CHAPITRE 26.1 * VICTORIA

9 minutes de lecture

ABANDON

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V.R.S.de.SC

♪♫ BLEEDING OUT —​​​​​​​ CHANCE PEÑA ♪♫



Les lèvres de James dans mon cou sont un feu ardent, ses mains autour de ma taille, à la fois délicates et possessives, sont des coulées de lave en fusion. Je me laisse guider vers l’intérieur de la suite, absorbée par le désir qui embrase chacun de mes sens. Je le veux. C’est tout ce que mon corps, mon cœur et mon esprit me crient.

James et ses démons, sa dépendance. Mon dieu, comme mon coeur s’est brisé en le voyant dans la pénombre du club, en proie à une détresse palpable. Rien n'aurait pu me détourner de lui, ni la dureté de ses gestes et ses paroles, pâles témoins de sa vulnérabilité, ni ses réticences à ma présence, ni la menace de la réalité qui l'entoure. C’est cette fragilité qui a réveillé en moi un désir incommensurable de l’aider, de le soutenir, d’être celle qui le verrait au-delà de ses luttes. Je le savais déjà mais j’en suis certaine désormais : peu importe les obstacles, je me battrai pour lui, pour nous.

Et puis, me retrouver sur les berges de la Garonne, moi qui les évitais scrupuleusement depuis des semaines, de peur de réveiller des souvenirs dévastateurs et d’affronter les échos de notre passé commun. Pour moi, ce lieu était devenu un terrain miné de nostalgie et d'angoisse, un rappel constant de sa perte. Mais ce soir, y être à nouveau à ses côtés m’a chamboulée ; le souvenir de notre premier baiser s’était insinué en moi, chargé de toutes les émotions imaginables : mélancolie et regret, amertume et rancoeur, désir et espoir renouvelés. L'innocence de ce moment figé dans mon éternité a éclaté dans ma mémoire comme un orage d'été.

Et enfin ses mots, ses confidences. Des déclarations que mon cœur n'a su ignorer. Les aveux qu'il m’a faits au cœur de la nuit, aux affres de son ivresse, avaient continué à résonner en moi tandis que James nous menait précipitamment vers cet hôtel, vers cette suite et surtout, vers la promesse d’une nuit dans ses bras.

J’ai ressenti son besoin d'être vu et compris, ce qui m'a profondément touché. Après tout ce qu'il a enduré, ses souffrances, ses errances, entrendre de sa bouche que je suis celle qui pourrait combler ses manques fait peser sur moi une lourde responsabilité. Sa lutte avec sa dépendance, son besoin de compenser sa douleur par l'alcool et le sexe, c’est ce qui m'inquiète le plus. Je ne veux pas qu’il s’autodétruise, et pourtant, je ne sais pas si je peux le sauver. En ai-je la force ? M’en donnera-t-il le pouvoir ? Il semble en être persuader. Il a été honnête sur ses abus, sur son rapport au plaisir, et je m'interroge : est-ce que notre passion peut vraiment dépasser ses faiblesses, ou est-ce que je vais me retrouver prise au piège ? Il redoute cette impasse autant que moi, et je ne peux pas prétendre minimiser mes propres réserves, même si je le voudrais. Je sens bien l’amour qu’il me porte, aussi insensé soit-il. Je ne peux le nier.

En même temps, faire abstraction de notre connexion serait absurde et purement vain. Chaque moment passé ensemble depuis notre première rencontre a été si intense et si profond, comme s'il mettait à nu nos parts les plus lumineuses comme les plus sombres. Le meilleur et le pire. Et lorsqu'il a évoqué l’idée d’un grand Amour entre nous, j’ai perçu sa sincérité et j’ai littéralement fondu. Il dit qu’il m’appartient depuis le premier jour… Suis sienne également ? Suis-prête à lui offrir la même certitude ?

Quelques minutes plus tôt, je l'ai presque supplié de me prendre sans retenue, là, contre le mur, alors que j’étais sous l’emprise d’un feu ardent, impatientes. Ce même élan sauvage, cette libération effrénée avait presque eu raison de moi alors qu'on était encore en plein milieu de la rue. Mon esprit, alors oscillant à la frontière de l’interdit, avait eu tout le mal du monde à prendre le dessus sur mes pulsions primaires. J’ai presque touché du doigt la décadance, j'ai même carrément flirté avec la transgression. Faire l’amour sur un lieu public, au vu et au su de tous, mais qu'est ce qui m'a pris ? J'en tremble encore. Est-ce que j'ai vraiment perdu toute maîtrise de moi-même ? Aurais-je réellement pu aller jusqu'à me livrer sans pudeur, sans limites ?

