussi rapidement. Récolter des retours est essentiel pour préparer nos futures négociations, ajuster notre stratégie commerciale. C’est ce qui nous aidera à affiner notre approche marketing, à établir des partenariats potentiels et à nous démarquer dans ce monde concurrentiel. Notre présence sur le terrain nous positionne en tant qu'acteurs engagés, un aspect crucial pour une startup. Je dois me montrer rapide et tactique, saisir les opportunités sans perdre de temps. La concurrence ne nous fera pas de cadeau, d'autres prendront l'avantage et, dans cet environnement, chaque choix peut faire basculer l’avenir de notre marque. C’est une course contre la montre, et même si Antoine a moins de temps à y consacrer, il reste un allié précieux dans les moments critiques. Mais tout repose sur mes épaules, et j’en suis bien conscient.

Mon frère de cœur va poursuivre l’aventure en tant que soutien plutôt que comme un associé à temps plein. Il sera présent pour me seconder, mais sa disponibilité sera limitée. Son emploi lui laisse peu de marge pour s’impliquer dans la gestion quotidienne. Ceci dit, pour les décisions à long terme, surtout en ce qui concerne la durabilité, Antoine restera une ressource incontournable. Sa famille a un pied bien ancré dans le monde viticole, et cette expertise, conjuguée à son réseau, apporte une vraie valeur ajoutée. Mais au jour le jour, c'est à moi qu’incombe la tâche de mener la barque. Entre les rendez-vous avec les fournisseurs, les négociations avec les bars, les dégustations à organiser et la recherche d'un local pour la production, je jongle avec les responsabilités. Et cette charge me pèse déjà.

Le côté créatif, c'est ma force : sélectionner les matières premières, rencontrer les agriculteurs, partir en quête des fûts pour le vieillissement... C'est ce que j'aime par-dessus tout et où je me sens à ma place. Par contre, pour ce qui est de la direction générale de l’entreprise, c'est une autre paire de manches. Je dois engager des gens compétents en logistique, en gestion des stocks, en comptabilité... En d’autres termes, je dois déléguer pour que Lochranach survive. Mais est-ce que j'ai vraiment les épaules pour ça ? Je me demande parfois si je ne suis pas en train de me lancer dans un projet qui va me dépasser.

Les prochains jours s'annoncent sur les chapeaux de roue. Je dois d'abord assurer des animations signatures programmées dans un restaurant gastronomique, un bar tendance et un concept-store. Sans oublier les autres événements à organiser, dans les prochaines semaines, y compris le marché de Noël sur la place du Capitole, qui commence fin novembre. C'est une occasion en or pour promouvoir nos produits dans une atmosphère festive et rencontrer de nouveaux clients.

D’ici là, j’espère que j’aurais déniché un local pour l’entreprise, une plateforme qui doit accueillir la production, mariant à la fois distillation, embouteillage ou encore stockage et laboratoire — l’aspect artisanal doit rester au cœur de nos processus, car essentiel à notre image de marque. Je rêve d’un open space pour mon équipe, avec un bureau à part pour me retrancher lorsque nécessaire. Je tiens à garder un peu... d’intimité.

Et bien sûr, une salle de dégustation, conçue dans un décor privé et luxueux, où nos acheteurs pourront savourer l’expertise Lochranach. Ce sera l’endroit phare, un sanctuaire de notre savoir-faire, où chaque détail témoignera de notre passion et de notre engagement. Je veux que ce lieu devienne un symbole de notre identité, un espace où l’art de la distillation se mêle à l’art de vivre, offrant à nos visiteurs une expérience mémorable, ancrée dans l’authenticité. Bref, j'ai du pain sur la planche. Le lancement de la startup est imminent, et les pièces du puzzle doivent s'assembler sans tarder.

De surcroit, coté perso, je dois finaliser les visites d'appartements, parce que vivre chez Isla et Antoine ne pourra pas durer éternellement. J’aurai aussi à organiser mon déménagement et à faire venir quelques affaires d'Écosse.

Je me demande si j’aurai la force de tenir debout, autant du point de vue physique que mental. Mais je sais qu'en me maintenant occupé, je pourrai éloigner la tentation. Encore faut-il que les milieux que je serai amené à fréquenter ne soient pas des rappels constants de ce que j’essaie d'éviter. Chaque bar, chaque restaurant pourrait devenir un piège, une invitation à replonger. La vraie question se pose : suis-je prêt à affronter ces environnements sans perdre pied ?

Je finis mon verre de whisky d’un trait, savourant la chaleur qui se diffuse en moi. Je dirige alors mon regard vers le gérant, un visage familier parmi la foule, un connaisseur qui plus est.

— Dis-moi, qu'est-ce qui, selon toi, caractérise un bon whisky ? l'interpellè-je.

— Ça dépend, répond-il après réflexion. Pour certains, c'est le goût, pour d'autres, l'histoire derrière chaque bouteille. Mais ce qui compte réellement, c'est l'équilibre, explique Mathieu, les yeux pétillants d’enthousiasme.

