CHAPITRE 32.1 * VICTORIA

12 minutes de lecture

TENSION MATINALE

* *

*

V.R.S.de.SC

♪♫ ... ♪♫




L’air frais, toujours imprégné des odeurs florales de shampoing et de savon, hérisse ma peau lorsque je fais face à James au sortir du bain. Une serviette immaculée lui ceint les hanches et des gouttes dévalent encore les reliefs sculpturaux de ses muscles. Il me tend une main ferme, mais douce pour m’aider à m’extirper de l’eau, puis me couvre avec soin d’un drap de bain, aussi moelleux qu’un nuage. Je lui offre un sourire complice, avant de me blottir contre son torse, en quête d’un énième câlin. Ses bras vibrants se replient affectueusement autour de moi, tandis que ma joue trouve refuge contre la chaleur apaisante de son thorax.


Enfin frais et blanchis, nous voilà prêts à affronter la journée. L’idée du petit-déjeuner s’impose alors que les effets de mon dîner frugal de la veille, couplé à l’énergie dépensée depuis, commencent à se faire sentir. Mon estomac proteste doucement, et le sien n’a pas manqué de se signaler un peu plus tôt. Il est temps de satisfaire ce vide et de redonner vigueur à nos corps comblés, mais affamés.


Je ferme les paupières un instant, savourant cet aparté de sérénité qui succède à l’effervescence de notre matinée. Le souvenir des mains expertes de James, massant mon cuir chevelu, me fait sourire. Un moment presque extatique qui lui a valu un concert de vocalises enthousiasmées. Je sais bien qu’il a étiré le plaisir plus que de raison, juste pour que je puisse me pâmer encore et encore.


Abandonnant l’éponge au profit de ses paumes rugueuses, mais délicates, il s’est ensuite appliqué à prolonger chaque caresse sur mes courbes, de la plante de mes pieds à ma nuque, en passant par l’intérieur de mes cuisses et le sommet de ma poitrine, ma colonne vertébrale et mes poignets, subliment le rituel du bain en pure détente et sensualité. L’exfoliation au gommage de pruneaux d’Agen et perles de silice n’aurait pu trouver meilleur interprète. Cet homme est un prodige du massage. Chaque mouvement se révélait précis, attentionné, affinant mon grain de peau, le libérant de ses imperfections. Je ressens toujours une sensation de clarté et de fraîcheur, comme si chaque pore se réjouissait de cette attention.


— Vi ? T’es en train de t’endormir, là ?


— Mmh, presque, ronronnè-je d’une voix alanguie.


— Tu me vois navré de t’épuiser autant dans ce cas, ironise-t-il, mais son sourire transparaît dans son ton.


Je soupire d’aise avant de me détacher à contrecœur. Il saisit une serviette supplémentaire, mais je n’attends pas longtemps pour me coller à nouveau à lui, irrésistiblement attirée comme un aimant.


— Vi… glisse-t-il dans un rire doux.


— Fais ton affaire et laisse-moi encore une minute, d’accord ? bougonné-je contre son torse, sans bouger d’un pouce.


Tandis qu’il se frotte vigoureusement les cheveux, quelques gouttes froides en réchappent et viennent éclabousser mon visage. Je grimace, un peu ennuyée. Heureusement, il finit par s’immobiliser, et j’expire, mi-réconciliée, mi-résignée.


Les lueurs du matin filtrent à travers les voilages blancs, dessinant des ombres dansantes sur les murs de la suite Renaissance. Par-delà la vitre, je distingue la façade claire, les tomettes tantôt pourprin, tantôt sienne — comme la cloison de ma chambre — qui encadrent les hautes fenêtres, le toit en pente habillé de tuiles languedociennes d’un camaïeu terracotta. Le ciel, d’un bleu éclatant, promet une journée automnale sous les meilleurs auspices. Des bruits discrets nous parviennent de la cour intérieure de l’hôtel qui s’anime doucement : des pas réverbérés sur les pavés, des voix murmurées, des portes qui s’ouvrent et se referment, surement des allées et venues d’autres clients ou de membres du personnel qui s’activent.


Ce léger tohu-bohu scelle la fin de notre bulle suspendue. Une étrange lourdeur s’installe dans ma poitrine. Quelque chose me glisse entre les doigts. Ma conscience flotte dans cet entre-deux, rechignant à s’éveiller pleinement. Le retour à la réalité se rapproche inévitablement.


