CHAPITRE 37.2 * JAMES
J.L.C
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La quête du pardon. Envers ceux que j'ai trahis, déçus. Envers moi-même. À la fois prisonnier de ma culpabilité et de mon besoin de rédemption, je me sens perdu, incapable de trouver la voie qui pourrait me libérer.
Victoria expire longuement. Je donnerais tout pour avoir accès à ses pensées. Soudain, elle m'interpelle :
— Pourquoi tu as préféré Toulouse plutôt que Paris ? La capitale offre certainement plus de perspectives, non ? C'est parce qu'Isla vit ici ?
— Non, c'était pour... toi, soupirè-je, à peine que je me demande si j'ai vraiment parlé à voix haute.
La réalité de Toulouse n'a pris substance qu’avec ce coup de fil avorté qui aurait pu sceller un tout autre destin. Ce soir embrumé par l'alcool où j'ai cherché mon point d'ancrage. Victoria. Je voulais confronter mon envie avec la vision de celle pour qui mon coeur battait déjà. Je l’ai appelée, poussé par cette nécessité presque fébrile de savoir : y avait-il, pour nous, une histoire à prolonger si je choisissais Toulouse ? Serait-ce un pari gagnant ? L'équation fragile de mon aventure professionnelle et du murmure de l'amour valait-elle la mise ? Mais, elle n'a pas répondu.
Chaque sonnerie qui a retenti à mon oreille, couplée au tempo assourdissant de mon palpitant prêt à rompre, m'avait davantage figé sous l'averse glaciale d’Édimbourg, posté devant le Gilded Stag, en t-shirt. Mais peu importait, mon sang bouillonnait, et la pluie n’avait aucun impact sur le brasier qui consumait mes entrailles.
Alors, je lui ai laissé un vocal, une déclaration fiévreuse et désordonnée dont les termes exacts ont déserté ma mémoire. Je me souviens seulement avoir vidé mon cœur, sans détour, sans retenue. Puis, quelque chose avait cédé en moi : le barrage de mes hésitations. Je serais auprès d'elle dans la semaine, m'étais-je réjoui. Parce que, même sans la résonance de sa voix au téléphone, j'avais le pressentiment de sa confirmation. J'étais sûr qu'elle voudrait écrire la suite à deux, nous accorder un nouvel élan, une nouvelle chance. Cette semaine idyllique, nos échanges ininterrompus depuis lors, quasi quotidiens, nos désirs soupirés, notre complicité en expansion constante — chaque geste et chaque mot tiraient dans cette direction, vers un avenir commun.
À Toulouse, auprès d'elle, tout prendrait sens. À Paris, Victoria n'aurait été qu'un regret lancinant. Un rêve suspendu au bord du possible, une silhouette d’espoir non vécu, un mirage d’affection égaré. Les dangers de la capitale et mes illusions amères auraient tôt fait de m'engloutir de toute façon. La ville rose, c’était la promesse d’un recommencement. Mais ce maudit soir, en quête d’elle, c’est moi que j’ai perdu.
L’euphorie m’a pris par la main, m’a conduit à l’ivresse — cette exaltation qui fait perdre pied sans qu’on s’en aperçoive. Verre après verre, je nous imaginais, nous idéalisais, sculptais un futur teinté de passions et d'ambitions. Ma vigilance s’est étiolée, et, avec elle, ma lucidité, emportée dans son sillage. L’excitation m’a donné des ailes, mais surtout des œillères. La jolie blonde avec qui je dansais, riais, flirtais… ce n’était pas ma Victoria. Je le savais, je... putain, je jurerais ne pas avoir craqué. Le réveil à l’hôtel m'a foudroyé sur place : le corps d'Elaine, nu, me narguait, un miroir obscène où je voyais mon vice démasqué. Le goût amer de l’alcool séché et d’un parfum étranger envahissait ma bouche. La drogue coulait dans mes veines, mais je ne l'y avais pas invitée. Ça aussi, je pourrais le jurer. Comment aurais-je été à même de me paumer de la sorte alors que mon avenir s'ouvrait sur une destinée de rêve aux côtés d'une femme extraordinaire à qui j'allais offrir mon coeur ?
