CHAPITRE 35.2 * JAMES
J.L.C
♪♫ ... ♪♫
Je me force à me recentrer sur le fil du discours. La conversation sur la campagne de Lochranach, sur l’image à projeter. L’ego, l'attirance, la tension — tout ça, je vais le mettre de côté pour l'instant. Elle, son regard brillant, ses gestes insolents… tout ce qui me fait m’éparpiller. Mes doigts serrent involontairement la brindille. Pour que l’idée prenne racine, je dois l’amener à saisir ce que je tente de lui transmettre.
— Bon, revenons à notre sujet, dis-je, un peu plus grave, mes yeux retrouvant leur éclat de concentration. Tu le fais déjà, non ? Sur ton Insta, pour les événements que t'organises : les soirées, les concerts, les salons... Tu te mets en scène sur des photos, des vidéos pour les réseaux. Tu as une façon de captiver, de séduire les gens sans effort. C’est naturel chez toi.
— Ce n'est pas pareil... prétend-elle sur la défensive, sa voix basse et fuyante, comme un murmure qui se dérobe.
Cette phrase m’arrête dans ma lancée, mais je ne flanche pas. Elle résiste, se protège, se réfugie dans cette zone de confort qu’elle maîtrise parfaitement.
— C'est pas si différent, contestè-je.
Mon regard pressant cherche à la challenger.
— C'est pour le boulot, James. Moi, je...
— Alors, disons que j'aimerais t'engager, tentè-je en la coupant, mes mots désormais plus tranchants. Je peux te proposer une collaboration officielle, un vrai contrat. Ça change la donne ?
La carte est jetée sur la table. Encore une fois, elle fuit la brûlure de mon insistance. Je vais peut-être trop loin. Mais mon désir de l’avoir à mes côtés dans cette aventure me pousse à faire fi de ses réticences, de la prudence, de ma raison qui se trouve quelque part entre l’indifférence et la démission, de tout. Si elle accepte, tout prendra forme. Si elle refuse, je n’aurai rien à regretter.
Victoria est immobile, les yeux rivés sur ses pieds, probablement en train de peser ses options, comme d'habitude. Elle relève finalement la tête, ses pupilles brillant d’une intensité que je n'avais pas vue venir. Elle prend le temps de choisir ses mots, et moi, je suis suspendu à ses lèvres. Va-t-elle m’accorder une chance ou m'envoyer sur les roses ?
— C’est pas une question de contrat, James. Je suis dans l’événementiel, mais je ne suis ni une influenceuse ni une adepte des placements de produits. Les vidéos, c’est uniquement pour le travail ou, parfois, pour épauler des entreprises ou des projets qui me tiennent à cœur.
Elle fait une pause, son regard légèrement détourné, avant de poursuivre avec un sourire presque gêné.
— Je t'aiderai avec plaisir pour ta marque. J'ai été conquise par le concept dès notre rencontre à la féria de Carcassonne. Mais, devenir une égérie, c'est... trop.
Son offre de soutien ne me surprend pas. Je connais suffisamment Victoria pour savoir qu'elle ne parle pas à la légère. Elle est authentique, et déjà mon cœur s'affole. Elle adhère à mon projet, non par intérêt, mais par conviction. Une participation que je devrais célébrer, mais quelque part, je suis avide de plus. Avant de baisser les armes j'ai encore espoir de la transformer en une véritable associée, de concrétiser quelque chose de durable.
— Si je pouvais te montrer que ce n'est pas juste une question d'égérie, mais d'un partenariat où tu pourrais être toi-même, tu accepterais que je tente ma chance ?
Elle plisse les yeux, hésite un instant, puis, enfin, me donne son feu vert.
— Très bien, je t'écoute.
C’est tout ce dont j’avais besoin pour passer à l’action. À moi d'être à la hauteur de l'opportunité. Elle doit être aussi touchée par la pertinence qu’enclenchée par la logique. Mais surtout, c’est sur ses émotions que je vais jouer. Parce que je sais que c’est là, au plus profond d’elle-même, que se trouve la clé.
— Ce que tu fais, c’est donner vie à des moments, des concepts. Maintenant, imagine…
Ma voix change, prend des inflexions plus affirmées, celles que j’utilise pour capter mon audience lors de mes présentations et animations.