Soudain, James reprend l’initiative et entreprend de me sécher le dos et les bras. Sa manière d’éponger ma peau génère un frisson, mélange de confort et d’une agréable exaltation.


— Tu es à croquer, chuchote-t-il d’une voix rauque, résonnant dans le silence de la pièce.


Il dépose un baiser furtif sur le sommet de ma tête, un geste tendre qui m’enrobe d’une chaleur apaisante, me rappelant qu’il est là, tout près. Mais, ça ne va pas durer. Je ferme un instant les yeux, inhalant profondément pour m’imprégner une dernière fois de son parfum mêlé au mien.


— On doit pas voir la même version de moi, là, soupirè-je en lui lançant un coup d’œil morne tout en me redressant pour lui faire face.


Il est merveilleux.


— Bien sûr que si, râle-t-il gentiment. Allez, à ton tour de te sécher les cheveux. Tu dégoulines comme une stalactite au soleil.


— Pour ton information, les stalactites se forment au fond d’une grotte loin des rayons solaires, James. Tu devrais faire un peu plus de spéléo.


— Y’en a dans cette jolie tête, dis donc ! me raille-t-il.


Je souris à moitié. Mais la lassitude dans ma voix n’est pas tout à fait feinte, sans que je sache d’où elle vient ni pourquoi elle m’envahit.


— Ouais, ouais… exhalè-je avec ce ton qu’on prend quand tout est un peu trop léger, mais en même temps trop lourd.


Je coince solidement la serviette qui me couvrait sous mes aisselles. James m’en tend une autre que je saisis d’un geste mécanique. Mes doigts s’enfoncent dans le tissu éponge qui remonte le long de mes mèches imbibées, sans grande conviction. L’idée d’aller chercher le sèche-cheveux s’invite un instant dans mes pensées, mais l’effort me semble superflu. Je souffle longuement, comme pour expulser une fatigue qui n’est pas que physique.


— Besoin d’aide ? propose-t-il avec un calme désarmant.


Il est toujours là, à quelques pas, ses yeux ancrés sur moi, débordant d’une tendresse que je n’ai pas la force d’accueillir.


— Non, ça ira, murmuré-je.


Les mots glissent de ma bouche, teintés d’une dureté involontaire. Ma voix mord, bien plus acérée que ce qu'il aurait dû entendre. Je détourne le regard, esquisse un pas pour m’éloigner.


James finit par bouger à son tour, traverse la pièce avec une lenteur tranquille. Je l’observe du coin de l’œil alors qu’il s’arrête près de la table de chevet. Son dos se courbe lorsqu’il attrape sa montre, dévoilant la ligne nette de ses épaules, à la fois larges et impeccablement sculptées. Il l’enfile avec une précision qui devrait être anodine, mais qui me titille pour une raison que je ne m’explique pas.


— Désolé, Vi. On a dépassé l’heure du petit déjeuner…


Ses paroles, livrées avec douceur, me heurtent, sans que je comprenne pourquoi. Peut-être est-ce la faim qui s’attise, ou bien un malaise plus profond, un tracas diffus et imprécis. Je lâche, presque pour moi-même :


— Manquait plus que ça…


J’envoie valdinguer la serviette sur le lit, agacée, sans vraiment prendre le temps de terminer de me sécher. Mes gestes, jusqu’ici contrôlés, deviennent brusques, désordonnés. Je me sens tendue, presque oppressée par cette soudaine montée de contrariété.


— Vi, ça va ? demande James, avec tâtonnement. C’est pas grave, tu sais. Si tu veux, je peux commander quelque chose. Il suffit de me dire ce qui te ferait plaisir et j’appelle la réception tout de suite.


Sa sollicitude, au lieu de m’amadouer, ne fait qu’envenimer ma frustration.


— Oui, fait ça… Je suis certaine que la charmante hôtesse — Tiphaine, c’est ça ? —, sera ravie de satisfaire tous tes caprices.


J’attrape mes vêtements pliés sur le banc rembourré au pied du sommier et m’y assois.


— Vi, qu’est-ce qui te prend ? Et qu’est-ce que tu insinues exactement ?


— Rien. Absolument rien, je mens d’un ton monocorde.


Mais à l’intérieur, c’est un chaos silencieux. Une chaleur étrange monte en moi, une gêne que je ne parviens pas à apaiser. À cet instant, la dernière chose que je veux c’est de me retrouver nue devant lui. Tout dans cette situation me donne envie de fuir, de m’extraire de son regard, de cette pièce, de ce moment. Un besoin irrationnel de me protéger, de m’isoler, empoisonne mon esprit.


