CHAPITRE 21.2 * JAMES

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J.L.C

♪♫ THE HILLS - THE WEEKND ♪♫


J’ai bu un verre, puis un autre, et un autre. À ce stade, je tiens à peine debout. Après le deuxième, je me suis détendu, laissant mes pensées dériver vers le business, papotant avec Antoine et Isla pendant un moment, avant que ces deux-là ne s'éclipsent, prétextant vouloir "prendre l'air". Tu parles ! Ils ont sûrement filé baiser dans un coin, avec la main d’Antoine qui explorait déjà le territoire sud de ma sœur, et la langue d’Isla qui galopait dans le cou de mon beau-frère. Ils étaient tous les deux au bord de l’explosion.

Après le troisième, une fille s’est assise sur le tabouret à côté du mien. Elle avait tout du stéréotype sexy : brune, avec des cheveux sombres et lisses, des formes parfaites comme dessinées au compas, un regard mutin et une bouche pulpeuse et coquine. Elle était chaude comme la braise. Typiquement, le genre de femme que j’aurais emmenée dans un coin, moi aussi. Avant. Plus maintenant. Plus jamais. J'espère. Parce que je ne veux qu'Elle.

Pourtant, cette fille était très entreprenante. Penchée sur moi, décolletée en avant comme une invitation écrite en gros caractère, elle laissait échapper des rires légers, alors que, bordel, je lui décrochais à peine deux mots. Signe de mon désintérêt total, je fixais mon verre avec une dévotion quasi religieuse, voulant qu’elle entende enfin que je n’avais rien à offrir de plus qu’un silence poli. Mais non, elle se rapprochait toujours plus, un sourire aguicheur, qui jouant innocemment avec une mèche brune, qui mordillant ses lèvres rouges pétant, dans un numéro que j’imaginais bien rodé.

Puis, elle m’a glissé, d’une voix douce et enjouée, qu’elle adorait les hommes de poigne, qui savent ce qu'ils veulent. Un double sens aussi transparent qu’un film pour adultes. Il ne faisait aucun doute qu’elle savait ce qu’elle voulait, elle. Moi. Langueur dans les yeux, sucre dans la bouche : un pur festival de mièvrerie. Tout compte fait, mon regard s'est attardé sur sa silhouette, presque par curiosité. Quand elle a effleuré mon bras, ce contact fugace semblait chargé d’une dissertation entière sur ce qu’elle avait en tête. Il est vrai qu'il a eu son petit effet, comme une étincelle qui allume brièvement un feu avant qu’il ne s’éteigne. Et elle, convaincue qu’elle m’avait eu. Même pas en rêve. Je me suis dégagé adroitement, feignant de ne pas remarquer la brume de séduction qui l’entourait. Mais là, ses iris noirs, ces deux invitations déguisées en promesses, m’ont happé l’espace d’un instant. Une fraction de seconde qui a fini par me titiller.

Je l’ai écoutée raconter, avec des détails aussi croustillants qu’inutiles, une anecdote coquine sur une soirée récente en "très bonne compagnie". Tout un programme. Elle avait l’air si fière de ses petites aventures. Elle s'humectait les lèvres, visiblement persuadée que ça allait me faire fondre et je l’ai laissée jouer son petit numéro, intrigué par l’étendue de sa mise en scène. Je lui ai même remonté la bretelle de sa robe qui se faisait la malle, comme si c’était une attention sincère, alors qu’en réalité, je me contentais de renforcer son illusion de contrôle. Lorsque son insistance pour aller danser a atteint des sommets, je me suis penché à son oreille, bien résolu à lui souffler un petit rappel de réalité.

— C’est marrant, j’ai toujours cru que les femmes intelligentes savaient quand c’est perdu d'avance.

Je me suis redressé, me détachant d’elle avec un mouvement décidé, avant de lui lancer, d’un ton plus ferme :

— Je n'ai pas besoin d'un cours de séduction ce soir. Je préfère encore admirer la peinture sécher. Je t'ai dit non, tu te souviens ? Alors bouge.

Visiblement vexée, elle m’a toisé, la tête haute, le menton relevé, des airs de petite princesse offensée, avant de m'envoyer balader avec quelques mots bien sentis. C’était clair : elle ne s’attendait pas à être remise à sa place. Je lui ai sans cérémonie jeté un regard froid, me moquant de son ego froissé.


Moi, tout ce que je voulais, c’était qu’elle comprenne que je n’étais pas là pour ça. Je lui avais pourtant dit, et de manière assez explicite, dès le début de son manège, que je n'étais pas intéressé Elle avait choisi d'ignorer mes paroles, imaginant sûrement que le "non" ne s’appliquait pas à elle et qu'un peu plus d'insistance finirait par m’adoucir. Mais plus elle s'entêtait avec cette assurance agaçante, plus elle perdait en crédibilité. Elle avait juste foncé tout droit dans une impasse. Quand on néglige les signes, il faut bien se préparer à la défaite.

