CHAPITRE 23.2 * JAMES

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J.L.C

♪♫ WRECKED — IMAGINE DRAGONS ♪♫


Les mots étaient sortis de ma bouche comme un ordre, comme un volcan en pleine irruption. Son expression s’était alors durcie, ses traits s’étaient crispés momentanément. Mais presque aussitôt, telle une reine défiant l’adversité, elle avait redressé son menton, fronçant ses sourcils châtains et pinçant ses lèvres pulpeuses. Dieu, comme j'aurais voulu l'embrasser ! Elle n'avait pas reculé. Au lieu de ça, elle était restée campée devant moi, ancrée dans sa position avec une résolution tranquille. La douleur dans ses yeux se mêlait à une force intérieure, comme si chaque mot de rejet que je lui adresserai ne ferait qu’intensifier sa volonté de rester à mes côtés.


— “Je n’ai pas besoin de ta pitié ! Rentre chez toi", lui avais-je craché, d’un ton qui ne laissait aucune place à la discussion.


J’étais parfaitement consciente que je lui tirais une flèche empoisonnée, que mes paroles allaient la blesser, mais c’était le prix à payer pour préserver sa distance. C'était la seule solution sensée face à cette situation insupportable. Mais c’était mal connaitre Victoria. D’un ton posé, elle m'avait rétorqué en croisant les bras :


— “Je n’irai nulle part James !”


Mon obstination s’était confronté à une réalité indéniable : malgré mes tentatives pour la faire partir, elle demeurait là, inflexible. Désorienté par son opiniâtreté, que je percevais alors comme une épreuve supplémentaire à traverser, j’avais senti la pression monter en moi. Ma frustration s’était accentuée alors que je me sentais acculé et sans défense. La mâchoire serrée, je l’avais dévisagé froidement.


— “Putain, tu ne comprends pas !”, je lui avais crié, perçant le vacarme ambiant. “Je t’ai dit de dégager ! Je ne veux pas que tu me vois comme ça !”


Elle n’avait pas bougé, pas même cillé.


— “Non.”


Son refus catégorique m’avait fait vriller. Une partie de moi, la plus sombre et désespérée, brûlait de se jeter sur elle, de la saisir et de l’embrasser avec la force d’un homme qui sent le sol se dérober sous ses pieds, qui se raccroche à la seule chose qui lui semble encore réelle. Mais l'autre, dominée par l’alcool et la colère, bouillonnait d’une rage aveugle.


Une impulsion brutale avait pénétré mes pensées, comme une décharge d’adrénaline mêlée à une fatigue écrasante. Sans réfléchir, j’avais fait un pas vers elle, mes mains se tendant instinctivement vers son bras. Mon poing s’était refermé autour de son poignet, un peu trop fort, la tirant pour la faire sortir de ce foutu endroit.


— “Tu vas partir”, j’avais lâché d’une voix rauque, mes doigts se crispant autour de sa peau.


Je ne suis qu’un putain de connard”, je m’étais alors asséné mentalement. Mais, j’étais persuadé que c’était la seule et unique solution.


D’un mouvement brusque et précis, comme si elle s'était attendue à ma réaction, Victoria s’était vivement dégagée de mon emprise.


— “James, arrête ! Lâche-moi !”, avait-elle crié, sa voix se répercutant avec force malgré les rafales d’émotions qui l’agitaient.


J’avais chancelé, désorienté, alors qu’elle reculait d'un pas, le court souffle.

Les conversations des fêtards alentour s’étaient immédiatement intensifiés, leurs regards obliques fixés sur nous, surpris et inquiets. Quelques visages s’étaient tournés dans notre direction, l’air perplexe, mais Victoria avait rapidement redressé la tête, adoptant une posture assurée.

— “Tout va bien !” avait-elle prétendu d'une voix claire, un sourire apaisant se dessinant sur ses lèvres. “C’est juste un malentendu, rien de grave.”

Puis, ses yeux plantés dans les miens, telles deux balles d’acier fendant l'air, elle avait claironné :

— “Je ne partirai pas, et tu ne forceras pas à la faire ! Je suis ici pour toi, que tu le veuilles ou non !”

