CHAPITRE 24.2 * JAMES

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J.L.C

♪♫ AMOR - DERIK FEIN ♪♫


Je ralentis inconsciemment, mes pensées flottent entre passé, présent et futur dans un tourbillon brumeux. Ma boussole dans ce naufrage semble le percevoir ou peut-être remarque-t-elle tout bonnement mon hésitation, car elle s’arrête. Elle m’étudie. Son regard pénétrant en quête de réponses me prend au piège.

— Ça va ? demande-t-elle.

Sa voix est douce, mais l’inquiétude palpable : la femme qui m'anime sait que je me noie sans eau.

Je hoche la tête, ne pipe mot. Lentement, elle attrape ma main — cette chaleur qui me rappelle qu’il y a encore des choses à sauver, mais qu’elles ne sont pas de mon fait — et nous conduit vers le muret qui surplombe le fleuve. On s’installe là, l’un près de l'autre. Elle pose ses coudes sur les pierres lisses, se perd dans la contemplation des flots tranquilles en contrebas. Ses paupières se ferment, comme si elle cherchait, elle aussi, un répit dans la fraîcheur de la nuit.

La lumière de cette soirée se fond dans l’obscurité, et mes pensées s’accrochent aux souvenirs d’un temps enfoui, celui de notre premier baiser, quand tout semblait si simple, si vrai. Mais cette tendresse, cette excitation… elles paraissent aussi lointaines qu’un mirage. Et je les laisse se dissoudre dans la brume de l’alcool et du désespoir.

Notre premier rendez-vous. Le soleil se couchait alors qu’on flânait sur les quais de la Daurade. Victoria me décrivait la berge opposée avec passion. Le Pont Saint-Pierre, qui relie les deux rives... Le jardin Raymond VI près des Abattoirs, où elle aime rêvasser... Le dôme de La Grave rayonnait d’une lueur presque magique et la grande roue s’élevait au-dessus des toits brillants et des briques roses. Je l’écoutais à peine, ou plutôt, je l’écoutais sans vraiment l’entendre, mon regard plus intéressé par la courbe de ses lèvres, les reflets qui jouaient dans ses cheveux blonds, et cette aura qui m'attirait irrésistiblement, comme une abeille vers du miel.

On avait fait halte sur les hauteurs, le long d’un muret semblable à celui où on se trouve maintenant. Le murmure de la Garonne et le scintillement des lampadaires sur l'eau me reviennent en mémoire. Je revois son sourire timide alors qu’elle continuait à parler de ces lieux qu’elle aimait tant. Il y a eu un moment où je m'étais demandé si j'étais encore capable de prêter attention à autre chose qu'à elle. Cette ville, ces monuments, tout devenait flou, distordu. Rien d’autre ne comptait à part ses paroles. Elle portait cette robe à fleurs, avec des volants qui dansaient dans la brise. J'avais à peine remarqué ce détail, trop obnubilé par la façon dont son dos nu épousait sa silhouette, son décolleté moulait une poitrine que je devinais gracieuse et galbée. Ma tête était un enchevêtrement d’envies qui m'écrabouillaient. Elle était parfaite. Trop parfaite. Sublime. Pétillante. Sexy. Et je n’étais qu’un type qui n’avait rien à lui offrir d'autres que ses erreurs. Elle n’était pas seulement belle, elle était un appel, une tentation incarnée, un feu qui a commencé à prendre racine en moi, alors même que je croyais le carburant à tout jamais épuisé.

Je m'étais laissé emporter, à un fil près. Dans un coin de mon cerveau, une petite voix me soufflait : Ne sois pas cet idiot qui croit qu’un simple baiser pourrait réparer tout ce qui ne va pas. Je l’ai ignorée. Parce que je savais. Je savais qu'elle était là, si brillante et désormais si accessible, mais je n'étais pas dupe. C’était facile de fantasmer sur cette image d’elle qui rodait dans ma tête depuis des mois, cette Victoria mythifiée qui me hantait depuis notre rencontre.

Je m’étais construit un rêve autour d'elle. Un rêve où son visage, son corps, tout ce qu’elle représentait personnifiaient un avenir magnifié. Je l’avais idéalisée, projetée dans un futur où ses bras m’accueillaient, mais cette réalité-là, je n'étais pas prêt à la confronter. Je voulais garder un peu de lucidité, éviter de tomber dans ce piège, de me perdre à nouveau dans une illusion. Ce baiser, ce n'était qu'un baiser. Rien de plus. Et pourtant…au fond, je trépignais, je me languissais, je désirais cette connexion, cette rupture dans l’isolement dans lequel je m’étais enfermé depuis trop longtemps. J'avais embrassé d'autres femmes depuis ce fameux jour à la Cité où cette sublime blonde avait fait irruption dans ma vie. J'avais possédé des corps, provoqué des cris, mais rien de tout ça n’avait jamais résonné comme ce baiser-là. Je l’avais sentie, cette sensation persistante que ce moment allait bouleverser toute ma vision. Une sorte d'intuition prémonitoire. Un signe du destin. Car oui, ce simple contact allait raviver la flamme de l’amour, me faire totalement perdre pied, me plonger dans une dépendance que je n’avais pas anticipée.

Alors que ses mots s’évanouissaient dans l'air chaud de la nuit, nos regards s’étaient croisés, plus intenses que jamais. Ses yeux et son sourire dégageaient quelque chose — une lueur chaleureuse et attentionnée, une promesse timide. Elle aussi, pressentait le caractère inéluctable de ce qui allait nous foudroyer. Je ne suis pas tout à fait sûr de qui a opéré le premier pas. Peut-être était-ce elle, ou moi, ou bien un mouvement involontaire de nos corps qui s’impatientaient. Mais soudain, la distance entre nous s’était évaporée.

