CHAPITRE 22.3 * VICTORIA

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V.R.S.de.SC

♪♫ LIKE IT DOESN’T HURT —​​​​​​​ CHARLOTTE CARDIN (avec NATE HUSSER) ♪♫



Il est 21h35 lorsque mon téléphone vibre sur l’accoudoir du canapé. Je jette un coup d'œil distrait à l’écran, pensant que c’est l’un·e ou l’autre de mes ami·es avec qui je n’ai pas particulièrement envie de discuter là tout de suite. Mais mon cœur fait un bond en voyant un numéro inconnu s'afficher. Je prends une profonde inspiration avant de cliquer sur le message.



“Victoria, James ne va pas bien. Il a besoin de toi. Peux-tu le rejoindre au Club Hexa ? - Isla.”



Mon sang se glace instantanément. Je relis, espérant déceler une erreur ou un malentendu, mais les mots demeurent. Isla. Le prénom de sa sœur... Pourquoi m’envoie-t-elle ce texto ? Qu’est-ce qui ne va pas avec James ? Mon esprit s’emballe, imaginant le pire. Mon souffle se fait court, mes pensées se brouillent. James, son combat quotidien pour ne pas replonger dans la drogue... C’est ça ? Si James a cédé à la tentation, s’il est en danger…



Sans perdre une seconde, j’essaie de l’appeler. Pas de réponse. Merde, merde, merde ! L’idée qu’il puisse être en difficulté me bouleverse. Je ne peux pas le laisser seul ; je lui ai promis que je ne le laisserai pas tomber. Je me lève d’un bond, enfile rapidement un jean, un petit pull noir et mon blazer, prête à le rejoindre.



Me voilà à la station de métro, dévalant les escalators avec une intensité croissante pour attraper la prochaine rame. Le bruit du métro approche, résonnant comme un grondement sourd, tandis que je me faufile parmi les passagers déjà peu nombreux à cette heure. Les portes s’ouvrent et je me précipite à l'intérieur. Le trajet, bien que court, me paraît interminable. Chaque seconde qui passe m’éloigne des réponses que je redoute et espère à la fois. Je m’agrippe à la barre froide, mes pensées s’égrenant frénétiquement, battant la mesure des pulsations affolées de mon cœur.



Maintenant que j'y pense : et si je le trouve dans les bras d’une autre femme. James, la drogue et le sexe, c'est ce qu’il m’a fait comprendre non ?Si je le surprends en embrassant une autre ou pire encore, je ne réponds plus de moi. L’idée me tord le ventre, me laissant une sensation de vertige. Mon dieu, faîtes que ça n’arrive pas… Si tout n’est que mirage, si tout n’est que mensonge, ça me détruira...



Peut-être que cette épreuve, aussi difficile soit-elle, peut nous rapprocher et nous renforcer. Ou nous éloigner pour toujours. Au moins, je serais fixée, même si ce n’est pas de cette manière que je comptais m’y prendre. J’ai déjà perdu le contrôle de la situation, et maintenant je dois affronter la réalité.



Mais pour savoir, je serai là pour lui s'il a besoin de moi, ou je l’anéantirai s'il le mérite. Quoi qu’il arrive, ce soir sera décisif. Les portes du métro s’ouvrent à nouveau, et je m’élance.

Il m'a fallu à peine huit minutes pour sortir de chez moi et rejoindre le métro, plus neuf minutes de trajet précisément, et encore dix minutes à pied pour arriver devant l’Hexa. Ce n’est pas un club que j’ai l’habitude de fréquenter, même si j’y suis déjà venue quelques fois. En marchant, j’ai senti une boule dans l’estomac qui ne cessait de grossir, une anxiété palpable qui me serrait la poitrine. Pourquoi je suis ici, vraiment ? Est-ce de la culpabilité de ne pas compris ce qui se cacher sous la surface, ou juste cette peur persistante de le perdre ? C'est étrange. Je n’ai jamais été du genre à courir après quelqu’un. Et pourtant, ce soir, j’ai agi sous le coup de l’impulsion, presque comme si mon corps connaissait la direction à prendre mieux que mon esprit. Peut-être que c’est ça, aimer quelqu’un…



Les rues sont baignées dans la lumière jaune pâle des réverbères et l'air nocturne est chargé d’une humidité presque agréable. Le pavé sous mes pieds est irrégulier. Chacun de mes pas préssés résonne dans le silence relatif de la rue avant le tumulte du club.



Il est 22h02, je remarque alors que je patiente dans la file. La sueur perle sur mon front et ma main tremble légèrement en serrant mon sac, une manifestation physique de l'angoisse qui me tenaille. Ca fait trente-deux minutes exactement après avoir reçu le message d’Isla. Ce n’est pas beaucoup, et pourtant, pour moi, c’est énorme. Trente-deux minutes d’incertitude, de stress, d’angoisse, de peur, de colère, de tristesse... trente-deux minutes d’un tourbillon d’émotions incontrôlables.