Toulouse, Victoria, l'amour qui guidait mes pas, mes choix, un cap, une lumière, la force motrice derrière mon envie d'avancer, de changer. Non, impossible. Je n’aurais pas sciemment torpillé mes projets pour un instant d’égarement avec une autre, encore moins Elaine. J’avais perdu le contrôle, mais pas selon mes propres règles.
La vision de Victoria, claire et éclatante, fendait encore le brouillard de ma mémoire. Depuis que je l’avais quittée, il n’y avait eu pas eu d'autre femme. Mon corps se nourrissait uniquement du désir né de son souvenir, des brumes de sa voix à travers nos appels, de la tendresse distillée dans les messages échangés. Son visage hantait mes jours et mes nuits solitaires, égayait mes pensées à chaque photo, chaque vidéo où son regard, brillant et espiègle, brûlait encore pour moi. Sa chaleur, sa sérénité vibrante, sa joie de vivre, l’évidence inscrite dans ses yeux... Tout en moi aspirait à elle, tout en moi avait espéré la retenir, l’ancrer au centre de chaque battement d’avenir.
Victoria capte mon mutisme, mon concert de soupirs, mon immobilité et mon désarroi. Ses iris enfoncent des clous là où mon âme vacille, cisèlent mes remords, traquent mes failles et mes omissions. Elle m'interroge, les traits tendus :
— Qu'est-ce qu'il y a, James ?
La digue éclate, la confession jaillit avant que je ne puisse la museler. Les mots se cognent les uns aux autres, trop vite, trop anarchiques.
— Je suis désolé… Pardonne-moi. Je n’aurais jamais pu... merde... je n'ai jamais voulu que... ça se passe comme ça, bafouillè-je, désemparé.
Je me relève d'un coup sec, ma paume contre ma nuque. Chaque muscle, chaque fibre de mon être m’empêche de respirer. Je pose mes coudes contre mes genoux remontés, serre mon poing, mes ongles plantés dans ma peau.
Derrière moi, je perçois vaguement la voix de Victoria qui m'appelle, portée par le vent, comme un murmure lointain dans cette tornade qui s'éveille en moi. Tout devient flou, trop de bruit, trop de pression.
— James, réponds-moi. De quoi tu parles ? Que ça se passe comment ?
Le chaos bat à mes tempes, ma bouche se change en sable, mes pensées s'éparpillent. L’instant m’écrase sous un poids colossal, où chaque silence amplifie ma culpabilité.
— Je… je n'ai jamais eu l'intention de te blesser, je te le jure. Tout ce que je voulais, c’était... choisir la bonne voie. Pour toi. Pour nous. Je regrette tellement cette nuit à l'hôtel, je...
Putain de merde... La main qui venait d'apparaître sur mon épaule, la chaleur d'un corps qui s'était rapproché du mien, se volatilisent soudain.
L'écho d'une voix, ténue, au bord du doute, me parvient.
— Tu... regrettes... cette nuit ?
Cette nuit ? Elle pense que je parle de...
— Non ! m'écriè -je, la négation claquant entre nous comme un fouet.
C'est un cri écorché, brut et nécessaire, comme une vérité qui saigne. Je pivote vers elle, pris de panique. Son visage chancelle entre surprise, inquiétude et chagrin. Ses mâchoires se contractent et une lueur indéchiffrable traverse ses prunelles.
— Non, jamais, repétè-je.
Elle semble sur le point de me répondre, mais son élan prend fin lorsque mes doigts tremblants s’entrelacent avec les siens, cherchant refuge et pardon à la fois.
— Ce n’est pas toi. Ce n’est pas ça que je regrette. Je parle de la nuit du... vocal.
Une ombre voile son teint, tel un crépuscule venu trop tôt. Je ferme les paupières un instant, incapable de supporter l’expression qui suit. La détresse éclate dans ses yeux et la douleur se peint sur ses traits.
Mon cœur mitraille dans mes oreilles, et mes poumons peinent à trouver l’air suffisant pour articuler ce que je dois dire.
