CHAPITRE 24.2 * JAMES

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J.L.C

♪♫ FIX YOU — COLDPLAY ♪♫



Sans même se tourner vers moi, sa voix s'élève, douce, presque murmurée, mais chargée de cette même nostalgie qui me hante.


— “Tu te souviens de la première fois qu'on est venu ici ?”


Sa question semble sortir tout droit des mêmes souvenirs que les miens, comme si elle aussi avait été transportée dans le passé, là où tout avait commencé. C'est comme si nos pensées s’étaient frôlées dans l’air frais de la nuit, et je la regarde, surpris par cette synchronicité, mais aussi un peu soulagé. Elle se souvient.


C’est une question qui me renvoie instantanément à cette nuit d'été où tout semblait plus simple et où notre avenir paraissait encore plein de promesses. Ses paroles m'ancrent encore plus dans le présent, me ramenant à cette étape cruciale de notre histoire commune. Je prends une profonde inspiration, essayant de rassembler mes idées, encore imbibées des émotions de cette soirée-là. L'alcool a flouté certains détails, mais les souvenirs restent vivants et puissants. Je tourne lentement la tête vers elle, mes yeux cherchant les siens dans la semi-obscurité.


— “Comment l’oublier...” lui dis-je, ma voix rauque mais sincère. “C’est exactement à ce moment précis que je pensais.”


Victoria pousse un petit soupir et reprends la parole calmement, ses mots glissant avec une douceur contenue :


— “Je voulais que tu m’embrasses. J’en rêvais depuis notre première rencontre à la foire d’exposition”.


Un léger frisson me parcourt à l’évocation de ce souvenir, de cette première fois où nos regards se sont croisés. Mais ses mots… Une onde de surprise me traverse. Elle ne me l’avait jamais avoué. Se pourrait-il que durant tous ces mois où elle occupait mes pensées, où elle hantait mes rêves, elle en faisait de même de son côté ? Elle pensait à moi, à nous, déjà à l'époque... depuis le début. Je me sens comme désarçonné.


Elle marque une pause, un léger sourire étirant ses lèvres. Pas de surprise, pas d’hésitation, juste une certitude paisible qui fait agréablement écho en moi.


— “C’était naturel. Aucun de nous n’a eu besoin de réfléchir. Tout s’est aligné à cet instant. Nous étions là, et, c’était comme si tout poussait dans cette direction sans effort, sans question.”


Je l’écoute, tentant d’analyser chaque mot. Cette simplicité dont elle parle, ce mouvement inévitable, ça me frappe de plein fouet. J’avais ressenti la même chose, cette fluidité absolue entre nous, comme si, au fond, rien ne pouvait aller autrement.


Sa voix reste basse, mais elle dégage une force tranquille. Elle laisse planer le silence entre nous, lourd de sens, comme si elle cherchait à mettre des mots sur quelque chose qu’elle ressentait sans vraiment comprendre.


— “C’était le moment parfait. On le savait tous les deux, même sans en parler.”


Enfin, elle se décide à me faire face, ses yeux capturent les miens.


— “Ce baiser n’avait rien de précipité. Il était simplement... Nous.”


“Nous”. Mes pensées se bousculent. Oui, elle et moi, le vrai moi.


— “Je savais que c’était toi...”, j’avoue à demi-mot.


Elle émet un petit son de gorge, un murmure à peine audible, mais chargé de questionnements :


— “Moi ? Pourquoi moi, James ?”


Victoria verrouille son regard sur moi et je suis saisi par son intensité.


Je sais pourquoi elle me pose cette question. Je sais que le doute l'habite, qu'elle a besoin de réponses, de certitudes, de se sentir rassurée. Elle cherche à comprendre ce qui la rend si spéciale à mes yeux, pourquoi, parmi toutes les autres, c'est elle que je veux, que j'aime. Elle veut savoir si notre connexion est réelle et profonde. Elle me sonde et à juste titre.


Je ressens sa vulnérabilité et ça me touche profondément. Je ne devrais pas être ici, je ne suis pas celui qu’elle croit. Quand je pense à l’épave que je suis, au gâchis que je représente. Je me considère comme une ordure, quelqu’un qui n’a pas sa place à ses côtés. Comment pourrait-elle vouloir de moi, alors que je ne suis qu’un misérable camé, instable, dangereux, incapable d’accorder entièrement ma confiance ?


Et pourtant, là, devant moi, elle brille de mille feux. Pourquoi elle ? Mon dieu, parce qu'elle est tout pour moi : la raison et le sentiment, le refuge et l'aspiration, le rêve et la réalité. Elle est ma faiblesse et ma force. C’est elle qui comprend les nuances de mon être, qui fait naître en moi une lueur d'espoir. Je prends une profonde inspiration, cherchant les mots qui pourraient apaiser ses doutes et, en même temps, m’affirmer. L'alcool a flouté mes pensées, mais les émotions sont claires et brûlantes.


— “Parce que tu me vois vraiment... Parce que tu es ce qui manque à ma vie depuis des années, peut-être même depuis toujours. C’est comme si avec toi, l'amour reprenait un sens que je croyais perdu.”