— Toi, un verre de whisky à la main, un plan rapproché sur le contact de tes doigts, précis et élégants. La caméra capture le mouvement du liquide ambré qui tourbillonne. Une ambiance feutrée, un fond sonore doux, sensuel, envoûtant. Le cadre ? Sophistiqué, mais accessible, sans ostentation, où le luxe s’invite sans se faire remarquer, subtil et accueillant. Le jeu de lumière sur le verre qui renvoie l’éclat du feu… ou de tes yeux, selon l’angle. Un léger sourire sur tes lèvres — assez pour intriguer, jamais pour dévoiler entièrement.
Je m’attarde sur ses traits, la projette déjà dans cette scénographie.
— Tu as de l'imagination, je te l'accorde. Mais tu oublies un détail crucial... Je ne suis pas actrice.
Je sais. Elle pourrait jouer ce rôle les yeux fermés. Peut-être même mieux que celles qui passent des années à s’entraîner.
— Pas besoin. La vérité d’un instant vaut plus que n'importe quelle performance. Ce qui compte, c’est l’authenticité. Tu n’as qu’à être toi-même.
Victoria hésite, ouvre la bouche, prête à répliquer, mais ne trouve pas les mots justes. Elle secoue la tête, sauf que, cette fois, son sourire est plus doux.
— Tu t'enflammes, tu sais... lâche-t-elle.
— Tu te sous-estimes, rétorquè-je du tac au tac. Tu.... je m'interromps.
Bon, vaut mieux que j'abandonne la flatterie. Insister sur ses doutes ne va pas la convaincre. Peut-être une approche différente, un angle plus pragmatique. Je me redresse et adopte un ton plus déterminé.
— Ce n’est pas une question d’exécution ou de spectacle. Le secret, c'est l'émotion. Chaque scène bien pensée raconte une histoire qui touche au cœur. Aujourd’hui, ce que les gens recherchent, c’est une connexion authentique. Des sensations simples, accessibles, que chacun — connaisseur ou initié — reconnaît instinctivement.
Je laisse les mots s’imprégner, tout en l’observant.
— Ton visage donnerait vie à ce message sans forcer le trait. Pas besoin de jouer un rôle. Juste incarner l’essence même de l’expérience, sa simplicité, son élégance. Le luxe discret, la promesse d’une chaleur réconfortante, deux points qui s’alignent parfaitement avec notre identité de marque. Plus, le parfum du mystère, une gorgée d'instant volé, une invitation à se perdre dans l’ivresse, savourer, ressentir. Le whisky, ça représente quoi ? Puissance et caractère. Richesse et profondeur. Chaque facette, chaque nuance de sa complexité te reflète. Tu serais bien plus qu’une égérie.
Je plonge mon regard dans le sien, sans détour.
— Tout le monde serait sous ton charme. Moi le premier, comme toujours.
Elle reste figée une minute, la bouche entrouverte, l’expression indéchiffrable. Puis ses yeux s’adoucissent, ses pupilles s’illuminent d’une lueur teintée d’appréciation. Un rire léger, presque incrédule, lui échappe.
— Eh bien... Impressionnant.
Je prends enfin une grande inspiration, libérant la tension qui s'était accumulée dans ma poitrine. Je n'ai pas perdu la main. Des années dans le marketing à vendre des rêves à des inconnus pour le compte de mon ex-beau-père m’auront au moins servi à affiner mes arguments. N'empêche, convaincre la femme que j'aime c'est quand même une autre paire de manche que faire les yeux doux à des investisseurs, des collaborateurs ou des clients. J'ai presque le sentiment de passer de la promo d’un produit à la séduction d’une âme.
Elle vient chasser quelques brins d’herbe cramponnés à mon épaule et son parfum vanillé irrigue mes sens. Je ne résiste pas à l'envie de cueillir et d'entrelacer nos doigts.
— Tu as répété ce laïus, ou tu as improvisé devant moi ? me lance-t-elle.
Mes lèvres se posent sur ses phalanges avant de relâcher doucement sa paume. Je m'étire, croise mes jambes, adopte une posture plus décontractée. J'ai donné tout ce que je pouvais. La balle est maintenant dans son camp.
— Tu me connais. Jamais rien à moitié, encore moins quand il s’agit de toi.
J'admire la couleur qui monte à ses joues et la petite fossette qui se creuse quand elle sourit, légère et pleine de charme.