Nos lèvres s'étaient alors touchées, d’abord, respectueusement, dans un effleurement presque fragile. Mais très vite, la douceur s’était muée en une certitude, un geste plus hardi, plus affirmé. L'indécision, cédant sa place à un besoin pressant, s’était estompée à mesure que nos sens s’éveillaient.

Chaque contact envoyait des frissons sur ma peau, une onde qui s’étendait, chaude, irrépressible, jusqu’au creux de mon ventre. Je respirais son odeur, et elle s’infiltrait dans mon esprit, inoubliable, presque addictive. Le goût de ses lèvres, incomparable, une ode aux saveurs sucrées et acidulées, me transportait. Le murmure de nos souffles mêlés résonnait à mes oreilles telle une symphonie discrète mais envoûtante. Et enfin, la vue de sa frimousse, si proche, ses paupières mi-closes, ses cils qui frémissaient, et les rayons artificiels qui dessinaient les courbes de ses traits, complétait cette expérience presque surnaturelle.

Mon cœur battait à tout rompre tandis que mes mains s’étaient glissées le long de ses bras, en quête d'une prise, une prise que je n'étais pas prêt à lâcher. Puis, mes paumes s’étaient posées sur son visage. De la pulpe de mes doigts, j'avais tracé les contours subtils de son profil — ses pommettes, sa mâchoire, la ligne de ses tempes. Ma jolie blonde explorait délicatement mon torse, caressait mes côtes, câlinait mon âme et il me semblait qu’elle ne touchait pas seulement ma chair, mais aussi tout ce que j’étais.C’était une première connexion intense, une communion exquise entre nos corps qui se considéraient, et bien que léger au départ, le baiser était devenu une danse de découverte et de trouvaille.

Un instant volé au réel, comme s’il avait été écrit pour l’écran. Il avait tout — la passion, la magie, l’évidence. Brut, puissant, bouleversant. Du grand art. Un de ces baisers qui marquent un avant et un après et où on se dit : "Voilà, c'est ça". En fait, non, ce n'était pas un baiser, c'était le baiser. Celui qu’on ne raconte qu’en exagérant, sauf qu’ici, croyez-moi, tout était vrai. Réussi du tonnerre, du feu de dieu. Et pourtant, ce n'était que le début.

Quand nos bouches s’étaient séparées, Victoria m’avait souri, un sourire franc et lumineux. Celui qui me prouvait que, pour un bref laps de temps que je rêvais déjà de reconfigurer en heures, on était dans le même espace-temps. Une étincelle brillait dans ses yeux, celle de l'affection partagée et du plaisir éprouvé. Sans dire un mot, elle m’avait attrapé par la main, essayant de me tirer doucement vers l’avant, pour poursuivre notre promenade. Mais je n’avais pas bougé. J'étais ancré à cet instant précis et incapable de laisser filer cette perfection. Tout mon être avait attendu, cherché sans relâche cette union parfaite.

Le bonheur qui m’avait électrisé me submergeait encore, et une seule idée m’obsédait : j’avais envie de plus. Pas juste un autre baiser. Non, tout. Tout d’elle. Le désir de ressentir à nouveau cette intimité, cette fusion ardente, brûlait en moi. C’était une nécessité brute et viscérale, aussi fondamentale que respirer, boire ou penser. Le baiser avait réveillé quelque chose de profond en moi, une passion que je ne pouvais plus refouler.

Je souris légèrement en me remémorant la scène suivante et je m’adosse totalement au muret comme pour arrimer ce souvenir au flot capiteux de mon esprit.

Voyant que je résistais, Victoria s’était tournée vers moi. Ses jolis petits sourcils arqués s'étaient froncés et sa bouche pulpeuse entreouverte m'avait indiqué qu'elle s'apprêtait à m'interroger. Avant qu’elle puisse dire quoi que ce soit, je l’avais attirée à moi, nos corps se rejoignant dans une étreinte douce, mais pleine d'intensité. Elle ne s’était pas débattue, au contraire, elle s’était blottie sans se faire prier, en riant et passant ses poignets autour de mon cou, comme si cet instant de proximité était exactement son voeu le plus cher.

On était resté ainsi, partageant ce moment de tendresse, se berçant mutuellement. Nos regards s’étaient retrouvés, et cette fois, l’hésitation, la fragilité, la retenue avaient disparu. Juste une certitude sereine, une passion vive et une assurance nouvelle : on était là où on devait être.

Après un échange de sourires complices, ces sourires qui disent tout sans nécessiter un seul mot, nos lèvres s’étaient ralliées à nouveau. Ce n’était plus une simple rencontre ; c’était un pacte silencieux, une promesse faite de chair et de souffle.

Là, sur les hauteurs de Toulouse, avec la ville qui scintillait et la Garonne qui coulait sagement en contrebas, témoin muette de notre idylle naissante, quelque chose d’inestimable s’était scellé. Nous.

Je me laisse happer par les souvenirs de cette soirée magique, mais la réalité finit par reprendre le dessus. Le présent, avec ses contours flous et ses sensations étourdissantes, s'impose lentement. Je perds le fil du temps en regardant la femme exceptionnelle à mes côtés.

La lumière des réverbères fait briller ses cheveux au vent, son visage, fragile et paisible, m'apaise. Une vague de gratitude m’envahit alors — pour elle, pour sa patience, pour sa présence. Et pourtant, un nœud se forme dans ma poitrine. Je sais qu’elle méritait bien mieux que le chaos que je traîne derrière moi et dans lequel je l’entraîne.

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