CHAPITRE 24.4 * JAMES
J.L.C
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Ses lèvres quittent les miennes, mais je ne lui laisse pas le temps de reprendre son souffle. Je rive mon regard au sien.
— Tu as mon cœur entre les mains, Victoria, admets-je d'une voix rauque. Fais de moi ce que tu veux, je n'ai rien à perdre. Rien à cacher.
Le poids de ma confession s’installe. Victoria semble digérer ce que je viens de dire. Une fraction de seconde plus tard, c’est sa douleur qui me fait face.
— Pourtant, il y a des choses que tu as très bien su me cacher...
En voilà une de retrouvée ! Les gifles égarées ne manquent pas ce soir. Mais c'est le prix à payer pour ma trahison. Je soupire, l’ampleur de mon regret m’accable.
Ma louve recule d'un pas. Elle referme les pans de son manteau d’un geste brusque, croise les bras sous sa poitrine, érigeant ainsi une barrière aussi physique qu’émotionnelle entre nous.
— Tu t’es bien gardé de tout me révéler, James. Pendant des mois. Et tu oses parler de cœur, de sincérité ? Où était-il cet amour que tu dis éprouver pour moi quand j’attendais des nouvelles, quand je me demandais si tu te souvenais seulement que j’existais ?
Sa douleur me frappe en plein visage, bien plus fort que toutes les baffes qu’elle pourrait m’infliger. Mon palpitant joue aux montagnes russes ce soir. Je suffoque les flammes du désir, je débusque ma confusion et je me focalise sur son chagrin pour lui apporter une réponse à la hauteur.
— Je sais, Vi, soufflè-je. J’ai caché des... secrets, des aspects de ma vie que j’aurais dû partager, mais... je... je ne voulais pas te faire de mal, ni te décevoir. Je me suis laissé emporter, pensant que ça suffirait, qu’on pourrait profiter de chaque instant sans que les fantômes de mon passé ne viennent interférer. J'étais dans le déni et... maintenant, je comprends que ça a créé un vide entre nous, que j’ai été injuste envers toi. J’ai repoussé l’affection que tu envisageais de me donner, aux seuls motifs de ma lâcheté et de mes peurs, et pas uniquement pour te protéger. Je... suis désolé.
Visiblement secouée, Victoria presse ses paumes contre la pierre froide du muret. Sa respiration saccadée trahit l’orage d’émotions qui l'anime. Ses sourcils se froncent et je remarque une tension dans sa mâchoire. Elle perd pied.
Une angoisse sourde m’envahit. Je redoute sa réaction, craignant qu’elle ne me rejette à son tour, en toute légitimité. Après m’avoir vu dans cet état pathétique, comment lui reprocher de vouloir me retoquer ? Titubant comme un idiot, le verbe pâteux et le regard vitreux… Une vraie caricature du type qui n’a plus rien à perdre, sauf, peut-être, le respect de celle qu’il aime. Et comme si ça ne suffisait pas, j’ai permis à ma colère d'éclater. Une colère dirigée contre moi-même, bien sûr, mais que j’ai lâchement déviée contre elle.
Bravo, James. Si le ridicule tuait, je serais déjà six pieds sous terre. Mais non, il me laisse là, debout devant elle, à m'asphyxier sous le poids de mes erreurs, avec en bonus la honte cuisante d’avoir cru que j’avais encore le droit d’attendre quoi que ce soit d’elle.
Elle... Mon souffle de vie... Ma source de chaleur et de paix... L’éclair dans ma chair, la soif que rien ne peut étancher. Le feu sous ma peau, la folie dans mes veines. Ma victoire, ma vie.
Je sais que son cœur est en guerre contre les doutes qui l’assaillent. Sa confiance s'étiole, comment pourrait-il en être autement ? C’est un conflit entre la lumière de ses sentiments et l’obscurité de mes secrets, et je comprends alors qu’aucune des deux réalités ne peut être ignorée.
— Il ne faudra plus que ça se reproduise, me somme-t-elle tout à coup, d’une voix tremblante, mais ferme. Tu dois être à cent pour cent honnête avec moi, sinon... sinon ça ne marchera jamais, James.
Son regard vacille un instant, un mélange de ténacité et d’appréhension. Ses mains quittent le muret pour s'engouffrer dans ses poches.
— Te noyer dans l’alcool, je ne pense pas que ce soit une bonne idée, reprend-elle après un moment. Enfin, je n’en sais rien... Je présume.
Elle détourne les yeux, un soupir lui échappe alors que ses doigts viennent distraire un pli imaginaire sur son manteau.
— Il doit y avoir d’autres solutions pour... pour te garder éloigné de la drogue, murmure-t-elle, presque pour elle-même.