Les toilettes. Je me lève d’un bond, mes affaires toujours pressées contre ma poitrine, et m’avance vers la porte. James se transfère soudain devant moi, me coupant la trajectoire, sa main autour de mon poignet.


Je m’arrête net, les palpitations de mon cœur résonnant trop fort pour une scène qui n’a, en apparence, rien de dramatique.


— Victoria ?


Sa voix est douce, presque un murmure. Par contre, son expression — mélange de perplexité et d’inquiétude — m’épingle sur place.


Je le fixe, incapable de détourner les yeux, prise en étau entre une irritation qui gronde et ce flux de pensées confuses qui brouille tout.


— Quoi ?


Ce simple mot fend l’air entre nous, tranchant, sec.


Il se fige l’espace d’un instant. Il ne dit rien, mais je devine qu’il a perçu le changement dans mon attitude. Ce flottement, ce déséquilibre. Pourtant, je n’ai aucune envie de faire marche arrière. Au contraire, j’ai l’horrible sensation qu’un geste ou qu’une parole de plus de sa part sera une source potentielle de tension.


— Vi, je sens bien que quelque chose cloche. Tout allait bien il y a une minute. Dis-moi ce qui te… prend la tête comme ça.


Ses arcades se creusent légèrement, trahissant une tentative sincère de comprendre, mais ses mots, bien qu’intentionnés, ne font qu’alimenter ma… colère. Je réalise que mon agacement premier est en train de gravir des échelons. Sauf que je ne sais même pas pourquoi. Mes épaules se tendent, mon corps tout entier se met sur la défensive. Ma réponse fuse, froide et acerbe.


— Pourquoi faut-il que t’en fasses toute une histoire ? C’est rien, je te dis. J’ai juste besoin d’espace.


Ses iris s’obscurcissent, ses traits se teintent de frustration. Une inspiration lente gonfle sa poitrine avant qu’il n’élève les mains dans un geste d’apaisement calculé. Puis, avec une pointe d’ironie notable, il m’assène :


— Désolé d’avoir raté le moment où je suis devenu le problème.


Sa voix est calme, mais le ton mordant. Ses yeux bleus, tels deux blocs de glace, me sondent, traquent une faille dans mon armure. La patience lui échappe peu à peu. Quant à moi, je suis exaspérée.


— Et bien, bravo ! Un vrai talent pour transformer un rien en drame. Laisse-moi passer maintenant.


Je soutiens son regard. La tension qui crépite entre nous est presque insupportable. Mon cœur tambourine, mais je refuse de céder. Je suis fatiguée d’être l’épicentre de cette tempête.


Brusquement, l’atmosphère change. Ça ne dure qu’une fraction de seconde avant que tout bascule. Un déclic et James bouge, vif, précis, félin. Je n’ai pas le temps d’analyser que ses doigts s’emparent de mes vêtements. Il les arrache d’un geste assuré et les projette derrière lui. Les tissus tournoient dans l’air, légers et désarmants, comme si le poids du conflit s’envolait avec eux.


— Tu te prends pour qui là ?! je crache, indignée, mes poings serrés contre ma poitrine.


Il n’a pas besoin de mots pour m’arrêter. Sans effort, il m’agrippe par la serviette et m’attire contre lui. Sa chaleur m’envahit aussitôt, ardente, enveloppante, dévastatrice. Un hoquet de stupeur franchit mes lèvres.


— Et toi, tu crois que t’as tout compris sur tout ? Que t’es la seule à pouvoir contrôler ce qui se passe entre nous ? grogne-t-il contre ma bouche, son souffle chaud se mêlant au mien. Tu penses que tu me suffiras pas, hein ? T’es tellement… insupportable quand...


— Insupportable ?! je le coupe, la rage m’échauffant le sang.


Je tente de me dégager de force, mais il bloque tout mouvement d’une poigne de fer. Ses yeux, désormais perçants, scrutent les miens avec une intensité nouvelle, comme s’il avait l’intention de me forcer à affronter ce qu’il y a au plus profonde de nous.


— Arrête de toujours vouloir tout contrôler, tout verrouiller. Surtout pas les sentiments. Ni les tiens, ni les miens.