En entendant ces mots, je n'avais pas pu réprimer une vague de honte. Je me dégoutais, comme toujours. L’alcool dans mon sang et la colère dans mon cœur s’entrechoquaient violemment, et je réalisais avec horreur à quel point j’avais perdu le contrôle. Vidé de toute énergie, j’étais resté immobile un instant, comme figé par ma bassesse et mon impuissance. Tout mon être se débattait entre la rage de la repousser et le désespoir de la voir s’éloigner.

— “Pourquoi ?” je murmure, ma voix brisée, presque inaudible sous la musique. “Pourquoi tu fais ça ?”

Incapable de comprendre, j'avais secoué la tête en me laissant tomber dans le canapé. Victoria s’était immédiatement accroupie entre mes jambes, ses mains sur mes cuisses pour se soutenir et me maintenir ancré à elle. Tout autour de moi tournait : les visages des inconnus flottaient dans l’ombre, les lumières clignotantes et le bruit assourdissant formaient une cacophonie qui me donnait presque la nausée. Mais au milieu de ce tumulte, il n'y avait qu'elle, avec son regard obstiné, comme le phare au milieu de la tempête.

— "Parce que je crois en l’homme qui se terre au fond de ton cœur. Je ne supporte pas de te voir souffrir parce que, quand tu es comme ça James, une partie de moi sombre avec toi. C’est trop tard maintenant, je…”, elle s’était interrompue pour s’humecter les lèvres comme si les mots avaient du mal à franchir ses pensées. “Je t’attendais et maintenant que je t’ai trouvé, je resterais tant que tu voudras de moi.”

Je voudrais toujours de toi Vi”, j’avais pensé du plus profond de mon cœur… Mais cet écho était si douloureux. Croire qu’elle envisageait de rester prêt de moi. Malgré tout. Alors que je me cachais derrière un mur, elle, elle semblait vouloir le fissurer, le traverser, le réparer… Mais c’était si égoïste de ma part ! La perspective de la blesser me hantait tellement, m’effrayait à un point inimaginable.

Son visage était alors si proche que je pouvais sentir son souffle contre ma peau. Ses yeux cherchaient les miens, mais impossible alors de les soutenir.

— “Je ne vaux rien… tu ne le vois pas ?”, je lui avais confessé, dans un souffle rauque chargé de tout le dégoût que j’avais de moi-même. “Je suis foutu… Je suis juste un putain de gâchis qui te tire vers le bas. Je voulais être meilleur pour toi… Je le voulais tellement…”

La voix tremblante, je m’étais plongé dans la noirceur de mes pensées, incapable de voir la lumière qu'elle m’offrait. Son front était posé contre le mien, et alors que je prenais ma tête entre mes mains, elle avait secoué la sienne, comme pour me contredire. Mais elle n’avait rien ajouté.

J’ai senti ma gorge se nouer, les larmes monter malgré moi, et j’avais fini par m’écraser dans le fauteuil, mettant de la distance entre nos deux visages. La tête rejetée en arrière, les yeux fermés, j’avais senti ses mains douces recouvrir mes poings serrés, comme une invitation à remonter à la surface.

— “James, regarde-moi. Reviens vers moi.”

J'avais rouvert les yeux, passant une main sur ma tempe avant de fixer Victoria droit dans les yeux, mon regard perçant le sien.

— “Non, toi regarde moi. Regarde ce que je suis… Je ne peux pas te donner ce que tu mérites… Si ce n’est pas la drogue, c’est l’alcool, et si ce n’est pas l’alcool, c’est le sexe... Et c’est surtout souvent les trois à la fois. Va-t’en, Victoria... Trouve quelqu’un qui peut vraiment t’aimer sans te détruire”.

Elle avait entrelacé ses doigts avec les miens, comme pour m’assurer de sa présence. D'une pression douce et légère, elle m'avait répété :

— “James… Je ne vais pas partir. Je reste avec toi. Si tu n’as pas besoin de moi, moi si”.

J’avais baissé à nouveau la tête, accablé. Mes paupières s’étaient fermées lourdement et mes épaules s'étaient affaissés sous le poids de la fatigue, l’alcool prenant le dessus. Je m’étais enfoncé dans le fauteuil encore un peu plus, épuisé, abandonnant peu à peu toute envie de me battre. Le silence s’était étiré entre nous alors même que le bruit de la foule, la musique étouffée et les rires des autres se muaient en murmures lointains, un bourdonnement qui se fondait dans l’arrière-plan de ma torpeur.

