CHAPITRE 33.1 * VICTORIA

9 minutes de lecture

VIREE EPICURIENNE

* *

*

V.R.S.de.SC

♪♫ I’M YOURS —​​​​​​​ JASON MRAZ ♪♫

Le grain de raisin blanc se faufile délicieusement entre mes lèvres et le pouce de James s’attarde sur elles, ses yeux rivés sur ma bouche. Le jus sucré et frais explose sur mes papilles lorsque j’éclate le fruit entre mes dents, une cascade de saveurs qui danse sur ma langue.

— “Ils sont comme je les aime ! Très bon choix, Chef !”

James glisse la grappe qu’il vient de sélectionner au fond du petit panier vert qu'il tient sous le bras, mais pas avant d’en avoir englouti quelques-uns au passage. Je tends ma main vers de jolies petites pommes golden, rouges et jaunes, qui rejoignent le raisin. La texture lisse et dure de leur peau promet un croc juteux. J’en ferai mon petit stock pour la journée.

On est encore à l’extérieur, sous le soleil éclatant de cette belle journée d’automne. Il est midi, et le marché est animé par les clients qui viennent chercher leur déjeuner. L’air est frais, mais vivifiant, chargé des arômes des fruits et légumes, une harmonie olfactive qui éveille mes sens. Les rires et les conversations des passants se mêlent à la cacophonie de la ville, créant un fond sonore joyeux.

J'aime cette ambiance vivante et conviviale, où l'authenticité se ressent à chaque instant. Elle se manifeste dans la spontanéité des sourires, dans la chaleur humaine qui émane des commerçants, dans la qualité des produits qu'ils offrent, bruts et sans artifices. Les légumes sont encore couverts de terre, les fromages respirent la campagne, les pièces de viande qui brillent sous la lumière sont irréprochables, leur fraîcheur et leur provenance indiscutables. Flâner ici, c'est goûter à la simplicité de la vie, un retour aux choses essentielles. D’ordinaire, je ne suis pas friande de l'agitation, mais ici, c'est différent. L'effervescence a quelque chose de doux, presque apaisant, et j’ai l’impression d’être un peu chez moi.

Le fait que ma famille, productrice de vin bio, soit présente sur les marchés contribue sans doute à ce sentiment de familiarité que j'éprouve ici. Depuis des années, nous exposons nos bouteilles aux quatre coins de l’Occitanie, côtoyant maraîchers, bouchers, apiculteurs et autres artisans locaux. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles j’ai choisi d’étudier à Toulouse plutôt qu’à Montpellier. Bien que mon amour pour la mer aurait dû me pousser vers une métropole côtière, j’ai privilégié la ville rose parce que j'y suis attachée depuis l’enfance.

Tous les jeudis matin, place Dupuy, coincée entre Pauline, créatrice de confitures artisanales — avec qui ma grand-mère adorait papoter et partager des recettes — et Émile, un rôtisseur proposant des volailles succulentes qui finissaient toujours par garnir notre table du midi, vous trouverez ma mère, ou Mami lorsqu'elle était encore parmi nous. La négociation n’avait pas de secret pour elle, et Maman maîtrise à la perfection l’art de vendre nos meilleurs crus.

Au stand de la famille Saint Clair, vous découvrirez nos bouteilles et cubis et braque AOC estampillés Château ???, situé au cœur du Pays Cathare dans les Corbières de l’Alaric. Notre domaine est spécialisé dans l’élaboration de vins rouges, blancs et rosés secs à base de syrah, de grenache, de carignan, et autres, marsanne, cinsaut, muscat ou terret. Nos cépages, cultivés sur des terres minérales et des sols rustiques, s’épanouissent sur flanc de reliefs ou dans le sillon des vallées, au sein d’un environnement viticole entrecoupé de garrigues et de plateaux calcaires. Chez nous, la douceur humide qui monte de la Méditerranée se frotte à la rudesse des climats de piémont, souvent balayés par la tramontane, un mariage de sensations qui évoque l'authenticité de nos vins.

Pour accompagner un repas convivial, n’hésitez pas à privilégier la robustesse d’un vin rouge velouté à la robe grenat profond et aux notes franches de fruits noirs mûrs, idéal avec des ragoûts, civets et grillades.

Pour un apéro rafraichissant, optez pour un vin blanc vif et fruité à dominante de grenache, qu’il convient de boire sur la jeunesse, pour accompagner des fruits de mer à la plancha ou des fromages frais.

Mais si vous préférez la légèreté d’un rosé saumoné et aromatique, d’ailleurs, sachez que le millésime 2012 est une valeur sûre, dégustez le avec vos salades, tartares de poisson, ou encore un bon melon, vos papilles vous en remercieront.