— Tout en moi savait où je voulais être. Avec toi. Seulement toi. Je te promet que je n'ai pas cédé de mon plein gré. Ni à la drogue... ni à elle. Pas ce soir-là.
Elle. Je ne peux même pas prononcer son prénom à voix haute tellement ma gorge forme un étau de feu.
Ce matin-là, englué dans les brumes toxiques de la came, j'ai suffoqué sous un cocktail d'écœurement et de culpabilité, un dégoût qui me collait à la peau, corrodait mes os. Puis, j'ai essayé de gommer l'évidence, de me persuader que ça n'était pas vraiment arrivé. Pas la drogue — elle coulait bel et bien dans mes veines — mais la tromperie. Le déni n'a pas tenu face à la réalité. Alors, je me suis évertué à comprendre l'impensable, à reconstituer chaque pièce du puzzle. Pas moyen de me souvenir. Pourquoi ma résolution avait flanché ? Comment j'ai pu me briser ainsi, au pire moment, contre la tentation ? Les réponses m'échappaient, insaisissables comme des ombres insidieuses fuyant la lumière.
Quand la logique s'est avouée vaincue, elle a abdiqué la place au vide, un gouffre béant, oppressant, impossible à combler. Les jours suivants, la culpabilité m'a englouti à nouveau, cette fois-ci une marée noire, implacable, qui m'a broyé jusqu'à la reddition. J’ai abandonné toute tentative d’explication ou de rédemption, tout comme j’ai renoncé à me racheter auprès... d'elle. À quoi bon, mes névroses avaient souillé notre relation. Livré à l'accusation muette de mon propre reflet, à cette condamnation sans fin amplement méritée, j'ai rejeté l'amour de ma vie. Et, enfin, pour noyer ce fardeau qui m’étranglait de l’intérieur, j’ai cherché l’oubli là où il m’était accessible. La coke. Encore et toujours. Les femmes, interchangeables, anonymes, qui ont défilé dans mes draps. Chaque matin, la réalité me giflait, et le gouffre en moi s’élargissait.
Un silence lourd tombe entre nous. Son profil se détourne, évitant le mien. Ses poings se crispent, mais elle ne retire pas ses mains.
Puis, après un moment qui me semble interminable, elle prend une profonde inspiration, brisant l'attente.
— On en parlera quand tu seras prêt, prévient-elle. Je... pas maintenant.
Ses émotions tremblent mais ne renoncent pas ; les miennes, sans rempart, s'effondrent. Comment peut-elle encore être là, si proche, quand je lui ai imposé l'impardonnable ? Pourquoi n'ai-je pas vu le piège, pas senti la chute venir ?
Sa voix s'élève à nouveau, douce et infiniment grave.
— Je te crois, James. Pour ce soir-là.
Quand ses paroles tombent sur moi, un souffle de vie me ranime, une pluie salvatrice qui lessive les cendres fumantes de mes regrets. Mon cœur vacille, puis repart, comme un moteur grippé qui retrouve une étincelle. Elle me croit.
Lentement, ses doigts se glissent jusqu’à ma joue. Un tressaillement me traverse, une vibration à la frontière de la douleur et du soulagement. Mes yeux se ferment, et je pousse un soupir chevrotant, incapable de déloge la boule qui s'est formé dans mon gosier. Sa main demeure, immobile et pourtant pleine d’un langage muet. Je m’appuie un peu plus contre elle, espérant qu’une chaleur si réelle puisse m’ancrer, ramener du sens à l’incohérence de mon être.
— Oublie ça, juste pour quelques heures, me prie-t-elle.
Mes paupières se soulèvent. Dans ses pupilles, je découvre une tendresse que je n’imaginais plus mériter.
— Viens, m'invite-t-elle. Allonge-toi avec moi.
Elle m’entraîne doucement vers l’herbe fraîche qui ploie sous notre poids.
— Parle-moi de l’avenir, pas du passé. De ce que tu veux bâtir. De ce que tu veux devenir.
La demande est ouverte, vaste, comme un champ d’infinies possibilités. Elle m'offre l'évasion, à défaut d'autre chose. Et je me laisse guider.
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