Je n’étais pas fier de ma méchanceté, mais je ne pouvais pas m’empêcher de ressentir une légère satisfaction en la voyant finalement prendre la tangente. Le jeu en valait la peine, elle m’a foutu la paix.

Elle ne pouvait pas le savoir, mais elle était à des années-lumière de la femme qui accapare toutes mes pensées, qui embrasse chaque fibre de mon être, et qui, surtout, fait battre mon cœur de mille feux. Tandis que la fille devant moi interprétait sa comédie racoleuse, avec ses gestes exagérés et ses rires de façade, Victoria savait qu’une simple caresse de l’âme pouvait éveiller des désirs bien plus puissants. Avec elle, la séduction est un art délicat, une chorégraphie d’esprit où chaque regard et chaque sourire a le pouvoir de m’embraser, un pouvoir bien plus intense que celui du corps.

Pourtant, il y a eu un instant de faiblesse. Une étincelle de désir, maladroite et malvenue, m'a traversé. De celles qui ne feraient qu'enflammer mes démons. Une tentation fugace, presque malsaine : l'envie de céder, comme une morsure douce-amère, un rappel de cette zone de confort dans laquelle je me complaisais jusqu'alors, une énième trahison, envers moi, envers Elle. Baiser pour baiser, une routine bien huilée. L'idée d’"amour" ? Une chimère. Trop fragile. Trop dangereuse pour moi.

Alors, pour noyer ces idées, je me suis jeté sur mon verre, ingurgitant l’alcool avec une hâte presque désespérée. Gorgée après gorgée, je m’évertue désormais à effacer les réminiscences de Victoria. En vain. La musique assourdissante, les lumières stroboscopiques, les corps qui se meuvent autour de moi… Tout devrait suffire à me distraire. Sauf que... non. Les échos reviennent sans cesse, se glissent dans les fissures de mon esprit, inévitables. Encore et toujours. Victoria.

Ce midi, après l’avoir déposé au Diamant Rose et l’avoir embrassé une dernière fois, j’étais plein d’espoir. J’avais cru, naïvement, que tout allait s'améliorer. Nos retrouvailles troublantes, nos moments de tendresse enflammée, et même notre dispute matinale... Je pensais qu’on était sur le point de tout éclaircir, d’enfin nous expliquer, de, peut-être, trouver une sorte de paix. Elle m'avait proposé de déjeuner ensemble, et, dans ses yeux, j’avais perçu une vulnérabilité, une promesse. Il me reste tant à lui dire, à lui avouer, prouver...

Mais en début d’après-midi, tout s’est effondré. J'étais en route pour la rejoindre quand j’ai reçu son message m'annonçant qu’elle annulait notre rendez-vous. « J’ai besoin de temps », m’avait-elle écrit. « Je ne suis pas prête ». J’avais compris. Enfin, j’aurais dû comprendre. Pourtant...

Pourtant, ce message m’a frappé comme un coup de poing en plein ventre, un vide soudain dans ma poitrine, comme si l’air m’avait manqué. Prise de recul, préparation émotionnelle, désir d'indépendance, instinct de protection ? Ou... envie d'éviter la confrontation, doute sur notre avenir commun, pression de l'engagement, détachement, manque d'intérêt ? Victoria a-t-elle seulement besoin d'une simple pause pour réfléchir, d'un repli temporaire pour démêler ses sentiments avant de décider, se prononcer ? Et si son désistement indiquait déjà un signe avant-coureur de sa désaffection, de son éloignement définitif ? Notre relation vit-elle un prélude de renouveau, une phase d’hibernation, ou bien est-elle sur le déclin, à l’aube de sa fin ? Rien que d'y songer, j'en avais eu la nausée.

À ce moment-là, une vague de déception — ou de panique — m’avait englouti. J’avais conduit pendant plus d’une heure, errer comme un pauvre bougre, sans destination précise, uniquement pour me perdre dans le mouvement, loin d’elle, loin de tout. La route était le seul endroit où je pouvais être isolé, où je pouvais ruminer tout mon saoul, me vider la tête, m’auto-contempler dans ma solitude, sans être interrompu par des questions qui n’ont de réponses que dans mes pires moments. J’avais tourné en rond, tenté de me convaincre que c’était pour le mieux, que je devais lui laisser l’espace qu'elle demandait, qu’elle avait le droit de faire le point. Sauf que la douleur, l’amertume, le découragement se sont faufilés partout, dans chaque évocation, chaque espoir, chaque recoin de mon âme en peine.

Je prends une nouvelle goulée de whisky. Mais ce n’est plus assez. Le liquide ambré brûle ma gorge, me rappelle cruellement que je suis encore en vie, que je suis encore ici, dans ce club, à la recherche d’une diversion qui ne viendra jamais. Je me sens complètement déphasé. Mon corps est ici, mais mon esprit erre ailleurs, quelque part entre mes souvenirs de Victoria et cette foutue incertitude qui dévore l’avenir.