Voyez, j’ai été à bonne école, moi aussi. Je trouve ça d’autant plus amusant que, bien qu’il faille admettre la qualité de nos vins, je préfère de loin le pétillant. Ce qui m’amène à penser que je n'ai toujours pas débouché la blanquette qu'Antoine, le beau-frère de James, m'a offerte lors de mon dîner en leur compagnie, l'été dernier.

En parlant de James, voilà qu’il me désigne des monalisa, des bintje, des grenailles et autres tubercules :

— “Des pommes de terre ?” me questionne-t-il. “Pour ta soupe ?”

— “J’en ai encore une caisse pleine que mon grand-père m’a mise de côté cet été. Par contre, je veux bien que tu m’attrapes cinq citrons, s’il te plait”.

— “Cinq ?” dit-il, perplexe.

— “Oui, Monsieur : cinq”, je confirme.

James sourit de toutes ses dents, mais s'éloigne légèrement à la recherche de ce Graal jaune dont je ne peux plus me passer au quotidien : dans ma vinaigrette, dans mon thé, pour faire mariner les viandes et poissons, dans mes cocktails maisons, mes gâteaux et biscuits, quand l’envie me prend de pâtisser, et même dans mes produits ménagers.

Je suis incapable de résister à l’attrait des étals colorés qui s’étendent devant moi, charmée par les couleurs vives des fruits et légumes d’automne. Mon frigo désespérément vide va être ravi d’accueillir la profusion de vitamines que je suis en train de me constituer : un brocoli, des échalotes et une tête d'ail, un potimarron coupé en quart pour la soupe et des carottes. Je sais d’avance que Papi m'aura préparé sa sélection saisonnière du jardin, probablement une ou deux courges, des navets, des betteraves et les meilleures poires du monde qui poussent dans le verger du domaine.

Je regarde James, amusée par sa façon dont il jongle avec les citrons avant de les déposer dans le panier. Il dégage une assurance charmante qui fait battre mon cœur un peu plus vite. Lorsqu'il se retourne vers moi, je ne peux m’empêcher de remarquer les muscles qui saillent à travers son t-shirt blanc. Même sous sa veste élégante, je sais parfaitement ce qui se cache en dessous, et rien que d’y penser, j’en salive.

James revient, un sourire satisfait aux lèvres. Je saisis un citron sur la pile de verdures et le porte à mon nez. L’arôme vif et acidulé me frappe instantanément.

— “Merci. C’est tout pour moi.”, je souris en plaçant le fruit et mon tote bag en toile dans le panier.

James présente le récipient au primeur qui s’en saisit pour la pesée. Soudain, ses bras m’encerclent la taille tandis qu’il se faufile dans mon dos. Une vague de chaleur m’envahit. Si je dois patienter, autant le faire dans ses bras. Je me détends contre lui, me laissant bercer par son étreinte douce et réconfortante

— “À quoi tu pensais en me dévorant des yeux il y a deux minutes ?”, me susurre-t-il, son souffle chaud chatouillant ma peau.

Mince ! Bonjour la discrétion…

— “Qui te dit que je te matais ?”, rétorqué-je, un sourire espiègle aux lèvres. “Tu prends toujours tes rêves pour des réalités.”

Ce n’est pas une question, mais une affirmation. James laisse échapper un petit rire qui sonne comme une caresse à mes oreilles.

— “Certains le deviennent… J’ai encore ton goût sur mes lèvres, Victoria.”

Et il accompagne sa réplique d’une douce pression sur mon ventre avant de faire glisser discrètement sa langue dans mon cou. Le feu me monte aux joues et je contiens de justesse un petit gémissement qui menace d’exposer mon trouble à la face de la Terre. Le traître !

Heureusement, le vendeur choisit ce moment pour m’indiquer le montant de nos achats. Je me dégage doucement, déverrouille mon téléphone, active mon sans-contact et valide le paiement sur le boîtier qu'il me tend. James récupère nos achats, le visage impassible, comme si de rien n’était. Peut-être ne s’est-il pas rendu compte de son effet sur moi. Je l’observe à la dérobée. Bien sûr que si ! Vu son petit sourire en coin qui me nargue. Il ne paie rien pour attendre.

Je l’entraîne à l’intérieur de l’enceinte. Premier arrêt à la crèmerie. Mode vengeance, enclenché.

— “Tu aimes le Rocamadour ?”, je l’interroge, malicieuse.

— “Je ne pense pas connaitre”, répond-il tranquillement en admirant la vitrine pleine de trésors lactés.

