CHAPITRE 26.2 * VICTORIA

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V.R.S.de.SC

♪♫ TOUCH — CIGARETS AFTER SEX ♪♫

Je rouvre les paupières, le regard un peu flou, et mon attention se fixe immédiatement sur notre reflet dans le miroir. Une image sublimée par la lumière tamisée de la pièce qui caresse nos silhouettes enlacées. Tout ce que j'y vois, c’est une femme suspendue entre deux mondes : celui du désir et celui de la peur de perdre. Et lui, comme un roc, se tient derrière moi, son visage à quelques centimètres du mien, ses paumes au-dessus de mon nombril. Ses yeux sont sombres, son air grave. Il m’examine avec une inquiétude palpable, scrute chaque inflexion de mon être. Toujours aussi prévenant. Toujours aussi à l'écoute.

La ligne de sa mâchoire est crispée, et les muscles de son cou se contractent légèrement chaque fois qu’il inspire. Sa poitrine contre mon dos, sa chaleur m’envahit, nous lie physiquement. Ses bras se resserrent autour de moi, plus protecteurs. Il ne cherche pas à forcer quoi que ce soit, juste à être là, à me montrer que je ne suis pas seule dans cette bataille silencieuse. Il comprend que je me débats contre quelque chose de bien plus profond que la simple tension du moment, quelque chose que je n’arrive pas à faire sortir. Il ne dit rien au début, il se raidit lui aussi. Son corps réagit à la douleur que je n’ose exprimer.

— Vi... murmure-t-il contre ma peau, son ton brisé par l’angoisse.

Il se penche plus en avant, ses lèvres frôlant mon oreille, une main câline glisse dans mes cheveux.

— Laisse-toi aller, je t’en prie, continue-t-il, sa voix devenue plus basse, presque suppliante. Tu n’as pas besoin de me convaincre. Si pleurer peut t'aider, fais-le. Ça me déchire, à un point que tu ne peux imaginer, mais je suis prêt à encaisser cette vérité. Je ne mérite pas tes larmes, mais je ferais tout pour que tu te sentes en sécurité, ici, avec moi.

Ses mots me déroutent et me libèrent en même temps. Je m'agrippe des deux mains à son avant-bras et immobilise sa paume au-dessus de ma poitrine, qui pulse là, juste sous ma cage thoracique. Mon cœur hésite tant, s'égare tant, cherche désespérément à trouver la bonne direction, incapable de supporter cette dualité, ce combat entre raison et sentiments.

Qu'est-ce qui rend notre connexion si unique et troublante ?

James m’attire irrésistiblement et allume cette étincelle en moi que je contiens coûte que coûte de peur que ma vie bien ordonnée n'explose aux quatre vents. Il est surtout celui qui menace de faire voler en éclats tout ce qui fait mon identité, ma personnalité, mes valeurs et les fondations sur lesquelles j'ai bâti mon existence jusqu’à présent.

Avec lui, le risque n'est pas seulement de me perdre dans la passion, mais de remettre en question mes certitudes, d’ouvrir la porte à une forme d’abandon que je n’ai jamais osé envisager. Il me pousse hors de ma zone de confort, plus que tout autre. Et pourtant, alors que je vacille entre ces sentiments contradictoires, je sens une impatience sourde monter en moi, une pulsion à agir malgré mes réticences.

L’énigme que je veux résoudre brise le silence, sa voix rauque et chargée d’émotion :

A gràidh, tu dois juste te laisser porter.

Mon Dieu, à chaque fois qu’il murmure des mots en gaélique, c’est comme s’il posait un sceau sur mon cœur. Ils s’infiltrent dans mes défenses telle une pluie tiède, attendrissante.

Mon ange déchu me fait soudainement pivoter, de sorte que je me retrouve face à lui. Sa main ferme, mais délicate capture la mienne et la guide vers son torse, là où son cœur bat à un rythme régulier. Sous mes ongles, la texture douce de son T-shirt contraste avec la vigueur des muscles qui se tendent en dessous.

— Tu entends ? me dit-il, comme si la réponse à la question allait de soi.

Ses yeux se plongent dans les miens avec cette intensité inaltérée, une promesse muette qui m’engloutit peu à peu. Mon corps s’alanguit, saturé par l’écho de ses paroles et la tension électrique entre nous. Je me cale contre le meuble vasque dans mon dos. James efface la dernière once d'espace entre nous, place ses jambes de part et d'autre des miennes et m'étreint dans ses bras. Là, contre lui, je trouve un ancrage dans la chaleur de son torse. Mes paumes, posées à plat contre le tissu immaculé de son T-shirt, captent d’abord le souffle calme dans ses poumons, puis, en arrière-plan, les battements lourds de sa poitrine. Sa main glisse derrière sa nuque, ses doigts s’entortillent dans mes cheveux, tandis que l’autre explore la ligne de mon épine dorsale, capturant chaque relief, chaque secousse que je ne cherche même pas à dissimuler. J’enfouis mon visage dans le creux de son épaule, là où son odeur m’enveloppe, mêlée de douceur et d’apaisement. Et je laisse quelques larmes mourir sur son cœur.