La réponse est oui. Oui, si on l'avait fait, je ne l'aurais pas regretté. Mais ce souvenir me terrifie, me confronte à ma propre impuissance, me faisant entrevoir à quel point je suis à découvert dans cette relation. James me désarme. Et malgré tout, je le veux. Je veux cet abandon total. Ce lâcher-prise.

Au fond de moi, c’est ce à quoi j’aspire depuis longtemps. Ce que je cherche, ce que je désire. Me perdre dans les bras de quelqu'un au point de lui confier la barre avec une confiance aveugle, comme un navire cède ses voiles au vent, sans résister. Me laisser emporter vers des horizons inconnues, sans craindre de sombrer. Dans mes expériences passées, je n'ai fait qu'effleurer du bout du doigt ce degré d’intimité. Ce que je veux vraiment, c’est cette immersion totale dans la confiance et être guidée par une promesse de sécurité.

Depuis que j'ai rencontrée James, quelque chose a changé. Un besoin de répit, de relâcher cette vigilance constante qui m’accompagne depuis toujours. Je sens que je pourrais enfin m’autoriser à être vulnérable, à baisser mes armes. Pourtant, ça me terrifie. Je ne sais pas comment faire autrement. Le contrôle, c’est ce qui m’a permis de garder la tête hors de l’eau, d'éviter les écueils, de ne jamais me perdre dans les méandres des émotions. Et là, face à lui, tout semble différent.

Mais puis-je vraiment me l'autoriser depuis que je sais la vérité sur ses propres failles ?

Cette lutte entre passion et raison me tiraille. Alors que mon désir pour lui flamboie, mon besoin de maîtrise met le feu aux poudres. Je cours derrière ce don de soi, mais la précarité que ça implique me paralyse.

Je réalise que cette dualité rend notre connexion si unique et troublante. James m’attire irrésistiblement et allume cette étincelle en moi que je contiens coûte que côute par peur que ma vie bien ordonnée n'explose au quatre vents. Mais, il est surtout celui qui menace de faire voler en éclats tout ce qui fait ce que je suis et je sais : ma personnalité, mes valeurs et les fondations sur lesquelles j'ai bâti ma vie jusqu’à présent.

Avec lui, le risque n'est pas seulement de me perdre dans la passion, mais de remettre en question mes certitudes, d’ouvrir la porte à une forme d’abandon que je n’ai jamais osé envisager. Il me pousse hors de ma zone de confort, plus que tout autre. Et pourtant, alors que je vacille entre ces sentiments contradictoires, je sens une impatience sourde monter en moi, une pulsion à agir malgré mes réticences.

James n’est pas comme mes partenaires précédents. À ce stade si peu avancé de notre histoire, il est déjà bien plus.

Mes trois grandes histoires d'amour ont toutes été marqués par la prévisibilité, non pas dans les actes, mais dans la finalité. Avec Peter, j’ai vécu une année marquée par l’innocence et les promesses de l’adolescence. Avec Alex, j’ai appris à me découvrir en tant que femme, j’ai partagé mes rêves et mes ambitions et je me suis donnée corps et âme à un amour vrai sans condition. Tiago, quant à lui, m’a rappelé que, malgré mes hésitations et mes hantises, je ne devais pas me fermer à l’amour simplement parce que la séparation serait inévitable.

Mes anciennes relations ont toutes ce point en commun : une date de péremption déjà actée. Elles suivaient un chemin prévisible, avec une certaine sécurité émotionnelle, qui paradoxalement, me convenait à l’époque. J’étais aux commandes, et même si ces histoires se terminaient, je savais toujours où j’allais. Avec James, tout parait à la fois plus dangereux et plus intense, comme si je m’apprêtais à sauter dans l'inconnu sans filet. Le cadre est tout sauf rassurant.

Entre mes engagements amoureux, j’ai eu quelques aventures par-ci par-là, mais rien de significatif, juste des moments éphémères de plaisir partagé classés sans suite et sans profondeur. A part les bien nommés remords, rancoeur, ennui ou indifférence. Et je n’ai jamais eu de mal avec ça. Ces passades étaient faciles, sans conséquences ni attente de construire quoi que ce soit de durable. Mais avec James, rien n'est simple. Ce n'est ni une histoire à durée limitée, ni une aventure sans importance. C'est quelque chose de bien plus profond, plus incertain, et c’est bien ça qui me fait perdre pied.