Je lève les yeux et aperçois mes acolytes qui me font joyeusement signe depuis l’autre côté de la salle. Isla et Antoine dansent. Je leur adresse un sourire, enfin, je crois, mais ça ne doit pas tromper grand monde. Soudain, les yeux de ma sœur se plantent dans les miens, son regard lourd de sens. Bon, c'était sans doute plus une grimace qu'autre chose, ce sourire finalement. Sa gaieté s’efface, instantanément. Ma jumelle a ce don étrange de lire en moi comme dans un livre ouvert. Elle sait. Elle a toujours su.

Je me détourne, sors mon téléphone de ma poche. J’ai besoin de la voir. Mes doigts glissent sur l’écran, puis vers la galerie, frôlent ses traits comme si c'était la seule chose qui puisse encore me donner du réconfort. Victoria me sourit, espiègle, sereine, sur l’esplanade de sa fac. Ses yeux brillent de joie, la même lueur que lorsqu’elle m’a envoyé cette photo quelques jours avant... avant que je... Merde.


L'image suivante la montre sur son balcon, le soleil couchant en toile de fond. Elle fume, l’air mélancolique, mais d’une beauté à couper le souffle. Ses cheveux blonds, en désordre, tombent autour de son visage, qui semble perdu dans des pensées lointaines. C’était la veille de mon départ… Dans son regard, je lisais déjà cette tristesse, celle qui résonne maintenant dans ma propre poitrine, ce regret lourd qui m’étouffe.

Je continue à faire défiler les clichés et je m’arrête un instant sur l'un deux : nous deux dans la pénombre de son salon. On s’embrasse. Le souvenir du goût de sa peau, de la douceur de ses lèvres, me submerge. Cette complicité perdue me frappe de plein fouet. Putain, combien j’aimerais être avec elle ! Chaque détail — la tendresse de ses caresses, l'éclat de ses pupilles dorées, la nuée d'oiseaux niché sur son flanc, la myriade de petits grains de beauté sur sa peau suave, son parfum vanillé, ses ongles qui me griffent — tout me hante plus que jamais.

Ma gorge se noue. Je bois. Le whisky coule sur mes papilles, mais ne dissipe rien. Je persévère dans mon exploration, malgré tout, malgré le poids croissant de la nostalgie et du désir non assouvi.

Je tombe sur des photos de nous, plus légères : Victoria et moi dans les rues toulousaines, riant sous le soleil, posant devant des monuments ou dans des écrins de verdures. C’était avant... Avant que tout devienne si compliqué. A l'époque où je pensais que rien ne pourrait jamais nous séparer, où j’étais tellement insouciant, heureux même.

L'image suivante est différente : Victoria dans l’encadrement de la porte de sa chambre, mon t-shirt et rien d’autre. Ce portrait, il me transperce. Sa silhouette, si bien mise en valeur, sa posture suggestive, l’expression de son visage... Je me remémore cette nuit-là, quand elle m’avait laissé la prendre contre la porte, quand ses dents et ses ongles avaient marqué ma chair. Ces heures passées au lit à redéfinir notre plaisir, à explorer nos corps jusqu’à épuisement.

Les souvenirs s'enchainent. Voilà les instantanés de notre virée à la mer. Joie, tendresse, partage, désir. J’avais tout avec elle. Je reste scotché devant la première photo que j’ai prise à son insu : face à la mer, dos à l'objectif, dans une combinaison de surf super sexy. Ses cheveux flottent dans le vent, l'écume éclabousse ses pieds. Je voulais immortaliser ce moment pour toujours. La femme la plus belle que j’ai jamais vue, plongée dans la contemplation de l’immensité de la mer, parfaitement silencieuse, sublime.

Je sais que je ne devrais pas me perdre dans le passé, que je ferais mieux de me distraire ou de me concentrer sur autre chose, mais c’est plus fort que moi. À défaut de l’avoir près de moi, j’ai ces images, ces fragments d’elle capturés à des instants magiques ou échangés lorsque la distance s’était immiscée entre nous.

Et puis, une dernière, que je ne peux pas ouvrir ici. Une photo beaucoup plus osée, érotique. Je pourrais en tracer les contours les yeux fermés tant je l’ai gravée dans ma mémoire. Victoria, allongée sur des draps blancs, sa peau nue éclatante sous la lumière douce du matin, ses courbes dessinant des ombres délicates. Elle regarde droit vers la caméra, un sourire en coin, provocante, consciente de l’effet qu’elle aura sur moi quand je la recevrai. Chaque fois que j’admire ce cliché, je sens ma poitrine s’emballer, ma respiration devenir plus rapide... Ce nude, je l’ai examiné pendant des heures, obsédé par chaque détail, lorsque la drogue m’emmenait dans des abysses de luxure et d’amertume... Putain de merde.

Je repose mon téléphone, le cœur lourd. C’est un rappel poignant que malgré ces rations de bonheur que je garde, quelque chose me manque. Quelque chose de vital. Elle.

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