CHAPITRE 24.1 * JAMES

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AUX PREMIERS BAISERS

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J.L.C

♪♫ BELIEVE —​​​​​​​ THE BRAVERY ♪♫



Un léger courant d’air nous enveloppe tout à coup. La rue est vivante : quelques passants se pressent, d’autres discutent au coin des rues, tandis que les néons des enseignes créent des reflets colorés sur le bitume humide, créant un kaléidoscope qui semble se déformer devant mes yeux. Victoria marche à mes côtés, mais chaque pas devient de plus en plus ardu, comme si le sol ondulait sous mes pieds. Je tangue légèrement, m’efforçant de maintenir mon équilibre et de suivre son rythme, tout en sentant ses mains stabilisantes à mon bras. La chaleur de son contact, à la fois ferme et rassurante, tranche avec la fraîcheur nocturne, apportant un réconfort que je peine à saisir. J’essaie de ne pas trop me reposer sur elle, mais je ne peux ignorer la douceur de sa prise, qui m’ancre peu à peu dans la réalité. Chaque vacillement me rappelle sa présence, et sa main se raffermit légèrement à chaque fois, comme si elle savait que mes pensées se perdaient dans un brouillard épais. Je sais qu’elle ne me laisserait pas tomber, pourtant, si jamais je m'écroule, elle risque d’être emportée avec moi.


Soudain, un haut-le-cœur me saisit, et je m’arrête net, l’estomac en proie à un tumulte désagréable. Je lutte contre la nausée qui monte, serrant les dents pour ne pas céder à l’envie de vomir mes tripes sur le pavé. Victoria s’immobilise, son regard empreint d’inquiétude. Elle comprend immédiatement que je suis en train de sombrer, et sans hésiter, elle m’entraîne vers un banc un peu plus loin.


Le souffle court, j’inspire et j’expire lentement espérant que la fraîcheur de la nuit me ramènera un peu de lucidité. Elle passe une main réconfortante dans mes cheveux, jusqu’à ce que ses doigts frais se posent sur ma nuque qu'elle masse délicatement tandis que je garde la tête baissé. Ce simple geste éveille en moi une vague de chaleur apaisante, chaque mouvement de ses doigts comme une caresse qui chasse un peu le brouillard de l’ivresse. Je sens les tensions de mon corps se relâcher sous ses attentions, et un frisson parcourt ma colonne vertébrale.


— “Ca va aller”, chuchote-t-elle en ancrant sa deuxième main sur mon épaule.


J’essaie de hocher la tête, mais le mouvement me rappelle à quel point je suis mal en point. Je me penche un peu plus en avant, l’estomac se contractant. Je suis pris d’un vertige, mes pensées s’éparpillant alors que je me bats pour ne pas céder et garder le contrôle. Je ferme mes paupières et concentre mes efforts sur le doux massage de Victoria. Un lien qui m’apporte une force dont j’ai cruellement besoin. Petit à petit, je sens la tempête en moi se calmer. Mais je suis incapable de dire combien de temps je suis resté prostré ainsi, à la fois honteux de ma faiblesse et reconnaissant de sa patience et de son soutien qui m'aide à garde la tête hors de l’eau.


Mon dieu… Si j’avais succombé à la tentation, si j'avais snifé un rail de coke comme il aurait été si facile de le faire… La soirée aurait pris un tournant que j’ose à peine imaginer.


Moi, complétement défoncé, perdu dans un océan de plaisirs éphémères, le corps d'une inconnue contre le mien. Victoria m'aurait surpris dans la déchéance la plus totale, dans un état déplorable qui n’appelle aucune pitié, prise dans l’horreur de la situation, témoin impuissante de tout ce que je ne veux plus être… La tristesse dans ses yeux… Ou peut-être sa colère… L’une ou l'autre, ou les deux… Moi, en train de m'enliser dans un désespoir sans fin, bercé par une euphorie extatique. Je ne l’aurais sans doute pas reconnue. Je ne m’en serais peut-être même pas aperçu. Elle se serait détournée de moi à n’en pas douter. Pour toujours. Elle serait partie à jamais. Je l'imagine fuyant, mais je ne la suis pas, car je ne la vois pas. De toute façon, je l’aurais prise pour une illusion de plus. Et si je m'étais glissé dans un coin avec une autre, comme je l’avais fait tant de fois auparavant, et que Victoria… Oh mon dieu… Non !

Je me prends la tête entre les mains, le coeur au bord des lèvres mais c’est trop tard. Rien qu’à y penser, le dégoût me submerge et mon haut-le-cœur revient en force. Je ne peux m’empêcher de dégueuler ma honte et ce qu'il reste de whisky dans mon estomac, repoussant in extremis Victoria sur le côté.


Les larmes aux yeux, je réalise à quel point je lui fais du mal, et ma colère intérieure se mêle à la panique. Le visage blême, elle s’approche avec une précaution teintée d’inquiétude. Elle a vu le déferlement de ma détresse et, du coin de l'oeil, je perçois un mélange de compassion et de frustration sur ses traits. Avant même que je puisse articuler un mot, elle fouille dans son sac et en sort une gourde.


