CHAPITRE 13.4 * JAMES

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J.L.C

♪♫ WHERE’S MY LOVE — SYML ♪♫

Quand j’ouvre la porte de son appartement, la vision de Victoria, assise sur le canapé, m'arrête net. Elle est figée dans une posture qui m'arrache un pincement au cœur. Un genou replié sous elle, elle mordille nerveusement ses doigts, son poing pressé contre sa bouche. Merde ! Et re merde...

Merde, parce que même au réveil, elle est éblouissante. Ses cheveux en bataille — une véritable cascade indomptable — encadrent son visage avec des mèches dorées et châtaines emmêlées, comme des rayons de soleil égarés. Ses yeux ambrés, légèrement voilés par le sommeil, portent des cernes discrets, mais leur profondeur magnétique me transperce : ils capturent les lueurs matinales avec une intensité troublante. Elle porte son t-shirt tiré sur ses genoux, pour se protéger du froid ambiant. Malgré la fatigue qui alourdit ses traits, elle dégage une beauté brute, un mélange envoûtant de sensibilité à fleur de peau et de force éthérée.

Et merde, parce qu’au-delà de cette image hypnotique, je lis quelque chose de plus sombre, presque déchirant, dans son regard. L’agitation émotionnelle qu’elle semble vivre est frappante. Sont-ce des regrets qui l’habitent ? Des remords enfouis ? L’aura de vulnérabilité qui émane d’elle me touche de plein fouet, rendant le poids de ma présence encore plus lourd à supporter. Mon cœur se serre en la voyant si exposée, presque brisée.

— Salut, dis-je prudemment, refermant la porte derrière moi d'un coup de pied discret.

Ma voix fend le silence lourd qui pèse sur la pièce, mais elle paraît à peine m'entendre. Elle reste immobile, ne répond pas, et je scrute les contours de son profil. Une étincelle de surprise traverse son regard, suivie d'une hésitation, un mélange confus de soulagement et d'incertitude. Les secondes s'étirent, interminables, tandis que j’attends sa réaction. Ses lèvres s'entrouvrent, comme si elle voulait dire quelque chose, mais aucun son ne sort. Les rayons du soleil irradient par la fenêtre, dessinant des éclats lumineux dans la pièce, projetant sur elle un halo délicat. Ses sourcils se froncent légèrement, sa mâchoire se crispe, et je devine qu’elle affronte une tempête intérieure, une lutte silencieuse dont je ne peux saisir que l'ombre.

Je m’approche lentement, chaque pas amplifiant le décalage entre le confort que j’avais espéré lui offrir et la réalité de son apparence désolée. Mon cœur bat la chamade, partagé entre le désir de la rassurer et la peur de la décevoir une fois de plus. Je me demande si elle comprendra mes intentions ou si je suis sur le point de commettre une nouvelle erreur.

— Vi ?, soufflè-je, ma voix hésitante trahissant mon anxiété.

Toujours pas de réponse. Je m’avance davantage, dépose le sachet sur la table basse du salon avec précaution. Le bouquet reste serré dans ma main, comme un symbole fragile de mon dessein. Je commence à déballer le contenu, cherchant à créer une atmosphère de réconfort malgré la tension qui flotte dans l’air.

— Je t’ai pris un latte macchiato. C’est bien ce que tu aimes ? Et des croissants... ils étaient chauds tout à l’heure, mais ils doivent être tièdes maintenant. Et aussi, euh… des fleurs, j’ajoute hésitant en lui tendant mon présent.

En observant Victoria, je me rends compte à quel point cette situation est délicate. Je fais de mon mieux pour montrer que mes motivations sont sincères, même si, dans l’immédiat, les mots semblent insuffisants pour combler le fossé invisible qui nous sépare.

— Tu..., murmure-t-elle avant de suspendre sa phrase.

— Oui, je... je ne savais pas si tu aimais les fleurs et, pour être honnête, je ne savais pas vraiment quoi choisir non plus, du coup j’ai… 


Je m’interromps maladroitement, réalisant à quel point ma justification est bancale.


