CHAPITRE 23.3 * JAMES

7 minutes de lecture

J.L.C

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Je sentais déjà mes yeux s’embuer, mes poings se serrer discrètement pour retenir un flot de larmes que je refusais de laisser couler. Mon regard s’était enfin ancré au sien, cherchant à comprendre cette force inébranlable qu’elle semblait posséder.

— “Je ne le mérite pas, Vi”, avais-je balbutié.

— “Et comme je te l’ai déjà dit, c’est à moi de décider”, m’avait-elle rappelé.

Ses yeux, implacables et pleins de solicitude, et le léger sourire qui illuminait son visage avaient entamé la brèche dans la carapace érigée autour de mon cœur. Nul doute que cette femme aurait eu le pouvoir de fissure l'armure de n’importe quel guerrier sur un champ de bataille, telle une flèche perçant la cuirasse la plus solide. Telle Pénélope, tissant inlassablement son ouvrage, elle était le ruisseau qui effrite la pierre au fil du temps.

J'avais essayé de lui rendre la rendre la pareille, mais mon sourire était fragile, un pâle reflet de l’intensité de mes véritables sentiments.

— “James, il vaudrait mieux que tu rentres. Je vais aller prévenir ta sœur. Je te raccompagnerai si besoin.”

L'attention constante qu'elle manifestait envers moi était à la fois un réconfort profond et une déstabilisation brutale. Elle réveillait une vulnérabilité que je tentais de dissimuler et la douleur aiguë qui me rongeait depuis si longtemps. Une partie de moi continuait de hurler pour qu’elle s’éloigne, qu’elle ne s’implique pas dans le désastre que j’étais devenu. Son regard perçant semblait déterrer des souvenirs que j'avais soigneusement enfouis.

— “Pas la peine, vraiment, je t’assure que je vais bien”.

Mais mes paroles sonnaient creux, et je savais qu’elle le percevait. Ses yeux me couvaient et me mettaient à nu, exposant failles et travers. Son visage demeurait marqué par une détermination farouche, une flamme qui ne semblait jamais s'éteindre. La flamme de l'espoir.

Son dévouement et sa présence étaient à la fois des cadeaux et une malédiction. En restant auprès de moi, elle se mettait émotionnellement en danger. La colère qui m’avait envahi précédemment s’était éteint peu à peu, laissant place à un abattement lourd et douloureux. La honte devenait de plus en plus pressante, écrasante, presque insupportable. C’était comme si le poids de toutes mes erreurs et errances m’écrasaient lentement. Mon corps et mon esprit au bord de l’effondrement flottaient dans un état de résignation, comme une barque à la dérive.

C’est alors que dans un mouvement calme, mais résolu, Victoria s’était placée devant moi, levant nos mains jointes pour les placer contre mon cœur, entre nos corps. Son regard oscillait entre une douceur troublante et une volonté inébranlable, un miroir de ses contradictions : forte, mais fragile.

Son geste portait une prière silencieuse, presque un appel, qui résonnait entre nous. J’avais admiré son visage, ses lèvres entrouvertes, sa poitrine qui se soulevait doucement sous l’émotion, et je savais qu’elle sentait la même tension que moi. Ses doigts, pourtant si fermes l’instant d’avant, avaient tremblé légèrement contre les miens. Pourtant, au dernier instant, j’avais perçu une brève hésitation, comme si elle luttait face à l’envie de réduire cet infime espace qui nous séparait encore. J’avais ressenti la même impulsion. Ce désir de franchir la barrière invisible, de répondre à ce besoin de proximité. Mais tout comme elle, je m’étais rétracté. Un élan partagé, aussitôt asphyxié.

Victoria avait baissé légèrement la tête, son souffle se faisant plus profond, presque résigné. Soudain, une vibration avait brisé ce moment suspendu. J’avais sorti le téléphone de ma poche. Un texto. Ma sœur me cherchait. Victoria, qui n'avait rien manqué de l’expéditeur et du contenu du message, m’avait tendu la main, ses yeux cherchant ma permission :

— “Je peux ?”

En guise de réponse, j’avais glissé le téléphone dans sa main. Elle avait froncé les sourcils tandis que ses doigts tapaient rapidement une réponse que je ne prenais pas la peine de lire. J’étais hypnotisée par la concentration marquée sur ses traits illuminés par la lueur bleutée projetée par l’écran.

— “Merci. Je lui ai dit où on était. Il est temps que tu rentres James. S’il-te-plaît.”

Vaincu, j’avais soupiré et hoché la tête en signe d’accord, trop épuisé pour argumenter davantage. Un éclat de triomphe avait furtivement pétillé das son regard, bien qu'aussitôt tempéré par une inquiétude plus profonde. Victoria, sans lâcher ma main pour autant, s’était ensuite perdue dans la contemplation de l’obscurité derrière nous en attendant l’arrivée de ma sœur.

