CHAPITRE 30.5 * VICTORIA
V.R.S.de.SC
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Galvanisée par la vapeur chaude et douce qui nous étreint, je me surprends à explorer les petits plaisirs matériels. Mon regard se fixe sur le meuble vasque, où une sélection minutieuse d’échantillons m’attend. Du bout des doigts, je frôle les flacons soigneusement alignés, un sourire s’esquissant, ravie de constater qu’il s’agit d’une marque dermatologique toulousaine. Réputée pour ses produits bio à base de pastel, cette gamme écoresponsable incarne une alliance parfaite pour ma peau sensible. La promesse d’ingrédients naturels et d’une richesse nourrissante me rassure immédiatement.
J’hésite un instant : shampoing, cube de cocagne.... et pourquoi pas le gommage pour le corps. Autant tirer le meilleur parti de cette parenthèse luxueuse. Après tout, à quoi bon être dans un hôtel cinq étoiles, sinon pour s’offrir un petit moment de bien-être. Mes yeux s’attardent encore sur le pot en verre étiqueté « Baume Repulpant Antioxydant » et sur l’élégante gua shua en jade qui repose à ses côtés, comme un appel à choyer mon épiderme. Peut-être plus tard.
Toujours perché sur la baignoire, James m’observe, immobile. Son regard magnétique me traverse comme un courant électrique. Flattée par son attention, je lui rends son sourire. Carnassier. À cet instant, il a plus l’air d’un félin à l’affût que d’un homme qui s’apprête à aller faire trempette. Dans cette atmosphère intime, la pression de ses attentes m’envahit, et une vague d’excitation me submerge.
— Toujours pas décidé ?
Sans réaction de sa part, même pas un infime mouvement de cils, je poursuis :
— Bon, puisque c’est comme ça…
Encombrée de mes précieux élixirs, je m’avance vers le bassin et m’en décharge sur le rebord marbré. Car soyons honnêtes, loin de se limiter à une simple baignoire, cette véritable oasis de détente, aux dimensions généreuses, est un petit bijou conçu pour la relaxation à deux. D’un geste naturel, sans gêne aucune — pourquoi le serais-je, après tout James connaît chacune de mes courbes —, je me défais du dernier rempart de dentelle noire qui me sépare de mon bain chaud, sous le regard statique de mon grand lion. D’un mouvement théâtral, ma culotte dégringole comme une feuille tombant d’un arbre avant de s’écraser doucement sur le carrelage froid. Sans un regard en arrière, j’enjambe cet écrin d’eau, prête à m’y perdre.
Le contact brûlant me fige sur place, mes orteils se recroquevillent aussitôt. Je m’arrête un instant, cherchant à apprivoiser cette chaleur insidieuse qui envahit ma peau. Puis, je pénètre prudemment dans l’étreinte liquide, centimètre par centimètre, jusqu’à ce que l’eau m’engloutisse. Mes muscles se relâchent sous l’effet de cette immersion, se délestent de leurs tensions. Je m’appuie contre la paroi lisse, me prélasse avec un soupir de satisfaction, mes membres effleurant paresseusement la surface, dans une détente totale.
Le bruit de l’eau crépite autour de moi, chaque glissement génère des remous scintillants. James, silencieux et aux aguets, semble suspendu dans le temps. Je sais qu’il est captivé, mais je ne laisse rien paraître. Pourquoi est-ce que ça m’amuse tant de jouer avec lui ainsi ? Je feins l’indifférence, tout en me délectant secrètement de la brûlure de son regard posé sur moi.
Je repère un plateau en métal argenté près de la robinetterie où trônent de petits trésors, à n’en pas douter. Une magnifique bombe effervescente bleu dragée. Une constellation de flacons en verre dépoli semblables à des huiles essentielles. Des récipients en céramique anthracite, probablement remplis de sels de bain ou autres produits relaxants. La parfaite panoplie pour un festin sensoriel. Je souris face à la perspective de cette escapade lénitive, comme un dernier cadeau d’anniversaire.
— Passe-moi le pot qui est là-bas, s’il te plait, demandè-je en l’indiquant du bout du pied.