— Franchement, c’est assez convaincant. Tu m’aurais presque vendue à moi-même.
Sa voix s’élève, mi-amusée, mi-sincère. J'attrape le dernier morceau de pain tranché et le porte à ma bouche en m'accoudant en arrière.
— Je suis sérieux, Vi. Sans parler de l'effet que tu aurais sur mes clients. Événements, dégustations... dès que tu apparaîtras à mon bras, tu les mettras tous à tes pieds.
— James... commence-t-elle en secouant sa jolie frimousse. Tu en fais des tonnes. Je suis juste Victoria. Ni plus, ni moins.
Elle dit ça comme si c’était un défaut. Mes yeux se posent sur elle, et un sourire — discret, mais implacable — menace mes lèvres. Non, elle n’est définitivement pas “juste” Victoria. Elle est bien plus.
Ses iris ambrés, couleur whisky, capturent la lumière, comme le précieux nectar. La chaleur dorée qui y danse m’enivre, et je me perds un instant dans cette profondeur hypnotique avant de retrouver ma concentration.
— Tu es ma Victoria. Ma perfectionniste adorable. La reine du contrôle. Toujours sur le qui-vive. Toujours exceptionnellement belle.
Elle tente l’indifférence, mais le rouge qui a fleuri sur sa peau ne ment pas. Ses doigts s’affairent soudain autour de la barquette de légumes grillés. Je connais ce langage. Le silence retenu, les petites fuites d’attention, les gestes trompeusement distraits. Elle bouge comme si elle pouvait me semer, mais je la lis mieux qu’elle ne se lit elle-même. Et, en cet instant précis, je sens la brèche que mes mots ont ouverte, bien au-delà de ce qu'elle admettra.
Je me penche, mon coude planté dans l’herbe douce et tiède, mes yeux fixés sur elle.
— L'autre soir, par exemple. À ton anniversaire…
Une chaleur familière envahit mes veines alors que l’image de la scène se ravive. Je souris malgré moi. Victoria était canon. Mais ce que je ressens en cet instant ne se résume pas à l’admiration pure.
— Quand tu dansais sur l'estrade, perdue dans la musique, comme si le monde autour n’existait plus… Tous les regards convergaient vers toi, tous les types te reluquaient — moi y compris.
Le souvenir s’impose, tenace. Sa silhouette ondulait avec grâce, ses cheveux balayaient l’air. Chaque mouvement annihilait ma raison.
Ma voix se teinte d’une nuance plus grave.
— Tu veux la vérité ? Ça m’a mis en rogne. T’as pas idée.
Je passe une main nerveuse sur ma nuque, comme si le dire à voix haute ranimait la flamme de la jalousie. Qu’elle l’appelle instinct primaire ou territorialisme, peu importe. Possessif ? Absolument. Parce qu’au fond, elle est ma faiblesse la plus viscérale, et ça, je n’y peux rien.
— Mais comment leur en vouloir ? J’étais pris au piège comme eux. Toi, rayonnante et libre… impossible de détourner les yeux.
Je capte le soupir fluide qui traverse ses lèvres. Ses épaules ploient, une tension qu’elle relâche enfin. Je continue, un sourire plus malicieux cette fois.
— Et l’été dernier, tu te souviens quand on courait ensemble au parc ? Le gars qui faisait des étirements et n’a pas cessé de te fixer comme si tu sortais tout droit d’une pub pour des vêtements de sport ? Il a failli se fouler un muscle à force de lorgner sur ton fessier.
Victoria lâche un petit rire avant de secouer la tête et de reposer la barquette de légumes sur son tote bag.
— Arrête de dire n’importe quoi… se défend-elle.
Ses mots, dits à mi-voix, dissimulent à peine sa gêne.
— Crois-moi, je n’ai pas raté une seule seconde de cet épisode.
J'avais l'impression de revoir ses yeux errants, comme s'ils avaient eu l'audace de la prendre pour un objet à dévorer. L'idée de lui éclater la tronche m’avait effleuré l'esprit en un instant, une impulsion brutale et presque animale. Mais le souvenir du corps de Victoria, sous et sur le mien, quelques heures plus tôt, juste avant notre foulée matinale, m'avait assagi. J'étais sur un petit nuage, encore sous l'effet de notre étreinte. C’est moi qui étais dans son lit les cinq jours précédents, qui avais goûté à sa peau, à ses soupirs. Alors ce mec pouvait bien la mater, ça ne changeait rien. C'était moi qu'elle voulait, et c'était moi qui la revendiquais.