En fait, je n’ai même pas pris le temps de réfléchir avant de partir de chez moi. Je suis partie en vitesse, habillée de manière plutôt sobre, ce qui, pour une soirée dans un club comme l’Hexa, était presque une erreur de jugement. Surtout avec mes vieilles baskets. En venant jusqu'ici, j’avais craint que mon look décontracté me pose problème à l’entrée. Je savais à quel point l’Hexa est réputé pour son caractère élitiste, et la dernière chose dont j’avais besoin c’était me faire refuser l'entrée.



Finalement, lorsque je suis arrivée devant le videur, j’ai expliqué rejoindre des amis déjà à l’intérieur — ce qui n’était entièrement faux qui plus est. Il m’a laissé passer sans poser de questions, au mieux séduit par ma détermination ou quelque chose dans mon attitude — peut-être même mon charme naturel qui, d’ordinaire, m’aide à entrer dans ce genre d'établissement, que je ne fréquente d'ailleurs pas énormément, préférant les petits bars du centre-ville, authentiques et conviviaux —, au pire à cause du sourire contrit que je lui ai adressé.



En entrant, j’ai immédiatement réalisé que mon apparence était loin des standards du club : jean, pull, baskets, au mileu de toutes ces chemises amidonnées, ses robes de créateurs, ses talons aiguilles vertigineux et ses montres de luxe aux poignets, ça dénote, c’est indéniable. Ce n’est pas pour rien que l’Hexa est le lieu le plus sélect de la ville rose. Un peu trop guindée à mon goût, d’ailleurs. Un concurent pour Mati, je ne peux m’empêcher de penser. Lui aussi ambitionne l’élite, cherche à se faire une place dans les hautes sphères de la vie nocturne toulousaine. Quoi qu’il en soit, je me suis sentie soulagée en montant les marches jusqu’à l’étage, me félicitant d’avoir au moins passé cette première épreuve.



A peine avais-je franchise le seuil, qu’une bouffée de chaleur étouffante m’a enveloppée, telle une fournaise invisible, tandis qu’un maelström sonore explosait autour de moi. L’air, alourdi de fragrances capiteuses, mêlait l’acidité des corps pressés et l'âcre douceur de l’alcool, créant un cocktail déroutant qui brûlait mes narines à chaque inspiration. À cet instant, l’odeur fraîche et terreuse de la pluie qui perlait encore sur les pavés dehors me manquait cruellement, tout comme la brise légère que j’avais à peine remarquée.



Les lumières stroboscopiques, presque aveuglantes, balayaient l’espace, projetant des ombres mouvantes sur les visages des fêtards. A mesure que j’avançais, la cacophonie s'intensifiait, les basses battaient comme un second cœur dans ma poitrine, chaque vibration s'enfonçant plus profondément, résonnant jusque dans mes os.



Tout autour, des groupes de personnes s'amassaient dans des éclats de rire ou des conversations bruyantes, leurs voix tentant de percer le vacarme incessant de la musique. Des mains se levaient pour s’enlacer, des baisers volés s’échangeaient entre les danseurs qui semblaient oublier tout ce qui se passait autour d'eux. J’ai esquivé un couple en pleine effusion amoureuse, leurs corps étroitement enlacés, et j’ai croisé le regard rapide d’un groupe d’amies qui s’arrachaient des éclats de rire cristallins, verre à la main, leur insouciance palpable. J’aurais aimé être à leur place...



Alors que je me faufilais dans la foule, j'ai ressenti une forme d’isolement. Chacun semblait absorber par sa propre bulle, totalement indifférent à l’anxiété qui m’habitait. J’avais l’impression d’être dans une autre dimension, comme une étrangère en pays inconnu. J’observais un monde où je ne parvenais plus à me connecter. Je me suis rapidement concentrée à nouveau sur ma mission : trouver James.



Mes pas me guidaient instinctivement vers le fond de la salle, là où l’atmosphère se fait plus sombre, plus intime. Je savais — non, je sentais — que je m’approchais de lui. Mes yeux le cherchaient désespérément, en scrutant chaque visage, chaque silhouette dans l’espoir de le repérer. La musique, les rires et les conversations paraissaient se fondre en arrière-plan à mesure que je m’avançais. Les basses résonnaient dans ma poitrine, me faisant vibrer d’une manière presque inconfortable. Quand enfin, je l’aperçois.