Mon geste caresse la surface avec sensualité, provoquant des éclaboussures qui brisent le silence. James émerge enfin de sa torpeur.
— Incorrigible et fière de l’être, hein ? lance-t-il, la voix mielleuse, un soupçon de réprobation dans le regard.
Tiens donc, mon comportement l’agace. Non, il le fascine.
Ses iris azurite balayent mon corps immergé avant d’atterrir sur ledit pot. Il l’attrape et ouvre le couvercle.
— Des sels, commente-t-il en arquant un sourcil. Bleus. Tu seras contente.
— Parfait. Tu peux saupoudrer l’eau du bain avec, et plonges la pastille également, soufflè-je en ramenant mes cheveux sur le côté.
Il est grand temps de bénéficier de ce petit moment de relaxation. Je m’étire complètement, trouve une position agréable et ferme les yeux en soupirant, mais pas avant de lui jeter une dernière remarque :
— Je suppose que t’attend que ça refroidisse, Monsieur Bain de glace, mais tu pourrais aussi en profiter pour te réchauffer un peu.
D’abord, j’entends une pluie de cristaux percer le miroir liquide. Puis, un éclatement plus marqué, suivi d’un léger pétillement, lorsque la bombe se dissout près de mon mollet. Une délicate odeur florale envahit la pièce, créant une fragrance apaisante.
Ensuite, une main. Qui glisse. Des vaguelettes naissent, chatouillant paresseusement ma nuque, le haut de mes seins. Des gouttes éclatent contre ma peau, titillent ma poitrine qui flotte en apesanteur.
Alors que je m’aventure à soulever une paupière, une gerbe éclabousse mon visage. Je me donne un air détaché. Seconde projection, plus énergique cette fois. Quel gamin ! Et de trois ! S’il croit me perturber, il se trompe royalement. Une folle envie d’immersion me traverse. L’eau m’appelle et j’y réponds. D’un mouvement fluide, je plonge sous la surface, coupant ma respiration.
La sensation est fantastique. Cette légèreté, les sons assourdis, les vibrations qui se répercutent contre les parois… le monde aquatique me fascine. J’aimerais tant avoir une baignoire chez moi ! J’espère que James considérera ce critère pour notre futur logement. Attends, quoi ? « Notre » ? Non ! Son. Mais qu’est-ce qui me prend ?
Avec un effort gracieux, je me propulse hors de l’onde. Le retour à la surface me fait l’effet d’un réveil brutal, mais je m’en réjouis. Cette délicieuse brise parfumée qui entre dans mes poumons… Mes mains chassent les gouttes qui perlent encore sur mon visage, avant de lisser mes cheveux mouillés en arrière. L’eau ruisselle le long de ma peau lorsque je me redresse, et j’ouvre enfin les yeux pour tomber nez à nez avec un James à l’air grave et aux sourcils froncés.
— Qu’est-ce qui se passe ? je l’interroge mi-taquine, mi-perplexe. À en juger par ta tête, je suppose que je t’évoque plus un poulpe qu’une sirène, c’est ça ?
James reste coi un instant, ses prunelles outremer me transpercent.
— Tu rigoles, là ? Je n’ai jamais croisé de sirène, Vi, mais, si elles sont toutes comme toi, je comprends mieux pourquoi les marins finissent par perdre la tête !
Le compliment me touche comme une caresse secrète, un frisson de fierté m’envahit. Un sourire s’épanouit sur mes traits, celui d’une petite victoire, ravie de mon effet cinématographique parfaitement exécuté.
— Tu sais, dans certains mythes, les sirènes sont plus proches du monstre marin que de la beauté envoûtante, exposè-je en jouant la carte de l’humour.
— Si tous les monstres étaient comme toi, je signe tout de suite pour me faire capturer, répond-il du tac au tac.
Dans son regard, je devine quelque chose que je ne vois pas chez moi. Sa confidence m’enfièvre et je m’enfonce un peu plus dans ce voile revigorant.