— “Respire, James, regarde-moi”, dit-elle d’une voix douce mais ferme, comme une mère qui réconforte son enfant. “Tu peux surmonter ça. Tiens, bois un peu.”


Je n’y arrive pas. Je ne peux pas la regarder. Alors je me contente de saisir la gourde qu’elle me tend. Je me rince la bouche, crachant discrétement sur le côté pour chasser les résidus amers qui me brûlent la gorge. Puis, j'avale une rasade pour apaiser le tumulte intérieur.


Toujours prévoyante, Victoria récupère un paquet de mouchoir et une petite boite qu’elle me glisse délicatement dans la main. Intrigué, je la fixe sans comprendre

— "Pastille à la menthe," dit-elle doucement. "Ça m'aide."


Je sens mes mains trembler, mais la douceur de son geste m’encourage. Je hoche la tête, un peu déstabilisé par sa présence si attentionnée. Je sors un mouchoir du paquet pour me tamponner le visage et essuyer mes lèvres, puis, je fais claquer le couvercle de la petite boîte en métal, le son net résonne dans le silence de la nuit. Je saisis un de ces petits bonbons et le dépose sur ma langue La fraîcheur instantanée envahit mes papilles, apaisant à la fois le goût amer de la bile et le chaos dans ma tête.


— “Je suis désolé, Vi… Je ne voulais pas…”


Ma voix se brise sous le poids de mes excuses. Je ne veux pas la blesser davantage, mais je suis perdu.


— “Ne t’excuses pas. Je comprends. Je suis là.”


J’inspire profondément, sentant la chaleur de sa main à nouveau sur mon bras, mon épaule, mes cheveux. Et soudain, elle se glisse contre moi, m’incitant à me lover contre elle. Sa main trouve mon dos, tandis que je sens sa présence enveloppante, un refuge accueillant qui apaise ma détresse. Ses doigts s'enroulent délicatement autour des miens. A la fois rassuré et vulnérable, je pose ma tête contre son ventre en fermant les yeux.


Le silence s’installe. Chaque battement de son cœur résonne contre ma tempe. Dans ce cocon de tendresse, je me sens à la fois fort et faible, comme si les deux états pouvaient coexister sans jugement. Petit à petit, je commence à me détendre. Je rouvre les yeux, plongeant dans le tissu de son vêtement, trouvant réconfort dans la familiarité de son odeur, un mélange subtil de parfum et de chaleur humaine.


Alors que je me redresse lentement, me détachant à contre coeur de son étreinte, je la regarde enfin. Je cherche cette lueur d'empathie dans ses yeux qui m'a tant aidé. Mon dieu, qu'elle est belle et féroce, généreuse et forte. Dans cette lumière tamisée, ses pupilles brillent d'une intensité qui m’apaise et me stimule à la fois. Mon dieu, comme j'ai envie d'elle encore et toujours.


— “Viens, marchons”, m'invite-t-elle gentimment.


Nous déambulons côte à côte tranquillement pendant de longues minutes dans le dédale des rues toulousaines, celles que j’ai déjà arpentées seul et avec elle, des mois auparavant. Bien que mon corps soit encore engourdi, je ressens une légère clarté d'esprit dû à mon soulagement. On avance ensemble, mais la réalité ondule toujours autour de moi. Le bruit environnant diminue progressivement à mesure qu’on s’éloigne des rues piétonnes et des bars qui pullulent dans le quartier. Victoria me guide avec une patience infinie, me jetant des coups d’œil occasionnels pour s’assurer que je tiens le coup.


D’abord de manière presque imperceptible, mais désormais évidente, je perçois le murmure du fleuve. Lorsqu’on arrive près des berges de la Garonne, un sentiment de nostalgie m’envahit. La vue de cette étendue d’eau, bordée de lumières qui se réfléchissent sur sa surface sombre, ravive des souvenirs chargés d’émotion. Juste là, à quelques pas le long du quai, Victoria et moi avons échangé notre premier baiser. Cette réminiscence, empreinte de douceur et de simplicité, contraste cruellement avec la complexité de notre situation actuelle.


Je ralentis inconsciemment, mes pensées flottant entre passé et présent dans un tourbillon brumeux. Elle semble le percevoir ou peut-être remarque-t-elle simplement mon hésitation, car elle s’arrête et me fixe gravement. Son regard pénétrant cherche des réponses dans le mien et je me sens pris au piège.


— “Ca va ?” demande-t-elle doucement.


Je hoche la tête, sans rien dire. Lentement, elle attrape ma main — son contact apportant une chaleur rassurante qui ébranle tous mes sens —, et nous conduit vers le muret qui surplombe le fleuve. On s’arrête là, l’un près de l'autre. Elle pose ses coudes sur le muret, se perd dans la contemplation des eaux tranquilles en contrebas. Ses paupières se ferment, comme si elle cherchait, elle aussi, un répit dans la douceur de la nuit. La clarté de cette soirée semble se fondre dans le néant, remplacée par les images de notre premier baiser, si réelles tout à coup. La tendresse et l’excitation de ce moment paraissent maintenant si lointaines, comme des souvenirs évanescents noyés dans la brume de l’alcool et du désespoir.