— C’est juste que… hier, c’était ton anniversaire, et… enfin, je voulais marquer le coup, te faire plaisir. Mais bon, je suis vraiment pas doué pour ce genre de truc. Désolé si…

Je me rends compte que je déblatère comme un idiot. Merde ! Je dois avoir l’air d’un con avec cette histoire de fleurs. L’idée paraissait bonne sur le moment, un geste simple, sympa, pour dire quelque chose de plus grand. Mais face à la tension palpable entre nous, je commence presque à regretter d'avoir essayé.

Soudain, je remarque que ses yeux se remplissent de larmes, qu’elle retient au prix d’un effort incommensurable. Je ne peux pas supporter de la voir pleurer. Pas encore une fois. Plus jamais, putain ! Mais je reste paralysée, ma propre anxiété se mêlant à la douleur que je perçois dans son expression.

Alors que je m’apprête à faire un pas vers elle, Victoria me prend de court. Dans un élan désespéré, elle se jette dans mes bras. Instinctivement, j'écarte le bouquet pour ne pas l'écraser entre nous, et je l’entoure, serrant son corps frêle contre moi avec toute la tendresse et la force que je peux lui donner.


Son étreinte me surprend par sa puissance, comme si elle tentait de se raccrocher à moi pour ne pas sombrer. Ses lèvres trouvent les miennes avec une urgence à couper le souffle. Je réponds à son baiser, cherchant à lui transmettre toute la dévotion et la reconnaissance que je porte en moi. Une larme glisse sur sa joue et s’écrase sur ma peau. Ses émotions sont là, vives, presque brûlantes.


La chaleur de son corps, le sel de son chagrin, me rappellent pourquoi je suis là. Ces gestes maladroits, ces tentatives de réconfort, tout ça n’a plus d'importance comparé à l’intensité de mes sentiments pour elle, à ce besoin de la protéger, de lui montrer que, cette fois, je ne la laisserai pas tomber.

Doucement, je mets fin à notre baiser et, avec une délicatesse infinie, mon pouce suit le contour de sa pommette, essuyant les perles d’eau qui tracent leurs chemins jusqu’à son menton.

Mo chridhe..., chuchautè-je. Regarde-moi.

Je plonge mes yeux dans les siens, tentant de lui transmettre par ce simple regard tout ce que les mots échouent à dire. Je prends un moment pour capturer chaque nuance de son expression — les légers tremblements de ses lèvres, l’ambre de ses iris embués, les infimes ridules sur son front. Chaque détail m’émeut profondément et mon cœur fond de tendresse. Sa beauté angélique, même dans cet état de vulnérabilité, est captivante et presque surnaturelle. Pourtant, au-delà de cette apparence fragile, je veux qu’elle sente la force de mon soutien, qu’elle comprenne qu’elle n’a rien à craindre.

— Je suis là, articulè-je tout bas

Mes doigts continuent de caresser sa peau, tandis que le silence remplit l’espace entre nous. Je veux qu’elle s’apaise, qu’elle comprenne à quel point je tiens à son bonheur, que l’incertitude quitte son regard.

— Je suis juste allé nous chercher un petit déjeuner, expliquè-je, tout en plaçant les fleurs devant elle.

Elle fixe la composition florale avec attention et, peu à peu, un éclat de bienveillance tendre éclaire ses beaux yeux. Elle le prend entre ses mains, effleure les pétales d’un geste aussi délicat qu’un murmure. Puis, sans un mot, elle se blottit contre moi, ses bras encerclant ma taille, sa joue trouvant un refuge sur mon torse. Je sens le bouquet s’écraser légèrement contre mon dos sous l’effet de notre étreinte, et son parfum subtil continue d’envelopper l’air de sa légèreté.

Je n’ose pas bouger, à peine respirer, tant ce moment fragile semble précieux. Mes mains explorent langoureusement son dos, savourant la chaleur de ce contact, cette connexion silencieuse, mais profonde.