— “Moi, j’adore ça. Tiens, ce sont ces petits fromages ronds ici”, dis-je en pointant un plateau. “Ils sont au lait de chèvre. La pâte est molle et le cœur fondant. Moi, je les préfère nature, mais il y a ceux qui ajoutent un peu de miel. C’est comme des cabécous, tu connais ?”

Il me fait non de la tête.

— “Par contre, si c'est comme le camembert, non merci”, déclare-t-il sur la défensive.

— “Encore un point commun culinaire. Mais, ne t’inquiète pas le Rocamadour, c’est différent.”

J’interpelle la crémière pour lui prendre deux petits fromages et je souris intérieurement. Si le camembert lui donne déjà des frissons, il n’a encore rien vu. Je vais en faire mon arme secrète. Le goût de ma vengeance est déjà tout désigné.

On tombe ensuite directement sur un artisan fumeur, occupé à trancher de fines lamelles de saumon à la chair soyeuse. Leur odeur fumée emplit nos narines et titille mes papilles, me mettant l’eau à la bouche.

— “Tu aimes ?”, je lui demande.

— “Aye ! Tu sais, sans vouloir paraître chauvin, les meilleurs saumons viennent de chez nous, et on dit que l'eau pure leur donne un goût inégalé. Quand j’étais petit, mon grand-père m’amenait parfois à la pêche.”

Il sourit, visiblement nostalgique. J’imagine les souvenirs d’enfance qui l'animent : James et sa crinière rousse — parce que je sais que ses cheveux étaient plus clairs lorsqu’il était gamin — pataugeant allègrement dans l’eau glacée d’une rivière, tel un ourson guettant sa proie, prêt à bondir sur les saumons. Je doute que ce soit la méthode conventionnelle, mais cette vision de lui me séduit.

L'artisan, un jeune homme d’une trentaine d'années, visiblement à l'affût, s’adresse à nous, affirmant qu’il utilise seulement les meilleurs saumons écossais pour ses fumaisons. James et lui se lancent dans une conversation animée autour des techniques utilisés.

Bien sûr, très vite, ils se mettent à vanter les bienfaits et l'importance de l’artisanat, louant la qualité, l’authenticité et la passion tout en soulignant son rôle dans la préservation des traditions et la promotion d'une consommation plus responsable. Rien d'étonnant, James étant lui-même producteur de whisky artisanal, il sait reconnaître le travail bien fait et apprécie le savoir-faire de ses comparses. C'est tellement lui d’embrayer sur le sujet avec autant de ferveur. Je m’attarde sur leurs échanges, ravie de les voir si absorbés. Si ce saumon fumé d’exception est à la hauteur de leur enthousiasme, on va se régaler.

Nos tranches de ce sésame rosé — épices basques et flocons de paprika ; ails des ours et fleurs de bleuets — en main, on poursuit notre exploration du marché. N’étant pas loin de mon boulanger préféré, j’embarque James dans le choix de notre baguette.

On s’émerveille devant un pain phénoménalement grand, sa croûte brune et croustillante saupoudrée de farine. La vendeuse nous explique qu’il s’agit d’un pain de seigle traditionnel au levain, cuit dans un four à bois avec une mie moelleuse et aérée. Mais, très vite, James et moi tombons d’accord sur une baguette de campagne, rustique et pas trop cuite. On échange un regard complice, nos goûts en matière de pain s’accordent parfaitement.

En quittant le stand, je lui confie que j'adore les tartines grillées et lui m’explique que son appartement d’Édimbourg, situé juste en face d'une boulangerie, lui offre le privilège de profiter des effluves de pain chaud chaque nuit.

C’est alors qu’on croise une triperie. Le haggis. Bien sûr qu’il allait m’en parlé. Ce plat traditionnel écossais, comme il me l’explique, est une sorte de pudding de cœur, foie et poumons d’agneau, mélangé avec de l'avoine et des épices, le tout cuit dans une panse de brebis. Peu ragoutant, mais il m’assure que ça se laisse manger. Je ne suis pas convaincue, mais je lui accorde le bénéfice du doute. De toute façon, la manière dont sa voix s’anime, la fierté dans son discours, ses yeux qui s’illuminent alors qu’il décrit les délices de la gastronomie de son pays, c’est surtout ça qui me donne envie de planter ma fourchette dans cette spécialité, malgré mes réserves. Quoique, si on peut repousser l'expérience à, disons, jamais, ça me va aussi.

Quand je lui confesse cette dernière pensée, James éclate de rire avant de m’attirer à lui pour m'embrasser tendrement. La gaieté éclot sur mes lèvres alors que je sens la chaleur de ses bras autour de moi. Dans ce doux moment partagé, je réalise à quel point notre petite escapade romantique m’enchante et me donne le sentiment d’être à ma place.

Annotations

Vous aimez lire D D.MELO ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0