C’était le soir de notre premier rendez-vous, le soleil se couchait alors qu’on déambulait sur les quais. Victoria me décrivait la berge opposée avec passion. Elle me parlait du Pont Saint-Pierre reliant la rive gauche et le quartier Saint-Cyprien, du jardin Raymond VI près du musée des Abattoirs, où elle aimait flâner. On avait observé le dôme majestueux de l’Hôpital de La Grave qui rayonnait d’une lueur presque magique et, la grande roue qui s’élevait au-dessus des toits.


On s’était arrêté sur les hauteurs, le long d’un muret semblable à celui où nous sommes en ce moment. Le murmure de la Garonne en contrebas et le scintillement des lumières sur l'eau, me reviennent en mémoire. Je revois la brise légère jouer avec ses mèches blondes, son sourire timide alors qu’elle continuait à parler de cette ville qu’elle aimait tant. Elle portait une petite robe à fleurs avec des volants, un joli décolleté et un magnifique dos nus, qui épousait son corps avec une grâce désarmante. Elle était absolument sublime, pétillante et diablement sexy. Ce souvenir reste intact, malgré tout le litre d’alcool qui m'embrume ce soir.


Alors que ses mots s’évanouissaient dans l'air chaud de la nuit, nos regards s’étaient croisés, plus intenses que jamais. Il y avait quelque chose dans ses yeux et dans son sourire — une lueur douce et attentionnée, une promesse timide, comme si, elle aussi, sentait ce moment venir. Je ne suis pas tout à fait sûr de qui a fait le premier pas. Peut-être était-ce elle, ou moi, ou un mouvement involontaire de nos corps qui s’impatientaient. Mais soudain, la distance entre nous s’était évaporée. Et puis, nos lèvres s’étaient touchées. Le baiser était doux, chargé de tendresse et d’une indécision qui s’était vite estompée à mesure que nos sens s’éveillaient. Mon cœur battait à tout rompre tandis que je glissais mes mains le long de ses bras jusqu’à prendre en coupe son visage. Les siennes explorait délicatement mon torse, mes côtes, mon cœur. C’était une première connexion intense, et le baiser, bien que léger au départ, était devenu une danse de découverte et de trouvaille.


Quand nos bouches s’étaient séparées, Victoria m’avait souri, un sourire franc et lumineux. Une étincelle brillait dans ses yeux, celle de l'affection partagée et du plaisir éprouvé. Sans dire un mot, elle m’avait attrapé par la main, cherchant à me tirer doucement vers l’avant, comme pour poursuivre notre promenade. Mais je n’avais pas bougé, ancré à cet instant que je ne voulais pas laisser filer. Le bonheur que j'avais ressenti dans ce simple baiser, un bonheur que j'avais imaginé depuis des mois, m'avait électrisé. C'était comme si tout mon être avait attendu, s’était langui de cette union parfaite. Et une seule pensée traversait alors mon esprit : j'avais envie de plus.


Le désir de ressentir à nouveau cette intimité, cette fusion ardente, brûlait en moi. C'était plus qu'une simple envie, c'était un besoin, une nécéssité, comme celle de respirer, boire ou manger. Je voulais tout d’elle. Le baiser avait réveillé quelque chose de profond en moi, une passion que je ne pouvais plus réprimer.


Je souris légèrement en me remémorant la scène suivante et je m’adosse totalement au muret comme pour arrimer ce souvenir au flot capiteux de mon esprit.


Voyant que je résistais, Victoria s’était tournée vers moi, intriguée. Avant qu’elle puisse dire quoi que ce soit, je l’avais attirée à moi, nos corps se rejoignant dans une étreinte douce, mais pleine d'intensité. Elle ne s’était pas débattue, au contraire, elle s’était blottie sans se faire prier, comme si cet instant de proximité était exactement ce qu’elle désirait. On était resté ainsi, nos bras enroulés l’un autour de l’autre, partageant ce moment de tendresse. Nos regards s’étaient accrochés une fois de plus mais il n'y avait plus d’hésitation, seulement la certitude qu’on était là où nous devions être.


Après quelques échanges de sourire complices, de ceux qui parlent pour nous sans que les mots soient nécessaires, comme une évidence, nos lèvres se sont rejointes avec une passion et une assurance renouvellées. C’était le début de quelque chose de précieux, une relation qui s’est scellé par nos corps et nos esprits, un moment gravé à jamais dans nos mémoires, là, sur les hauteurs de Toulouse, avec la ville illuminée en contrebas et la Garonne qui coulait paisiblement, témoin silencieuse de notre amour naissant.


Je me laisse emporter par les souvenirs de cette soirée magique, mais la réalité finit par reprendre le dessus. Le présent, avec ses contours flous et ses sensations étourdissantes, s'impose lentement. Je perds le fil du temps en regardant la femme exceptionnelle à mes côtés. La lumière des réverbères fait briller ses cheveux au vent, son visage, fragile et paisible, m'apaise. Je ressens une vague de gratitude pour sa présence réconfortante, même si je sais qu’elle mérite tellement mieux que ce chaos dans lequel je l’entraîne.

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