En vrai, la situation me commence à me rendre légèrement nerveux. Je baisse le menton pour masquer la chaleur qui monte à mes joues et fais mine de souffler sur l’eau en croisant mes jambes. C’est ridicule, mais plus fort que moi.
— Bon, sinon, dois-je te rappeler que l’eau est à la bonne température pour deux ?
— Ah, vraiment ? Ça ne ressemble pas à un espace très accueillant pour moi, là, vu qu’une jolie sirène semble s’être installée confortablement, rit-il.
Je lui tire la langue, railleuse.
— Promis, je vais me faire toute petite, juste pour que ton royal fessier trouve sa place. Devant ou derrière, d’ailleurs ?
James reste un moment pensif, ses yeux pétillent alors qu’il soupèse ma proposition. Mais avant qu’il ne se décide, une nouvelle envie me traverse. Je veux le dorloter à mon tour. Et puis, ce sera l’excuse parfaite pour sentir la chaleur de son corps contre le mien et l’admirer à ma guise. Mais au-delà de ça, un sentiment plus profond émerge, comme une intuition que je ne peux ignorer. Changement de programme.
— Si ça ne te dérange pas, j’aimerais plutôt que tu t’allonges contre moi.
Je crois qu’il en a besoin. Pas juste de ce contact, mais de quelque chose de plus. De la tendresse. De la douceur.
— Ah donc, c’est toi qui va me servir de coussin ?
Sa façon de réagir me fait sourire. Il est toujours aussi espiègle, mais vulnérable, également. Cette réponse, pleine de sous-entendus, c’est la sienne, et je la reconnais bien.
— Si tu as besoin d’une sieste, je t’en prie. Je t’offre le confort de ma… générosité.
— Quelle gentillesse !
— Allez, viens, je te promets que ça sera agréable.
J’ai l’impression qu’il est rongé par la solitude, et par une blessure invisible qu’il me cache encore. Je ne sais pas si je fais fausse route, si je me fais des idées, mais ce vide dans ses yeux hier soir…
— Pour toi ou pour moi ? questionne-t-il encore.
Mon air renfrogné et mes mains prêtes à l’éclabousser précipitent sa reddition.
— OK d’accord. Comme il vous plaira, Petite Sirène.
Son ton délibérément soumis me ravit. C’est exactement ce que je voulais. Ce petit compromis qui fait que tout s’équilibre. À moi de prendre soin de lui.
James me rejoint enfin. Son dos, solide et rassurant, se presse contre ma poitrine tandis que sa tête se niche contre mon épaule. Mes bras s’enroulent autour de lui, et il se blottit davantage contre moi, cherchant à se fondre dans mon étreinte. Cette chaleur qui m’envahit me rappelle que ce moment est incomparable, unique.
Nous voilà plongés dans une bulle aquatique douce et apaisante, nos silhouettes naturellement en osmose, comme si nous ne formions plus qu’une seule entité. L’intimité de ce contact m’enveloppe telle une couverture douillette, m’apporte un sentiment de sécurité absolu. Très vite, je sens sa respiration s’harmoniser avec la mienne, plus calme, plus profonde. Je n’ai jamais eu l’impression d’être plus à ma place. Et le monde extérieur s’efface peu à peu.
L’eau qui nous encercle continue de glisser sur sa peau bronzée. Chaque goutte y trace un fil scintillant qui ruisselle avant de disparaître dans le bain. Mes doigts suivent leur chemin, survolent avec délicatesse ses épaules, puis son torse, là où ses battements paisibles résonnent sous mes paumes. À chacun de ses souffles, des vagues légères créent une danse subtile à la surface. Je pose ma joue contre ses cheveux, hume discrètement son parfum et je poursuis mon exploration méticuleuse.
Je pourrais rester ainsi des heures, immergée dans cette oasis de sérénité. À l’abri de tout. Seuls comptent le poids de son corps alangui contre le mien, la douceur infinie de cet instant suspendu et le silence partagé, qui en dit bien plus que des mots. Rien d’autre n’a d’importance, juste cette fusion parfaite, dans ce premier bain à deux, sous les premières lueurs d’un nouveau départ, d’un nous retrouvé.
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