James me désoriente totalement et trouble cette logique. Avec lui, j'ai cru tout d’abord entrer dans mon schéma récurrent : une amourette de vacances sans attache, idéale et romantique, qui n'aboutirait qu'à des souvenirs heureux. Pourtant, il n’en a rien été. Jai gouté à une connexion si authentique et bouleversante que je ne pouvais plus simplement passer à autre chose sans remettre en question ma définition de l'amour. J'en voulais plus. C’est pour ça qu'il m'a été si difficile de rompre le contact après son départ. Je n’en avais pas conscience alors mais, avec le peu de recul que j’ai pu prendre durant les dernières semaines, je peux avouer sans fioritures ni honte que je suis tombée amoureuse de lui.

Non, ce n’est pas tout à fait exact. J’ai été conquise par l’homme qu’il a laissé entrevoir à l’époque. L’homme attentionné, joyeux, passionné, équilibré, quoique un brin mystérieux, mais si généreux. En vérité, aujourd’hui, il s’avère être une personne bien plus complexe que je ne l’avais imaginé, avec des blessures et des fêlures considérables et une instabilité qui est tout sauf négligeable. Il n'en reste pas moins que mes sentiments pour lui sont bien enracinés et loin d'être évanouis. Bien au contraire. Ce que j'éprouve va au-delà d’une attirance, d’un attachement. Plus aussi que de l’empathie, de la compassion. Une part de moi le désire autant que je le redoute, et c’est bien là le dilemme.

Malgré mes doutes, quelque chose en moi cherche toujours à combler cet écart entre ce que je sais de lui et ce que je ressens. J'ai envie d’envoyer valser mes incertitudes, j’ai envie de gommer cette distance, de tout recommencer. J'aimerais tant pouvoir remonter le temps, revenir un mois en arrière pour l'empêcher de rechuter, pour retrouver nos promesses de légèreté, mon insouciance. Mieux encore, il y a cinq ans, dix ans, je ne sais pas. Le rencontrer à un moment où la drogue, les ombres, et la fameuse Amy n’avaient pas encore marqué sa vie.

C'est un homme formidable, même s’il le niera. Moi, j'en suis sûre. Je le sens au plus profond de mes entrailles, dans chaque battement de mon cœur. James est un homme qui a tant à offrir, un homme qui mérite d'être aimé. Ce ne sont pas ses erreurs, ses ombres ou ses travers qui définissent sa valeur. Derrière tout ça, il y a cette lumière, cette force qui me pousse à croire en lui, à croire en nous. Il ne réalise pas à quel point il est précieux, ni combien son âme peut illuminer la vie de ceux qui l'entourent. Il pourrait changer le monde s’il le voulait. Moi, j’ai déjà l'impression qu’il a renversé le mien.

Mais le contraste me fait réfléchir à l’instant présent. La réalité de nos passés plane au-dessus de nous comme une ombre menaçante, m’alerte et me pousse à anticiper les conséquences de mes choix. Cette dichotomie obscurcit mes pensées. Lui, si volage et inconstant, et moi, tout en contrôle, accrochée à des valeurs qui ont forgé mon équilibre. Je sais que cette nuit, tout ce qui se passera entre nous résonnera au-delà de cette chambre. La prudence est de mise, mais mes inhibitions ne résoudront rien. Parce qu'avec lui à mes côtés, je me sens reine. Et j’ai envie d’un roi.


Alors que je fais face à ces vérités, une idée audacieuse germe en moi. Et si, pour tester la viabilité de notre couple, pour metre à l’épreuve notre lien, je nous entraînais dans un jeu sensuel ? Je sens que ce pourrait être l’éveil d'une nouvelle dimension où désir et vulnérabilité se rencontrent, me permettant de découvrir non seulement qui il est, mais aussi qui je pourrais devenir à ses côtés. Peut-être que cet abandon pourrait ouvrir la voie à quelque chose d'encore plus profond, peut-être même me conduire quelque part où je pourrais me permettre d’être pleinement moi-même. Mais pour cela, il faut que j'accepte l’imprévisible, que je redéfinisse mes limites et que j’embrasse l'inconnu… Je dois laisser parler mon cœur.

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