Sa voix se brise légèrement, mais elle continue, portée par une force intérieure.
— Je ne m’y connais pas, James, je ne sais pas ce qu’il faut faire ou comment t’aider. Mais je suis prête à apprendre. Je veux être là, avec toi. Dans cette bataille.
Elle relève ses magnifiques iris ambrés vers moi, ses pupilles brillantes sous les lumières froides de la rue. Son expression oscille entre peur et courage.
— Mais je ne pourrai pas le faire si tu me tiens à distance. Alors, promets-moi. Promets-moi que tu ne me repousseras plus.
Je la fixe, absorbant la vigueur et la vulnérabilité de ses mots. Elle m’invite à me remettre sur le droit chemin, tout en se protégeant elle-même de la douleur que mon passé tumultueux pourrait encore engendrer. Je hoche lentement la tête, conscient de la gravité de son message.
— Bien. Je veux croire que nous pouvons avancer ensemble, mais ça nous demandera une véritable ouverture, une transparence totale l'un envers l'autre.
Il y a une assurance dans son ton qui, tout en me sécurisant, accentue la pression qui pèse sur mes épaules. Ses yeux, plongés dans les miens, portent une détermination implacable. Elle ne cédera pas, elle ne me laissera pas m’échapper de cet engagement.
— Je ferai tout ce que tu voudras, dis-je en insufflant le plus de sincérité et de garantie possible.
Je veux qu’elle croie en moi, qu’elle sache que je suis prêt à tout pour elle. C’est plus qu’une promesse, c’est un pacte silencieux, une tentative désespérée de la convaincre que je peux changer, que je peux être celui qu’elle mérite.
— Non, tu ne le feras pas pour moi, James, tu dois le faire avant tout pour toi .
Quand elle prononce ces paroles, c’est comme si elle avait vu au-delà de tout, à travers l'épais brouillard dans lequel je m'enferme depuis si longtemps. Ce n’est pas pour elle que je dois évoluer, ce n’est pas pour satisfaire ses attentes, mais bien pour moi. Elle refuse que je m’accroche à cette illusion réconfortante que je peux me transformer uniquement pour elle, pour la garder près de moi. D’un coup, d'une phrase, cette femme que j'aime mais je connais si peu, vient de percer les couches superficielles que je me suis forgées au fil des années, ces carapaces que j’ai construites pour me protéger des autres, mais surtout de moi-même.
J’ai voulu être à la hauteur pour elle, pour lui offrir ce qu’elle espérait de moi, mais là, elle me pousse à affronter ce que j’essaye d’éviter : moi-même. Une vérité qui me frappe, aussi douloureuse qu’une droite en pleine figure. J’ai toujours cru que ma motivation viendrait de l'extérieur, que l’amour, l’obsession même, pourrait suffire à m’extirper de mon néant intérieur. C'est ce que j'ai fait avec Amy, non ? Comme si, en l’aimant, je pouvais me réinventer sans jamais faire face à mes propres démons. Je ne dois pas reproduire ce schéma avec Victoria.
Depuis que je l’ai rencontrée, j’ai projeté mon avenir sur elle, me persuadant que l’amour que je lui porterais serait le moteur qui m’animerait, le salut qui me sauverait des ténèbres dans lesquelles je suis plongé. Mais là, elle m’incite à me regarder dans le miroir, à braver celui que j'y verrais, sans la protection de son aura bienveillante.
Et c’est dans ce trou où elle me précipite que je prends conscience qu’il ne s’agit pas de chuter, mais d’apprendre à le traverser. Ce vide n’est pas une fin, mais un défi, un espace à franchir. Il me faut construire un pont ou gravir un escalier, un chemin que je dois moi-même tracer pour revenir à la lumière. Là, pour la première fois, je ressens la vraie peur. Celle d’être seul face à cet écart, de ne pas avoir la force de triompher, indépendamment d’elle. Est-ce que je suis capable de me battre pour moi, juste pour moi, sans cette pression de ne pas la perdre, sans la béquille de ses espérances ?
Elle me pousse à une remise en question qui, jusqu’ici, m’a toujours terrifié. Il s’agit de réformer ma propre existence, de prendre la responsabilité de mes choix et de mes erreurs. Et paradoxalement, c’est dans cette confrontation avec ma propre faiblesse que je vois une chance de me libérer enfin des chaînes que j’ai moi-même forgées.
Je lui adresse un léger signe de tête. Ses attentes ne sont pas simplement des conditions à remplir ; elles sont des invitations à une transformation personnelle et profonde.
Je l'aime. Dieu que je l’aime… Mais cet amour ne doit pas être une excuse pour fuir ma vacuité. C’est une opportunité, un appel à me redécouvrir, à me réinventer.
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