Victoria ne bougeait pas. Accroupie devant moi, ses mains toujours posées sur les miennes, une chaleur douce contrastant avec mes os glacés et les limbes gelées de ma mémoire. Je ne saurais dire combien de temps s’était écoulé — une minute, dix, une heure… J’étais perdu dans le flot de mes émotions contradictoires sans réussir à m’en extirper indemne.

Quand elle avait finalement repris la parole, sa voix avait agi comme un baume sur mes blessures. Elle m'incitait à la suivre au dehors, à fuir le tumulte étouffant du club pour trouver un refuge, un endroit où l’on pourrait enfin respirer.

Lorsque nos regards s’étaient accrochés, ses prunelles ambrées brillaient d'une tendresse qui m'avait chamboulé. Compassion, compréhension, tout semblait s'y refléter, et pourtant, j’étais resté figé, indécis, prisonnier de mes propres doutes. Au fond de moi, pourtant, une étincelle ténu mais tenace me pressait de la suivre. Où qu’elle m’entraînat, même dans les recoins les plus sombres de mon être, même si c’était vers l’enfer, je savais, à cet instant précis, que je la suivrais sans hésitation.

Victoria m’avait aidé à m’extirper du fauteuil. J’avais titubé en me mettant debout, mais elle était près de moi, me soutenant discrètement. Son contact était ferme, stable, comme une ancre dans cette tempête qui me submergeait. Je l’avais guidé à travers le club. Le passage entre les corps, les murmures et les éclats de rire m’avait paru interminable, mais chaque pas nous rapprochait de l’air frais et de la tranquillité dont nous avions besoin. On avait atteint enfin la cour arrière, un espace étroit, mais calme, à l’abri de la clameur du club. J’avais relâché sa main, ce que je regrettais aussitôt.

Appuyé contre le mur rugueux du bâtiment, je sentais la surface froide et dure dans mon dos. L’air nocturne me frappait le visage, frais et vivifiant, comme un souffle d’oxygène après une longue apnée. J’avais fermé mes yeux un instant, inspirant profondément, essayant de calmer le martèlement de mon cœur, de faire taire le chaos dans ma tête, qui cognait, tanguait, cognait. Victoria avait pris place à mes côtés, son épaule frôlant mon bras. Les minutes étaient passées dans un silence étrange, mais pas inconfortable. Progressivement, ma respiration s’était stabilisée, mes pensées étaient devenus moins brouillonnes. J’avais tourné légèrement la tête pour la regarder par-dessous mes cils, mais Victoria m'observait déjà, avec cette douceur qui m’avait sidéré.

Puis, délicatement, presque timidement, elle avait attrapé ma main. Ses doigts fins s’étaient enroulés autour des miens avec une précaution infinie, et la chaleur de sa paume avait été un bonheur rassérénant. Un frisson avait parcouru mon corps, non pas de froid, mais de quelque chose de plus profond, de plus intime. J’avais baissé les yeux vers nos mains entrelacées. Son pouce caressait lentement le dos de ma main. Le contact était simple, mais il contenait tellement : du réconfort, de l'affection, peut-être même une promesse silencieuse. Ma poitrine s’était serrée d’émotion, une boule de sentiments opposés se formant dans ma gorge. Je voulais parler, mais les mots me manquaient. Alors, j’avais laissé mon regard se perdre vers le ciel nuageux, cherchant des étoiles qui ne s’y reflétaient pas. À quoi bon, puisque la seule qui compte était déjà avec moi ?

— “Pourquoi tu restes ?”, j’avais fini par demander dans un murmure.

Je ne la regardais pas, préférant la vue de nos doigts entremêlés, évitant ainsi de me laisser submerger par l’intensité de son regard. Nos peaux semblaient tisser un lien que je n'osais pas vocaliser.

Victoria n’avait pas répondu tout de suite. Ses doigts continuaient leur danse subtile, doucement, patiemment.

— “Parce que je sais que le vrai James est toujours là, quelque part”, avait-elle finalement déclaré en pivotant légèrement vers moi, et je pouvais sentir la sincérité dans chaque syllabe prononcée. “Je refuse de le laisser sombrer sans me battre pour lui.”

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