James est là, assis dans un coin, légèrement en retrait. Je me fige à quelques pas de lui et l’observe attentivement. Pantalon et boots sombre, t-shirt blanc. Montre en acier au poignet gauche, tournée vers l’intérieur comme toujours. Torque en argent et bracelet en cuir au droit. Un verre de whisky — j’en mettrais ma main à coupée — entre ses doigts. Le tatouage qui orne son bras droit ajoute à une touche sexy en diable. Une chaîne se balance à son cou, alors qu’il se penche en avant, les coudes sur les genoux. Je suis tellement subjuguée par sa beauté et son élégance que mes jambes deviennent cotoneuses, des contractions musculaires irradient dans mon bas-ventre et mes lèvres s’assèchent soudainement. Mon dieu, ce que la simple vue de cet homme provoque dans mon corps me sidère.



Pourtant, derrière cette image à couper le souffle se cache une réalité déconcertante. Son allure est entachée par une fatigue visible et une tension qui se lit sur son visage. Son état semble en décalage total avec l’effervescence qui règne autour de lui. Je vois les petites choses qui témoignent de sa détresse : il fait tournoyer son verre machinalement comme s’il était déconnecté, son sourire est éteint, ses cheveux sont ébourrifés, comme s’il s’était passé les doigts dedans de manière répétée. Son visage, tourné vers un point à ma droite, est un est un mélange d'angoisse et de mélancolie. Une statue de sel figée dans le ciel de ma nuit. Tel un Ulysse des temps modernes, condamné à vivre avec le poids de ses propres choix, cherchant un retour impossible vers son foyer. Une vague de tristesse m’envahit alors que je le regarde, et je me demande ce que je pourrais faire pour alléger son fardeau.



Animée par une curiosité mêlée de crainte, je tourne la tête dans la direction de son regard. Une fraction de seconde, une peur sourde me saisit : et si son intérêt se porte sur une autre femme, ou bien, pire, sur quelque substance illusoire et dangereuse ? Mais, heureusement, rien de grave. Son attention est captée par un jeu d’ombres et de lumères projetées conte la surface lisse d’un mur.



Finalement, je m’avance vers lui, jouant des coudes pour me frayer un passage entre entre les invités. Une boule se forme dans ma gorge, me serrant comme un étau, et je sens les larmes menaçantes perler au coin de mes yeux. Qu'est-ce qui m'arrive ? Ce n’est pas juste de l’anxiété, c’est un véritable bouleversement. James est là, et il semble si éloigné, si inaccessible.



Mon cœur bat la chamade, et je me demande comment lui faire comprendre que je suis là pour lui. Toujours. Lorsque j’arrive juste devant lui, il relève lentement la tête, comme s’il avait senti ma présence avant même de me voir. Nos regards se croisent, et tout le reste disparaît. Il n’y a plus que nous deux, figés dans cet instant où le temps semble suspendu. Je le fixe, sa beauté captivante m’aveugle un instant. Mais ces magnifiques yeux bleus sont si vides qu’ils me traversent sans me voir. Je retiens mon souffle, espérant un signe, une lueur de reconnaissance. Non… Je n’ai jamais James comme ça. C'est comme si une partie de lui était perdue dans l'obscurité qui l'entoure, et cela me fend l’âme.



L’appréhension me gagne : a-t-il pris de la drogue ? Parce que ces yeux sont dilatées. Mais, merde, je n’y connais rien à tout ça ! Je me reproche de ne pas en savoir assez. Personne dans mon entourage ne touche aux drogues dures, juste de la marijuana de temps en temps. Ou est-ce seulement l’alcool qui l’engourdit, en témoignant la bouteille presque vide de Lochranach qui trône à ses pieds, narguant sa désespérance ? Je me sens perdue, ne sachant quoi dire ni quoi faire. Tout ce que je désire, c’est qu’il aille bien, qu’il me rassure. Mais face à moi se tient un homme en pleine lutte, un homme au bord du gouffre.



Je ferme briévement les yeux et je nous revois, quelques mois plus tôt, à la terrasse d’un café. Ses yeux brillaient d’une étincelle vivante, illuminés par la clameur du soleil, alors qu'il me racontait une anecdote sur son enfance. Il avait ce sourire contagieux, une aura de confiance qui semblait capable de chasser n'importe quel nuage. Cette image me semble tellement lointaine maintenant. La douleur me foudroie, et ma poitrine se serre alors que je réalise à quel point tout a changé. La lutte pour retenir mes larmes s’intensifie, un tremblement m'envahit, tandis que je me force à rester forte, à ne pas laisser la peine l’emporter.



Pourtant, au milieu de mon désespoir latent, une lueur de détermination émerge. Je me redresse, balayant l'angoisse qui me paralyse. Il a besoin de moi. Je me répète intérieurement que je dois être forte, que je dois lui montrer qu'il n'est pas seul dans cette tempête. Je prends une profonde inspiration, me préparant à lui tendre la main, à briser ce silence entre nous.

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