Quelques minutes plus tard, Isla était arrivé en compagnie d'Antoine. Tous deux semblaient visiblement soulagés de trouver Victoria. Ma sœur s’était précipité vers elle et l’avait enveloppé dans une étreinte chaleureuse. Au début, l’accolade avait paru dérouter Victoria, mais elle avait fini par y répondre avec une courtoisie non feinte. Antoine lui avait adressé un hochement de tête discret, auquel Victoria avait répondu par un sourire poli. Mais, à travers mon brouillard d'alcool, il m'était difficile de tout bien distinguer et de faire la part des choses.

Toutefois, j’avais été étonné par la réaction de ma sœur. Isla, qui n’était pas du genre à s’épancher, s’était laissée aller à cette démonstration d’affection, une facette d’elle que je n’avais pas vue depuis longtemps. En prenant Victoria dans ses bras, était-elle en train de dévoiler une part d’elle-même qu’elle gardait habituellement cachée ? Son regard, bien que masqué par une façade de force, trahissait une profondeur d’émotions : la culpabilité, l’impuissance et une inquiétude qui s’accrochait à elle comme une ombre. Se pouvait-il que le soulagement de ma jumelle soit tel, que la présence de Victoria allégeait un fardeau devenu trop lourd à porter ? C’était encore un coup dur à encaisser pour moi, une autre réalité difficile à accepter.

J’étais toujours avachi contre le mur, la tête lourde, comme si chaque mouvement dans mon champ de vision était ralenti. Les échanges entre Isla et Victoria s’étaient déroulés sans que j’en perçoive vraiment les détails, comme si je les observais à travers une vitre embuée. Leur conversation était un murmure lointain, et leur préoccupation semblait être une sorte d’écho que je ne parvenais pas à toucher. Les mots se perdaient dans le brouillard de mes pensées, tandis que j'étais le témoin silencieux de cette tendresse dont j’étais à la fois le bénéficiaire et le spectateur.

— “Isla, je vais rester avec James ce soir. On va faire un tour pour qu’il prenne l’air, et s’il le faut, je le raccompagnerai chez toi ou je l’amènerai chez moi. Je m’assurerai qu’il soit en sécurité. Si tu es d’accord, James ?”

J’avais tenté de me concentrer sur ses paroles, mais elles se perdaient dans l’immensité de mon état minable. Elle m'avait regardé droit dans les yeux et j'avais compris qu'elle avait pris sa décision. Ce n’était même plus une demande mais un ordre déguisé. Penaud et blasé, j'avais simplement acquiescé dans un geste presque automatique. Tout ce que je comprenais alors, c'était que Victoria était prête à m'accompagner sur ce chemin sinueux.

— “Très bien, si tu penses que c'est ce qu'il lui faut”, avait-elle accepté, avec tout de même, ce que j’avais perçu comme une légère hésitation dans le ton. “Appelle-moi si tu as besoin de quoi que ce soit, avait-elle ajouté à l’intention de Victoria.

Puis, elle s’était avancé vers moi, ses bras m'enveloppant dans un geste aussi véhément que doux. La chaleur de son étreinte m’était parvenu à travers le brouillard de mon esprit, mais c’était un réconfort fugace, presque éphémère. Comment avais-je pu mettre Isla dans cette position, la forçant à s’inquiéter pour moi ? Je préférais mille fois souffrir seul que de causer du chagrin à ma sœur. Enfants, c’était moi qui la réconfortais, moi qui la tenais par la main quand elle avait peur, moi qui posais des pansements sur ses blessures car la vue du sang la faisait paniquer, moi qui séchait ses larmes après ses chagrins d'amour… Aujourd’hui, je suis totalement incapable de la protéger, elle qui est presque une partie de moi…

— “Prend soin de toi, mo bràthair, et prend soin d’elle aussi. Aie confiance, Jamie”, m’avait-elle glissé à l’oreille.

Ses paroles s’étaient répercutés dans mon esprit, me rappelant vaguement notre conversation précédente. Je l’avais serré un peu plus fort contre moi avant qu’elle ne se détachât en souriant faiblement.

Victoria m'avait regardé d’un air résolu, ses iris ambrés capturant ma détermination vacillante. Elle m'avait fait un signe de tête silencieux m’encourageant sans dire un mot. Puis, après avoir briévement salué Antoine et Isla, elle m’avait attrapé par la main et pris les devants pour nous guider vers la sortie. Sa démarche assurée contrastait fortement avec mon état de nervosité. Et je l’avais suivie, à moitié en état de marche, à moitié porté par sa volonté.

En avançant à travers le club en sens inverse, j'avais réalisé que ce monde vibrant, ce labyrinthe de sons et lumières, n'était qu'une illusion, une distraction qui m’écrasait et me maintenait à distance de la profondeur de mes sentiments. La tentation s’était d’elle que je devais m’éloigner, m’extirper de là avant de perdre la femme que j'aime. Seule Victoria pouvait me mener vers un monde de calme, de paix et d'amour. Seule Victoria pouvait mettre fin à la véritable lutte qui se déroulait à l'intérieur de moi. Dans cet espace apaisé qu'elle offrait, je pourrais peut-être me libérer de la peur qui m'entravait. Victoria. Ca a toujours été Victoria...

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