—Merci, finit-elle par dire, sa voix brisant le silence avec une douceur qui me fait succomber sous le poids des émotions.

Puis, elle me libère. Un rire discret lui échappe, une sorte de soupir de soulagement ou de nervosité. Elle se détourne, passant une main rapide sur son visage pour effacer les dernières traces de larmes, qui témoignent encore de sa vulnérabilité. D’un geste fébrile, elle prend le gobelet que je lui ai apporté, le soulève pour en examiner le contenu, puis me tend le deuxième avec un léger sourire.


— Tu veux autre chose avec ? demande-t-elle tout en me contournant pour se diriger vers la cuisine.


Elle semble s’adresser à elle-même plus qu’à moi lorsqu’elle ajoute :


— J’ai besoin d’un verre d’eau.


Je la suis des yeux alors qu’elle pose son latte et l’arrangement floral sur le plan de travail. D’un pas mesuré, elle récupère une tasse cuivrée et la remplit d’eau glacée au distributeur de son frigo. Ses gestes sont empreints de cette concentration méticuleuse que l’on met parfois dans les actes les plus simples, presque comme une façon de se recentrer.


— Le café me suffira, finis-je par répondre.


D’ailleurs, j’en ai vraiment besoin.


En soulevant le couvercle, un arôme intense se dégage, venant imprégner mes sens d’une douceur familière. Je prends une gorgée, savourant l’amertume ronde du café. La boisson chaude coule dans ma gorge, diffusant une agréable sensation de réconfort inattendu. J’avais presque failli le boire en route, tant le besoin d’un peu de chaleur et d’énergie me brûlait. Ce café, simple et corsé, sans sucre, me rappelle à quel point j’apprécie sa saveur brute, rude, qui réchauffe sans détours.

Victoria passe devant moi sans réellement me regarder pour s’emparer d’un vase en verre disposé sur son buffet à l'autre bout de la pièce. Elle revient à la cuisine, et je l’observe, fasciné, tandis qu’elle le remplit d’eau et y place délicatement les tiges. Elle ajuste avec minutie les fleurs, les ordonnant avec un soin qui dévoile ce côté d’elle que j’ai appris à apprécier : cette sensibilité pour les détails, pour la beauté simple des choses.


— Pour ton information, clarifie-t-elle avec une touche de sincérité dans la voix, j'aime beaucoup les fleurs et ce bouquet me plaît énormément. De la bruyère, n'est-ce pas ?


Elle me jette un coup d’œil furtif, un sourire timide apparaissant sur ses lèvres, comme si elle savait que ce choix n’était pas quelconque.


— Oui. C’est une petite touche écossaise. Ça me rappelle un peu la maison.

Je prends une nouvelle gorgée de mon café, laissant le silence se faire. Victoria traverse le salon et s’approche de la fenêtre, là où un petit bout de canapé circulaire accueille des bibelots et des plantes en pot éparpillés, mais pourtant parfaitement positionnés. Elle y intègre le bouquet, prenant soin de l’agencer minutieusement pour qu’il s’incorpore parmi ces objets du quotidien.


Après un instant de contemplation silencieuse, elle s’éloigne pour fouiller dans le vide-poche sur la table basse. Son geste est précis lorsqu’elle en sort un briquet et un paquet de cigarettes.


— Je suis désolée, mais il faut que je fume aussi.


Elle me lance cette phrase d'une voix calme, presque désinvolte.


— Je croyais que tu avais arrêté, lui fais-je remarquer, intrigué.


Tout en récupérant son latte machiato, elle répond, un peu distraite :


— Oui et non… pas vraiment.


La réponse semble flotter dans l’air, comme une demi-affirmation à laquelle elle-même n’a pas encore trouvé de véritable sens.

Elle coince une cigarette entre ses lèvres et l'allume avec une rapidité qui trahit une certaine habitude. Je regarde les volutes de fumée danser dans l’air, me demandant si elle cherche un réconfort éphémère dans cet acte, ou si c’est juste une habitude qu’elle a du mal à lâcher.