Ses yeux s’écarquillent légèrement et elle lâche un petit rire nerveux, un son à la fois doux et hésitant. C’est un rire qui révèle sa surprise, mais aussi une pointe de doute, comme si elle tentait de déchiffrer l’inattendu que je viens de lui offrir. Elle détourne à nouveau le regard vers le paysage aquatique devant nous, son esprit visiblement en proie à une réflexion intérieure. Dans cette lumière tamisée, la fragilité dans son attitude, sa posture, son expression semble se refléter dans les ondulations de l'eau.


Elle reste silencieuse, plongée dans ses pensées, laissant le calme nocturne envelopper nos échanges, créant une atmosphère à la fois lourde et légère, où chaque souffle semble chargé de possibilités inexplorées.


— “Comment tu peux le savoir ?”


Est-ce une question ou une défiance ? Je la regarde attentivement, cherchant à déchiffrer la vérité de ce que je ressens. C’est un mélange complexe d'émotions, une profondeur qui, bien que réelle, est encore source d’appréhension. La brise légère caresse mon visage, et je m’accroche à cette fraîcheur pour rassembler mes idées.


— “Parce que... depuis ce soir-là, j'ai appris à te connaître, à comprendre ce que tu es pour moi. Tu es celle qui voit au-delà de ce que je montre. Avec toi, je me sens... complet et libéré. Quand je te parle, c’est comme si tu pouvais capter ce que je ressens sans que j’aie besoin de le dire. Tu captes les nuances, les petites choses que je cache aux autres”.


Le poids de ma confession s’installe. Victoria semble digérer ce que je viens de dire, son regard toujours perdu dans les reflets argentés de l’eau. Une fraction de seconde plus tard, elle tourne la tête vers moi, et c’est sa douleur qui me fait face.


— “Pourtant, il y a des choses que tu as quand même su me cacher...”.


Je soupire, l’ampleur de mon regret m’accable. Mais je sais que je dois vaincre ma confusion pour lui donner une réponse à la hauteur de ses attentes.


— “Je sais, Vi”, je souffle finalement, mes mots pesant sur ma conscience. “J’ai gardé des choses pour moi, des choses que j’aurais dû partager, mais je ne voulais pas te faire de mal, ni te décevoir. Je me suis laissé emporter, pensant que ça suffirait, qu’on pourrait profiter de chaque instant sans que les fantômes de mon passé ne viennent nous hanter. Maintenant, je comprends que ça a créé un vide entre nous, que j’ai été injuste envers toi. J’ai repoussé l’affection que tu voulais me donner, au motif de ma lâcheté, et pas seulement pour te protéger”.


Visiblement émue, Victoria presse nerveusement ses paumes contre la pierre froide du muret. Sa respiration est légèrement saccadée, trahissant l’orage d’émotions qui l'anime. Ses sourcils se froncent, et je remarque une tension dans sa mâchoire. Elle perd pied.


Une peur sourde m’envahit. Je redoute sa réaction, craignant qu’elle ne me repousse à son tour. Après la scène qu’elle a vue ce soir, je sais que son cœur est en guerre contre les doutes qui l’assaillent. L'entendre et le voir sont deux expériences différentes. Sa confiance vacille, comment pourrait-il en être autement ? C’est un conflit entre la lumière de ses sentiments et l’obscurité de mes secrets, et je comprends alors qu’aucune des deux réalités ne peut être ignorée.


— “Il ne faudra plus que ça se reproduise.”, me somme-t-elle tout à coup, d’une voix tremblante, mais ferme. “Tu dois être à cent pour cent honnête avec moi, sinon... sinon ça ne marchera jamais James.”


Je la fixe, absorbant la force et la vulnérabilité de ses mots. Elle m’invite à me remettre sur le droit chemin, tout en se protégeant elle-même de la douleur que mon passé tumultueux pourraient encore engendrer. Je hoche lentement la tête, conscient de la gravité de son message.


— “Bien”, murmure-t-elle. “Je veux croire que nous pouvons avancer, mais on devra faire preuve d’ouverture et de franchise l'un envers l’autre.”


Il y a une assurance dans son ton qui, tout en me rassurant, renforce la pression que je ressens. Dans ses yeux, je perçois une détermination inébranlable, et je sais qu’elle ne lâchera pas.


— “Je ferai tout ce que tu voudras”, dis-je en insufflant le plus de sincérité et d’engagement possible.


— “Non, tu ne le feras pas pour moi James, tu dois le faire pour toi avant tout”.


Quand elle dit ça, c’est comme si elle avait vu au-delà de tout. Ce n’est pas pour elle que je dois le faire, et elle refuse que je m’accroche à cette idée. C’est pour moi. Je suis face à la vérité brute, sans échappatoire. J’ai toujours voulu être à la hauteur pour elle, mais là, elle me pousse à affronter ce que j’essaye d’éviter : moi-même. Ça me frappe plus fort que je ne l’aurais imaginé. J’ai toujours pensé que j’avais une raison, une motivation extérieure pour m’en sortir, mais maintenant, elle me renvoie à moi-même. Et c’est là que la vraie peur se trouve. Suivre ce chemin sans la pression de la perdre, sans ce moteur qui m’a toujours animé. Est-ce que je suis capable de me battre pour moi, simplement pour moi ?


Je lui adresse un léger signe de tête. Ses attentes ne sont pas simplement des conditions à remplir ; elles sont des invitations à une transformation personnelle, une chance de me libérer des chaînes que j'ai moi-même forgées.


Je l'aime. Dieu que je l’aime…

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