Ma tentatrice attrape un samosa, arque un sourcil et en croque un bout avec une lenteur délibérée. La manœuvre est transparente : détourner l’attention. Elle mâche, l'air faussement détaché, arrimé à un point invisible devant elle. Avec une nonchalance feinte, elle m'offre un beignet. Je le saisis sans la quitter des yeux. Mon regard embrasse la courbe de ses lèvres et, lorsqu’une pointe de chaleur épicée se fraie un chemin sur mon palais après ma bouchée, je devine le ravissement partagé au plissement de ses paupières.
— Tu comptes m’appâter avec ça pour me faire taire ?
Elle rit doucement, mais ses doigts trahissent une tension. Quand, elle prend la parole, je capte de suite que, comme souvent, elle se retranche derrière son humour piquant.
— C'est pas ça. Je réfléchissais aux deux exemples que tu as donnés et dans lesquels, tu noteras, je suis en tenue moulante. Tu me trouves toujours aussi impressionnante avec mes vieilles godasses, mon jean délavé et mon t-shirt ?
Incapable de résister au défi, Je m'allonge sur le flanc face à elle.
— Voyons ça…
Je passe en mode analyse.
Mes yeux descendent sur ses baskets. Usées, peut-être, mais propres. Un détail qui me fait sourire. Victoria prend soin d’elle, même dans ses moments les plus décontractés. Sportive, dynamique, bien dans ses chaussures. Validé.
Le jean… Ah, ce jean. Je m’attarde sans honte. Il épouse admirablement ses formes, surtout ces jolies fesses galbées et foutrement appétissantes. Approuvé. Plutôt deux fois qu'une.
— On devrait déclarer ce jean d'utilité publique, murmuré-je.
Elle relève la tête, mi-amusée, mi-soupçonneuse, mais ne dit rien. Je continue mon inspection, mon regard s’arrêtant sur son maudit t-shirt blanc. Pas qu'il me déplaise, bien au contraire. Simple, efficace. La sobriété dans toute sa splendeur. Et pourtant… le tissu presque transparent, la coupe cintrée, le décolleté ingénieux, les coutures noires du soutif qui se dessinent. Rebelote dans mon pantalon. Je me racle la gorge avant de commenter le plus objectivement possible :
— Ton t-shirt blanc et son petit effet... Tu as l’art de rendre le banal... carrément troublant.
— Je te ferais dire que, toi aussi, tu portes un T-shirt blanc... riposte-t-elle aussitôt.
— Vrai... Sauf que le mien est totalement inoffensif comparé au tien, dis-je en lui lançant un clin d'œil.
Victoria s'approche subtilement de moi, assez pour venir faufiler ses doigts sous l’ourlet de ma manche. Son souffle effleure ma joue, aussi chaud que le frisson qu’il fait naître en moi.
— Oh, mais je t'assure que le tien fait aussi des dégâts.
Le contact de ses ongles sur ma peau, qui flirtent maintenant sur mon biceps, hérisse mes poils. Je me force à respirer normalement, mais mon esprit s’emballe.
Elle se recule. Dans un réflexe, ma paume glisse lentement sur son poignet, survolant sa montre dorée. Un bijou sobre et indémodable qui contraste avec le méli-mélo sympa de bracelets qui ornent son autre bras. Les chaînes, les cordons tressés, le jonc en argent, la gourmette avec les breloques, les perles. Une superposition parfaite de simplicité et d’extravagance, tout comme elle. Une touche personnelle, bohème, mais maîtrisée.
— Des détails que toi seule sais agencer…
Je pointe les lunettes Wayfarer perchées sur sa tête — tirées d'un étui enfoui dans son sac, bien évidemment. Délicatement, mes doigts les ajustent sur son joli petit nez droit.
— Voilà. Maintenant, tu es officiellement incognito…
Et ses cheveux… Une coiffure à la fois soignée et négligée. Exécution rapide en une minute chrono devant le miroir de l'ascenseur de l'hôtel. Terriblement efficace. Le charme personnifié.
Même en faisant le point sur chaque détail de sa tenue, le constat est sans appel : elle pourrait porter n'importe quoi, elle serait toujours incroyable.
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