— Quel whisky t’a le plus marqué dans ta carrière ? demandè-je, curieux de connaître son expérience.

— Ah ! C'était un vieux single malt, un Glenfarclas de 1966. Une merveille. Chaque gorgée était comme une conversation avec le temps, dit-il, un sourire nostalgique flottant sur ses lèvres.

— Ça a dû être incroyable, je commente. Est-ce que tu crois qu’un whisky pourrait rivaliser avec celui-là ?

— Tu penses à ta marque, hein ?

— Toujours, les affaires me tiennent à cœur​​​.

Mais il n’y a pas que ça. C’est aussi une question de fierté.

— Je vais tout miser sur ce projet, alors évidemment, j’aimerais connaître l’opinion des professionnels.

— Franchement, le Lobranach se distingue par son caractère. Sa production 100% française intrigue beaucoup. C’est ce qui pousse la clientèle à le commander, piquée par la curiosité au départ. Ensuite, elle est séduite par leurs personnalités.

— Le prix ne les rebute pas ? j’insiste, soucieux de la perception des consommateurs.

— Ce choix ne figure pas en première position dans les préférences des jeunes, concède-t-il. Ton single malt, “l’Essence du temps”, fonctionne bien pour les cocktails haut de gamme. Les tarifs sont accessibles et la qualité s’avère suffisamment solide pour fidéliser les habitués. Le scotch premium, “Audace & Alliance” commence à faire son chemin. Son exclusivité attire les plus avertis. Quant au “Bourbon Révélation”, les amateurs moins traditionnels y trouvent leur compte. T’as réussi une belle combinaison entre l’esprit du bourbon américain et la finesse de la distillation européenne. Personnellement, c'est celui que je préfère.

Je savoure l’instant. Entendre un spécialiste apprécier mon travail me procure une certaine satisfaction, et je ressens un mélange d’orgueil et de soulagement. Mais, une part de moi sait que ce n’est jamais assez. Dans ce domaine, on ne peut jamais vraiment se reposer sur ses lauriers. Je dois continuer à innover, à surprendre…

— Tu penses qu’on tient bien face aux différentes marques ?

Le barman jette un coup d'œil furtif sur les autres bouteilles, avant de répondre :

— Le luxe artisanal, ça parle à ceux et celles à la recherche d’une expérience authentique. Les grands noms sont toujours là, incontournables. Elles rassurent certains clients par leur renommée, leur histoire. Macallan, Lagavulin, Glenfiddich… C’est du solide, presque des valeurs sûres.

Il désigne une bouteille derrière lui.

— Regarde le rhum Cœur des Caraïbes, juste là. Quand ils ont commencé, c'était une petite distillerie maison. Personne ne leur donnait un avenir face aux géants établis comme Diplomatico ou Zacapa. Mais aujourd'hui, c’est l’un des spiritueux les plus vendus ici. Si un rhum a pu percer de cette façon, face aux pontes alors ton whisky a toutes ses chances. L’artisanat possède un pouvoir d’attraction énorme.

J’observe les étiquettes, quelques-unes familières, d’autres inconnues au bataillon.

C’est encourageant à entendre. Une pensée me traverse : le whisky imaginé ce matin, celui qui capturerait l’essence et le goût des lèvres de Victoria. Je plisse les yeux, réfléchissant à cette idée inspirante.

Jusqu’à présent, nous avons axé notre stratégie publicitaire sur la tradition et le terroir à coup de vidéos de nature sauvage, ruisseaux scintillants, grains de céréales en gros plan, zoom sur des gestes techniques et toute cette mise en scène classique. Pour vraiment capter l’attention du public cible, il faudrait ajouter une dimension plus émotionnelle, voire sensuelle.

Le barman remarque l’expression sur mon visage.

— Qu'est-ce qui te préoccupe ? On dirait que tu es en train de te souvenir de quelque chose d'important.

Je sors de ma torpeur en clignant des paupières.

— Je me demande si je ne devrais pas envisager d’avoir une égérie pour représenter ma marque, comme on le fait dans l'univers de la parfumerie et des cosmétiques.

Le barman, intrigué, me regarde attentivement.

— Une femme, je présume ? Ça pourrait faire la différence.

Il me scrute avec intérêt, un sourire complice sur les lèvres, m’invitant à en révéler plus.

— T'as l’air rêveur, quelqu’un en vue ?

— Oui. J’ai une idée bien précise en tête. J’imagine quelqu’un qui dégage un charme énigmatique, capable de captiver simplement par son allure. Je souhaite que mon whisky soit associé à des moments mémorables, à des histoires d’amour, tout comme une fragrance évoque des souvenirs.

Mathieu acquiesce, manifestement séduit.

— C’est une approche audacieuse. Luxe et passion, ça se tient bien. Si tu parviens à traduire cette image, tu pourrais vraiment créer une connexion émotionnelle forte.

Je me sens revigoré, prêt à transformer cette inspiration en réalité. Je garde cette idée dans un coin et je commande un nouveau whisky, du Lochranach, bien entendu.

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