Son timbre est bas, dure mais plein de ce frisson qui m’électrise. La colère s’entrelace avec une attraction irrésistible. Mes nerfs, tendus et épuisés, se mettent à vibrer sous l’impact de ses mots. Je me sens à la fois vulnérable et enragée, tel un animal au piège dans sa cage. Un sursaut d’adrénaline court dans mes veines, me déstabilisant d’autant plus.


— Tu crois que tu peux décider quand et comment tout ça commence ou finit ? je lâche d’une voix étranglée.


— T’as jamais l’air de comprendre, Vi… Ce que je veux, c’est toi. Hier, aujourd’hui, demain. Toujours.


Un tremblement m’envahit, lourd, presque douloureux. Ma colère, elle, reste là, vive. Elle se mêle à quelque chose de plus puissant, de plus instinctif : cette passion qui brûle, inévitable, incongrue. Je veux lui résister, mais une partie de moi l’appelle, le désire.


— Tu veux que je me jette dans tes bras, que j’oublie tout le mal que tu m’as fait ? Tu voulais de moi il y a une semaine ? Un mois ? Quand t’étais défoncé et que tu t’envoyais en l’air avec n’importe qui ?


Ses doigts s’enfoncent dans ma chair. Il explose alors, son visage défiguré par le chagrin.


— Bon sang, je t’ai déjà dit que j’étais désolé ! Ça ne signifiait rien ! Je l’ai fait pour t’oublier, tu comprends ? Pour oublier tout ce que j’avais foutu en l’air…


Il me relâche brusquement et serre les poings le long de son corps. L’angoisse déforme ses traits. C’est un homme brisé qui me fait face lorsqu’il avoue :


— Putain, je savais que tu ne me pardonnerais jamais… Comment tu le pourrais ? Je ne l’ai pas fait moi, avec Amy. Parce que ce genre de trahison… ça te fout une lame dans le cœur à tout jamais.


Ce petit bout de vérité qu’il vient de lâcher… l’infidélité. Un mot glissant sur ses lèvres comme un poison, déversant sa toxicité dans l’air entre nous. Cette révélation est le nœud, l’origine de leur rupture. Elle, l’autre femme, cette présence qui a érodé ce qui semblait solide : lui. Celle qui a précipité son passage à vide. L’engrenage de la drogue et de la débauche.


A-t-il peur que ça se reproduise ? A-t-il peur de m’aimer ? Pour qui il me prend !?


— Tu ne connais rien de mon cœur, James ! je hurle presque, l’orgueil et la douleur dans la voix. Je ne trahirais jamais un homme de cette manière !


— Ah, non ? Et Mati alors ?


Ma gorge se serre. Sa médisance me vrille les entrailles. La colère me brise, mais elle est glacée. C’est une onde froide, qui m’envahit par vagues, étouffant toute rationalité.


— Tu n’as pas le droit de me juger, James ! Tu n’as aucune idée de ce que tu dis, aucune idée de ce que tu sous-entends. Ce que j’ai fait avec Mati ne te concerne pas ! Pas plus que ce que j’ai vécu avant. Ce n’est pas de ton ressort.


— Tu ne le nies pas, alors ? fulmine-t-il, incriminant.


Je suis furieuse.


— Comment oses-tu ? Il y a des choses qui ne te regardent pas ! Et tu n’as aucune légitimité pour m’accuser de quoi que ce soit. Ce n’est pas toi qui connais mes failles ni mes doutes. Tu ne sais pas ce dont j’ai besoin ou envie !


— Apparemment, t’as besoin de lui, rétorque-t-il, un sarcasme dur dans sa voix.


— Non ! J’ai eu besoin de toi, mais tu n’étais plus là !


— Tu te fous de ma gueule là ? T’es qu’un putain de paradoxe, Vi. Tu veux de l’espace pour réfléchir, mais tu dis que t’as besoin de moi ?


— Tu sais quoi ? Va te faire foutre, James Cameron !


Il n’attend aucune permission. Sa bouche s’échoue sur la mienne, sévère, dévorante.

La reconnexion est immédiate. Son baiser sape les fondations mêmes de ma colère qui s’écroule comme un château de cartes, balayée par l’ouragan de son désir. Je me jette à son cou. La serviette dégringole au sol sans même que je me préoccupe d’être soustraite à ma propre bulle de protection. De protection contre quoi ? Qui au juste ? Lui ! Jamais. Son nom résonne dans mon esprit, éclatant et lumineux.


C’est mon James.




Annotations

Vous aimez lire D D.MELO ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0