L’air se suspend autour de nous, rempli de mille non-dits. Seulement lui et moi, unis dans une intimité qui défie les limites du langage.

Quelques minutes plus tard, je ne saurais dire combien, je sens son pouce venir presser ma mâchoire, un geste subtil, mais chargé de sens. Il me ramène ici, dans le présent, loin de mes réflexions tortueuses.

Son souffle caresse ma tempe alors qu’il murmure :

— Dis-moi ce que tu ressens, Vi. Pas ce que tu crois devoir ressentir. Juste... la vérité.

Ma gorge se noue. La vérité ? Comment la formuler alors que je ne la comprends pas totalement moi-même ? Mes pensées s’entrechoquent, mais son regard m’appelle, comme une bouffée d’oxygène dans un océan agité.

— Je..., commencè-je à articuler, mais ma voix tremble. Tu es trop important. Trop pour que je gère ça comme je le fais habituellement. Et, tu me fais peur...

Ses traits se figent, et il imprime un infime mouvement de recul. Mais je poursuis, parce qu’il me l’a demandé. Parce qu’il le mérite.

— Pas toi en tant que tel. Ce que tu représentes. Ce que tu provoques en moi.

Je marque une pause, cherchant mes mots, tâchant d’être fidèle à mes émotions.

— Tu me donnes envie de lâcher prise, de me délester de tout ce que j’ai construit, de toutes ces certitudes auxquelles je m’accroche depuis des années. Et ça… c’est terrifiant.

Un silence lourd s’installe entre nous. Ses mains restent immobiles sur moi, mais ses doigts se crispent, comme s’il contenait une réponse. Pourtant, il me laisse le temps, l’espace de m'ouvrir à lui.

Je détourne les yeux, me plongeant dans la contemplation de son torse qui se soulève au rythme de ses respirations, incapable de soutenir la profondeur de mon propos.

Dans ses bras, tout semble différent. Si unique. Pas comme avant.

Mes trois grandes histoires d'amour ont été marquées par la prévisibilité, non pas dans les actes, mais dans la finalité. Toutes ont eu ce point en commun : une date de péremption presque officielle. Une mécanique bien huilée qui évitait soigneusement les failles, les débordements, les risques. Elles suivaient un chemin anticipable, avec une sécurité émotionnelle estimable, qui me convenait bien à l’époque.

James ne ressemble en rien à mes partenaires précédents. À ce stade si peu avancé de notre liaison, il ne se contente pas d’occuper une simple place dans ma vie. Il veut s’y ancrer entièrement, sans réserve. Tout apparaît à la fois plus dommageable et plus intense, comme si je m’apprêtais à sauter dans l'inconnu sans filet. Le cadre est tout sauf rassurant et je n'ai plus les commandes.

Quand je relève la tête, ses pupilles brillent d'une lueur indéchiffrable.

— Je… Je n'ai jamais su comment accueillir l’incertitude. Mais, avec toi, je...

Je m'interromps. Cette conversation est loin d'être facile. James ne dit rien, mais son regard se fait plus doux.

— Mes relations passées, elles n’ont jamais été aussi… imprévisibles. Ce que j’éprouve pour toi… C’est plus que ce que j’ai connu. Et ça me terrifie, James. Parce que je ne sais pas où ça va nous mener.

J'attends sa réponse, le souffle suspendu, le cœur battant. Mais il ne me parle pas sur-le-champ. Au lieu de ça, il me serre un peu plus fort contre lui, comme si ça suffisait, comme si tout ce que je venais de confier n’avait pas besoin d’être expliqué davantage.

— Vi... Tu n’as pas à tout comprendre tout de suite. Juste... ressens.

Cet homme de feu et de glace me désoriente et trouble ma logique. Avec lui, j'ai cru tout d’abord entrer dans mon schéma récurrent : une amourette de vacances sans attache, idéale et romantique, qui n'aboutirait qu'à des souvenirs heureux. Pourtant, il n’en a rien été. J’ai goûté à une connexion si authentique et saisissante que je ne pouvais plus simplement passer à autre chose sans remettre en question ma définition de l'amour. J'en voulais plus. Voilà pourquoi rompre le contact après son départ s’est avéré si difficile. Je n’en avais pas conscience alors, mais, avec le peu de recul que j’ai pu prendre durant les dernières semaines, je peux avouer sans fioritures ni honte que je suis bel et bien déjà amoureuse de lui.

Non, ce n’est pas complètement exact. Enfin, en un sens. J’ai été conquise par l’être qu’il a laissé deviner à l’époque. L’homme attentionné, joyeux, passionné, équilibré, quoiqu’un brin mystérieux, mais si généreux. Celui qui me fait face aujourd'hui n'est plus tout à fait le même. Mais j'ai espoir que son âme demeure inaltérée.

J’hésite, avale difficilement ma salive. Mes mots, pourtant si présents, paraissent coincés dans ma gorge. Je prends une profonde inspiration pour trouver le courage de plonger plus loin.