Nonchalamment, elle balance le briquet et le paquet sur la table haute de la cuisine, puis, sans un mot, ouvre la porte-fenêtre donnant sur son balcon. La lumière du matin vient effleurer son visage, et elle s’y adosse, croisant les jambes, son latte toujours dans sa paume. Elle le porte à ses lèvres avec une sorte de solennité tranquille. 


La manière dont elle s’appuie, presque comme si elle cherchait à se détacher du reste du monde, me rappelle à quel point elle peut être à la fois ancrée et en retrait. Elle ferme les paupières un instant et un râle discret de satisfaction s’échappe de ses lèvres roses qu'elle humecte avant de tirer une autre bouffée. Tout chez elle, de ses gestes mesurés à la façon dont elle se tient, dégage une grâce fatiguée, comme si chaque mouvement venait combler un vide tout en le creusant davantage.


Je la regarde sans intervenir, observant, analysant, curieux de savoir ce qui occupe ses pensées. 


Est-ce que les souvenirs de notre nuit ensemble sont les mêmes pour elle que pour moi ? Ressent-elle encore la même connexion, ou les doutes et la douleur ont-ils pris le pas sur tout le reste ?


La fumée de sa cigarette s’élève lentement, puis se dissipe dans l’air, emportant avec elle un silence lourd de non-dits. Ses yeux, maintenant mi-clos, semblent chercher une paix qu’elle n’arrive pas à trouver. Elle ajuste sa posture, jette un regard furtif vers sa chambre, soupire. Quelque chose la tracasse. Et soudain, je vois la chair de poule sur sa peau dénudée.


Le froid me frappe soudainement. Ou peut-être est-ce juste le vide entre nous. Instinctivement, un frisson traverse mon propre corps, une empathie immédiate. Sans réfléchir, je retire ma veste et m’avance vers elle, la tendant en silence. C’est un geste simple, mais lourd de significations, comme si ma chaleur pouvait la protéger ne serait-ce qu’un instant. Je préférerai la prendre dans mes bras bien sûr, l’attirer contre moi, mais quelque chose me retient. Peut-être la peur d’être repoussé… 


Elle m'adresse un regard fugace, un éclat de gratitude dans les yeux, avant de me tourner légèrement le dos, son corps indiquant, sans un mot, que je peux agir. Le geste est minime, mais il est suffisant pour que je comprenne, presque spontanément, ce qu'elle attend de moi.


— Merci. Tu pourrais ? me glisse-t-elle doucement.


Sans vraiment réfléchir, je me trouve déjà près d’elle, l’intuition guidant mes pas. Je positionne le tissu sur ses épaules légèrement haussé presque cérémonieusement, comme si chaque fibre de ce vêtement portait une part de ce que j’éprouve pour elle. Le parfum suave de sa peau m’envahit et je sens une envie irrésistible de la toucher. Avec une infime délicatesse, je saisis ses cheveux et les dégage lentement. Ses mèches blondes soyeuses glissent sous mes doigts, et je les replace tendrement par-dessus le blazer anthracite. Le mouvement est fluide, intime, comme une caresse silencieuse. Je la contemple un instant, me délectant de cette proximité qui m’a tant manqué, et, une fois encore, le monde semble s'arrêter autour de nous.


Quand elle pivote vers moi, ses yeux croisent les miens un instant. Elle se hisse sur la pointe des pieds et dépose un baiser léger à la commissure de mes lèvres avant de se retirer.


Je plonge mon regard dans le sien et je vois l’étincelle de la gratitude tout de suite remplacé par l'ombre du reproche. Et là, je comprends. Voilà ce qui m’a fait hésiter tout à l’heure.


— Tu aurais dû me prévenir, me blâme-t-elle d'une voix placide.


Elle se détourne légèrement, comme si elle n'était pas certaine de vouloir ajouter quelque chose de plus. Mais la dureté de ses paroles suivantes trahit son affliction.


— Ne fais plus jamais ça.


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