— En même temps, tu me fais espérer. Espérer que je pourrais, peut-être, être quelqu’un d’autre. Quelqu’un qui ose, qui vit, qui aime… sans se barricader derrière ses peurs.

Ma voix se brise sur la dernière phrase, mais je soutiens son regard. Parce que je sais qu’il m’écoute. J'ai besoin qu'il entende tout ça, que, pour moi, cette relation, cette passion qui naît entre nous, m'accule dans des recoins inconnus, au-delà de mes propres frontières.

Avec les autres, cette perte totale de repères n’était jamais survenue. Aucune de mes anciennes expériences amoureuses ne m’a poussée aussi loin dans mes retranchements, donné l’impression de jouer avec des forces qui me dépassent.

Et même dans les quelques aventures qui ont ponctué mon parcours sentimental — ces chapitres légers et sans prétention, facilement refermés une fois la flamme éteinte — ou ces coups d'un soir — des interludes fugaces de plaisir partagé classés sans suite et sans envergure — rien n’a jamais eu ce goût-là. Rien de marquant, si ce n'est les biens nommés, remord, rancœur, ennui ou indifférence. Ces passades étaient anecdotiques, sans conséquences, et surtout, sans ambition de construire quoi que ce soit de pérenne. Alors que ce que James me propose, je le sens, je le sais, est un engagement à long terme.

Nous deux, ce n'est ni une histoire à durée limitée ni une idylle sans importance. Chaque regard, chaque parole, chaque silence a du poids comme si une partie de moi était appelée à se redéfinir à son contact. Il m'oblige à me confronter à des vérités enfouies, à ces sections de moi-même que je préférerais ignorer. À lui seul, il représente le danger et la passion, l’attrait et la peur, le rêve et l’abîme.

En vérité, James s’avère être une personne bien plus complexe que je ne l’avais imaginé, avec des blessures et des fêlures considérables et une instabilité qui est tout sauf négligeable. Il n'en reste pas moins que mes sentiments pour lui sont bien enracinés et loin d'être évanouis.

Malgré mes hésitations, quelque chose en moi cherche toujours à combler cet écart entre ce que je connais de lui et ce que je ressens. J'ai envie d’envoyer valser mes incertitudes, j’ai envie de gommer cette distance, de tout recommencer. J'aimerais tant pouvoir remonter le temps, revenir deux mois en arrière pour l'empêcher de rechuter, pour retrouver nos promesses de légèreté, mon insouciance. Mieux : il y a cinq ans, dix ans, je ne sais pas. Le rencontrer à un moment où la drogue, les ombres, et la fameuse Amy n’avaient pas encore marqué sa vie.

Il encadre mon visage de ses paumes. Ses pouces tracent des cercles légers sur ma peau, comme s’il souhaitait effacer mes doutes. Ses lèvres s’étirent, presque tristes.

— Et si tu arrêtais de vouloir tout gérer, Vi ? L’amour, ça ne se prévoit pas. Crois-moi. Je ne désire rien d'autre que te voir telle que tu es. La Victoria que j'ai rencontrée, la femme que tu m'as laissé entrevoir l'été dernier, celle qui m'a envouté, séduit, qui était pleine de vie, désinhibée, libre, c’est d’elle dont je suis tombé amoureux.

Sa main plonge dans mes cheveux, avant de ramener une mèche derrière mon oreille avec une tendresse infinie. Mon souffle se coupe, une chaleur diffuse se déploie en moi, et ses mots dansent sur ma poitrine, s’ancrent dans mon ventre. Machinalement, je recouvre ses poignets de mes paumes et caresse sa peau dorée de mes pouces. Je suis prisonnière de ses yeux saphir, captive de sa voix de velours.

— Tes peurs, je les vois aussi, Vi. Et j'aime cet aspect de toi. Il signifie que tu es humaine. Tu sais le faire. Céder à l'instant présent, tu me l'as prouvé plus que tu ne le crois. Combien de fois m'as-tu fait l'amour avec cette force en toi, aussi bien celle de dominer que celle de te soumettre ? Tu es belle et fragile, mais au fond, tu es une louve, féroce et instinctive, audacieuse et indépendante. Fais-toi confiance, tu peux lâcher les brides.

Je cligne des yeux, surprise par la douceur de son sourire, par l’aplomb tranquille de son discours. Je suis là, tout entière dans sa prise, mon souffle haletant, ma poitrine se soulevant irrégulièrement sous l'effet de ses paroles, de ses gestes. Ma résistance vacille, mes doutes s'érodent sous la constance de sa déclaration. Mais une voix, en moi, s’accroche encore à la peur. Celle de replonger, de nous perdre dans nos contradictions.

Peut-être parce qu'il vient de mettre le doigt sur une de mes plus grosses failles — celle de me laisser aimer — ou peut-être parce que je veux lui rendre la pareille. Les mots jaillissent malgré moi, portés par un mélange de frustration et de tendresse :

— Tu parles de mes appréhensions, James, et de ma louve intérieure, mais toi ? Qui es-tu au fond de toi ?

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